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Full text of "Les terres du ciel; voyage astronomique sur les autres mondes et description des conditions actuelles de la vie sur les diverses planètes du système solaire;"

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UTOPIA 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2010  with  funding  from 
Duke  University  Libraries 


http://www.archive.org/details/lesterresducielvOOflam 


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LES 

TERRES  DU  CIEL 


ŒUVRES  DE  CAMILLE  FLAMMARION 

o  u  V  n  A  r.  E   c  0  u  n  o  N  s  É   r  a  ii    l'académie   f  ii  a  n  (.:  a  i  s  t; 

ASTRONOMIE  rOPULAlRK 

Exposition  (les  grandes  déroiivertes  île  rAstrononiic  moderne  ;  illustrée  de  3(50  li-iures,  planches 
et  chromolitlionrapliies,  ("0"  mille),  li  fr. 

LES  ÉTOILES  ET  LES  CURIOSITÉS  DU  CIEL 

Supplément  de  l'  <•  Astronomie  populaire  » 

Description  complète  du  Ciel  étoile  par  étoile,  constclhitions  ;  instruments,  catiilogues.  etc. 

Illustré  de  100  ligures  et  cartes  célestes.  (40'  millej.  l'i  IV. 


MES  VOYAGES  AERIENS 

JiMinial  de  bord  de  douze  vovages  en  ballon,  avec  plans  topograpliiques.  1  vol.  in-18. 
"  Nouvelle  édition.  3  fr.  50. 


LA  PLURALITÉ  DES  MONDES  HABITÉS 

eu  point  de  vue  de  l'Astronomie,  de  la  Physiologie  et  de  la  Philosophie  naturelle.  30'  édition. 
1  vol.  in-i-2  avei'  figures.  3  fr.  50. 


LES  MONDES  IMAGINAIRES  ET  LES  MONDES  RÉELS 

Revue  des  théories  humaines  sur  les  habitants  des  astres.  IS"  édition. 
1  vol.  in-l"i  avec  ligures.  3  fr.  50. 


LES  MERVEILLES  CELESTES 

Lectures  du  soir,  pour  la  jeunesse.  Gravures  et  cartes.  (,38'  mille).  1  vol.  in-12.  2  fr.  25. 

PETITE  ASTRONOMIE  DESCRIPTIVE  POUR  LES  ENFANTS 

Ornée  de  100  figures.  1  vol.  in-12.  1  fr.  25. 


HISTOIRE  DU  CIEL 

Histoire  populaire  de  l'Astronomie  et  des  ditîérents  svst^mes  imaginés  pour  expliquer  l'Univers. 
i'  édition.  1  vol.  gr.  in  8°  illustré.  O'fr. 


RECITS  DE  L'INFINI 


Lumcu.  —  Histoire  d'une  âme.  —  Histoire  d  une  comète.  —  La  Vie  universelle  et  éternelle. 
8'  édition.  1  vol.  in  12.  3  fr.  50. 


CONTEMPLATIONS  SCIENTIFIQUES 

Nouvelles  étoiles  de  la  Sature  et  exposition  des  (vuvres  éminentes  de  la  Science  contemporaine. 
3»  édition.  1  vol.  in-12.  3  fr.  50 


DIEU  DANS  LA  NATURE 

le  Spiritualisme  et  le  Matérialisme  devant  la  Science  moderne.  18'  édition.  I  fort  vol.  in-12, 
avec  le  portrait  de  l'auteur,  4  fr. 


SIR  HUMPIIRY  DAVY 

LES  DERNIERS  JOURS  D'UN  PHILOSOPHE 

Entretiens  sur  la  Nature  el  sur  les  Sciences.  Traduit  de  l'anglais  et  annoté.  7'  édition  française. 
1  vol.  in-12.  3  tr.  50. 


ASTRONOMIE  SIDÉRALE  :  LES  ETOILES  DOUBLES 

Catalogue  dts  étoiles  multiples  en  mouvement,  etc.  1  vol.  in-8°.  8  fr. 

ETUDES  ET  LECTURES  SUR  L'ASTRONOMIE 

Ouvrage   périodique,   exposant  les   Découvertes   de   l'Astronomie   contemporaine, 
les  recherches  personnelles  de  l'auteur,  etc.  9  vol.  in-12.  Le  vol.  2  fr.  50. 

L'ASTRONOMIE 

Revui-  mensuelle  des  progrès  de  la  Science.  Abouuement  :  12  fr.  Le  n"  1  fr.  20. 


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CAMILLE  FLAMMARION 


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LES 


TERRES  DU  CIEL 

VOYAGE  ASTRONOMIQUE 

s  I  i; 

LES  AUTRES  MONDES 

ET 
DESCRIPTION     DES    CONDITIONS     ACTUELLES     DE     LAViE 

SUR  LES  DIVERSES  PLANÈTES   DU  SYSTÈME  SOLAIRE 

OUVRAGE   ILLUSTRÉ 

De  Photographies  célestes,  Vues  télescopiques.  Cartes  et  nombreuses  Figures 

l'AR  I'.  FOICHÉ,  MOTTY,  BLA.NAUET.  HELLÉ,  ETC.,  ETC. 


PARIS 

C.  MARPON   ET  K.   FLAMMARION 

ÉDITEUnS 

26,  RUE  RACLNE.  PRÈS  L'ODÉON 

18S4 

(Tous  droits  réscrvOs,. 


LIVRE   PREMIER 


NOTRE    VOISINE  LA  PLANETE   MARS 


^>     LIVRE    PREMIER     ^ 


NOTRE    VOISINE    LA     PLANÈTE     MARS 


CHAPITRE   PREMIER 
Voyage  interplanétaire  :  du  globe  terrestre  au  globe  de  Mars 

Pendant  les  douces  soirées  d'été,  en  cette  heure  charmante  où  la 
dernière  note  de  l'oiseau  qui  s'endort  reste  suspendue  dans  les  bois, 
où  les  caresses  de  l'atmosphère  parfumée  glissent  comme  un  frisson 

TERP.KS    1)0    CIEL. 


LES   TEllUES    DU    CIEL 


à  travers  le  feuillage,  où  les  gloires  éteintes  du  crépuscule  ont  déjà 
fait  place  aux  mystères  de  la  nuit,  nous  aimons  à  rêver  en  contem- 
plant la  transformation  magique  du  grand  spectacle  de  la  Nature,  en 
assistant  à  cette  glorieuse  arrivée  des  étoiles  qui  s'allument  une  à 
une  dans  les  vastes  cieux,  tandis  que  le  Silence  étend  lentement  ses 
ailes  sur  le  monde.  Jamais  l'âme  n'est  moins  seule  qu'en  ces  ins- 
tants de  solitude.  Nulle  parole  n'est  plus  éloquente  que  ce  profond 
recueillement.  Notre  pensée  s'élève  d'elle-même  vers  ces  lointaines 
lumières  ;  elle  se  sent  en  communication  latente  avec  ces  mondes 
inaccessibles.  Mars  aux  rayons  ardents,  Vénus  à  la  lumière  argentée, 
Jupiter  majestueux,  Saturne  plus  calme,  nous  apparaissent,  non 
plus  comme  des  points  brillants  attachés  à  la  voûte  céleste,  mais 
comme  des  globes  énormes,  roulant  avec  nous  dans  l'abîme  éternel, 
et  nous  savons  que  l'éclat  dont  ils  resplendissent  n'est  que  le  reflet 
de  la  lumière  solaire  qui  les  inonde  ;  nous  savons  que  la  Terre 
brille  de  loin  comme  ces  autres  planètes,  et  que,  par  exemple,  elle 
éclaire  la  Lune  comme  la  Lune  nous  éclaire  ;  nous  savons  que  ces 
autres  mondes  sont  matériels,  lourds,  obscurs  par  eux-mêmes;  que, 
si  le  Soleil  s'éteignait,  nous  ne  les  verrions  plus;  que  toute  l'illumi- 
nation solaire  que  chaque  planète  reçoit  est  condensée  en  un  point,  à 
cause  de  l'éloignement  qui  nous  en  sépare;  nous  savons  qu'ils  gra- 
vitent comme  nous  autour  du  foyer  radieux,  à  des  distances  diverses; 
qu'ils  tournent  sur  eux-mêmes,  ont  des  jours  et  des  nuits,  des 
saisons,  des  calendriers  spéciaux  ;  et  nous  savons  aussi  que  la  Terre 
est  un  astre  du  Ciel.  Mais  cette  contemplation  ne  tarde  pas  à  laisser 
en  nous  im  certain  sentiment  de  vague  mélancolie,  parce  que  nous 
nous  croyons  étrangers  à  ces  mondes  où  règne  une  solitude  appa- 
rente et  qui  ne  peuvent  faire  naître  l'impression  immédiate  par 
laquelle  la  vie  nous  rattache  à  la  Terre.  Ils  planent  là-haut 
comme  des  séjours  inaccessibles,  et  parcourent  loin  de  nous  le  cycle 
de  leurs  destinées  inconnues  ;  ils  attirent  nos  pensées  comme  un 
abîme,  mais  ils  gardent  le  mot  de  leur  énigme  indéchiffrable.  Con- 
templateurs obscurs  d'un  univers  si  grand  et  si  mystérieux,  nous 
sentons  en  nous  le  besoin  de  peupler  ces  îles  célestes,  et,  sur  ces 
plages  désespérément  désertes  et  silencieuses,  nous  cherchons  des 
regards  qui  répondent  aux  nôtres. 

11  devait  être  réservé  à  l'Astronomie  du  XIX"  siècle  de  donner  un 


LES    TERRKS   DU    CIEL 


corps  aux  vagues  aspirations  dos  philosophes  du  passé,  et  de  répondre 
à  l'heureuse  divination  des  Pythagore,  des  Anaxagore,  des  Xéno- 
phane,  des  Lucrèce,  des  Plutarque,  des  Origène,  des  Cusa,  des 
Bruno,  des  Galilée,  des  Kepler,  des  Montaigne,  des  Cyrano, 
des  Kircher,  des  Fontenelle,  des  Huygens,  de  tous  ces  penseurs 
qui,  dans  les  temps  passés,  et  à  des  degrés  divers,  se  sont  élevés 
dans  la  haute  contemplation  de  la  Vérité.  A  ces  noms  illustres 
devaient  se  joindre  au  siècle  dernier  ceux  des  philosophes  de  la 
nature  :  Buffon,  Kant,  Voltaire,  Bailly,  d'Alembert,  Herschel, 
Lalande,  Laplace  ;  glorieuse  phalange  continuée  en  notre  siècle  par 
d'éminents  esprits,  parmi  lesquels  nous  ne  pouvons  nous  empêcher 
de  signaler  les  sympathiques  figures  de  sir  John  Herschel,  François 
Arago,  David  Brewster  et  Jean  Picynaud.  Oui  !  c'est  à  l'Astronomie 
de  notre  époque  qu'il  était  réservé  de  couronner  le  lent  et  gran- 
diose édifice  des  siècles,  par  cette  doctrine  sublime  de  la  Pluralité 
des  Mondes,  qui  répand  dans  l'infini  les  splendeurs  de  la  vie  et  de 
la  pensée,  et  qui  donne  un  but  rationnel  cà  l'existence  de  l'Univers. 
Le  moment  est  venu  de  faire  un  voyage  astronomique  sur  tous  ces 
mondes  extra-terrestres,  de  réunir  en  une  même  synthèse  l'ensem- 
ble des  documents  fournis  par  les  merveilleux  progrès  de  la  science 
contemporaine,  et  d'exposer  en  une  description  spéciale  l'état 
actuel  de  nos  connaissances  sur  ces  autres  «  terres  du  Ciel*  »  qui 
gravitent  en  même  temps  que  la  nôtre,  bercées  dans  l'ondoyante 
cadence  de  l'attraction  universelle.  Déjà  nous  avons  esquissé  les 
grandes  lignes  du  tableau  général  de  la  création.  Dans  notre  Ast7'0- 
nomie  jmpulaire,  nous  avons  exposé  l'ensemble  des  théories  de  la 
science  sur  l'Univers,  expliqué  les  mouvements,  les  lois,  les  forces, 
qui  animent  et  régissent  l'organisation  des  systèmes  suspendus 
dans  l'espace.  Dans  le  Supplément  de  cet  ouvrage,  dans  les  Étoiles 
et  les  Curiosités  du  Ciel,  nous  avons  fait  connaître  les  étoiles, 
soleils  de  l'infini,  nous  avons  décrit  les  constellations,  étudié  leur 
histoire,  exposé  en  un  mot  les  faits  de  «  l'Astronomie  sidérale  ». 
Aujourd'hui  notre  but  est  de  nous  occuper  spécialement  des  planètes, 
de  donner  une  exposition  descriptive  de  V Astronomie  planétaire, 
de  développer  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  tout  ce  que  nous  savons 
actuellement  sur  ces  différents  mondes  qui  nous  environnent,  qui 
appartiennent  comme   nous  à  la  grande   famille  du  Soleil,  et  qui 


LES  TKRRES  HU   CIEL 


se  présentent  à  nous  comme  autant  de  terres  inconnues  à  découvrir, 
comme  autant  de  pays  mystérieux  à  visiter. 

L'Astronomie  est  à  la  fois  la  science  do  l'univers  matériel  et  la 
science  de  l'univers  vivant,  la  science  des  mondes  et  la  science  des 
êtres,  la  science  de  l'espace  et  la  science  du  temps,  la  science  de 
l'infini  et  la  science  de  l'éternité.  Déchirant  le  voile  antique  qui  nous 
cachait  les  spk'ndeurs  de  la  création  universelle,  elle  nous  montre 
dans  l'immensité  qui  s'étend  sans  bornes  tout  autour  de  la  Terre, 
elle  nous  montre  les  mondes  succédant  aux  mondes,  les  soleils 
succédant  aux  soleils,  les  univers  succédant  aux  imivers,  et 
l'espace  sans  fin  peuplé  d'astres  sans  nombre  développant  jusqu'au 
delà  des  derniers  horizons  que  la  pensée  puisse  concevoir  les  séries 
indéfinies  des  créations  simultanées  et  successives.  L'évidence  est 
là  dans  sa  vertigineuse  grandeur.  Ni  les  timidités  des  âmes 
craintives,  ni  les  sophismes  des  esprits  légers,  ni  les  négations 
de  ceux  qui  ne  veulent  point  voir,  n'empêchent  la  Nature  d'être  et 
de  rester  ce  qu'elle  est.  Le  globe  que  nous  haliitons  ne  constitue 
pas  à  lui  seul  la  création  entière,  mais  ail  contraire  il  n'en  est 
qu'une  partie  infiniment  petite  et  un  rouage  presque  insignifiant. 
A  côté  de  lui  voguent  dans  l'espace  des  mondes  habités  comme 
lui.  Des  millions  de  systèmes  planétaires  analogues  au  nôtre  planent 
dans  l'immensité  profonde.  Les  étoiles  ne  sont  pas  fixes  ni  inaltéra- 
bles ;  elles  marchent,  elles  volent  à  travers  les  cieux  avec  une  vitesse 
inimaginable;  elles  s'associent  en  systèmes  stellaires  ;  elles  sont 
accompagnées  de  planètes  qui  les  dérangent  dans  leur  cours, 
chacune  d'elles  est  un  soleil,  répandant  comme  le  nôtre  les  radia- 
tions fécondes  qui  sèment  la  vie  dans  toutes  les  régions  de  l'Univers. 
El  la  Terre  n'est  qu'un  point  obscur  perdu  dans  la  multitude; 
et  l'humanité  terrestre  n'est  qu'une  des  familles  innombrables  qui 
habitent  les  célestes  séjours;  et  il  n'y  a  d'autre  ciel  que  l'espace 
vide  dans  le  sein  duquel  se  meuvent  les  mondes  ;  et  nous  sommes 
actuellement  dans  le  ciel,  aussi  complètement  que  si  nous  habi- 
tions Jupiter  ou  Sirius  ;  et  toutes  les  idées  qui  ont  eu  cours  jusqu'ici 
sur  la  Création,  sur  la  Terre,  sur  le  Ciel,  sur  la  situation  de  l'homme 
dans  la  nature  et  sur  nos  destinées  doivent  aujourd'hui  subir  une 
transformation  radicale  et  absolue.  Le  soleil  de  l'Astronomie  brille 
sur  nos  tètes!  La  nuit  est  finie.  Il  fait  jour! 


L.\umiii.int  avec  suiu  ia  p.aiicto  rappiotiu-e,  i  us-lronoiiii-  u.stingue  et  ue^^in':?  les  ci  iiiinonis ,  i^s   i,\a^es, 
les  îles  de  la  géographie  de  Mars  .  .  , 


LES  TERRES  DU   CIEL 


Sans  doute,  il  n'y  a  qu'un  très  petit  nomLiP  iriionmics,  et  même 
d'astronomes,  qui  s'aperçoivent  île  cette  révolution  calme  et  paci- 
fique, commencée  il  y  a  ])i(MitiH  trois  siècles  par  Galilée,  et  qui 
marche  à  grands  pas  vers  son  terme.  On  vit  encore  aujourd'hui 
comme  si  le  firmament  de  Josué  était  toujours  fermement  étahli 
sur  nos  têtes;  et  l'on  ne  sent  pas  que  l'Astronomie,  en  calculant  les 
distances  des  astres,  en  prédisant  leurs  mouvements,  en  découvrant 
leur  constitution  physique  et  chimitpie,  a  jeté  un  lien  de  secrète 
sympathie  entre  la  Terre  et  ses  sœurs  de  l'infini.  Ce  n'est  plus  seu- 
lement des  masses  des  corps  célestes  qu'elle  s'occupe  aujourd'hui^ 
la  science  des  Copernic,  des  Kepler  et  des  Newton  ;  mais  c'est  encore 
des  conditions  dans  lesquelles  la  vie  doit  se  trouver  à  leur  surface. 
Faisant  éclater  en  morceaux  la  sphère  qui  l'étouffait  ici-has,  la  vie 
s'est  tout  d'un  coup  répandue  dans  le  ciel;  en  agrandissant  l'Univers, 
l'Astronomie  a  agrandi  en  môme  temps  la  sphère  de  la  vie.  Ce  ne 
sont  plus  des  hlocs  inertes  roulant  inutilement  dans  l'espace  que  la 
science  pèse  aujourd'hui;  ce  n'est  plus  un  désert  infini  se  déroulant 
en  silence  dans  la  nuit  étoilée  que  le  doigt  d'Uranie  nous  montre  à 
travers  l'immensité;  c'est  la  vie,  l\  Vie  universelle,  éternelle,  agi- 
tant les  atomes  sur  tous  les  globes,  palpitant  dans  les  ondulations 
de  la  lumière,  rayonnant  autour  de  tous  les  soleils,  s'infiltrant 
dans  les  atmosphères  tièdes  et  lumineuses,  faisant  entendre  ses 
chants  divins  sur  toutes  les  sphères,  et  vibrant  à  travers  l'infini  dans 
les  accords  multipliés  d'une  harmonie  immense  et  inextinguible  ! 

Si  donc,  dans  l'ensemble  de  toutes  les  sciences,  quelque  sujet  est 
particulièrement  digne  d'être  étudié  par  nous,  c'est  sans  contredit 
celui  qui  nous  occupe  ici,  car  cette  étude  n'est  autre  que  l'étude 
intégrale  de  l'Univers.  La  synthèse  astronomique  embrasse  tout;  en 
dehors  d'elle  il  n'y  a  rien;  à  côté  d'elle  il  y  a...  l'erreur.  Où  sommes- 
nous?  Sur  quoi  marchons-nous  ?  En  quel  lieu  vivons-nous?  Qu'est- 
ce  que  la  Terre?  Quelle  place  occupons-nous  dans  l'infini  ?  D'où 
venons-nous  et  où  allons-nous?  —  Qui  pourrait  nous  répondre,  si 
l'Astronomie  se  taisait  ? 

Quel  que  soit  le  sentiment  que  chacun  de  nous  garde  en  sa 
■conscience  sur  le  problème  de  la  vie  actuelle  et  sur  celui  de  l'immor- 
talité, l'Astronomie  se  place  au-dessus  de  toutes  les  autres  sciences 
par  son  intérêt  direct,  par  son  importance  et  par  sa  grandeur. 


LKS    TKlilSKS    Dr    Cl  KL 


Cette  thèse,  je  l'ai  soutenue  avec  l'ardeur  d'une  conviction  innée 
dès  la  première  œuvre  que  j'ai  osé  publier  sur  cette  science  suliliine, 
lorsqu'il  y  a  bii'uli'it  un  ijuart  de  siècle  j'écrivis  la  l'Iitra/i/é  (/es 
mondes  habités.  Depuis  vingt-cinq  ans,  des  progrès  tout  à  fait 
inattendus  ont  illustré  l'Astronomie  physique.  La  thèse  proposée 
dans  «la  Pluralité  des  mondes  habités  »  peut  maintenant  être  gran- 
dement développée  et  absolument  confirmée.  Tel  est  le  but  de  ce 
livre-ci.  Nous  ne  considérons  plus  seulement  aujourd'luii  la  doctrine 
de  l'existence  de  la  vie  en  dehors  de  la  Terre  dans  son  caractère 
général  et  philosophique,  mais  nous  pouvons  pénétrer  dans  les 
détails,  prendre  les  preuves  en  mains,  nous  arrêter  sur  chaque  pla- 
nète, et  constater  les  témoignages  irrécusables  de  l'existence  de  la 
vie  à  leur  surface.  Ce  livre  est  donc,  répétons-le,  un  traité  descriptif 
iVAs/ro)iomie  planétaire.  On  y  essaye,  pour  la  première  fois,  une 
description  détaillée  de  chacune  des  planètes  qui  accompagnent  la 
Terre  dans  le  système  solaire,  un  exposé  aussi  complet  que  possible 
de  leur  état  climatologique,  météorologique,  et  même  géographique, 
c'est-à-dire  de  leur  situation  organique  comme  séjours  d'habitation. 

Le  progrès  accompli  en  ces  dernières  années  par  l'Astronomie  est 
en  effet  considérable,  et  à  cet  égard  les  tendances  de  la  science  ont 
véritablement  changé  de  face.  Alors,  il  faut  bien  le  dire,  les  savants 
qui  partageaient  mes  convictions  et  mes  espérances  n'étaient  qu'en 
faible  minorité  :  l'Astronomie  mathématique  dominait  et  éclipsait 
si  complètement  l'Astronomie  physique,  que  celle-ci  s(>mblait 
végéter  comme  la  violette  à  l'ombre  au  pied  du  grand  cliènc  ;  le 
ciel  n'était  qu'une  page  de  chillïes,  et  les  aspirations  de  l'âme 
humaine  vers  les  mondes  célestes,  qui  commençaient  à  se  révéler, 
étaient  taxées  de  rêveries  et  d'inutilités.  Aujourd'hui,  l'esprit  scien- 
tifique a  subi  la  plus  complète  métamorphose.  Le  parfum  de  la 
violette  a  fait  arrêter  l'observateur  dans  sa  marche  jusqu'alors 
indifférente,  et  l'Astronomie  physique  a  doucement  attiré  l'atten- 
tion sympathique  du  penseur.  Des  astronomes  habiles  se  sont 
révélés;  une  nouvelle  science,  l'analyse  spectrale,  est  née,  comme 
Minerve,  tout  armée  pour  d'étonnantes  conquêtes;  des  instruments 
nouveaux  ont  été  inventés  suintement;  des  observatoires  exclusive- 
ment consacrés  à  l'Astronomie  pliysiqueont  été  fondés  en  France,  en 
Angleterre,  en  Italie,  en  Allemagne,  en  Autriche,   en  I5(dgique,  en 


LES   T EUR  ES   bV   CIEL 


Amérique,  sur  lo  glulic  tuut  entier;  de  puisrianles  lunettes  et  d'iin- 
menses  télescopes  ont  été  construits,  et  un  graml  nombre  d'uhser- 
vateurs  se  sont  mis  à  étudier  avec  persévérance  la  constitution  phy- 
sique du  Soleil,  de  la  Lune,  des  planètes,  des  comètes  et  des  étoiles. 
Grâce  aux  progrés  accomplis,  l'astronome  se  consacre  aujourd'hui 
fructueusement  à  la  plus  intéressante  des  études  :  examinant  avec 
soin  la  planète  rapprochée,  il  distingue  les  détails  caractéristiques 
des  autres  mondes;  il  dessine  les  continents,  les  rivages,  les  iles  de 
la  géographie  de  Mars;...  ce  n'est  pas  sans  émotion  que  nous  avons 


.  La  ToiTO  csl  l'une  des  plus  petites  planètes  de  notre  système  .  .  . 


reçu  l'année  dernière  la  carte  géographique  des  singuliers  canaux 
nouvellement  découverts  sur  cette  patrie  voisine. 

Quelles  énigmes  tiennent  en  réserve  ces  points  d'interrogation 
suspendus  sur  nos  tètes?  Au  sein  du  recueillement  profond  et  du  calme 
silence  des  nuits  étoilées,  notre  pensée  curieuse  s'envole  vers  ces 
îles  de  lumière  pour  leur  demander  leurs  secrets.  Nous  croyons 
qu'elles  nous  voient,  qu'elles  nous  entendent;  et  nous  les  prenons 
à  témoin  de  nos  serments.  Mais  l'Astronomie  nous  a  fait  connaître 
leurs  distances,  nous  a  montré  en  elles  des  soleils  et  des  planètes, 
et  nous  a  appris  que  ces  planètes  sont  des  terres  analogues  à  la  nôtre. 

Oui,  des  TERRES,  vastes,  immenses,  formées  de  matériaux  lourds 
et  obscurs;  des  terres  dont  le  sol  est  composé  d'argile  comme  le 
nôtre,  et  dont  les  terrains,  variés  comme  ceux   de  notre  propre 


. ..  Nous  las  prenons  U  ti-muin  da  nos  sormt^nts. 


TKKP.js    iir   riKL 


LES   TERRES    DU   CIEL 


glpbftv  formeatides  mcaitagaes  et\xi^ -vaUéesj.^  deb  pl|aleaiix  et  des 
plaines;.- .qmiiserv.eu't  dé  lieroeaux  aux  paysages  qMi^s'y  succèdent  de 
siéck'iea  siècle.  Ces  terres  sont  lourdes  comme  lai, uô.tre,  et  roulent 
coiame. .elle,  dans  l'esi^acc  indéfini  qui  n'a  ni  haut. ni  bas,  ni  direc- 
tion'ni. mesure.  Elles  ne  sont  douées  d'aucune  lumière  propre,  et  ne 
paraissent  brillaulcs  que  parce  que  le  Soleil  les  éL-laire  comme  il 
éclaire  la  ïerrii,  et  que  l'éloignement  rapetissant  leur  disque,  toute 
la  lumière  de  midi  qui  les  inonde  est  condensée  en  un  seul  point. 

De  même  la  Terre  brille  de  loin  dans  l'espace,  présente  des  phases 
comme  la  Lime,  jVlercure,  Vénus,  Mars,  nous,  en  offrent,  et  plane, 
brillaute  étoile,  daus  le  ciel  des  autres  mondes. 

Quelles  .choses,.- .quels  êtres,  les  forces  delà  féconde  Nature  ont- 
elles  ■.■eiafauté.s  sur  cesmoud.es  différents  du  nôtre?...  Ici,  dans  tel 
étatidditeaoapérature,'  de: lumière,  d'air,  d'humidité,,  de  combinaisons 
chimiques,,  de  densité,  de  pesanteur,  de  temps,  de  jours,  d'années, 
la:jaatm'o  a  produit  les  choses  et  les  êtres  qui  nous  environnent,  en 
nwDidiliaut  d'ailleurs  ses  œuvres  et  ses  spectacles  .-suivant  les  siècles 
etsiiivaut  les  conditions  changeantes  de;  la'  planète  elle-même. 
Oqt'îest-ce  (.qweiicesmèmes  foïoes  ont  enfanté  sar.  les  autres  terres  du 
ciel?.  AUimilien  des  conditions  si  variées  qui  distinguent  Mercure  de 
Nèpt|Une,  Saturne,  de  la  Terre,  Mars  d'Uranus  ou  Jupiter  de  Vénus, 
quels  élémeiats auront  prédominé  sur  l'une  et  sur  l'autre  ?  A  quelles 
foiVmes  biizarx'jRs,  ii.quels.-iHres  fantastiques,- les -expansions  de  la 
puissiHiGe-  créatricce  n'aurontrellès  -pqis  -domné  naissance?  Quel  est 
ra.six?ct  organique  de  cGsniond:és?  La  Vénos:  iiOiUentoie  est  mons- 
trueuse pour  nonsj-et  pourtant;  eatrDl'Em'ope. et  l'Afrique,  il  n'y  a 
qu'iune  simplja'difféîen'eetddiaï.ititàelrOijiellfe.n 'est-pas la  variété,  la 
bizarrerie,  rîneûkét'enceiipparQntp  des  formes  vivantes  appartenant 
aux  différents  globes  dé  noLvu  systémeiMil  si-fflOiUS-jious. transportions 
de  notre  famille  solaire  dans  Gellesde!.Siï'ius!,.-dé..V6ga,  d'Aldébaran, 
d'Antarés,  ou  de  Castor,  combien  natre^  voyage  ne  serait-il  pas 
incomparablement  plus  prodigieux  et  plus  fantastique  que  tous  ceux 
du  Dante,  de  l'Arioste,  du  Tasse,  de  Milton  et  de  Swift  réunis  ! 

Là  brille  un  auti'e  soleil,. là  descend  du  ciel  une  autre  lumière,  là 
souftléun  air  qui  n'est  point  tea'restre;  là  fleurissent  des  plantes  qui 
ne  sont  point  des  plantes,  là  coulent  des  eaux  qui  ne  sont  pas  des 
eaux  ;  là  reposent  des  paysages,  des  lacs,  des  forêts,  des  mers,  que 


i.i;s  Ti:nuEs  du  ciel 


nos  yeux  n'ont  point  vus,  ot  qu'ils  ne  pourraient  point  reconnaître. 
Et  pourtant  le  téieseope  y  conduit  nos  regards  terrestres;  et  pourtant 
nos  àuies  s'y  transportent,  malgré  les  millions  et  les  milliards  de 
lieues  cpii  nous  en  séparent;  et  pourtant  l'analyse  spectrale  découvre 
la  constitution  chimique  des  matériaux  qui  composent  ces  mondes 
perdus  dans  l'infini  ! 

Qu'est-ce  que  la  Terre?  Une  planète  du  système  solaire,  et  l'une 
des  plus  médiocres:  un  habitant  de  Jupiter  ou  de  Saturne  ne  la 
regarderait  qu'avec  dédain,  et,  d'ailleurs,  vue  de  ces  mondes  gigan- 
tesques, qui  gravitent  à  155  et  318  millions  do  lieues  de  notre  orbite. 


£.tt 

Les  autres  planeles  sont  di!S  terres,  variées  comme  notre  plobc,  montrant  des  continents  ot  des  mers.  .  - 

(FBACMEST    de   la  GEOGRAniIE   DE  MARS    :    nÉCIONS  KQl"ATOI\IALES  ) 

notre  île  flottante  n'est  qu'un  point.  Qu'est-ce  que  tout  notre  système 
planétaire,  y  compris  la  Terre  et  ses  destinées?  C'est  un  chapitre,  un 
feuillet,  une  page  du  grand  livre  de  l'Univers  :  des  millions  et  des 
millions  do  soleils  plus  magnifiques  et  plus  riches  que  le  nôtre 
remplissent  l'immensité.  Et  qu'est-ce  que  tout  cet  ensemble 
d'étoiles,  tout  l'univers  que  nous  connaissons,  au  milieu  de  l'in- 
fini? C'est  un  nid  perdu  dans  une  forêt,  une  fourmilliére  dans  une 
campagne.  Cherchez  la  Terre  :  vous  ne  la  trouvez  plus. 

L'antique  erreur  de  l'immoijilité  de  la  Terre  supposée  fixe  au 
centre  du  monde  s'est  perpétuée,  mille  fois  plus  extravagante,  dans 
cette  causalité  finale  mal  enteudue  dont  la  prétention  (>st  de  s'obsti- 


1.ES  TERRKS   DU   (.lEL 


tiiun-  à  placer  notre  globe  au  premier  rang  des  corjjs  célestes.  Notre 
planète  n'a  reçu  de  la  nature  aucun  privilège  spécial.  Nous  nous  ima- 
ginons naïvement  que,  parce  que  nous  sommes  ici,  notre  pays  doit 
être  supérieur  en  essence  à  toutes  les  autres  contrées  de  l'Univers: 
c'est  Icà  un  patriotisme  de  clocher,  enfantin,  puéril,  sans  excuses. 
Si  demain  matin  nul  de  nous  ne  se  réveillait,  et  si  les  quinze  cent 
millions  d'humains  qui  s'agitent  en  ce  moment  tout  autour  de  notre 
mondicule  s'endormaient  du  dernier  sommeil,  cette  fin  du  monde 
terrestre,  cette  disparition  de  la  race  humaine,  n'apporterait  pas  la 
plus  légère  perturbation  dans  le  cours  des  cieux;  elle  passerait 
inaperçue  dans  l'inexorable  mouvement  des  choses,  et,  sans  contre- 
dit,  chez  nos  plus  proches  voisins,  les  habitants  de  Mars  et  de 
Venus...  les  valeurs  de  la  Bourse  n'en  baisseraient  pas  d'un 
centime  ! 

On  rencontre  encore  aujourd'hui  certains  esprits,  et  même  des 
esprits  éclairés,  qui,  tout  en  reconnaissant  que  la  Terre  est  un 
astre  insignifiant  dans  l'ensemble  de  l'Univers,  s'imaginent  néan- 
moins que  la  vie  n'existe  qu'ici,  et  que  les  millions  de  milliards  de 
mondes  qui  peuvent  graviter  dans  l'immensité  infinie  doivent  être 
inhabités,  parce  qu'ils  ne  nous  ressemblent  pas,  parce  qu'ils  ne 
sont  pas  identiques  à  notre  fourmillière  ! 

Le  bon  vieux  Plutarque  raisonnait  mieux  mille  ans  avant  Tin- 
vention  du  télescope  et  du  microscope.  «  Si  nous  ne  pouvions 
approcher  de  la  mer,  dit-il  dans  son  intéressant  petit  Traité  sur  la 
Lune  (De  facie  in  orbe  Lun.e),  et  si,  la  voyant  seulement  de  loin, 
nous  savions  que  l'eau  en  est  amère  et  salée,  nous  prendrions  pour 
un  visionnaire,  nous  contant  des  fables  dénuées  de  toute  vraisem- 
blance, celui  qui  viendrait  nous  assurer  qu'elle  est  habitée  par 
toutes  sortes  d'animaux  qui  vivent  dans  ce  lourd  élément  aussi 
confortablement  que  nous  dans  l'air  léger.  Telle  est  précisément 
notre  situation  d'esprit  lorsque  nous  soutenons  que  la  Lune  n'est 
pas  habitée  parce  qu'elle  ne  nous  ressemble  pas.  S'il  y  a  là  des 
habitants,  il  ne  doivent  pas  admettre  à  leur  tour  que  la  Terre  puisse 
être  peuplée,  enveloppée  comme  elle  l'est  de  brouillards,  de  nuages 
et  de  lourdes  vapeurs,  et  ils  croient  sans  doute  que  c'est  là  l'enfer.  » 

A  notre  époque  scientifique,  les  raisonnements  contre  lesquels 
s'élève  Plutarque  sont  moins  excusables  que  de  son  temps  :  la  Science 


Vue  ilp  Mars,  di's  le  coucher  du  snicil.  la  Terre  brille  rl:ins  le  ciel  comme  noe  éloile 


LES  TERRICS   DU   CIEI. 


tout  entière  s'élève  de  toutes  parts  pour  en  proclamer  l'insuffisance. 

Il  y  a  quelques  années  encore,  les  naiuralistes  à  courte  vue  ne 
déclaraient-ils  pas  que  la  vie  est  impossible  au  fond  des  mers^  parce 
que  la  pression  y  est  si  énorme  qu'elle  écraserait  les  êtres;  parce 
que,  en  cette  perpétuelle  obscurité,  l'assimilation  du  carbone  est 
interdite,  et  pour  cent  autres  bcmnes  petites  raisons.  Des  savants 
moins  siirs  d'eux-mêmes,  et  plus  curieux,  ont  l'idée  de  vérifier  :  on 
jette  la  sonde,  et  l'on  ramène...  des  merveilles!  des  êtres  si  délicats, 
si  frêles,  si  ravissants,  que,  sous  cette  effroyable  pression,  ils  res- 
semblent à  des  papillons  se  jouant  au  milieu  des  fleurs!  Il  n'y  a  pas 
de  lumière  :  i-»3  en  fabriquent!  et  sont  phosphorescents.  Le  monde 
de  la  mer  est  déjà  tout  différent  du  nôtre.  Jamais  un  démenti  plus 
formel  n'a  été  donné  aux  esprits  étroits  qui  ne  veulent  pas  —  ou  ne 
peuvent  pas  —  élargir  le  cende  de  l'observation  immédiate,  et  qui 
s'imaginent,  selon  la  parole  de  saint  Augustin,  enfermer  l'océan 
dans  une  coquille  de  noix. 

Notre  planète  nous  apparaît  comme  une  coupe  trop  étroite  pour 
contenir  la  vie,  laquelle  se  manifeste  dans  toutes  les  conditions 
imaginables  et  inimaginables,  et  se  développe,  à  ses  propres  détri- 
ments, en  vie  parasitaire  multipliée.  Le  sol,  les  eaux,  les  airs,  tout 
est  plein  d'êtres,  d'embryons,  de  germes,  de  fécondité.  La  vie- 
déborde  littéralement  de  toutes  parts,  et  elle  transforme  ses  mani- 
festations suivant  les  temps  et  suivant  les  lieux.  Il  y  eut  une  époque 
sur  la  Terre  où  le  sol,  l'atmosphère,  la  température,  les  climats, 
les  conditions  organiques  générales,  étaient  bien  différents  de  ce 
qui  existe  aujourd'hui.  Alors  les  êtres  vivants  étaient  aussi  tout 
différents  de  ce  qu'ils  sont.  Ressuscitez  le  monde  informe  des  igua- 
nodons, des  ichthyosaures,  des  plésiosaures,  de  l'archéoptérix,  du 
ptérodactyle,  et  voyez  quelle  singulière  figure  feraient  ces  monstres 
antédiluviens  dépaysés  sur  nos  continents  pacifiques,  au  milieu  de 
nos  calmes  paysages  illuminés  de  la  transparente  lumière  d'un  ciel 
d'azur!  Enfants  du  globe  primitif,  ces  colosses  à  la  puissante 
armure  respiraient  une  atmosphère  mortelle  pour  nous,  les  échos 
retentissaient  de  leurs  rugissements,  et  les  flots  agités  des  mers 
vomissaient, les  uiDUstrueuses  épaves  de  leurs  titanesques  combats; 
les  témoins  comme  les  acteurs  étaient  appropriés  à  la  scène  sauvage 
des  siècles  primordiaux.  Au  milieu  de  ces  commotions  violentes,. 


I.KS  TKllKKS    nu    CI  Kl, 


l;i  douce  sensitive  fût  morte  de  frayeur,  le  rossignol  eût  senti  les 
perles  de  sa  voix  étouffées  dans  sa  gorge,  et  jamais  Eve  n'eût  osé 
s'asseoir,  nonchalante  et  rêveuse,  sur  la  mousse  des  bosquets  en 
fleurs.  La  Terre  actuelle  est  une  planète  toute  différente  de  la  Terre 
de  l'époque  houillère.  La  nature,  puissante  et  féconde,  produit  des 
■-(Buvres  adaptées  aux  milieux  changeants,  et  organisées  pour  ainsi 
dire  par  ces  millieux  eux-mêmes.  Si  nous  pouvions  renaître  dans  un 
million  d'années,  non  seulement  nous  chercherions  en  vain  les 
nations  qui  existent  actuelhnnent,  car  il  n'y  aura  plus  alors  ni  Fran- 
çais, ni  Anglais,  ni  Allemands,  ni  Espagnols,  ni  Italiens,  ni  Euro- 
péens, ni  Américains;  mais  encore,  nous  ne  reconnaîtrions  même 
pas  notre  type  humain  actuel  dans  nos  successeurs  sur  la  scène  du 
monde.  De  siècle  en  siècle,  d'âge  en  âge,  tout  se  transforme,  tout  se 
métamorphose. 

Pour  juger  sainement,  il  faut  nous  affranchir  de  tout  préjugé 
terrestre,  avoir  l'esprit  dégagé  des  choses  immédiates,  oulilicr  notre 
berceau,  et  arriver  devant  le  concert  des  mondes  comme  si  nous 
■descendions  de  Saturne,  d'Uranus,  ou  d'une  province  quelconque 
du  Ciel 

Si  notre  esprit  développé  par  les  nobles  contemplations  de  la 
Science  veut  embrasser  l'Univers  sous  son  véritable  aspect,  nous 
devons  songer  d'une  part,  que  la  Terre  où  nous  sommes  et  l'huma- 
nité qui  l'habite  ne  sont  pas  1(>  type  de  la  création,  et,  d'autre  part, 
cpu^  notre  époque  n'a  pas  l'importance  spéciale  que  nous  lui  attri- 
buons, —  et  il  y  a  encore  ici  un  jjréjugé  inné  dont  il  est  difficile  de 
s'affranchir.  Nous  oublions,  en  effet,  le  passé  et  l'avenir  pour  le 
présent  qui  nous  intéresse  personnellement,  et  lorsque  notre  pensée 
s'envole  vers  les  sphères  célestes  pour  les  peupler  d'êtres  variés 
disséminant  la  vie  sur  toutes  les  plages  de  l'infini,  nous  avons  une 
tendance  à  appliquer  nos  raisonnements  à  l'époque  actuelle.  C'est 
encore  là  un  jugement  à  courte  vue.  Dans  l'éternité,  notre  époque 
passe  comme  une  ombre  transitoire,  de  même  que  dans  l'infini 
l'étendue  de  notre  patrie  terrestre  disparait  comme  une  goutte  d'eau 
au  sein  de  l'océan.  La  Terre  a  été  pendant  des  millions  d'années  sans 
être  habitée,,  et  le  jour  viendra  où  la  dernière  famille  humaine 
s'étant  endormie  dans  les  glaces  du  refroidissement  définitif,  le 
globe  terrestre  roulera  dans  l'espace  comme  un  sépulcre  sans  épita- 


LES  TERKES   DU   CIEI, 


plie  et  sans  histoire.  Avant  l'existence  du  premier  homme  sur  la 
Terre,  les  étoiles  brillaient  au  Ciel  comme  aujourd'hui,  et  déjà, 
depuis  bien  des  siècles  de  siècles,  les  soleils  radieux  de  l'immensité 
sans  bornes  illuminaient  et  régissaient  les  humanités  sidérales 
gravitant  dans  leur  rayonnement.  Après  le  dernier  soupir  du  dernier 
homme,  les  mondes  continueront  de  circuler  dans  la  joyeuse  et 
féconde  lumière  des  soleils  de  l'avenir.  Lors  donc  que  nous  saluons 
la  vie  universelle  dans  l'infini,  nous  devons  associer  à  cette  idée  celle 
de  la  vie  s'étendant  le  long  des  âges  passés  et  futurs,  et  c'est  seule- 
ment éclairée  par  cette  double  lumière  que  notre  contemplation  de 
la  nature  peut  être  adéquate  à  la  réalité.  Ainsi,  dans  notre  propre 
système  planétaire,  tandis  que  Mars  et  Vénus  se  présentent  à  nous 
comme  actuellement  habitables,  Jupiter  nous  apparaît  comme 
arrivant  seulement  à  la  genèse  des  époques  primordiales  de  la  vie, 
et  la  Lune,  au  contraire,  comme  atteignant  déjà  sans  doute  les 
derniers  jours  de  son  histoire.  Ici  des  nébuleuses  sont  eu  turmatiim, 
là  des  mondes  s'écroulent  dans  la  décadence  et  l'agonie. 

Dans  la  description  des  autres  mondes  que  nous  entreprenons 
aujourd'hui,  nous  suivrons  un  ordre  plutôt  naturel  que  techni- 
«pie.  Comme  il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  traité  de  cosmograpliie,  nous 
ne  nous  astreindrons  pas  à  commencer  notre  étude  par  le  Soleil, 
(•(^ntre,  foyer  du  système  du  monde,  et  à  décrire  les  planètes  dans 
l'ordre  de  leurs  distances  à  cet  astre  illuminateur.  Notre  voyage  sera 
plus  pittoresque.  Nous  commencerons,  tout  naturellement,  par  la 
terre  céleste  que  sa  proximité  et  sa  situation  favorable  pour  nos 
observations  nous  ont  fait  le  mieux  connaître,  par  notre  coisinr 
la  planète  Mars,  dont  nous  connaissons  déjà  la  j)hysiologie  géné- 
rale, les  saisons,  les  climats,  la  météorologie,  la  géographie  même  ; 
—  sur  LKjuelle  nous  observons  des  continents  et  des  mers  analo- 
gues à  ctnix  qui  diversifient  la  géographie  terrestre;  —  sur  laquelle 
nous  distinguons  même  les  embouchures  des  grands  fleuves,  les 
rivages  méditerranéens  où  voltigent  les  nuages;  —  sur  laquelle 
nous  pourrions  déjà  choisir  les  pays  qu'il  est  le  plus  agréable  d'ha- 
biter à  cause  de  la  pureté  de  leur  ciel  et  de  la  tranquillité  de  leur 
atmosphère,  —  sur  laquelle  bientôt  peut-être  nous  reconnaî- 
trons des  traces  indiscutables  de  civilisation;...  oui,  nous  com- 
mencerons notre  voyage  par  cette  natrie  voisine  que  le  lél(>s(;opo 


Le  monde  Je  I,i  mer  est  di-jj  loul  ditïi'Tent  du  n.dr 


TERRES   DD   CIBL. 


LES  TERRES  DU   CIEI. 


met  aujourd'hui  à  la  portée  de  notre  main  et  qui,  la  première,  vient 
nous  prouver  que  la  doctrine  de  la  pluralité  des  mondes  n'est  ni  une 
chimère  ni  une  utopie,  mais  qu'elle  est  l'expression  de  l'une  des  plus 
grandioses,  des  plus  magnifiques  vérités  enseignées  par  la  Nature. 
Mais  en  même  temps  que  ce  voyage  sera  pittoresque,  il  doit  être 
instructifet  laisser  dans  nos  esprits  des  notions  scientifiques  précises. 
Aussi  ne  décrirons-nous  aucune  planète  sans  faire  connaître  tout 
d'abord  sa  position  dans  le  système  du  monde,  sans  tracer  le  plan  de 
notre  voyage  uranographique.  11  importe  poumons  de  ne  pas  imiter 


^^^^«-^Î^'-Ptox^e,,^ 


Fig.  8.  —  Plan  du  système  solaire  pour  les  planètes  les  plus  proclies  du  Soleil. 
(Échelle  :  1°"°  =  2  millions  de  lieues.) 

ces  voyageurs  indifférents  qui  vont,  par  exemple,  visiter  l'Italie  sans 
cartes  et  qui,  lorsqu'ils  s'arrêtent  à  Milan,  à  Venise,  à  Florence,  à 
Rome,  à  Naples,  ne  savent  même  pas  oii  ils  sont  et  perdent  ainsi 
volontairement  les  trois  quarts  des  jouissances  intellectuelles  (jui  ac- 
compagnent un  voyage  bien  compris  dans  son  ensemble  et  dans  ses 
détails.  Aussi,  avant  même  de  nous  arrêter  sur  la  planète  que  nous 
allons  visiter,  devons-nous  commencer  par  nous  rendre  exactement 
compte  de  sa  situation  relativement  à  l'île  céleste  que  nous  habitons. 
Tout  le  monde  sait  que  la  Terre  où  nous  sommes  est  la  troisième 
des  planètes  qui  circulent  autour  du  Soleil;  que  sa  distance  à  cet 
astre  est,    en  moyenne,   de   148  millions   de  kilomètres  ou   37 


LES   TEnUK.S    Di:   (,IKL 


millions  (le  li(>ues,  cl  qu'elle  parcourt  sa  révolution  ;uinuollo  autour 
do  lui  eu  ;{Gô  jours,  G  heures.  (Voyez  plus  haut  le  petit  [ilan  (fig.  8), 
traeé  à  récliell(>  de  I  millimètre  pour  -i  uiilliuns  de  lieues.) 

La  planète  Mars  est  la  quatrième  planète.  Elle  vient  immédiate- 
ment après  nous  dans  l'ordre  des  distances  à  l'astre  illuminateur, 
et  circule  également  autour  de  cet  astre,  à  la  distance  moyenne  de 
525  millions  de  kilomètres  oudeSG  millions  de  lieues,  en  une  révo- 
lution annuelle  qu'elle  emploie  687  jours  à  accomplir. 


Fig.  9.  —Rapports  entre  l'urbite  do  Mars  et  celle  de  la  Terre, 


Il  en  résulte  (pi'entre  la  route  suivie  par  la  Terre  autour  du  Soleil 
et  la  route  suivie  par  Mars,  il  y  a  une  distance  moyenne  de  77 
millions  de  kilomètres,  ou  19  millions  de  lieues. 

Remarquons  maintenant  que  les  orbites  décrites  autour  du  Soleil 
par  Mars  comme  par  la  Terre  ne  sont  pas  tout  à  fait  circulaires.  Klles 
sont  un  peu  ovales,  ou  pour  mieux  dire,  elliptiques,  de  sorte  que  l'in- 
tervalle qui  les  sépare  varie  sensiblement  d'un  point  à  un  autre.  Cet 
intervalle,  qui  est  en  moyenne  de  19  millions  de  lieues,  est,  en  cer- 
tains points,  diminué  jusqu'à  1  '»,  c'est-à-dire  à  56  raillions  de  kilomè- 


LES   TEItUES    UU   CIEL 


très.  (On  se  rendra  bien  ronipto  do  cet  élal  de  clinses  par  l'examen  de 
notre  fig.  9j. 

La  planète  Mars  se  trouve  donc  de  temps  en  temps  à  cette  distance 
relativement  faible  —  astronomiquement  parlant —  Et  comme  alors 
précisément  la  Terre  passe  entre  elle  et  le  Soleil,  nous  la  voyons 
éclairée  en  plein  et  brillant  dans  le  ciel  de  minuit  avec  l'éclat 
d'une  magnifique  étoile  de  première  grandeur.  Elle  n'a  par  elle- 
même  aucune  lumière.  Mais  elle  est  illuminée  par  le  Soleil,  et 
comme  sa  surface  entière  éclairée  est  rapetissée  par  la  distance  à  la 
dimension  d'un  simple  point,  toute  cette  lumière  reçue  du  Soleil 
est  par  cela  même  condensée  en  un  point  minuscule,  de  sorte  que  la 
planète  brille  poumons  à  l'œil  nu  comme  une  étoile. 

Mais  si  nous  l'observons  à  l'aide  d'un  instrument  d'optique,  ce 
point  lumineux  devient  un  disque  de  dimensions  sensibles  qui 
d'abord,  pour  nous  servir  d'une  expression  familière,  ressemblera  à 
un  pain  à  cacheter.  Si  nous  employons  un  instrument  plus  puissant, 
les  dimensions  augmenteront  en  proportion  du  pouvoir  amplifiant 
du  télescope.  La  vivacité  de  l'éclat  lumineux  de  la  planète  diminue 
dans  la  môme  proportion.  Si  l'instrument  est  assez  puissant,  on  re- 
marque d'abord  des  taches  blanches  marquant  juste  la  place  des  pôles  ; 
ensuite  on  distingue  des  taches  grises  sur  un  fond  jaune,  etréclairc- 
ment  général  de  ces  aspects  géographiques  ne  paraît  pas  supérieur 
à  celui  des  paysages  terrestres  éclairés  par  une  belle  journée  d'été. 

Mais  abordons  sans  tarder  siu"  cette  patrie  voisine.  Nous  avons  dit 
qu'aux  époques  de  ses  plus  faibles  distances,  elle  passe  à  56  millions 
de  kilomètres  d'ici.  Un  train  express  qui  court  à  la  vitesse  régulière 
(le  1  kilomètre  par  minute,  emploierait  par  conséquent  56  millions 
de  minutes  pour  y  arriver.  Ce  serait  un  peu  long,  car  en  partant 
aujourd'hui  nous  n'arriverions  que  dans  1095  ans...  Nous  serions 
tous  trop  âgés  pour  jouir  du  voyage.  —  Un  boulet  de  canon  vole  plus 
vite  :  supposons-nous  emportés  vers  Mars  avec  sa  vitesse  de  50U 
mètres  par  seconde  ou  30000  mètres  par  minute.  Cette  vitesse  étant 
trente  fois  plus  rapide  que  la  précédente,  nous  arriverions  dans 
36  ans.  C'est  encore  trop  long.  —  Choisissons  plutôt  la  vitesse  d'un 
rayon  de  lumière  :  300000  kilomètres  par  seconde!  Voilà  Mars  qui 
brille  dans  le  ciel,  bien  reconnaisable  à  la  coloration  rougoàtre  de  sa 
lumière.  Partons  ! . . .  En  trois  minutes  nous  sommes  arrivés. 


CHAPITRE  II 

Les  analogies  de  Mars  avec  la  Terre.  —  La  géographie  de  Mars. 

En  abordant  sur  ce  nouveau  monde,  la  première  impression  res- 
sentie par  notre  âme  n'est  pas  une  impression  étrangère  à  celle  que 
les  spectacles  de  la  nature  terrestre  nous  imposent.  Nous  nous 
trouvons  transportés  sur  un  globe  singulièrement  analogue  au 
nôtre.  Les  bords  de  la  mer  y  reçoivent  comme  ici  la  plainte  éternelle 
(les  flots  qui  se  brisent  en  s'éteignant  sur  le  rivage;  car  là,  comme 
ici,  le  souffle  des  vents  ride  la  surface  de  l'eau  et  donne  naissance 
aux  vagues  qui  se  succèdent  et  retombent.  Si  le  ciel  est  pur  et  l'atmo- 
sphère calme,  le  miroir  des  eaux  reflète  comme  ici  le  soleil  éblouis- 
sant et  le  ciel  lumineux;  et  sans  la  coloration  spéciale  et  la  forme 
étrange  des  plantes,  nous  pourrions  nous  imaginer  facilement  nous 
retrouver  sur  les  bords  de  la  Méditerranée  ou  devant  un  lac  do  la 
douce  Helvétie.  Les  Alpes  couronnées  de  neiges  perpétuelles  ne 
manquent  pas  à  l'analogie  du  tableau;  ni  les  montagnes;  ni  les 
vallées;  ni  les  cascades  argentées;  ni  le  bruit  lointain  du  vent  dans 
les  campagnes;  ni  la  tiède  chaleur  du  soleil  printanier;  ni  la  succes- 
sion lente  des  heures  du  jour;  ni  le  bonheur  de  se  sentir  vivre  au 
sein  d'une  nature  calme  et  bienveillante.  Le  villageois  européen  qui, 
jeté  par  le  flot  de  l'émigration  sur  les  rives  de  l'Australie,  se  réveille 
un  beau  jour  au  milieu  d'un  pays  inconnu,  où  le  sol,  les  arbres, 
les  animaux,  les  saisons,  le  cours  du  Soleil  et  de  la  Lune,  sont  d'un 
aspect  tout  différent  de  ce  qu'il  a  vu  jusqu'alors  dans  son  pays 


LA   PLANÈTE   MAHS 


natal,  n'est  pas  luoiiis  surpris  ai  muins  dépaysé  quo  nous  nv  le 
sommes  lîn  arrivant  sur  la  plauèle  Mars.  Se  transporter  de  la  Tcito 
sur  Mars,  c'est  simplement  chauj-'or  de  latitude. 

Lorsque  nous  considérons  avec  attention  ce  monde  voisin,  nous 
ne  pouvons  nous  empêcher  d'être  tout  d'abord  frappés  par  certaines 
analogies  remarquables  qui  nous  font  immédiatement  songer  à 
notre  propre  habitation  terrestre.  Et  d'abord,  cette  planète  se 
montre  à  nous  environnée  d'une  atmosphère  assez  épaisse  pour 
absorber  une  grande  quantité  de  lumière,  rendre  ses  aspects  géogra- 
phiques invisibles  pour  nous  lorsqu'ils  arrivent  aux  bords  du  disque, 
cl  atténuer  considérablemeul  l'iuLensité  de  la  coloration  rougeàtrc- 
(le  ses  continents.  Cette  atmosphère  contient  comme  la  nôtre  do  la 
vapeur  d'eau  en  suspension  :  l'analyse  spectrale  le  démontre  d'une 
part,  et  d'autre  part  les  neiges  polaires  que  nous  apercevons  d'ici, 
et  qui  varient  d'étendue  suivant  les  saisons,  ne  pourraient  ni  se 
former,  ni  se  fnmlre,  ni  s'évaporer,  si  l'eau  ne  remplissait  pas  sur 
cette  planète  lui  n'ile  analogue  à  celui  (pi'elle  joue  dans  notre  propre 
météorologie. 

Le  partage  de  la  siu-lace  du  sol  en  régions  claires  et  foncées  con- 
duit, d'autre  part  encore,  à  conclure  que  les  régions  sombres  nous 
représentent  des  étendues  d'eau  qui  absorbent  la  lumière,  tandis 
que  les  continents  la  réfléchissent.  Ces  étendues  d'eau  sont,  comme 
nous  le  verrons  plus  loin ,  variables  elles-mêmes,  suivant  les  sai- 
sons. 

Quant  à  ces  saisons,  elles  ont  précisément  la  même  intensité  que 
les  nôtres,  car  l'inclinaison  de  l'axe  de  rotation  du  globe  de  Mars- 
est  à  peu  près  la  même  que  celle  de  notre  propre  planète.  L'année, 
toutefois,  y  étant  près  de  deux  fois  plus  longue  que  la  nôtre  (elle 
dure  687  jours  terrestres),  les  saisons  y  sont  également  prés  de  deux 
fois  plus  longues  et  durent  prés  de  six  mois  chacune;  toutefois  elles 
sont  plus  inégales  qu'ici.  Le  jour  martien  est  un  peu  plus  long  que 
le  j(jur  terrestre;  la  durée  précise  de  la  rotation  de  la  planète  autour 
de  son  axe  est  aujourd'hui  connue  à  moins  d'une  seconde  près  :  elle 
est  de  2't  heures  37  minutes  '23  secondes. 

Il  y  a  beaucoup  moins  de  nuages  sur  Mars  que  sur  la  Terre.  II 
s'en  forme  fort  rarement  dans  les  régions  équatoriales,  et  c'est 
surtout  vers  les  régions  polaires  qu'ils  se  condensent.  Toutefois,. 


I.A    PLANÈTE   MARS 


Tapparition,  la  dispai'ilinn,  le  driihieemcnt,  sur  fcrtaiiios  coiilivcs, 
«L  parfois  môinc  jusqu'à  l'Equateur,  de  taches  blanches  rivalisanl 
d'éclat  avec  les  neiges  polaires,  signalent  la  formation  de  ])rouil- 
lards  et  de  nuages  qui  nous  apparaissent  vus  d'en  haul,  cMuimi' 
lorsque  nous  les  observons  en  ballon,  d'une  éclatante  blancheur, 
parce  que  leur  surface  supérieure  réfléchit  la  lumière  solaire  avec 
autant  d'intensité  que  la  neige  fraîchement  tombée. 

Ces  nuages  comme  les  nôtres,  se  résolvent  en  pluies,  qui  donnent 
naissance  à  des  sources,  à  des  rivières  et  à  des  fleuves. 

Les  neiges  polaires  varient  considérablement  d'étendue  suivant 
les  saisons.  Toutes  les  observations  s'accordent  pour  établir  qu'elles 
attiMgnent  leur  maximum  après  l'hiver  de  l'hémisphère  auquel  idh^s 
appartiennent,  et  leur  minimum  après  l'été.  La  variation  d'étemliie 
est  plus  grande  au  pôle  sud  (pi'au  pôle  nord,  ce  qui  concorde  avec 
IVlTet  de  l'excentricité  de  l'orbite,  qui  donne  à  l'hémisphère  austral 
dt^  saisons  plus  marquées  qu'à  l'hémisphère  boréal.  C'est  ce  qui 
arrive  aussi  pour  notre  yiropre  globe. 

De  même  que  sur  notre  planète,  le  centre  du  froid  ne  coïncide 
pas  avec  le  pôle  géographique,  mais  en  est  éloigné  de  5°  à  6°.  Pendant 
les  observations  de  1877  et  1870,  le  pôle  sud  est  resté  plusieurs 
st^maines  complètement  découvert.  Comme  sur  la  Terre  aussi,  ces 
n'^ions  polaires  sont  occupées  par  des  mers. 

Ce  sont  là  les  principales  analogies  que  la  planète  Mars  présente 
avec  le  monde  (pie  nous  habitons.  Pour  tout  esprit  impartial, 
affranchi  des  préjugés  terrestres  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure, 
la  logique  rationnelle  va  un  peu  plus  loin  que  les  yeux  :  notre  pensée 
pénétrante  devine,  sent,  perçoit  que  les  forces  de  la  nature  n'ont  pu 
rester  inactives,  n'ont  pu  être  frappées  dans  leur  œuvre  par  un 
miracle  permanent  de  stérilisation.  Là  comme  ici,  en  effet,  il  y  a 
des  jours  et  des  nuits,  des  matins  et  des  soirs,  des  rayons  de  soleil 
ot  des  ombres,  des  heures  lumineuses  et  des  jours  couverts,  des 
nuages  et  des  pluies,  des  terres  et  des  eaux,  des  printemps  et  des 
hivers,  des  tempêtes  et  des  calmes,  des  paysages  gracieux  et  des 
steppes  improductives.  Là  comme  ici  le  vent  mugit  dans  les  falaises, 
souffle  à  travers  les  bois,  glisse  sur  l'onduleuse  prairie;  là  comme 
ici  l'arc-en-ciel  succède  à  l'oi-age,  les  parfums  des  fleurs  imprègnent 
.^'atmosphère,  et  sans  doute  aussi,  là  comme  ici,  le  printemps  peuple 


LA    PLANfcTE    MAliS 


les  bois  de  nids  ot  do  diansons.  N'est-il  pas  naturel  de  songer  à 
ces  heures  charmantes  du  soir  dont  nous  parlions  dés  la  première 
page  de  cet  ouvrage,  heures  qui  rrpaudrnt  la  rêverie  sur  Mars 
comme  sur  la  Terre  !  De  là,  nous  brillons  au  Ciel  comme  Vrnus  brille 
pour  nous.  N'est-il  pas  naturel  de  nous  demander  s'il  y  a  là  des  êtres 
qui  nous  contemplent,  des  humains,  des  frères  qui  peut-être 
connaissent  mieux  notre  patrie  que  nous  ne  connaissons  la  leur,  des 
intelligences  douées  de  facultés  analogues  ou  supérieures  aux  nù- 
trcs?...  Gomment  regarder  ces  continents  et  ces  mers  sans  penser  aux 
habitants  ?  Comment  ne  pas  songer  à  ces  rivages,  à  ces  embou- 
chures, à  ces  havres,  à  ces  plaines,  à  ces  campagnes,  et  ne  pas  imagi- 
ner qu'il  puisse  exister  là  aussi  des  oasis,  des  hameaux  solitaires,  des 
villages  paisibles,  des  cités  populeuses,  des  capitales  glorieuses,  des 
travaux  industriels,  des  œuvres  d'art  et  tous  les  produits  d'une 
civilisation  séculaire?  Sans  doute,  certainement  même,  les  formes 
des  êtres  vivants  ne  doivent  point  ressembler  à  celles  des  enfants  de 
notre  planète.  Mais,  sous  des  manifestations  différentes  des  manifes- 
tations terrestres,  la  perpétuelle  adolescente,  la  divine  Nature,  jeune 
et  intarissable  mère  des  êtres  et  des  choses,  a  donné  le  jour  à  des 
productions  vivantes  dont  l'organisation  est  adaptée  aux  conditions 
vitales  inhérentes  à  ce  séjour. 

Avant  d'entrer  dans  les  détails  de  la  constitution  physique  spéciale 
de  ce  monde  voisin,  étudions  d'abord  sa  géographie,  au  point  oii 
les  dernières  découvertes  télescopiques  nous  conduisent  aujdurd'luii. 

On  peut  se  demander  d'abord  de  quelle  grandeur  apparente  se  pré- 
sente à  nous  le  globe  de  Mars.  En  ses  époques  de  plus  grand  rappro- 
chement, il  peut  atteindre  un  diamètre  de  30".  Comparativement 
à  la  pleine  lune,  dont  le  disque  mesure  31 '24",  c'est  un  diamètre 
63  fois  moindre.  (En  représentant  la  Lune  par  un  disque  de  63  centi- 
mètres de  largeur.  Mars  serait  figuré  par  un  disque  de  1  centimètre.) 
Il  en  résulte  qu'une  lunette  grossissant  seulement  63  fois,  nous 
montre  le  globe  de  Mars  de  la  même  grosseur  que  nous  voyons  la 
Lune  à  l'œil  nu.  C'est  déjà  suffisant  pour  distinguer  ses  neiges 
polaires,  aux  époques  d'excellente  visibilité. 

Un  télescope  armé  d'un  grossissement  dix  fois  plus  fort,  ou  de 
630  fois,  montre  Mars  dix  fois  .plus  large  en  diamètre,  ou  cent  fois 
plus  étendu  en  surface,  que  nous  ne  voyons  la  Lune  à  l'œil  nu.  La 


LA   PLANÈTE  MARS 


plupart  des  grands  instruments  dont  on  s'est  servi  pour  l'étude  de 
cette  planète  supportent  des  grossissements  de  cet  ordre-là.  On  a 
même  employé  parfois  des  oculaires  amplifiant  1000  et  1200  fois 
l'image  de  l'astre.  Avec  ces  pouvoirs  amplificateurs,  les  mers,  les 
continents,  les  golfes,  les  configurations  géographiques,  en  général, 
sont  parfaitement  visibles.  Mais  ce  que  les  observateurs  recherchent 
le  plus,  ce  n'est  pas  tant  ragrandissemcut  i[ur  la  netteté  des  images. 


I-'ig.  10.  —  Aspect  tL'Icscopiqiie  de  la  planète  Mars,  dans  un  instr 

(ePOQOE  de  7EASE  MARQDËE). 


l'nt  do  moyenne  puissance. 


Aussi  est-il  important  d'appliiiuor  à  crtte  éfudo  d(>s  lunettes  ou  des 
télescopes  de  20  à  25  centimètres  de  diamètre  au.  moins. 

Ou  peut  se  former  une  idée  de  l'aspect  de  la  planète  dans  un 
instrument  de  moyenne  puissance  par  la  gravure  ci-dessus  {/ùj.  10), 
qui  reproduit  l'un  des  dessins  que  j'ai  pris  pendant  la  période 
particulièrement  favorable  de  l'année  1877.  L'instrument  employé 
est  un  télescope  Foucault  de  20  centimètres  armé  d'un  grossissement 
de  240  fois;  l'observation  est  du  30  juillet  1877,  à  II""  du  soir,  un 
mois  environ  avant  que  la  planète  passât  juste  derrière  nous  relati- 
vement au  Soleil,  ce  qui  fait  qu'elle  n'est  pas  tout  à  fait  ronde  et 
montre  une  phase  sensible.  On  remarque  dès  le  premier  coup  d'œil 
une  énorme  tache  blanche  ovale  :  c'est  la  calotte  polaire  neigeuse  ; 
en  août,  septembre,  octobre,  elle  a  jjeaucoup  diminué  de  grandeur 


TERRES  DU  CIKL. 


1.A  PLANÈTE  MARS 


par  suite  de  la  fonte  des  neiges.  On  distingue  ensuite,  descendant  le 
long  du  méridien  central,  une  tache  grise  triangulaire  :  c'est  une 
mer  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  «  mer  du  Sablier  » .  Les  autres 
configurations  sont  plus  indécises  ('). 

Pour  que  l'observation  de  Mars  puisse  fournir  de  bons  résultats, 
deux  conditions  sont  requises,  en  outre  de  sa  proximité  relative  à 
l'époque  de  son  opposition.  Il  faut  que  l'atmosphère  de  la  Terre  soit 
pure  dans  le  lieu  de  l'observation,  et  il  faut  aussi  que  l'atmosphère 
de  Mars  ne  soit  pas  chargée.  En  d'autres  termes,  il  faut  que  le  temps 
soit  au  beau  pour  les  habitants  de  cette  planète  comme  pour  nous. 
En  effet,  Mars  est  entouré  d'une  atmosphère  aérienne,  qui  de  temps 
en  temps  se  couvre  do  nuages  aussi  bien  que  la  nôtre.  Or,  ces  nuages, 
en  se  répandant  au-dessus  des  continents  et  des  mers,  forment  un 
voile  blanc  qui  nous  les  cache,  totalement  ou  partiellement.  L'étude 
de  la  surface  de  Mars  est  dans  ce  cas  difficile  ou  même  impossible. 
11  serait  aussi  stérile  de  chercher  à  distinguer  cette  surface  quand  le 
ciel  de  Mars  est  coMvei't,  que  de  chercher  à  distinguer  les  villages, 
rivières,  routes  ou  chemins  do  fer  de  la  France  lorsqu'on  la  traverse 
en  ballon  au-dessus  d'une  opaque  couche  de  nuages  (ce  qui  m'est, 
pour  ma  part,  arrivé  plusieurs  fois).  On  voit  par  là  que  l'observa- 
tion de  cette  planète  n'est  pas  aussi  facile  qu'on  le  supposerait  à  pre- 
miéro  vue. 

Néanmoins,  après  la  Lune,  c'est  Mars  qui  est  le  mieux  connu  de 
tous  les  astres.  Aucune  planète  ne  peut  lui  être  comparée  sous  ce 
rapport.  Jupiter,  la  plus  grosse,  Saturne,  la  plus  curieuse,  toutes 
deux  beaucoup  plus  importantes  que  lui  et  plus  faciles  cà  observer 
dans  leur  ensemble  à  cause  de  leurs  dimensions,  sont  enveloppées 
d'une  atmosphère  constamment  chargée  de  nuages,  de  sorte  que 
nous  ne  voyons  presque  jamais  leur  surface.  Uranus  et  Neptune  ne 
sont  que  des  points  brillants.  Mercure  est  presque  toujours  éclipsé, 
comme  les  courtisans,  dans  le  rayonnement  du  Soleil.  Vénus,  Vénus 

(')  La  petitesse  do  Mars,  l'exiguïté  des  détails  de  sa  surfacej  elles  voiles  qui  troublent 
souvent  son  atmosphère,  font  que  l'étude  de  cette  planète  est  moins  accessible  que  celle 
de  Jupiter,  de  la  Luue,  des  taches  solaires,  de  certaines  étoiles  doubles  et  de  certaines 
nébuleuses,  aux  instruments  de  moyenne  puissance.  Ce  rl'est  qu'en  des  circonstances 
atmosphériques  très  rares  que  l'on  peut  obtenir  des  résultats  satisfaisants  à  l'aide  de  l;i 
lunette  classique  de  11  centimètres  :  il  faut  au  moins  une  luuette  de  15  ou  16  centimè- 
tres ou  uu  télescope  de  20.  Un  bon  objectif  de  23  ddniie  deà  résultats  excelletits. 


GÉOGRAPHIE   DK   .MARS 


seule,  pourrait  être  comparée  à  Mars  :  elle  est  aussi  grosso  que  la 
Terre,  et  par  conséquent  deux  fois  plus  large  que  Mars  en  diamètre; 
elle  est  plus  voisine  de  nous  et  peut  même  s'approcher  à  moins  de 
10  millions  de  lieues  d'ici.  Mais  elle  a  un  défaut,  c'est  de  graviter 
entre  le  Soleil  et  nous,  de  sorte  qu'à  sa  plus  grande  proximité,  nous 
ne  voyons  que  son  hémisphère  obscur,  bordé  d'un  mince  croissant 
(ou  pour  mieux  dire,  nous  ne  le  voyons  pas).  Il  en  résulte  que  sa  sur- 
face est  plus  difficile  à  observer  que  celle  de  Mars.  Ainsi  c'est  Mars 
qui  l'emporte,  et  c'est,  de  toute  la  famille  du  Soleil,  le  personnage 
avec  lequel  nous  pouvons  entrer  en  relation  la  plus  intime. 

Remarquons,  à  ce  propos,  que  la  Terre  est  pour  Mars  dans  le  même 
cas  que  Vénus  pour  nous.  Nous  connaîtrons  plus  tôt  la  géographie 
de  Mars  qu'il  ne  connaîtra  la  nôtre,  et  tandis  que  nous  sommes  si 
peu  avancés  sur  celle  de  Vénus,  sans  doute  les  astronomes  de  Vénus 
connaissent  maintenant  parfaitement  la  géographie  de  notre  pays 
céleste. 

Mais  entrons  tout  de  suite  ici  dans  quelques  détails. 

Parmi  les  nombreux  dessins  de  cette  planète  qui  ont  été  faits  par  un 
grand  nombre  d'astronomes,  signalons  d'aburd  ceux  de  Béer  et  Mildler. 


Flg.  11. 


Aspects  de  Mars  los  11  septembre  et  20  octobre  1830, 
et  le  IG  décembre  1832. 


Nous  avons  reproduit  sur  notre  figure  1 1  trois  de  leurs  dessins,  faits  en 
d'excellentes  conditions  atmosphériques,  le  l 'i  septembre  1830.  le  20  oc- 
tobre de  la  même  année,  et  le  16  décembre  1832.  Le  point  principal  de  ces 
dessins  sur  lequel  nous  appelons  l'attention,  c'est  la  petite  tache  arrondie 
qui,  reliée  à  une  plus  grande  par  un  ruban  contourné,  ressemble  un  peu  à 
un  serpent.  Nous  aurons  tout  à  l'heure  à  nous  occuper  spécialement  de 
cette  tache. 


CÉOGUAPHIE   DK   MARS 


Pendant  l'oppûsilion  (')  de  1858,  le  P.  Secclii  a  fait  à  Rome,  en  des  con- 
ditions éminemment  favorables  aussi,  un  grand  nombre  de  dessins  dont 
nous  reproduisons  huit  fac-similé,  sur  nos  lig.  67  et  08.  Les  quatre  de  la 
figure  12  sont  dos  5,  6,  7  et  10  juin.  Les  neiges  polaires  y  sont  bien  mar- 
quées; la  mer  qui  entoure  le  pôle  supérieur  y  est  nettement  visible,  ainsi 
que  la  Manche  qui  en  descend  et  t^ue  les  continents  qui  s'étendent  à  l'est 
et  à  l'ouest.  Les  dessins  de  la  fig.  13  sont  des  13,  14,  17  et  18  juin;  ils 
présentent  d'autres  mers  et  d'autres  continents.  Remarquons  surtout,  sur 
les  deux  supérieures,  la  mer  foncée  qui  descend  en  s'amincissant  et  finit 


Fig.  12.  —  Aspects  de  Mars  les  5,  6,  7  et  W  juin  1858. 

par  une  bifurcation  dirigée  vers  l'est  :  l'astronome  romain  l'avait  appellée 
X Atlantique  de  Mars. 

Nous  avons  également  reproduit  les  importants  dessins  faits  en  1862 
et  1864  par  Kaiser,  directeur  de  l'Observatoire  de  Leyde.  Notre  figure  14 
représente  ses  vues  télescopiques  des  31   octobre,  23  novembre,  10  et 


(')  Une  pianote  ost  dite  en  opposition  avec  la  Terre  lorsqu'elle  passe  derrière  nous 
relativement  au  Soleil,  la  Terre  se  trouvant  entre  elle  et  le  Soleil,  et  la  planète  étant 
par  conséquent  ainsi  diamétralement  opposée  au  Soleil.  Il  est  clair  que  cette  situation 
est  la  plus  favorable  pour  nos  observations.  —  Se  souvenir  de  la  signification  de  ce 
terme,  car  il  sera  souvent  employé  dans  les  pages  suivantes. 


GEOGRAPHIE   DE  MARS 


29 


14  décembre  1862.  Sur  la  première,  remarquons  la  tache  en  forme  de  ser- 
pent (c'est  la  mémo  que  celle  de  Mâdler)  ;  sur  la  deuxième,  une  tache  en 
forme  d'œil,  qui  dans  le  même  temps  était  attentivement  dessinée  en 
Angleterre  par  Lockyer  ;  sur  la  troisième,  une  tache  en  forme  de  V,  et  sur 
la  quatrième  la  tache  qui  longe  parallèlement  la  grande  mer.  —  Signalons 
enhn  les  quatre  dessins  de  notre  figure  15,  faits  également  par  Kaiser,  les 
19  et  22  novembre,  18  et  19  décembre  186i.  —  Nous  discuterons  tout  à 
l'heure  ces  différents  tracés. 


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^^^ 

Fig.  13.  —  Asiiccts  de  Mars  los  i;i.  M,  17  et  IK  juin  1&:«. 


A  ces  observations,  qui  nous  permettent  de  conserver  ici  les  prin- 
cipaux dessins  obtenus  pendant  ces  anciennes  oppositions  de  la  pla- 
nète, ajoutons  celles  qui  ont  été  faites  pendant  l'opposition  de  1877, 
la  dernière  et  la  meilleure  de  toutes  au  point  de  vue  des  résultats 
conquis.  Parmi  une  quantité  considérable  de  croquis  dont  nous 
avons  la  collection  sous  les  yeux,  dessinés  par  les  meilleurs  observa- 
teurs de  l'Europe  et  de  l'Amérique,  nous  reproduisons  (fig.  16) 
quatre  fort  belles  vues  dues  à  l'astronome  anglais  Green,  qui  s'était 
rendu  exprés  sous  le  climat  si  favorable  de  l'île  de  Madère  pour  étu- 


CÉOORAPniE  PE  MARS 


dier  la  planète  à  l'aido  d'un  excellent  télescope  de  33  centimètres  de 
diamètre,  installé  sur  une  montagne  élevée  à  660  mètres  au-dessus 
du  niveau  do  la  mer,  et  armé  de  grossissements  variant  de  200  à 
400  fois,  donnant  des  images  extrêmement  nettes.  Ces  (|uatre  dessins 


Fig.  I-t.  —  Aspects  (le  Mars  les  31  oclobre,  23  novembre, 
10  et  U  décembre  1862. 

montrent  quatre  faces  de  la  planète  prises  à  90  degrés  ou  à  angle 
droit  l'une  de  l'autre,  et  représentent  à  eux  quatre  l'ensemble  total 
du  globe  de  Mars. 

Sans  multiplier  outre  mesure  ces  dessins,  quelque  intéressants 
qu'ils  soient  en  eux-mêmes,  remarquons  que  par  leur  comparaison 
respective,  nous  pouvons  arriver  aujourd'hui  à  nous  former  une  idée 
fort  exacte  de  l'état  géographique  de  la  planète.  Ceux  qu'on  a 
obtenus  depuis  dix  ans  suffiraient,  à  eux  seuls,  pour  permettre  de 


r.ftOr.RAPHIK    II  F,   MARS 


construire  une  carte  ih\  ce  globe  voisin.  Mais  nous  sommes  plus 
riches,  et  les  anciens  dessins  ne  doivent  pas  toujours  être  dédaignés. 
Depuis  longtemps  déjà,  une  attraction  spéciale  pour  ce  monde,  frère 
du  nôtre,  m'avait  conduit  à  en  étudier  tout  particulièrement  les 
aspects,  et  dès  la  seconde  édition  de  La  Pluralité  des  Mondes 
(1864),  j'avais  publié  en  frontispice  une  comparaison  de  l'aspect 
géographique  de  Mars  avec  celui  de  la  Terre.  Depuis  cette  époque, 


Fi;<.  IJ 


Aspects  de  Mars  les  10  ot  "ii  noveiiibre 
18  et  19  décembre  18Gt. 


je  suis  parvenu  à  réunir  plus  de  *2500  dessins  de  cette  planète, 
dont  les  premiers  sont  vénérables,  âgés  de  prés  de  deux  siècles  et 
demi,  et  remontent  au  régne  de  Louis  XIII,  à  l'année  1G.'](J, 

Le  premier  astronome  qui  ait  observé  des  taches  sur  la  planète 
Mars  est  Fontana,  à  Naples,  en  1636  et  en  1638.  Dans  ces  dessins, 
très  rudimentaires  (voy.  p.  35),  on  voit,  en  1636,  Mars  sous  la  forme 
d'un  disque  rond  avec  une  tache  sombre  au  milieu,  et  en  1638,  une 
phase  très  marquée.  Les  taches  de  Mars  ont  été  observées  aussi,  en 
16-40,  à  Rome,  par  Zucrlii;  en  1614,  à  Naples,  par  Bar(oli;en  1656, 
1659,  etc.,àLeyde,  parlluygens;  en  1666,  ti  Londres,  parîlooke;  en 
1666  aussi,  à  Bologne,  par  Cassini,  et  en  1670  parle  même  à  l'Obser- 


GKOCHAlMlli;    DE   MAKS 


vatoire  de  Paris,  dès  les  j)remiers  mois  de;  sa  fondât  ion.  A  l'insu  de 
Cassini,  Huygens  avait  déjà  beaucoup  étudié  ces  taclies  en  1659  et 
découvert,  par  leur  déplacement,  la  rotation  diurne  de  la  pla- 
Dète.    Ces    observations    furent    continuées  à    l'Observatoire    de 


Fig.  16. 
Aspects  de  Mars  les  l",  '2'J,  18  et  1j  septembre  ISTT,  représentant  l'ensemble  rie  la  planète. 


Paris, principalement  par  Maraldi,  neveu  de  Cassini,  qui  fit  une 
étude  spéciale  de  la  planète  en  1704  et  1719.  Elles  se  faisaient 
à  l'aide  des  grands  objectifs  de  Campani,  que  l'on  tenait  à  la  main, 
soit  sur  le  haut  de  la  tour  orientale  de  l'Observatoire,  soit  dans  les 
charpentes  de  la  machine  de  Marly,  alors  transportée  dans  le  jardin 


Premières  obscrvalions  ilc  iluuctes  faites  sous  Louis  XIV,  i  l'Observatoire  de  Pans. 
TEnr.ES  DU  ciKi,.  5 


GEOGRAPHIE  DK  MARS 


expressément  pour  ce  but;  l'observateur,  placé  sur  le  sol,  et  tenant 
son  oculaire  à  la  main,  était  obligé  de  chercher  à  grand'peine  l'image 
de  l'astre.  C'étaient  des  lunettes  sans  tubes.  L'un  de  ces  objectifs 
avait  son  foyer  à  300  pieds  de  distance!  Nous  reproduisons,  d'après 
une  figure  du  temps,  l'image  de  ces  anciennes  observations,  ainsi 
qu'un  spécimen  de  ces  premiers  dessins.  On  voit  aussi  (p.  41)  une 
monture  assez  curieuse  de  la  même  époque,  tirée  de  la  Machina 
Cselestis  d'Hévélius  (1673)  ('). 

Parmi  les  anciennes  séries  de  dessins,  les  meilleurs  sont  ceux  de 
Huygens  et  de  Schroëter;  ces  deux  excellents  observateurs  ont  passé 
bien  des  nuits,  ont  consacré  bien  des  veilles,  dans  l'étude  de  cette 
planète  voisine  ;  mais  le  Ciel  ne  les  en  a  guère  récompensés.  Le  pre- 
mier, qui,  dès  la  fondation  de  l'Académie  des  sciences,  en  1666, 
avait  été  désigné  par  sa  réputation  pour  le  nouveau  cénacle  scienti- 
fique et,  —  appelé  par  Louis  XIV,  —  s'était,  sur  la  foi  des  traités, 
fixé  dans  cette  France,  qu'il  illustrait,  fut  une  des  victimes  de  l'inepte 
et  cruelle  révocation  de  l'édit  de  Nantes  et  obligé,  pour  obéir  au 
fanatique  caprice  du  Père  De  Lachaise  et  de  M"""  de  Maintenon,  d'aban- 
donner son  observatoire,  sa  bibliothèque,  ses  amis,  ses  travaux,  sa 
seconde  patrie  (octobre  1685).  Le  second,  après  avoir  consacré  sa 
vie  à  l'étude  pacifique  du  ciel,  avoir  complété  un  grand  nombre 
d'observations  et  accumulé  des  centaines  de  dessins  de  planètes,  eut 
la  douleur,  le  désespoir,  de  voir  une  armée  en  fureur  se  précipiter, 
comme  il  le  dépeint  lui-même  en  termes  émus,  dans  la  «  vallée  des 
lys  »  (Lilienthal,  prés  de  Brème,  où  son  observatoire  était  installé), 
mettre  la  ville  entière  au  pillage  (20  avril  1813),  incendier  ce  qui 
n'était  pas  détruit  et  briser,  réduire  en  pièces,  tout  ce  qui  avait 
échappé  au  pillage  et  à  l'incendie.  Le  pauvre  astronome  perdit  tout. 
Faut-il  l'avouer?  cette  armée  était  une  armée...  française!  et  le  gé- 
néral responsable  s'appelait  Vandamme.  Tant  il  est  vrai  que,  même 
chez  les  peuples  les  plus  policés,  la  guerre  est  encore  plus  stupide 
qu'elle  n'est  exécrable. 

(')  Ces  grands  objectifs,  formés  d'une  seule  lentille,  irisaient  les  images  comme  des 
prismes,  lorsqu'ils  avaient  une  trop  grande  courbure  ou  un  court  foyer.  De  là,  la  néces- 
sité de  ces  énormes  distances  focales.  Aujourd'hui,  les  objectifs  des  lunettes  sont  com- 
posés de  deux  lentilles  qui  se  neutralisent  mutuellement  comme  couleurs,  de  sorte  que 
les  images  restent  pures  ou  achromatiques.  Un  objectif  de  30  centimètres  de  diamètre 
1  son  foyer  à  8  mètres. 


f.KOf;i!Al>HIE    DE   MARS 


Mais  rovoïKiiis  k  Mars,  —  non  pas  au  dieu  des  conilints,  qui  no 
mériterait  que  nos  anathèmes,  —  mais  à  la  planète. 

Si  l'on  compare  entre  elles  toutes  les  vues  télescopiques,  on  ne 
tarde  pas  à  reconnaître  certains  rapports  entre  les  dessins  anciens  et 
les  modernes.  En  tenant  compte  de  la  différence  des  instruments 
et  aussi  de  la  différence  des  observateurs,  on  retrouve  des  indices 


Fig.  18.  —  Anciens  dessins  de  l.i  planète  Mars. 


iir  siècii). 


certains  de  l'existence  ancienne  des  taches  que  nous  oliservons  ha- 
bituellement aujourd'hui. 

Les  taches  grises  ou  claires  observées  par  nos  aïeux  sont  fixes  à 
la  surface  du  globe  martien,  et  on  peut  les  retrouver  sur  la  plupart 
des  anciens  dessins  aussi  bien  que  sur  les  modernes.  (Ainsi,  la  mer 
triangulaire  est  visible  dans  les  dessins  de  1659  et  1719:  voy.  fir/.  18.) 
On  remarque  aussi  qi.e  sur  un  grand  nombre  do  ces  figures,  la  planète 
offre  de  tout  autres  aspects,  dans  lesquels  les  configurations  géogra- 
phiques sont  déformées,  masquées,  ou  même  absolument  absentes. 
Ces  différences  s'expliquent  par  certaines  perspectives  sous  lesquelles 


GEOGRAPHIE   DE  MARS 


le  globe  de  Mars  peut  se  présenter  à  nous  et  par  les  variations  môme? 
de  l'état  atmosphérique  de  cette  planète  :  il  y  a  des  jours,  des  sai- 
sons entières  même,  où  cette  atmosphère  est  brumeuse,  nuageuse, 
sur  une  grande  étendue  géographique,  de  telle  sorte  qu'on  ne  dis- 
tingue plus  la  surface  et  que  la  planète  paraît  beaucoup  plus  blan- 
che, à  cause  de  l'éclairement  supérieur  de  ces  nuages  par  le  soleil. 

Nous  avons  nous-mème  obtenu,  depuis  l'année  1871  principale- 
ment, un  grand  nombre  de  dessins  de  cette  planète  voisine;  mais  ces 
observations  auraient  été  bien  insuffisantes  pour  nous  permettre  de 
construire  une  carte  géographique  satisfaisante,  et  lorsque,  à  l'époque 
de  la  première  édition  de  cet  ouvrage  (1876),  nous  avons  voulu  dessi- 
ner cette  carte,  nous  avons  pris  soin  de  nous  entourer  de  tous  les 
dessins  qu'il  nous  avait  déjà  été  possible  de  recueillir.  Cette  Map- 
pemonde géographique  de  la  planète  Mars  a  été,  depuis  1876, 
corrigée  et  complétée  deux  fois.  Trois  ans  plus  tard,  en  effet, 
nous  avons  pu  la  perfectionner  sensiblement  pour  notre  ouvrage 
l'Astronomie  jwpulaire  (1879).  Trois  ans  plus  tard  encore,  cette 
carte  a  été  refondue  pour  notre  Revue  viensuelle  (V Astrono- 
mie jmpulaire  (juillet  1882).  Depuis  un  an,  de  nouveaux  docu- 
ments, dus  surtout  aux  observations  de  MM.  Trouvelot,  à  Cam- 
bridge; Burton,  Dreyer,  lord  Rosse  et  Bœddicker,  en  Irlande;  Schia- 
parelli,  à  Milan;  Cruls,  à  Rio-Janeiro,  nous  permettent  de  construire 
aujourd'hui  une  carte  plus  précise  encore,  mais  non  encore  parfaite 
et  définitive  assui^ment,  car  le  progrès  ne  s'arrêtera  pas  ('). 

Donnons  une  description  succincte  de  la  mappemonde  géogra- 
phique de  la  planète  Mars  (suivre  sur  la  carte,  PI.  I,  p.  37). 

Le  degré  zéro  des  longitudes  aréograpliiques  a  été  placé  au  point 
choisi  par  Béer  et  Mâdler.  Il  n'y  a  pas  de  raison  pour  adopter  un  point 
plutôt  qu'un  autre  comme  méridien,  pas  plus  que  sur  la  Terre;  mais  l'ob- 


'1)  La  première  carte  de  Marsa  été  tracée,  ily  a  quarante-cinq  ans,  par  Mâdler  et  Heer, 
astronomes  hanovriens,  d'après  leurs  propres  observations,  faites  de  1828  à  1836.  Ils  ont 
dessiné  une  double  projection  polaire  représentant  les  principales  taches,  et  formant  en 
quelque  sorte  le  premier  canevas  d'une  géographie  de  Mars. 

Après  les  oppositions  de  1802  et  1864,  Kaiser,  directeur  de  l'Observatoire  de  Leyde, 
traça,  également  d'après  ses  propres  observations,  une  autre  carte  de  Mars,  qui  diffère 
en  plusieurs  points  de  la  précédente,  quoique  plusieurs  analogies  soient  évidentes.  Il 
y  a  surtout  une  étude  attentive  de  la  région  équatoriale,  s'étendant  jusqu'à  55°  de 
latitude,  où  les  contours  sont  nettement  tracés.  Un  nouvel  essai  fut  mené  à  bonne  fin 


GÉOGRAPHIE   DE  MARS 


jet  important  est  de  s'entendre.  La  cause  du  choix  des  deux  observateurs 
précédents  a  été  la  grande  visibilité  d'une  tache  située  sur  cette  ligne.  «  Une 
petite  tache  d'un  noir  très  prononcé,  disent-ils,  se  distingua  si  fortement 
des  autres  par  sa  netteté,  dès  notre  première  observation  (10  septembre 
1830),  et  était  si  proche  de  l'équateur,  que  nous  crûmes  devoir  la  choisir 
pour  notre  tache  normale  dans  la  déterminalion  de  la  rotation.  »  Cette 
tache  avait  déjà  été  remarquée  dès  1798  par  Schrœter,  qui  la  voyait  aussi 
sous  forme  d'un  globule  noir.  Elle  avait  été  également  dessinée  en  1822 
par  Kunowsky.  Ou  la  comparait  à  une  balle  suspendue  à  un  fil  contourné 
(voy.  fîg.  II,  p.  27).  Pendant  l'opposition  de  1862,  elle  a  été  souvent  dessi- 
née par  Kaiser  et  placée  sur  sa  carte  à  90°  ;  mais  elle  n'est  pas  ronde  comme 
sur  les  dessins  de  Mâdler,  et  le  ruban  qui  l'attache  est  beaucoup  plus 
large  (voy.  fîg.  14,  31  octobre).  Dawes,  qui  l'avait  beaucoup  observée  en 
1852,  sans  lui  remarquer  de  forme  particulière,  la  trouva  fourchue  en 
1862  et  en  1864.  Lassell  l'a  également  dédoublée  en  1862.  On  la  revoit 
toutes  les  fois  que  les  circonstances  sont  favorables.  Ainsi  cette  tache, 
choisie  comme  origine  des  longitudes  martiennes,  n'est  pas  produite  par 
des  accidents  atmosphériques,  mais  reste  fixe  au  sol  et  tourne  avec  lui. 
Notre  figure  19  représente  cette  région  importante  del'aréographie  ('). 

La  configuration  la  plus  anciennement  connue  de  la  géographie  de  Mars 
est  la  mer  verticale  sombre  que  l'on  voit  descendre  au-dessous  de  l'équa- 
teur, vers  le  70"  degré  de  longitude,  s'amincir  et  se  terminer  par  un  coude 
qui  se  dirige  vers  l'est  en  forme  de  canal.  Au-dessous  se  trouve  une  autre 
mer  qui  s'avance  dans  l'intérieur  des  terres  en  formant  un  angle.  Lorsque 
le  globe  de  Mars  est  tourné  de  façon  à  nous  présenter  cette  région  à  peu 
près  de  face,  et  lorsqu'on  se  sert  d'un  télescope  de  faible  puissance,  ou 

en  1869  par  M.  Proctor,  astronome  anglais,  d'après  les  observations  faites  par  son 
célèbre  compatriote  Dawes,  en  1864.  La  construction  de  cette  carte,  plus  complète  que  les 
précédentes,  a  fait  faire  un  pas  considérable  à  la  connaissance  générale  de  la  planète. 

Vint  ensuite  une  synthèse  laborieuse  et  patiente  faite  par  M.  Terby,  de  Louvain,  qui 
parvint  à  collectionner  presque  tous  les  dessins  faits  sur  la  planète  depuis  qu'on 
l'observe  au  télescope,  et  à  réunir  ainsi  tous  les  éléments  de  cette  géographie.  Quoique 
l'astronome  belge  n'ait  pas  dessiné  de  carte  d'après  cet  ensemble  d'observations  (au 
nombre  desquelles  les  siennes  propres  doivent  être  comptées),  son  travail  mérite  d'être 
signalé  ici  comme  un  nouvel  essai  pour  la  géographie  niartienne.plus  complet  que  tous 
les  précédents.  Il  a  été  publié  en  1874.  —  La  carte  que  j'ai  construite  en  1876  était  donc 
déjà  en  réalité  un  cinquième  essai. 

Depuis  cette  époque,  M.  Green,  astronome  anglais,  a  publié  une  nouvelle  carte,  excel- 
lente; M.  Schiaparelli,  directeur  de  l'observatoire  de  Milan,  en  a  publié  trois,  et  M.M.  Bur- 
ton  et  Dreyer  en  ont  dessiné  une  nouvelle,  qui  offre  de  grandes  analogies  avec  celle  de 
M.  Green.  La  géographie  de  Mars  n'est  pas  encore  faite,  toutefois,  car  un  grand  nombre 
de  détails  restent  problématiques. 

(')  La  géographie  de  Mars  pourrait  s'appeler  Varéographie,  le  radical  grec  de  Mars 
étant  Af,;,  de  même  que  la  géographie  de  la  Lune  s'appelle  la  sélénographie  de 
SiXtiv»),  Lune. 


GEOGRAPHIC   DE   MARS 


que  les  conditions  de  visibilité  ne  sont  pas  excellentes,  ces  deux 
mers  paraissent  réunies  vers  le  coude,  et  l'ensemble  rappelle  la  forme 
d'un  sablier.  William  Herschel  et  les  astronomes  anglais  la  désignaient 
sous  ce  même  nom  :  the  Bour-glass  sea. 

La  première  observation  que  nous  ayons  de  cette  tache  date  du  28  no- 
vembre 1659,  et  est  due  à  l'astronome  Huggins,  le  même  qui  écrivit  plus 
tard  un  ouvrage  sur  la  pluralité  des  mondes,  son  Cosmotheoros,  et  qui 
devinait  déjà  l'analogie  qui  existe  entre  Mars  et  la  Terre,  —  analogie  que 
nous  prouvons  seulement  aujourd'hui,  plus  de  deux  siècles  après. 

Hooke  a  dessiné  cette  même  tache  en  1666,  et  il  en  fut  de  même  de  Gas- 
sini  et  Gampani.  Huggins  l'a  revue  de  nouveau  en  1672,  en  1683  et  en 
1694,  Maraldi  en  1719,  William  Herschel  en  1777,  Schrœter  de  1785  à 
1800,  Béer  et  Màdler  en  1832,  et  tous  les  astronomes  contemporains  l'ont 
revue  maintes  fois  (c'est  celle  que  l'on  voit  sur  mon  dessin  du  30  juil- 
let 1877,  p.  25)  :  elle  offre  un  des  aspects  typiques  de  la  planète. 

Cette  mer,  représentée  sous  forme  de  sablier  par  tous  les  anciens  obser- 
vateurs, a,  coïncidence  bizarre,  servi  véritablement  de  sablier,  ou  de 
mesure  du  temps,  pour  déterminer  la  durée  de  la  rotation  de  la  planète. 
C'est  en  effet  par  l'e.xamen  de  sa  marche,  de  sa  fuite  et  de  son  retour, 
qu'on  a  connu  la  rotation  de  Mars  et  estimé  sa  durée  ;  elle  a  plus  servi 
qu'aucune  autre,  à  cause  de  son  évidence.  Il  semble  donc,  pour  toutes  ces 
raisons  historiques,  que  la  meilleure  désignation  à  donner  à  cette  mer, 
c'est  de  lui  conserver  son  nom  déjà  vénérable  de  mer  du  Sablier.  Aucune 
dénomination  n'a  jamais  été  si  légitime.  Le  P.  Secchi  a  proposé  le  nom  de 
«  mer  Atlantique  »,  et  M.  Proctor  celui  de  «  mer  Kaiser  ».  Or,  d'une 
part,  elle  est  bien  étroite  pour  mériter  le  nom  d'Atlantique,  et  d'autre  part, 
si  elle  devait  porter  un  nom  d'astronome,  ce  serait  celui  d' Huggins,  qui 
l'a  découverte.  Pour  toutes  ces  raisons,  il  nous  a  paru  logique  de  lui  con- 
server définitivement  le  nom  de  meh  du  Sablier  ('). 

Elle  est  généralement  plus  sombre  et  mieux  marquée  que  la  plupart  des 
autres  taches,  surtout  vers  le  centre.  Du  reste,  les  diverses  taches  qui  par- 
sèment le  disque  de  la  planète  sont  loin  d'avoir  une  même  intensité. 

La  mer  du  Sablier  et  I'ogéan  Newton,  dont  elle  est  le  prolongement, 
forment  la  configuration  la  plus  anciennement  connue  du  disque  de  Mars. 

On  peut  leur  associer  la  mer  de  Maraldi,  vue  aussi  par  Huggins  en 

(1)  On  voit  cette  mer  triangulaire  vers  le  milieu  de  l'hémisphère  de  droite  de  notre 
carte,  entre  le  285'  et  le  305"  degré  de  longitude.  La  branche  gauche  ou  occidentale 
de  cette  mer  et  de  l'océan  Newton,  qui  s'étend  du  285°  degré  au  260%  à  la  mer  Ilooke, 
a  reçu  sur  la  carte  publiée  par  les  Mémoires  de  la  Société  royale  astronomique  de 
Londi-es  (tome  XLIV,  1879),  le  nom  de  Mer  Flammarion.  Que  l'astronome  Green, 
auteur  de  cette  carte,  devenue  classique  chez  nos  voisins  d'outre-Manche,  veuille  bien 
recevoir  ici  le  témoignage  de  notre  gratitude  pour  cette  délicate  attention.  11  est 
agréable  d'avoir  des  propriétés  sur  les  autres  mondes.  Il  serait  plus  agréable  encore 
de  pouvoir  aller  les  visiter. 


CÉOCnAIMIIE   DE   MARS 


1659,  sous  forme  de  bande  analogue  à  celles  de  Jupiter.  Hooke  l'a  des- 
sinée en  16G0  et  Maraldi  en  170i.  On  lit  notamment  dans  VAstronoinic  de 
Cassini  :  «  Entre  les  différentes  taches  que  M.  Maraldi  observa  en  ITO'i.  il 
y  en  avait  une  en  forme  de  bande  vers  le  milieu  de  son  disque,  à  peu  près 
comme  celles  que  l'on  voit  dans  Jupiter;  elle  n'environnait  pas  tout  le 
globe,  mais  était  interrompue  et  occupait  seulement  un  peu  plus  d'un 
hémisphère.  Cette  bande  n'était  pas  partout  uniforme,  mais  à  90°  ou  envi- 
ron de  son  e.xtrémité  occidentale,  elle  faisait  un  coude  dirigé  vers  l'hé- 
misphère septentriona];cette  pointe,  bien  nette,  servit  à  vérifier  la  rota- 
tion. »  On  voit  par  cette  citation  que  le  coude  formé  par  la  mer  de  Maraldi, 
au  détroit  de  la  mer  Huggins,  a  été  remarqué  dès  1704.  La  mer  de 
Maraldi  a  été  suivie  depuis  par  Herschel  en  1783,  Schrreter  en  1798,  Arago 


Fig  19.  —  Géographie  de  Mars  :  la  Baie  du  Mcridifii. 

en  1813,  Madler  en  1830,  Kaiser  en  1862,  ainsi  que  la  mer  de  Hooke 
Le  P.  Secchi  avait  donné  le  nom  de  «  Marco-Polo  »  à  la  merde  Maraldi; 
mais  il  est  évident  que  ce  dernier  nom  lui  convient  à  tous  les  titres. 

Le  GOLFE  DE  IvAiSEn,  dont  l'extrémité  orientale  forme  la  baie  four- 
chue (longitude  0°),  est,  comme  la  mer  du  Sablier  et  les  mers  de  Maraldi 
et  de  Hooke,  l'une  des  configurations  géographiques  de  Mars  les  plus 
anciennement  dessinées.  On  en  trouve  un  vestige  dans  un  dessin  de 
Huggins,  de  1659,  et  dans  un  autre  dessin  du  même  astronome,  de  1683. 
William  Herschel  a  dessiné  le  même  golfe  en  1777  et  en  1783,  notamment 
le  fer  à  cheval  formé  par  le  golfe  d'.\rago  avec  celui  de  Kaiser,  et  il  est 
même  le  premier  qui  ait  bien  figuré  ces  détails.  —  William  Herschel, 
Schrœter,  Béer  et  Madler,  Jules  Schmidt,  Kaiser,  Lockycr,  lord  Rosse, 
s'accordent  pour  détacher  ces  golfes  de  l'océan  Kepler.  Celte  baie  fourchue 
que  sa  situation  même  désigne  sous  le  litre  de  Baie  iln  Mcrnlien  parait 
être   Y  embouchure  dun  grand  fleuve. 


GEOGRAPHIE   DE  MARS 


A  l'est  du  golfe  de  Kaiser,  on  rencontre  :  d'abord  une  baie  émergeant  au 
nord  de  l'océan  Kepler  (la  baie  Burton);  et  plus  loin  une  Manc/ie  condui- 
sant de  cet  océan  à  la  mer  inférieure.  Cette  Manche,  comme  cette  mer, 
sont  également  connues  depuis  fort  longtemps.  La  Manche  est  dessinée 
dans  les  vues  des  astronomes  hanovriens  en  1841,  dans  celles  du  P.  Secchi 
en  1860  (voy.  fîg.  12),  où  elle  est  nommée  «  isthme  de  Franklin  »,  dans 
celles  de  Dawes  en  1864,  de  lord  Rosse  en  1869,  de  Knobel  en  1873,  etc. 
Ce  bras  de  mer  qui  s'étend  de  l'océan  Kepler  à  la  mer  inférieure,  qui  est  si 
caractéristique,  et  pour  lequel  le  nom  de  Manche  est  certainement  la  déno- 
mination qui  convient  le  mieux,  est  surtout  connu  par  les  dessins  du 
P.  Secchi.  La  mer  inférieure  se  partage  en  plusieurs  au  milieu  desquelles  il 
y  a  une  terre  :  c'est  du  moins  ce  qui  résulte  des  observations  les  plus  mo- 
dernes, entre  autres  celles  de  Jacob  en  1854,  de  Secchi  en  1858,deSchmidt 
en  1867,  de  Terby,  de  Knobel,  de  Wilson  et  des  miennes  en  1871  et  1873. 

L'océan  Kepler  est  connu  par  un  grand  nombre  d'observations,  dont 
les  plus  anciennes  remontent  à  William  llerschel  et  Schrœter,  à  la  fin  du 
siècle  dernier.  11  a  été  principalement  dessiné  depuis  par  Béer  et  Mddler, 
Jules  Schmidt,  Secchi,  Dawes,  Lockyer,  lord  Rosse.  On  remarque  à  l'est 
une  tache  ronde  sombre,  qui  a  reçu  le  nom  de  mer  Terby.  Cette  pe- 
tite mer  est  très  curieuse  :  on  la  voit  dessinée  pour  la  première  fois  par 
Béer  et  Mâdler  en  1830,  et  elle  se  trouve  déjà  dans  leur  carte  sur  le 
270'  degré  de  longitude  et  le  30'  degré  de  latitude,  mais  isolée  de  l'océan 
Kepler,  dont  la  limite  orientale  ne  dépasse  pas  le  274*  degré.  On  la  re- 
trouve en  1860  dans  les  dessins  de  Schmidt,  d'Athènes,  isolée  aussi.  En 
1862,  le  P.  Secchi  l'a  prise  pour  un  cyclone,  à  cause  de  la  forme  circulaire 
de  son  entourage.  La  même  année,  le  même  jour  (18  octobre),  elle  était 
dessinée  en  Angleterre  par  M.  Lockyer,  et  il  la  nommait  «  mer  Baltique  ». 
On  la  voit  en  même  temps  dans  les  dessins  de  Lassell,  qui  lui  trouvait, 
avec  quelque  vraisemblance,  la  forme  d'un  œil,  et,  en  effet,  dans  plusieurs 
descriptions,  on  l'appelle  ocuius.  En  1877,  M.  Schiaparelli  en  a  fait  un  très 
grand  nombre  de  dessins  :  il  la  nomme  le  «  Lac  du  Soleil  ». 

On  a  vu  au  milieu  de  l'océan  Kepler  une  tache  blanche  brillante  qui 
pourrait  être  produite  par  une  île  montagneuse  couverte  de  neige. 

La  comparaison  des  cartes  et  des  dessins  nous  a  conduit  au  tracé  du 
détroit  sud-est  de  l'océan  Newton  et  à  celui  du  détroit  sud  de  l'océan 
Kepler,  etc....  Mais  ce  serait  certainement  abuser  de  la  patience  du  lecteur 
que  d'entrer  dans  tous  les  détails  de  la  construction  d'une  carte  géogra- 
phique, quelque  rudimentaire  qu'elle  soit.  Qu'il  nous  suffise  d'ajouter  qu'il 
n'y  a  ici  aucune  fantaisie,  aucune  œuvre  d'imagination,  mais  que  chaque 
tracé  résulte  d'une  minutieuse  comparaison  des  vues  prises  au  télescope. 

11  nous  a  paru  convenable  de  donner  les  noms  des  illustres  fondateurs 
de  l'astronomie  moderne  aux  continents  et  aux  océans  principaux,  et  nous 
avons  d'abord  inscrit  les  noms  immortels  de  Copernic,  Galilée,  Tycho, 


GEOGRAPHIE    DE   MARS 


Kepler,  Newton,  Laplace.  Se  sont  ofl'erts  naturellement  ensuite  les  noms 
des  astronomes  qui  se  sont  le  plus  occupés  de  l'étude  de  Mars  :  Huygens, 
Fontana,  Cassini,  Hooke,  Maraldi,  Schrœter,  Herschel,  Mâdler,  Béer,  pour 
citer  d'abord  les  plus  anciens;  puis  ceux  de  notre  époque  :  Arago, 
Dawes,  Secchi,  Kaiser,  Schmidt,  Webb,  Locliyer,  Phillips,  Procter,  Terby." 
Les  deux  grands  océans  qui  s'étendent  sur  la  région  centrale  ontreçu  le 


Fig.  20.  —  Lunette  de  ÎOO  pieds  d'Ilévélius  (d'après  une  figure  du  temps,  1673). 

nom  des  doux  esprits  immortels  auxquels  nn  doit  la  tliêorie  du  système  du 
monde  :  Kepler,  Neirton.  Los  rfuatre  principaux  continents  ont  recules 
noms  de  Copernic,  Galilée,  [Iiii/rietifi  et  Hersrhel.  Viennent  ensuite  les 
terres  de  Tycho,  Laplace,  Schrœter,  Cassini,  Secchi.  Béer  et  ALadler  sont 
restés  associés  comme  pondant  leur  vie  par  les  mers  qui  portent  leurs 
noms,  etc.  ('). 


(')  M.  Proctor  ayant  dojà  proposé  un  ensemble  de  noms  pourles  diverses  ronfi^iiralions 
de  Mars,  mon  désir  eût  été  de  les  conserver,  et  j'ai  lait  ce  que  j'ai  pu  pour  cela.  Mais  je 
TEnr>E.s  DU  ctEL.  6 


«2 


GEOGRAPHIE  DE  MARS 


GEOGRAPHIE  DE  MARS 

POSITIONS    DES    CONFIGURATIONS    DIVERSES  ET  TABLEAU   DES   DÉNOMINATIONS 


MERS 

POSITION 

APPROCBÉE 

Longitude 

Latitude  (i) 

F. 

PROGTOR 

GREEN 

SCHIAPARELLI 

0° 

0° 

Baie  du  méridien 

Dawes  forked 
Bay 

Dawes  forked 
Bay 

Fastigium  Aryn 

22° 

5»  B 

Baie  Burton 

Béer  Bay 

Burton  Bay 

Ostium  Indi 

350»  à  32° 

30°  k  0° 

Détroit  Aiago 

Arago  strait 

Arago  strait 

Margaritifer  sinus 

320°  à  60° 

40°  k  5°  A 

Océan  Kepler 

De  La  Rue  Océan 

De  La  Rue  Océan 

Mare  erythrœum 

27°  à  33° 

2°  B  k  30°  B 

Canal  J.  Reynaud 

Dawes  strait 

» 

Hydaspes 

50° 

5»  A  k  23°  A 

Canal  Fontenelle 

» 

-> 

Jamuna 

34°  &  64° 

5°  A  k  25B» 

La  Manche 

.. 

» 

Ganges 

40°  k  60° 

30»  k  5°  A 

Baie  Chrislie 

» 

Christie  bay 

Aurorse  sinus 

0°  il  30° 

40°  k  63°  A 

Mer  Lassell 

Newton  sea 

Newton  sea 

» 

350»  à  30° 

30»  k  50»  B 

Mer  Knobel 

Tycho  sea 

Knobel  sea 

Nilus 

30°  à  65° 

32»  B 

Mer  Lacaille 

Tycho  sea 

Tycho  sea 

L.  Niliacus 

63°  à  103° 

33»  B 

Mer  Airy 

Airy  sea 

Airy  sea 

Lunse  lacus 

75°  à  135° 

53°  k  72°  B 

Mer  Faye 

» 

Campani  sea 

Ceraunus  sinus 

10-2» 

15°Bkl2°A 

Canal  d'Alembert 

» 

» 

Iridis 

90» 

22»  A 

Mer  Terby 

Lockyer  sea 

Terby  sea 

Solis  lacus 

67° 

22°  A 

■> 

u 

Schiaparelli  sea 

Fons  nectaris 

73°  k  105° 

7°  k  13°  A 

Mer  Dawes 

Dawes  sea 

>> 

Agathodsemon 

107° 

17°  A 

» 

» 

Bessel  lake 

Lacus  phœnicis 

60°  k  110° 

30°  k  60°  A 

Mer  De  La  Rue 

» 

» 

Bosphorus 

0°  k  360° 

60°  k  80»  A 

Mer  australe 

" 

De  Cottignez 
et  Jonhson  sea 

Mare  australe 

135»  k  193° 

55»  A 

„ 

> 

Maunder  sea 

Mare  chronium 

134°  k  176° 

39°  k  20°  A 

Mer  Schiaparelli 

Maraldi  sea 
(orient) 

Maraldi  sea 
(orient.) 

Mare  sirenum 

330°  k  75° 

35°  k  70°  B 

Mer  Mâdler 

» 

» 

» 

135»  k  200° 

60°  k  20°  B 

Mer  Oudemans 

Oudemans  sea 

Oudemans  sea 

Mare  boreum 

171° 

18°  A 

Baie  Trouvelot 

» 

Trouvelot  bay 

Sinus  Titanorum 

135°  k  225° 

60»  k  80°  B 

Mer  boréale 

-> 

Schroeter  sea 

. 

225»  k  260° 

25»  k  50°  B 

Mer  Delambre 

» 

Delambre  sea 

Alcyoneus  sinus 

223°  k  330° 

50»  k  80°  B 

Mer  Béer 

> 

Delambre  sea 

» 

162°  k  340° 

40°  k  8°  A 

Mer  Maraldi 

Maraldi  sea 

Maraldi  sea 

Cimmerium  maie 

200°  k  223° 

18°Bkl6°A 

Mer  Hugpins 

Uuggins  inlet 

» 

Cyclopum  mare 

195°  k  260° 

57°  A 

Mer  Phillii)S 

Pliillips  sea 

Maunder  sea 

Sinus  Promethei 

225°  k  260° 

42°  A  k  0° 

Mer  Hooli 

Hook  sea 

Hooksea 

Tyrrhenum  mare 

260°  à  285° 

20°  k  S»  A 

.. 

» 

Flammarion  sea 

Tyrrheuum  :  occ 

284°  à  303° 

5°  A  k  44»  B 

Mer  du  Sablier 

Kaiser  sea 

Kaiser  sea 

Syrtis  magna 

275°  ■ 

3°  B 

Golfe  Main 

Main  sea 

Main  sea 

Lacus  Moeris 

280»  i  336» 

40°  B 

Canal  Nasrayth 

Nasmyth  inlet 

Nasmyth  inlet 

Nilus 

GÉOGRAPHIE   DE   MARS 


MERS 

POSITION 

APPROCHÉE 

F. 

PBOCTOH 

GREEN 

SCHIAPARKLl.l 

Longitude 

Latitude  (i) 

-260°  à  -277° 

-20°  k  53°   A 

Mer  ZôUner 

Zallner  sea 

Zôllner  sea 

Adriaticum   marc 

'285°  k  3-20° 

5»  k  30»  A 

Océan  Newton 

Dawes  océan 

Dawes  océan 

lapygia 

315"  k  340° 

35»  k  60°  A 

Mer  Lambert 

Lambert  sea 

Lambert  sea 

Hellespontus 

aSO"  k  360° 

30»  A 

Courant  Foucault 

Newton  strait 

" 

Erythrœum 
mare  (orient.) 

3-20''  k  7° 

20»  A  k  0» 

Golfe  Kai3er 

Herschel  11  strait 

Herschel  II  strait 

Sinus  Sabeus 

CONTINENTS 

»90°  à  17° 

10»  A  k  3-2»  B 

Coiitin'.  Copernic 

Dawes  contin. 

Béer  continent 

Aeria,  Arabia 
Éden,  Thymianata 

1-2»  k  60» 

10»  A  k  40°  B 

Continent  Halley 

„ 

Mâdler  continent 

Chryses 

35°  k  103° 

15°Ak30°B 

Contin.  Galilée 

Hiidler  contin. 

M&dlercoDtinent 

Ophir,  Tharsis 

103»  k  218° 

30°Ak30»B 

Contin.  Huygens 

Secchi  contin. 

Secchi  continent 

Memnûnia,  Amazo 
nis.Zephiria,  yEulis 

210°  k  283° 

10»Ak30»B 

Contin.  Herschel 

Herschel  1 
continent 

Herschel  1 
continent 

jElhiopis,  Amen 
thés,  Isidis. 

-0°  k  107» 

45»  k 10°  A 

Terre  de  Tjcho 

Kepler  land 

Kepler  land 

Thauniasia 

-270°  k315" 

57°  k  28°  A 

Terre  de  Secchi 

Locliver  land 

Lockyer  land 

Hellas 

236°  k  272° 

57°  k  20»  A 

Terre  de  Cassini 

Cassini  land 

Cassini  land 

Ausonia 

-262»  k  330° 

47° 

Terre  de  Laplace 

.. 

Laplace  land 

■ 

330°  k  330° 

60»  k  30»  B 

Terre  de  Le  Verrier 

Le  Verrier  land 

» 

16»  k  78° 

43»  B 

Terre  de  Lalande 

. 

Rosse  land 

» 

ltO°  k  200° 

23»  k  33»  A 

Terre  de  Lagrange 

Lagrange  land 

Lagrange 
peniiisula 

Iracia,  l'haelon- 
tis.  Elcctris 

160«  i.  180° 

40°  k  30°  A 

Terre  de  Webb 

.. 

.. 

Atlautis  I 

205»  k  236» 

43»  A 

Terre  de  Green 

» 

•' 

Eridania 

220°  k  235° 

40°  k  10»  A 

Terre  de  Hall 

Buri-kUardt  land 

Burchard  land. 

Hcspcria 

193°  k  213» 

58°  k  77»  A 

Terra  de  Rosse 

.. 

Gill  land 

Thyle  11 

136»  k  183» 

55»  k  75°  A 

Terre  de  Gill 

. 

Gill  land 

Thyle  1 

20°  k  48° 

40»  k  33»  A 

Terre  de  Schroeter 

> 

Jacob  land 

Argyre 

330»  k  13° 

32°  k  68»  A 

Terre  de  Jacob 

• 

Kunoswski 
et  Jacob  land 

Noachis 

200°  k  238° 

13»  k  46»  B 

Terre  de  Fontana 

Fontana land 

Fontana  land 

Elysium 

348° 

7°  A 

Cap  Proctor 

» 

Proctor  cap 

" 

270°  k28-2» 

5»  A 

Péninsule  de  Hind 

. 

Hind  péninsule 

Libya 

220» 

37°  A 

Isthme  de  Niesten 

■ 

Niesten  isthmus 

n'ai  pas  tardé  à  me  sentir  contraint  à  plusieurs  changements  par  la  force  même  des 
choses  :  i'  parce  que  le  tracé  de  ma  carte  n'est  pas  le  même  que  celui  de  la  sienne; 
2»  parce  que  les  noms  des  fondateurs  de  l'astronomie  y  étaient  en  partie  oubliés  ;  3°  parce 
que  le  nom  d'un  même  astronome  se  trouve  répété  plusieurs  fois  sur  la  carte  ancienne 
(ex.  Dawes  6  fois  :  Dawes  océan,  —  Dawes  continent,  —  Dawes  sea,  —  Davces  strait, 
—  Dawes  isle,  —  Dawes  bay  ;  Béer  2  fois,  Lockyer  2  fois,  etc.),  ce  qui  est  inutile  et  peut 


GÊOC  i;  Al'HlE    Ut    MAIi^ 


Depuis  la  construction  de  cette  carte  en  1876,  elle  a  été  enrichie  d'un 
certain  nombre  de  noms  nouveaux  empruntés  au  planisphère  con- 
struit en  1878  par  l'astronome  Green,  notre  savant  collègue  de  la 
Société  royale  astronomique  de  Londres,  et  publié  dans  les  Mémoires 
de  cette  Société  (tome  XLIV,  1879).  Cette  carte,  avec  ses  dénominations, 
parait  adoptée  par  un  grand  nombre  d'astronomes  anglais. 

Notre  illustre  ami,  M.  Schiaparelli,  directeur  de  l'Observatoire  de  Milan, 
a  construit  aussi,  de  son  côté,  de  nouvelles  cartes,  auxquelles  il  adonné 
des  dénominations  tirées  de  la  géographie  ancienne.  Quelle  nomenclature 
nous  survivra?  C'est  ce  qu'il  serait  prématuré  de  décider.  Nos  cartes 
actuelles  ne  peuvent  être  que  provisoires.  Cependant,  il  importe  de  nous 
y  reconnaitre.  Aussi,  pour  ceux  d'entre  nos  lecteurs  qui  seraient  conduits 
à  faire  une  étude  spéciale  de  la  planète,  avons-nous  cru  utile  de  publier  ici, 
en  même  temps  que  les  positions  géographiques  des  configurations  et  les 
noms  qu'elles  portent  sur  la  mappemonde  de  Mars,  le  tableau  synoptique 
des  dénominations  données  sur  les  trois  autres  cartes. 

Très  certainement  il  reste  encore  des  points  douteux,  surtout  à  partir 
du  60' degré  de  latitude  boréale,  et  principalement  au  nord;  mais  telle 
qu'elle  est,  cette  carte  représente  exactement  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances sur  la  géographie  de  ce  monde  voisin.  Du  reste,  nous  aurions  mau- 
vaise grâce  à  nous  montrer  trop  exigeants,  car  sur  notre  propre  planète 
les  contrées  arctiques  et  antarctiques  sont  encore  aujourd'hui  complète- 
ment ignorées.  En  fait  nous  connaissons  mieux  le  pôle  sud  de  Mars  que  le 
pôle  sud  de  la  Terre. 

Nous  allons  maintenant  entrer  dans  les  détails  pittoresques  et  parfois 
inattendus  de  cette  géographie  martienne  ;  mais  il  importait  d'en  poser 
d'abord  les  principes,  et  malgré  ce  que  les  sept  pages  qui  précèdent  peu- 
vent avoir  eu  d'aride,  nos  lecteurs  nous  pardonneront  cette  description 
technique  en  faveur  du  but  sérieux  et  instructif  qu'elle  comporte.  Nous 
ne  faisons  pas  ici  un  voyage  imaginaire.  Nous  marchons,  pas  à  pas,  dans 
la  connaissance  réelle  de  l'immense  univers. 

donner  lieu  à  des  confusions;  et  4°,  comme  on  l'a  déjà  vu,  parce  que  les  deux  anciennes 
mers  du  Sablier  et  de  la  Manche  sont  si  simplement  et  si  naturellement  nommées  ainsi, 
que  leur  nom  indique  en  même  temps  leur  forme  et  même  leur  histoire.  Ce  n'est  donc 
point  dans  un  sentiment  critique  contre  les  dénominations  données  par  M.  Proctor  que 
j'ai  agi;  au  contraire,  j'ai  respecté  ses  propres  désignations  aussi  souvent  que  je  l'ai  pu, 
et  de  plus,  j'ai  cru  légitime  de  donner  son  propre  nom  à  l'une  des  configurations  les 
plus  curieuses  de  la  géographie  martienne,  déjà  proposée  par  M.  Terby. 

Le  plus  simple  serait  peut-être  de  ne  donner  aucun  nom,  et  de  désigner  simplement 
les  configurations  par  les  lettres  de  l'alphabet.  Mais  on  ne  tarde  pas  à  s'apercevoir  que 
dans  ce  cas  toute  description  devient  difficile,  confuse,  fatigante,  et  qu'  il  y  a  pour  le 
langage  un  immense  avantage  à  nommer  chaque  objet. 


CHAPITRE  III 


Suite  de  la  géographie  de  Mars.  —  Continents.  —  Mers.  —  Golfes.  —  Iles.  ■ 
Marais.  —  Inondations.  —  Canaux.  —  Variations  singulières. 


Avant  de  pénétrer  dans  ]es  détails  de  la  géographie  de  Mars,  il 
importe  de  répondre  à  une  question  que  plusieurs  de  nos  lecteurs 
ont  pu  s'adresser  à  eux-mêmes  en  lisant  le  chapitre  précédent.  Les 
astronomes  parlent  des  7yiers  et  des  continents  AqMslt^.  Mais  com- 
ment sait-on  que  ces  taches  visibles  sur  le  disque  de  la  planète  repré- 
sentent vraiment  des  étendues  d'eau  ou  des  étendues  de  terres!  En 
fait,  on  ne  voit  que  des  taches  de  diverses  nuances.  Quels  documents 
posséde-t-on  pour  se  convaincre  qu'il  s'agisse  bien  là,  en  effet,  d'une 
configuration  géographique  analogue  à  celle  qui  existe  sur  notre 
propre  planète  ? 

Eh  bien  !  c'est  précisément  l'analogie  de  cette  planète  avec  la  nôtre 
qui  conduit  naturellement  à  ces  déductions.  La  Terre  vue  de  loin 
oilnrait  cet  aspect:  les  eaux,  absorbant  la  lumière,  paraîtraient  fon- 
cées; les  terres,  réfléchissant  mieux  la  lumière,  paraîtraient  plus 
claires.  Il  y  aurait  donc  d'abord  là  une  grande  analogie  d'aspects. 

Maintenant,  d'autre  part,  qu'il  y  ait  de  l'eau  sur  Mars,  ce  n'est  pas 
douteux,  puisque  noua  la  coyo/is  sous  forme  de  glace  dans  les  neiges 
polaires  et  sous  forme  de  brouillards  dans  les  nuages  de  la  planète. 
Ces  neiges  et  ces  nuages  se  comportent  exactement  comme  dans 
la  météorologie  terrestre.  De  plus,  le  spectroscope  dirigé  sur  Mars 
a  toujours  constaté  dans  son  atmosphère  la  présence  de  la  vapeur 
d'eau  :  cette  atmosphère  est  imprégnée  comme  la  nôtre  de  vapeurs 
([ui  s'exhalent  des  eaux  et  de  la  surface  du  sol. 


CEOGUAPHIE    DE   MARS 


Ainsi,  il  est  très  rationnel  de  considérer  les  régions  claixes  comme 
des  terres  et  les  régions  sombres  comme  des  mers  (').  Nous  verrons 
plus  loin  que  les  études  de  détail  et  les  variations  observées  confir- 
ment cette  manière  de  voir  et  nous  autorisent  à  ne  pas  douter  de  la 
nature  de  ces  configurations  géographiques. 

Les  documents  publiés  dans  le  chapitre  précédent  nous  per- 
meitent  d'entreprendre  aujourd'hui  sur  cette  planéto  voisine  un 
voyage  assurément  plus  complet  que  ceux  qu'on  a  pu  faire  sur 
v.o^se  propre  planète  pendant  tous  les  siècles  qui  ont  précédé 
Christophe  Colomb. 

On  voit  d'abord,  dès  l'inspection  de  la  carte,  que  la  configuration 
géographique  de  cette  planète  est  fort  difi'érente  de  celle  du  monde 
que  nous  habitons.  Tandis  que  les  trois  quarts  de  notre  globe  sont 
couverts  d'eau,  et  que  la  terre  ferme  est  formée  de  trois  continents 
principaux  (les  Amériques,  l'Afrique  et  l'Asie  dont  l'Europe  est  le  pro- 
longement), sur  Mars  il  n'y  a  ni  vastes  océans,  ni  grands  continents, 
mais  seulement  des  méditerranées,  des  îles,  des  presqu'îles,  des 
détroits,  des  caps,  des  golfes,  des  canaux  étroits,  en  un  mot  une 
découpure  beaucoup  plus  détaillée.  Les  continents  occupent  une 
étendue  presque  égale  à  celle  des  mers  et  se  distribuent  surtout  le 
long  de  l'équateur  et  au-dessous.  Les  formations  géologiques  n'ont 
pas  été  les  mêmes  qu'ici,  où  nous  voyons  tous  les  continents  se 
terminer  en  pointes  vers  le  Sud.  Les  mers  sont  très  découpées  et 
sans  doute,  en  général,  peu  profondes,  car  il  semble  qu'on  en  aper- 
çoive le  fond  en  certaines  régions  qui  sont  beaucoup  moins  sombres, 
et  qu'elles  subissent  de  temps  à  autre  des  variations,  retraits,  inon- 
dations, perceptibles  d'ici  :  les  teintes  représentées  sur  notre  carte 
existent  sur  la  planète.  Ainsi,  en  premier  lieu,  il  y  a  moins  d'eau 
sur  Mars  que  sur  la  Terre. 

Une  partie  de  l'eau  qui  devait  exister  à  la  surface  de  cette  planète 
a  dû  être  absorbée  dans  l'intérieur  du  sol.  Pendant  des  millions 


(1)  On  peut  s'en  rendre  compte  sur  notre  figure  22,  qui  montre  la  Terre  vue  de  l'es- 
pace (du  côté  éclairé  par  le  soleil)  ;  par  exemple,  un  mois  après  l'équinoxe  du  prin- 
temps, le  20  avril,  à  midi  et  à  6  heures  du  soir.  Sur  le  premier  dessin,  le  méridien  do 
Paris  passe  par  le  centre  du  disque  terrestre  ;  la  France,  l'Espagne,  l'Angleterre,  l'Afrique 
occidentale,  sont  éclairées  en  plein  par  le  soleil.  Sur  le  second,  la  France,  l'Espagne, 
l'Afrique  sont  arrivées  au  bord  du  disque,  à  droite,  et  c'est  l'Amérique  du  Nord  qui 
arrive  à  midi. 


GÉOGRAPHIE   DE   MARS 


d'années,  en  effet,  la  chaleur  solaire  a  vaporisé  comme  ici,  les  oavix, 
les  océans  de  Mars  pour  les  transformer  en  nuages  et  les  faire  retom- 
ber ensuite  à  l'état  de  pluie,  soit  sur  ces  océans  eux-mêmes,  soit 
dans  les  bassins  des  rivières  et  des  fleuves,  qui  les  ramènent  égale- 
ment à  leur  source.  Mais  toute  l'eau  qui  tombe  n'est  pas  intégrale- 
ment ramenée  à  la  mer;  une  faible  partie  s'imprègne  dans  l'intérieur 
des  terres,  descendant  au-dessous  des  couches  imperméables  sur  les- 
quelles la  majeure  partie  des  eaux  glisse  pour  donner  ensuite  nais- 
sance aux  sources,  aux  rivières  et  aux  fleuves.  Il  n'y  a  sans  doute 
chaque  année  qu'une  très  faible  quantité  d'eau  qui  soit  ainsi  absorbée 


Fig.  2-2.  —  La  Tnrre  vue  de  l'espare  'rnti'  du  soleil  :  iO  avril  à  midi  et  à  6  heures  du  soir). 

parla  planète;  mais  si  l'on  additionne  ensemble  un  grand  nombre  de 
siècles  et  si  l'on  considère  l'histoire  géologique  d'une  planète,  dont 
les  périodes  se  développent  le  long  de  plusieurs  millions  d'années, 
cette  quantité  devient  considérable  et  peut  même  arriver  à  surpas- 
ser la  quantité  d'eau  restante.  Les  effets  de  ce  procédé  sont  visibles 
dans  la  configuration  des  mers  martiennes.  Non  seulement  elles 
n'occupent  plus  même  la  moitié  de  la  surface  de  la  planète,  mais 
encore  elles  sont  rétrécies  le  long  des  anciennes  vallées  sous-ma- 
rines, comme  il  arriverait  pour  la  Terre,  si  l'on  supprimait  la  moitié 
de  l'eau  qui  existe  encore,  et,  de  plus,  leurs  variétés  de  teintes 
montrent  qu'elles  sont  peu  profondes,  et  que  même  certains  dis- 
tricts dessinés  comme  des  mers,  sur  nos  cartes,  doivent  être,  non 


GÉOCRAPIIIE   DE  MARS 


pas  de  véritables  mers,  mais  plutôt  des  terrains  submergés,  variés, 
entrecoupés  d'îles,  d'îlots,  de  lacs  dont  la  nature  et  l'étendue  parais- 
sent môme  varier  suivant  les  circonstances  météorologiques. 

Cet  état  de  choses  s'accorde  avec  l'âge  cosmogonique  que  nous 
sonmies  conduits  à  attribuer  à  la  planète  ;  car  dans  la  théorie  la 
plus  probable  de  la  formation  des  mondes  par  la  condensation  en 
globes,  d'anneaux  gazeux  primitifs  successivement  détachés  de  la 
nébuleuse  solaire,  les  planètes  les  plus  éloignées  sont  les  plus  an- 
ciennes, et  l'ordre  de  leur  naissance  est  le  même  que  celui  de  leurs 
distances  : 


AGE    RELATIF 

DES 

PLANETES 

par 

ordre  d 

'ancienneté. 

Neptune 

Mai's 

Uranus 

La  Terre 

Saturne 

Vénus 

Jupiter 

Mercure. 

Petites  plam^trx 

Neptune  est  la  plus  ancienne;  Mercure  la  plus  jeune.  Leur  histoire 
géologique,  météorologique,  climatologique,  organique  dépend  en- 
suite de  leur  volume,  de  leur  masse,  de  leur  constitution  physique. 
La  théorie  mécanique  de  la  chaleur  montre  que  la  condensation  du 
Soleil  a  dû  produire  une  température  de  28  millions  de  degrés  centi- 
grades, celle  de  la  Terre  8988%  et  celle  de  Mars  1995°  seulement.  Mars 
doit  être  refroidi  jusqu'à  son  centre.  On  sait  d'ailleurs  que  la  chaleur 
interne  du  globe  terrestre  n'a  aucune  action  sur  les  phénomènes 
vitaux  de  la  surface.  Mais  l'histoire  géologique  de  Mars  n'en  a  pas 
moins  été  plus  rapide  que  celle  de  la  Terre;  il  est  tout  naturel  d'ad- 
mettre qu'une  partie  des  eaux  ait  été  absorbée,  que  les  mers  soient 
moins  immenses  et  moins  profondes,  qu'il  y  ait  moins  d'évaporation 
et  moins  de  nuages  que  sur  la  Terre,  et  c'est,  en  effet,  ce  que  l'obser- 
vation révèle. 

Les  mers  martiennes  sont  moins  étendues  que  les  mers  terrestres; 
elles  sont  aussi  moins  profondes.  D'une  part,  il  semble  qu'on  en  dis- 
tingue le  fond  en  certaines  régions  parfois  très  étendues,  car  la  teinte 
arrive  à  y  être  presque  aussi  claire  que  sur  la  terre  ferme;  d'autre 


eiii>;  uu  tu  li^iiiiv  ?  uuauri  el  OÙ  U  uuit  invitu  à  la  miïUiliitlon. 


U.llUtS    IIU    CIEl. 


CEOCnAPHIE    DE    MARS 


part,  certaines  plages  doivent  être  peu  élevées  au-dessus  du  niveau 
moyen,  car  elles  paraissent  tantôt  découvertes  et  tantôt  inondées; 
d'autre  part  encore,  les  continents  ne  doivent  pas  être  hérissés  de 
chaînes  de  montagnes  aussi  colossales  que  nos-  Andes  et  nos  Cordil- 
lères, car  de  longs  canaux  rectilignes  les  traversent  en  divers  sens, 
comme  s'il  n'y  avait  là  que  de  vastes  plaines,  et  le  relief  du  fond  des 
mers  ne  peut  être  géologiquement  différent  de  l'orographie  des  con- 
tinents. Ces  divers  témoignages  s'unissent  pour  nous  montrer  dans 
Mars  une  planète  moins  montagneuse  que  la  Terre,  Vénus  et  la  Lune, 
baignée  de  mers  peu  profondes,  aux  plages  unies,  douces  et  pares- 
seuses. 

Ainsi  déjà  les  progrès  de  la  science  nous  permettent  de  pénétrer 
dans  la  constitution  organique  de  ce  monde  voisin,  d'assister  à  ses 
phénomènes  météorologiques  et  aux  spectacles  que  la  nature  déploie 
sur  ces  campagnes,  ces  paysages,  ces  lacs,  ces  collines,  ces  golfes, 
ces  falaises.  Lorsque  le  soir,  à  l'heure  où  la  nature  s'endort  et  où  les 
êtres  vivants  cherchent  le  repos  préparé  par  les  fatigues  du  jour,  en 
cette  heure  de  calme  et  de  quiétude  dont  parle  le  Dante  au  deuxième 
chant  de  l'Enfer  : 

Lo  giorno  se  n'andava,  e  laer  bruno 
Toglieva  gli  animai  che  sono  in  terra 
Dalle  fatiche  loro... 

en  cette  heure  où  les  étoiles  allumées  dans  le  ciel  assombri  invitent 
à  la  méditation  des  éternels  mystères,  lorsque  nos  regards  s'arrêtent 
sur  l'étoile  rouge  de  Mars,  nous  ne  songeons  pas  que  c'est  là  une 
terre  géographiquement  variée  comme  celle  où  nous  vivons,  et  que 
déjà  nous  pouvons  y  habiter  parla  pensée  et  étudier  son  histoire  géo- 
logique et  physique.  C'est,  du  reste,  la  première  fois,  depuis  le  com- 
mencement du  monde,  qu'il  nous  est  donné  d'entrer  véritablement 
en  relation  avec  une  seconde  patrie. 

Nous  avons  dit  tout  à  l'heure  que  déjà  des  variations,  perceptibles 
d'ici,  sont  reconnaissables  dans  les  aspects  géographiques  de  ce 
inonde  voisin,  notamment  dans  les  teintes  de  certaines  mers  sans 
doute  peu  profondes  ('). 

(')  Lorsqu'on  passe  en  ballon  au-dessus  d'un  large  fleuve,  d'un  lac  ou  de  la  mer,  si 
l'eau  est  calme  et  transparente,  on  distingue  le  fond,  quelquefois  si  complètement  que 
l'eau  paraît  dispurue  (c'est  ce  qui  m'est  arrivé  notamment  un  jour,  le  10  juin  1867,  à 
7  heures  du  matin,  en  planant  à  3000  mètres  au-dessus  de  la  Loire]  ;  sur  les  bords  de  la 


CÉOGKAPIIIE   DE   MABS 


Il  paraît  peut-être  téméraire  d'imaginer  que  nous  puissions  être 
témoins  d'ici  d'inondations,  do  débordements  ou  de  dessèchements 
sur  cette  planète  éloignée  de  nous  à  quinze  et  vingt  millions  de  lieues 
dans  les  meilleures  circonstances  de  visibilité.  C'est  pourtant  ce  que 
l'observation  télescopique  elle-même  nous  invite  à  croire.  Pour  que 
ces  variations  d'aspect  soient  visibles,  il  faut,  il  est  vrai,  qu'elles  s'ef- 
fectuent sur  de  larges  surfaces,  sur  des  étendues  d'une  centaine  de 
kilomètres  de  largeur  au  minimum,  et  de  plusieurs  centaines  de  kilo- 
mètres de  longueur.  Mais  il  y  a  déjà  plusieurs  années  que  la  comparai- 
son attentive  de  ces  variations  nous  inspire  cette  explication  naturelle. 

Déjà,  en  1876,  en  rédigeant  la  première  édition  de  cet  ouvrage, 
j'écrivais  :  «  Il  semble  que  les  mers  de  Mars  ne  soient  pas  invariables; 
car,  depuis  1830,  il  y  a  quelques  changements  qui  paraissent  incon- 
testables :  par  exemple,  le  golfe  de  Kaiser,  qui  présentait  alors,  comme 
à  la  fin  du  siècle  dernier,  l'aspect  d'un  fil  terminé  par  un  disque,  et 
qui  depuis  1862  est  beaucoup  plus  large  et  se  termine  non  par  un 
cercle  noir  isolé,  mais  par  une  baie  fourchue.  Peut-être  y  a-t-il  sur 
cette  planète  des  déplacements  d'eau  et  des  variations  de  couleur  qui 
n'existent  pas  sur  la  nôtre.  »  Revenant  sur  ce  point  en  1879,  je  résu- 
mais dans  les  termes  suivants  (')  l'impression  résultant  de  l'examen 
de  ces  variations  problématiques  : 

mer,  on  entrevoit  le  fond  jusqu'à  10  mètres  et  15  mètres  de  profondeur,  à  plusieurs  cen- 
taines de  mètres  du  rivage,  suivant  l'éclairement  et  selon  l'état  de  la  mer.  Dans  cette 
hypothèse,  les  mers  claires  de  Mars  seraient  celles  qui,  comme  le  Ziiiderzée,  par  exem- 
ple, n'auraient  que  quelques  mètres  d'eau  de  profondeur  ;  les  mers  grises  seraient  un  peu 
plus  profondes,  et  les  mers  noires  le  seraient  davantage.  Ce  n'est  pas  là  toutefois  la  seule 
explication  à  donner,  caria  nuance  de  l'eau  peut  pari'aitement  dilTérer  elle-même  suivant 
les  régions  ;  plus  l'eau  est  salée  et  plus  elle  est  foncée,  et  l'on  peut  suivre  dans  nos  mers 
terrestres  les  courants  qui,  tels  que  le  Gulf-Stream,  coulent  comme  des  fleuves  moins 
denses  à  la  surface  de  l'Océan  qui  forme  leur  lit;  la  salure  dépend  du  degré  d'évapora- 
tion,  et  il  n'y  aurait  rien  de  surprenant  à  ce  que  les  mers  équatoriales  de  Mars  fussent 
plus  salées  et  plus  foncées  que  les  mers  tempérées.  Une  troisième  explication  se  présente 
encore  à  L'esprit.  Nous  avons  sur  la  Terre  :  la  mer  Bleue,  la  mer  Jaune,  la  mer  Rouge, 
la  mer  Blanche  et  la  mer  Noire  ;  sans  être  absolues,  ces  qualifications  répondent  plus  ou 
moins  à  l'aspect  de  ces  mers.  Qui  n'a  été  frappé  de  la  couleur  vert  émeraude  du  Rhin 
à  Bàle  et  de  l'Aar  à  Berne,  de  l'azur  profond  de  la  Méditerranée  dans  le  golfe  de  Naples, 
du  lit  jaime  de  la  Seine  du  Havre  à  Trouville,  visible  sur  la  mer,  et  de  toutes  les  nuances 
variées  que  présentent  les  eaux  des  rivières  et  des  fleuves?  Les  trois  explications  peu- 
vent donc  s'appliquer  aux  eaux  de  la  planète  Mars  aussi  bien  qu'aux  nôtres.  Les  régions 
claires  peuvent  n'être  que  des  marais  ou  des  terres  submergées,  des  mers  parsemées 
d'îles  nombreuses. 

(')  Astronomie  populaire,  p.  484. 


(■.R«i(;iiAi'iiiL  m:  maiis 


Une  ditlV'i'onco  siM'clale  avec  la  Torro,  (■crivais-jc  alors,  est  offerte  p;ir  lu 
variabilité  do  (juchiues-unes  de  ses  conligurations  géogra[)hi(iues.  L'étude 
constante  du  golfe  de  Kaiser  pourrait  conduire  sur  ce  [)i)int  à  des  résultais 
fort  curieux.  En  1830,  Màdler  l'a  plusieurs  fois  très  nettement  et  très 
distinctement  vu  tel  qu'il  est  représenté  au  point  .V  //y.  "^'i  .  Kn  l.Si);', 
M.  Lockyer  l'a  vu  avec  la  même  netteté  comme  il  est  dessine  à  celle  dati', 
cl.  eu  1877,  M.  Schiaparelli  l'a  représenté  tel  ipn'  nous  le  voyons  repro- 
duit. Ce  point,  vu  rond,  noir  et  net  en  1830,  si  nel  en  realite  (pie  Miidler 
le  choisit  pour  origine  des  longitudes  martiennes  comme  étant  le  point  le 
plus  noir,  déjà  vu  sous  la  même  forme  par  Kunowsky  en  1821,  et  indiqué 
aussi  dès  1798  par  Schrœter  comme  globule  noir,  n'a  pu  être  distingué  en 
1858  par  Sccchi,  malgré  la  recherche  spéciale  qu'il  en  a  faite.  Ce  même 
point  a  été  vu  bifurqué  par  Dawes  en  18()i,  et  il  l'est  certainement  :  mais 
la  région  qui  l'environne  au  Sud  parait  couverte  de  marais  el  variable 


Fig.  24.  —  Variations  observées  sur  la  planëte  Mars. 

I.o  Rolfe    Kaiser  et   la   Baie  du    Méridien  en   I8:!;i,    ISi;-i  cl    IS7 


d'aspect  suivant  les  années;  les  dessins  de  1877  ne  montrent  plus  cette 
même  tache  comme  un  disque  noir  suspendu  à  un  111  serpentant,  mais 
le  111  s'est  élargi  au  point  de  ne  plus  pouvoir  soutenir  cette  compai'ai- 
son  :  le  golfe  est  aussi  large  au  centre  et  à  l'origine  ipi'à  son  extrémité 
orientale. 

Actuellement  la  tache  la  plus  noire  et  la  plus  nette,  celle  que  l'on  choi- 
sirait de  préférence  pour  marquer  l'origine  des  méridiens,  serait  le  lac 
circulaire  de  Terby  :  on  la  choisirait  certainement  de  préférence  à  la 
l)rennère.  En  1830,  Mâdler  a  expressément  déclaré  au  contraire  que 
celle-ci  était  la  plus  nette  et  la  plus  sombre,  et  il  l'a  choisie  pour  origine  : 
sur  plusieurs  dessins  on  voit  les  deux  faire  exactement  pendant  de 
chaque  côté  de  l'océan  Kepler.  Ces  tracés  ne  pourraient  plus  être  dc*Ssinés 
aujourd'hui.  Voilà  une  première  variation.  —  Une  deu.xième  est  présentée 
par  l'aspect  même  de  la  tache  :  en  18G2,  les  différents  observateurs  l'ont 
vue  allongée  de  l'Est  à  l'Ouest;  en  1877,  on  l'a  vue  au  contraire  parfaite- 
ment ronde   (correction    faite    d(^   la   perspective'  et  certainiMUêut  non 


CKdl.HAIMIIK    I)K    MA  lis  53 

allongéo  dans  le  premier  sens.  —  Truisieme  variation  :  elle  paraissait,  en 
180-2,  réniiie  à  l'océan  Kepler  par  un  détroit,  et  en  1877,  instruments  de 
même  puissance  et  observateurs  de  môme  habileté  n'ont  rien  vu  de  ce 
détroit  et  en  ont  distingué  un  autre  au  Nord-Est. 

Assurément,  il  ne  faudrait  pas  prendre  pour  des  changements  réels 
toutes  les  différences  qui  existent  entre  les  observateurs.  Ainsi  par 
exemple,  en  1877,  plusieurs  ont  vu  réunies  à  l'Occident  les  mers  de 
riook  et  de  Maraldi,  tandis  que  la  séparation  est  restée  visible  pour  les 
autres;  l'œil  est  différemment  impressionné,  et  l'on  pourrait  presque  dire 
(jue  pour  certains  détails  il  n'y  a  pas  deux  yeux  qui  voient  identiquement 
de  la  même  façon,  même  les  deux  yeux  d'une  même  personne.  Mais 
lorsque  l'attention  s'est  tout  .spécialement  fixée  sur  certains  points  remar- 
qua!)les  qui  auraient  dû  être  rendus  parfaitement  visibles  dans  les  instru- 
ments employés,  et  que  l'on  constate  ainsi  des  différences  ([ui  paraissent 


Fig.  25.  —  Variations  nbsorvi'es  sur  la  planète  Mars. 
La  mer  Tcrby  en  1831).  l8fi-2  et  IS7T. 


incompatibles  avec  les  erreurs  d'observation.  la  probabilité  penche  en 
faveur  de  la  réalité  effective  des  changements  signalés. 

De  quelle  nature  sont  ces  variations?  c'est  ce  que  l'avenir  nous 
apprendra.  Nous  ne  pourrions  émettre  actuellement  que  de  vagues  con- 
jectures à  cet  égard. 

Ces  considérations,  que  j'exposais  alors  avec  toute  la  réserve  que 
nous  devons  toujours  apporter  dans  l'interprétation  des  faits  scienti- 
fiques nouvellement  observés,  se  trouvent  aujourd'hui  confirmées 
et  développées  par  les  observations  spéciales  de  M.  Scliiaparelli,  dont 
on  lira  l'exposé  plus  loin.  J'hésitais  encore  à  attribuer  ces  change- 
ments observés  à  des  inondations  ou  à.  des  retraits  dans  les  eau.x  ; 
maintenant  cette  hypothèse  se  présente  très  naturellement  à  nous, 
comme  la  plus  probable,  on  pourrait  presque  dire  connue  certaine. 


CÊOGItAPlUE    DE    MARS 


Pendant  ses  patientes  observations  faites  en  janvier  et  en  février  1882, 
l'astronome  de  Milan  a  constaté  que  «  des  centaines  de  milliers  de 
kilomètres  carrés  de  surface  sont  devenus  sombres,  tandis  qu'ailleurs 
des  régions  sombres  se  sont  éclaircies  » .  Cherchant  la  cause  de  ces 
variations,  il  balance  entre  l'hypothèse  d'un  changement  dans  les 
eaux  et  celle  d'une  végétation  qui  varierait  avec  les  saisons  et  se 
propagerait  rapidement  sur  de  vastes  étendues.  La  première  cause 
paraît  plus  probable  :  1°  parce  que  c'est  dans  le  voisinage  des  mers 
et  dans  les  mers  elles-mêmes  que  ces  effets  se  présentent;  2°  parce 
que  la  nuance  de  ces  golfes  variables,  de  ces  canaux,  est  la  même 
que  celle  des  mers;  3°  parce  que  les  canaux  qui  traversent  les  conti- 
nents sont  toujours,  et  à  leurs  deux  extrémités,  en  communication 
avec  les  mers.  Dans  l'hypothèse  d'une  cause  végétale,  nous  serions 
graduellement  conduits  à  admettre  que  les  taches  sombres  de  Mars 
ne  sont  pas  des  mers,  mais  des  forêts,  des  prairies,  ou  autre  chose,  ce 
qui  est  beaucoup  moins  probable. 

Un  autre  exemple  des  changements  observés  sur  Mars  peut  être 
pris  dans  la  région  située  au-dessous  du  lac  foncé  circulaire  que 
M.  Schiaparelli  appelle  le  lac  du  Soleil,  et  que,  de  concert  avec  les  astro- 
nomes anglais,  nous  appelons  la  mer  Terby.  En  1830,  Béer  et  Mâdler 
ont  observé  au-dessous  de  ce  lac  et  dessiné  sur  leur  carte  une  grande 
tache  grise  assez  foncée,  qui  a  reçu  le  nom  de  mer  Dawes  (270°  degré 
de  longitude).  —  Voy.  notre  carte.  —  En  1877,  M.  Trouvelot,  à  Cam- 
bridge, cherchant  précisément  cette  tache,  constata  avec  certitude 
son  absence.  Le  14  octobre,  à  minuit  40""  (temps  moyen  de  Cam- 
bridge), ce  lac  circulaire  arrivait  vers  le  méridien  central  en  d'excel- 
lentes conditions  d'observation,  par  une  nuit  calme  et  transparente. 
On  apercevait  distinctement  deux  bandes  grisâtres,  traversant  la  terre 
de  Tycho,  venant  de  l'océan  Kepler;  mais  juste  au-dessous  du  lac,  le 
terrain  était  blanc,  libre,  sans  aucune  tache.  Les  observations  des 
27  août,  2,  3  septembre,  1",  6,  10  octobre,  6,  9,  13  novembre  de  la 
même  année,  montrent  le  même  aspect.  Si  l'on  compare  les  dessins 
faits  en  même  temps  à  Milan,  par  M.  Schiaparelli,  on  remarque  qu'ils 
concordent  assez  bien  avec  cette  description,  car  sur  ces  dessins,  il 
n'y  a  qu'une  sorte  de  jonction  de  canal  extrêmement  fine  qui  peut 
fort  bien  avoir  échappé  à  l'observation  de  M.  Trouvelot.  En  1881,  au 
contraire,  à  partir  du  16  décembre  et  jusqu'en  février  1882,  M.  Trou- 


GÉOGRAPHIE   DE   .MAIiS 


velut  a  observé  lu,  quoique  la  plauète  fut  alors  beaucoup  plus  éloignée 
de  la  Terre  et  dans  de  moins  bonnes  conditions  d'observation,  une 
forte  taclie  presque  aussi  foncée  que  le  lac.  Cette  tacbe  est  également 
visible  avec  de  grandes  ramifications  sur  les  dessins  faits  à  Milan  à  la 
même  époque.  On  se  rendra  compte  de  ces  variations  sur  notre? 
figure  26,  qui  reproduit  fidèlement  les  dessins  de  cette  même  région 
faits  en  1830  par  Màdler,  en  1877  par  M.  Schiaparelli  et  en  1881  par 
M.  Trouvelot.  Malgré  les  différences  imputables  aux  conditions  de 
visibilité,  il  n'est  pas  douteux  que  la  région  marquée  A  sur  cette 
figure,  ne  soit  le  siège  de  grandes  variations,  parfaitement  percep- 
tibles d'ici. 
Comment  de  telles  inondations  et  de  tels  dessécliements  alternatifs 


1830  ^°" 

Fi;;.  -IC.  —  Variations  observées  sur  la  planète  Mars.  La  mer  Dawes  en  1830,  1877  et  1881. 


peuvent-ils  se  produire?  Supposer  des  exliaussements  et  des  affaisse- 
ments dans  le  niveau  du  sol,  comme  il  s'en  produit,  par  exemple,  sur 
les  bords  de  la  Méditerranée,  entre  autres  à  Pouzzoles  (oi!i  l'on  voit  le 
temple  de  Sérapis  tour  à  tour  au-dessus  et  au-dessous  du  niveau  de 
la  mer),  serait  une  hypothèse  assurément  extrême.  C'est  plutôt  dans 
la  quantité  d'eau  qu'il  faut  chercher  les  variations.  Mais  comment 
cette  quantité  peut-elle  varier?  Par  les  gelées,  par  la  fonte  des  neiges, 
par  les  pluies.  Or  il  n'est  pas  rare  d'observer  sur  Mars  des  régions 
couvertes  de  neige  assez  étendues  pour  être  visibles  d'ici  [voir,  plus 
loin,  la  carte  de  M.  Schiaparelli).  D'autre  part,  à  certaines  époques, 
ces  neiges  disparaissent  coniplèteuKMit.  Nous  en  reparlerons  tout  à 
l'heure. 

Le  procédé  météorologique  des  transformations  de  l'eau  parait 
être  le  même  sur  cette  planète  ([ue  sur  la  nôtre;  seulement  il  est  pro- 


CEOCUAPHIE    UE    .MAl'.S 


bable  que  les  variations  sont  beaucoup  plus  importantes  là  qu'ici; 
que  les  mers  ont  beaucoup  moins  d'eau  et  subissent  des  cbange- 
ments  relativement  considérables  pour  elles;  que  les  rivages  sont 
plats,  et  qu'en  certaines  régions  les  plaines  sont  juste  au  niveau  de  la 
mer. 

On  ne  peut  pas  attribuer  ces  modifications  à  des  marées,  car  quoi- 
qu'il y  ait  deux  satellites  pour  les  produire,  l'un  tournant  en  sept 
heures  trente-neuf  minutes  et  l'autre  en  trente  heures  dix-huit  mi 
nutes,  ces  deux  satellites  ont  une  masse  trop  faible  pour  causer  de 
tels  effets,  et  d'ailleurs  ces  effets  ne  présentent  ni  la  rapidité  ni  la 
périodicité  correspondantes  aux  révolutions  de  ces  minuscules  satel- 
lites. 

Ces  variations  considérables  nous  mettent  dans  un  grand  embarras. 
Assurément,  ce  ne  sont  pas  des  mers  comme  les  nôtres,  aux  bassins 
profonds,  aux  rivages  fixes  et  arrêtés.  Les  taches  se  montrent  fixes 
dans  leur  ensemble,  mais  bizarrement  variables  dans  les  détails. 
Seraient-ce  des  plaines  liquides  et  végétales  à  la  fois?  des  lacs  peuplés 
de  plantes  aquatiques?  Les  pluies  suffiraient  pour  inonder  les  bords, 
les  plaines  basses,  les  vallées,  comme  il  arrive  pour  nos  rivières  dans 
les  inondations,  ou  peut-être,  suivant  certaines  circonstances  météo- 
rologiques, la  végétation  varie-t-elle  rapidement  sur  toute  l'étendue 
des  prairies  humides...  On  peut  chercher;  on  peut  faire  des  conjec- 
tures; mais,  sans  doute,  la  nature  de  Mars  étant  différente  de  la 
nature  terrestre,  nous  ne  pouvons  pas  deviner. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  toutefois  des  différences  que  l'on  rencontre 
entre  les  diverses  vues  télescopiques  de  Mars.  Vue  de  loin,  la  Terre 
serait  exactement  dans  le  même  cas  :  ses  configurations  un  jour  par- 
faitement nettes  et  distinctes  seraient,  un  autre  jour,  confuses,  diver- 
sifiées, modifiées  par  les  nuages  et  les  brames.  La  réapparition  d'une 
tache  prouve  mieux  en  faveur  de  son  existence  que  cinquante  cas 
d'invisibilité.  Considérons,  par  exemple,  la  France  et  ses  environs, 
vue  de  loin  :  1°  par  un  jour  de  beau  temps;  2°  par  un  jour  nuageux 
[fig.  21).  Sur  notre  second  dessin,  il  n'y  a  pourtant  que  deux  nappes 
•le  nuages,  l'une  cachant  le  nord  de  la  France  et  une  partie  de  l'An- 
gleterre; l'autre,  s'étendant  de  l'Italie  au  détroit  de  Gibraltar.  Ce  voile 
suffit  pour  effacer  les  contours  principaux  de  la  France,  de  l'Angle- 
terre, de  la  lioUande,  de  l'Italie,  de  l'Algérie,  et  pour  rendre  nos  pays 


GEOGRAPHIE    DE   MAUS 


méconnaissables.  L'Espagne  et  le  Portugal  sont  réunis  à  l'Afrique,  et 
la  Manche  a  disparu  ! 

(Juclquos-unes  de  ces  différences  doivent  être  dues,  d'autre  part, 
aux  variations  de  transparence  qui  arrivent  dans  l'atmosphènî  de 
Mars  connue  dans  la  ui')tre,  aux  différences  de  visibilité  qui  on  résul- 
tent pour  l'ubscrvateur  et  aux  tendances  de  tout  dessinateur  à  tei'- 
miner  des  cduldurri  à  peine  accusés.  Lorsqu'on  distingue  vaguement, 
par  exeuipli',  une  tache  allongée,  et  qu'on  veut  la  représenter  par  le 


Fig.  '27.  —  La  France  ot  ses  enviions  vus  de  loin  ;  1°  p^r  un  ciel  pur;  2"  avec  deux  nappes  de  nuaRes. 

dessin,  on  a  une  tendance  à  la  terminer  en  pointe.  Des  conligurations 
géographiques  d'une  faible  étendue,  vues  quelquefois  parfaitement  en 
détail,  peuvent  être  facilement  masquées  par  une  simple  briuiie  (pie 
l'on  prend  pour  le  prolongement  d'un  continent.  Yuici,  par  exemple 
(/?//.  28),  une  vue  téîescopique  de  Mars,  remarquablement  nette, 
prise  à  Malte  par  M.  Green,  notre  savant  collègue  de  la  Société  royale 
astronomique  de  Londres,  le  2  septembre  1877,  à  l''10"du  matin  : 
on  y  distingue  entr'autres  une  petite  tache  foncée  (a)  appelée  par 
cet  observateur  «  lac  Schiaparelli  »,  et  une  petite  tache  blanche  [b) 

TEKIIES   DU    CIEL.  8 


GEOGUAI'IIIE   DE   MAKS 


appelée  depuis  longteinpri  «  île  neigeuse  ».  Eh  bien!  cette  région  est 
particulièrement  fertile  en  variations  atniosphériipies.  L'île  neigeuse 
est  parfois  adniirabhuuent  visible,  comme  un  puiuL  blanc,  et  parfuis 
complètement  invisible;  sa  blancheur  parait  due  à  de  la  neige  qui 
couvrirait  là  de  hautes  montagnes  et  serait  fondue  en  certaines 
saisons,  ou  bien,  pliU()t  encore  (à  cause  des  variations  plus  rapides 
observées)  à  des  nuages  qui  s'accumuleraient  sur  les  sommets  de  ces 
hautes  montagnes.  Le  lac  Schiaparelli  disparaît  aussi  sur  certaines 
vues  d'ailleurs  tout  à  fait  satisfaisantes.  Ainsi,  le  24  octobre  1879,  à 
2"^  du  matin,  M.  Burton,  en  Irlande,  dessinant  le  croquis  ci-dessous 
{fuj.  29),  fait  la  remarcpie  suivante  : 

La  continuité  de  l\.'sqiiissL'  de  l'oecau  Kepler,  au  sud-est  de  la  baie 


Fig.  «s.  —  Aspect  de  M;irs  le  2  septomlu-c  1877  (l''in"'  Au  matin). 

Ghristie,  est  interrompue  par  une  sorte  de  huDjue  pointue  dont  l'extrémité 
orientale  cache  l'île  neigeuse.  Cette  bande  est  évidemment  formée  par 
une  traînée  de  nuages.  Cette  région  est  particulièrement  sujette  ù  la  for- 
mation des  nuages.  Toutefois,  ces  nuages-ci  paraissent  moins  blancs, 
moins  lumineux  que  ceux  de  la  Terre  vus  d'en  haut.  J'ai  plus  d'une  fois 
remarqué  que  ces  voiles  ou  brumes  temporaires  n'étaient  pas  très  bril- 
lants, et  même  un  jour,  j'ai  observé  que  l'une  de  ces  taches  était  certaine- 
ment beaucoup  moins  blanche  que  les  neiges  polaires,  un  peu  grise  et 
presque  de  la  teinte  orangée  des  continents  ('). 


(')  William  Herschel  avait  déjà  fait  cette  remarque  assez  bizarre  d'une  tache  nua- 
geuse foncée.  Cependant,  il  semble  que  les  nuages  éclairés  par  le  soleil  devraient  tou- 
jours, vus  par  leur  surface  supérieure,  paraître  blancs.  Il  faut  croire  que,  dans  ce  cas, 
ce  .sont  des  vapeurs  à  demi-transparentes  nui  passent  sur  des  régions  très  foncées. 


CÊOllRAPHIE   DE   MARS 


Le  même  observateur  écrit  à  propos  d'une  autre  tache  blanche  : 

On  aperçoit  un  point  brillant  tout  près  du  bord  occidental,  à  peu  près 
dans  la  position  de  l'ile  Hirst.  C'est  la  seule  occasion  où  nous  ayons  pu 
apercevoir  cette  tache  pendant  l'opposition  de  IST'J,  i^uoic^u'on  l'ait  très 
souvent  observée  en  1877. 

Nous  reviendrons  plus  loin  sur  les  nuages  et  sur  les  montagnes  de 
Mars.  Nous  ne  signalons  en  ce  moment  ces  observations  qu'au  point 
de  vue  des  variations  géographiques  apparentes  observées  sur  la 
planète. 

Remarquons  encor(>  à  ce  propos  que  le  petit  lac  Schiaparelli,  mal 


Fig.  -J'J    -  As|ic;<'t  (le  Mars  le  il  octobre  1871)  (•:''  du  inalinl. 

VU  dans  certaines  circonstances  et  simplement  estompé,  donne  l'idée 
d'une  ligne  sombre  réunissant  la  mer  Terby  à  l'océan  Kepler  et  a 
souvent  été  représenté  de  la  sorte. 

De  quelque  nature  qu'elles  soient,  ces  variations  considérables  sont 
pour  nous  un  témoignage  que  ce  monde  voisin  est  le  siège  d'une 
énergique  vitalité.  L'éloignement  rend  pour  nous  ces  mouvements 
calmes  et  silencieux.  En  réalité  ils  sont  formidables  et  nous  décèlent 
une  vie  planétaire  inconnue. 

Mais  nous  arrivons  ici  à  un  problème  plus  extraordinaire  encore, 
à  la  question  des  canaux  de  Mars. 

On  a  donné  ce  nom  à  de  longues  lignes  grises  mesurant  de 
-OUO  kilomètres  à  5000  kilomètres  de  longueur,  plus  de  100  kilo- 


GEOGRAPHIE  DK   MARS 


mètres  de  largeur,  généralement  droites  ou  peu  courbées,  traver- 
sant les  continents,  faisant  communiquer  les  mers  entre  elles  et 
se  croisant  mutuellement  suivant  des  angles  variés.  C'est 
comme  un  réseau  géométrique  continental.  Considérez,  en  ef- 
fet, la  figure  suivante  (p.  61).  C'est  là  sans  contredit  un  as- 
pect véritablement  étrange,  inattendu,  fantastique.  Deux  im- 
j^A'essions  immédiates  frappent  notre  esprit  à  la  vue  de  ce 
bizarre  tracé  géographique  :  la  première,  que  ce  n'est  pas  réel, 
que  l'observateur'  a  été  dupe  d'une  illusion,  qu'il  a  mal  vu  ou  exa- 
géré; la  seconde,  que,  si  c'est  vrai,  si  ces  canaux  sont  authen- 
tiques, t/s  ne  parxcissént  2)as  naturels  et  semblent  plutôt  dus  aux 
combinaisons  d'un  raisonnement,  représenter  l'œuvre  industrielle 
des  habitants  de  la  planète.  Vous  avez  beau  vous  en  défendre,  cette 
impression  pénètre  l'esprit,  et  plus  nous  analysons  le  dessin,  plus 
elle  s'impose  à  notre  interprétation. 

•Nous  allons  examiner  la  vraisemblance  de  cette  authenticité. 
Donnons  d'abord  la  parole  à  M.  Schiaparelli,  directeur  de  l'Observa- 
toire de  Milan,  l'auteur  delà  découverte  de  ces  canaux  énigmatiques. 

La  dernière  opposition  de  Mars  a  pu  être  observée  à  Milan  en  d'excel- 
lentes conditions  météorologiques,  écrit  M.  Schiaparelli  lui-même  (*). 
Nous  avons  eu,  du  26  décembre  1881  au  13  février  1882,  un  grand 
nombre  de  jours  particulièrement  beaux.  Les  hautes  pressions  atmosphé- 
riques qui  ont  dominé  à  cette  époque  ont  produit  une  série  de  belles 
journées,  calmes  et  sereines,  extrêmement  favorables  pour  les  observa- 
tions. Pendant  seize  jours  on  a  pu  utiliser  toute  la  puissance  de  notre 
excellent  équatorial  ('),  et  pendant  quatorze  autres  jours  l'atmosphère  n'a 
laissé  que  fort  peu  à  désirer.  Aussi,  quoique  le  diamètre  apparent  de  la 
planète  n'ait  pas  surpassé  16",  tandis  qu'il  avait  dépassé  19"  en  1879  et 
25"  en  1877,  il  a  été  possible,  dans  cette  troisième  période  d'opposition 
observée  par  moi,  d'obtenir  sur  la  nature  physique  de  ce  monde  un 
ensemble  de  renseignements  qui  surpassent,  par  leur  nouveauté  et  leur 
intérêt,  tout  ce  que  j'avais  obtenu  précédemment. 

La  série  des  mers  intérieures  comprises  entre  la  zone  claire  équatoriale 
et  la  mer  australe  s'est  montrée  mieux  dessinée  qu'en  1879.  Dans  la  mer 
Cimmérienne  ('),  on  voyait  une  espèce  d'ile  ou  de  traînée  lumineuse  qui 

(•)  Revue  mensuelle  d'Astronomie  populaire,  août  1882. 

(•)  Objectif  de  Merz,  de  Munich,  de  0'°,218  de  diamètre  et  de  3",25  de  longueur  focale; 
oculaires  grossissant  322  fois  et  468  fois. 
(')  M.  Schiaparelli  a  donné,  comme  nous  l'avons  dit,  aux  configurations  géogra- 


CËOCRAPHIE   DE   MARS 


la  partageait  dans  sa  longueur,  ce  qui  lui  donnait  de  l'analogie  avec 
l'aspect  de  la  mer  Erythrée.  Plus  surprenante  encore  est  la  variation 
d'aspect  présentée  par  la  grande  Syrthe  qui  a  envahi  la  Libye  et  s'est 
étendue,  en  forme  de  ruban  noir  et  large,  jusqu'à  60°  de  latitude  boréale. 
Le  Népenthés  et  le  lac  Mœris  ont  augmenté  de  largeur  et  d'obscurité, 
tandis  qu'il  restait  à  peine  quelques  vestiges  d'un  marais  parfaitement 
visible  sur  la  carte  de  1879.  Ainsi,  des  centaines  de  milliers  de  kilomètres 
carrés  de  surface  sont  devenus  sombres,  de  clairs  qu'ils  étaient,  et,  à  l'in- 
verse, un  grand  nombre  de  régions  foncées  sont  devenues  claires.  De 
telles  métamorpho:ies  prouvent  que  la  cause  de  ces  taches  foncées  est  un 
agent  mobile  et  variable  à  la  surface  de  la  planète,  soit  de  l'eau  ou  un 
autre  liquide,  soit  de  la  végétation,  qui  se  propagerait  d'un  point  à  un 
autre. 

Mais  ce  ne  sont  pas  encore  là  les  observations  les  plus  intéressantes.  Il 
y  a  sur  cette  planète,  traversant  les  continents,  de  grandes  lignes 
sombres  auxquelles  on  peut  donner  le  nom  de  canaux,  quoique  nous  ne 
sachions  pas  encore  ce  que  c'est.  Divers  astronomes  en  ont  déjà  signalé 
plusieurs,  notamment  Dawes  en  1864.  Pendant  les  trois  dernières  opposi- 
tions, j'en  ai  fait  une  étude  spéciale,  et  j'en  ai  reconnu  un  nombre  consi- 
dérable qu'on  ne  peut  pas  estimer  à  moins  de  soixante.  Ces  lignes  courent 
entre  l'une  et  l'autre  des  taches  sombres  que  nous  considérons  comme 
des  mers,  et  forment  sur  les  régions  claires  ou  continentales  un  réseau 
bien  défini.  Leur  disposition  paraît  invariable  et  permanente,  au  moins 
d'après  ce  que  j'en  puis  juger  par  une  observation  de  quatre  années  et 
demie:  toutefois  leur  aspect  et  leur  degré  de  visibilité  ne  sont  pas  tou- 
joiirs  les  mêmes  et  dépendent  de  circonstances  que  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  ne  permet  pas  encore  de  discuter  avec  certitude.  On  en  a 
vu  en  1879  un  grand  nombre  qui  n'étaient  pas  visibles  en  1877,  et  en 
1882  on  a  retrouvé  tous  ceux  qu'on  avait  déjà  vus,  pendant  les  opposi- 
tions précédentes,  accompagnés  de  nouveaux.  Quelquefois  ces  canaux  se 
présentent  sous  la  forme  de  lignes  ombrées  et  vagues,  tandis  qu'en 
d'autres  occasions  ils  sont  nets  et  précis  comme  un  trait  fait  à  la  plume. 
En  général  ils  sont  tracés  sur  la  sphère  comme  des  lignes  de  grands  car- 
des :  quelques-uns  montrent  une  courbure  latérale  sensible.  Ils  se 
croisent  les  uns  les  autres,  obliquement  ou  à  angle  droit.  Ils  ont  bien 
2  degrés  de  largeur,  ou  1 20  kilomètres,  et  plusieurs  s'étendent  sur  une  lon- 
gueur de  80  degrés  ou  4800  kilomètres.  Leur  nuance  est  à  peu  près  la 
même  que  celle  des  mers,  ordinairement  un  peu  plus  claire.  Chaque  canal 
se  termine  à  ses  deux  extrémités  dans  une  mer  ou  dans  un  autre  canal  : 

phiqiies  de  sa  carte  de  Mars  les  noms  de  l'antique  géographie  terrestre.  La  mer 
Cimmérienne  correspond  à  la  mer  Maraldi  de  notre  carte,  la  mer  Erythrée  à  l'océan 
Kepler,  la  grande  Syrthe  à  la  mer  du  Sablier,  etc.  Voyez  le  tableau  synoptique  de  la 
page  4!.. 


GEOGRAPHIE  DE   MARS 


il  n'y  a  pas  un  seul  exemple  d'une  extrémité  s'arrétant  au  milieu  de  la 
terre  ferme. 

Ce  n'est  pas  tout.  En  certaines  saisons,  ces  canaux  se  dédoublent,  ou, 
pour  mieux  dire,  se  doublent. 

Ce  phénomène  paraît  arriver  à  une  époque  déterminée  et  se  produire  à 
peu  près  simultanément  sur  toute  l'étendue  des  continents  de  la  planète. 
A.ucun  indice  ne  s'en  est  signalé  en  1877,  pendant  les  semaines  qui  ont 
précédé  et  suivi  le  solstice  austral  de  ce  monde.  Un  seul  cas  isolé  s'est 
présenté  en  1879  :  le  26  décembre  de  cette  année  (un  peu  avant  l'équi- 
noxe  de  printemps,  qui  est  arrivé  pour  Mars  le  21  janvier  1880),  j'ai 
remarqué  le  dédoublement  du  Nil,  entre  le  lac  de  la  Lune  et  le  golfe 
Géraunique.  Ces  deux  traits  réguliers  égaux  et  parallèles  me  causèrent, 
je  l'avoue,  une  profonde  surprise,  d'autant  plus  grande  que,  quelques 
jours  avant,  le  23  et  le  24  décembre,  j'avais  observé  avec  soin  cette  même 
région  sans  rien  découvrir  de  pareil.  J'attendis  avec  curiosité  le  retour  de 
la  planète  en  1881  pour  savoir  si  quelque  phénomène  analogue  se  présen- 
terait dans  le  même  endroit,  et  je  vis  reparaître  le  même  fait  le  1 1  janvier 
1882  un  mois  après  l'équinoxe  de  printemps  de  la  planète  (qui  avait  eu 
lieu  le  8  décembre  1881)  :  le  dédoublement  était  encore  évident  à  la  fin  de 
février.  A  cette  même  date  du  II  janvier,  un  autre  dédoublement  s'était 
déjà  produit  :  celui  de  la  section  moyenne  du  canal  des  Gyclopes,  à  côté 
de  l'Elysium. 

Plus  grand  encore  fut  mon  étonnement  lorsque,  le  19  janvier,  je  vis  le 
canal  de  la  Jamuna,  qui  se  trouvait  alors  au  centre  du  disque,  formé  très 
correctement  par  deux  lignes  droites  parallèles,  traversant  l'espace  qui 
sépare  le  lac  Niliaque  du  golfe  de  l'Aurore.  Tout  d'abord  je  crus  à  une 
illusion  causée  par  la  fatigue  de  l'œil  et  à  une  sorte  de  strabisme  d'un 
nouveau  genre  ;  mais  il  fallut  bien  se  rendre  à  l'évidence  A  partir  du 
19  janvier,  je  ne  fis  que  passer  de  surprises  en  surprises;  successivement 
rOronte,  l'Euphrate,  le  Phison,  le  Gange  et  la  plupart  des  autres  canaux 
se  montrèrent  très  nettement  et  incontestablement  dédoublés.  Il  n'y  a  pas 
moins  de  vingt  e.\emples  de  dédoublement,  dont  dix-sept  ont  été  observés 
dans  l'espace  d'un  mois,  du  19  janvier  au  19  février. 

En  certains  cas,  il  a  été  possible  d'observer  quelques  symptômes  pré- 
curseurs qui  ne  manquent  pas  d'intérêt.  Ainsi,  le  13  janvier,  une  ombre 
légère  et  mal  définie  s'étendit  le  long  du  Gange;  le  18  et  le  19,  on  ne  dis- 
tinguait plus  là  qu'une  série  de  taches  blanches;  le  20,  cette  ombre  était 
encore  indécise,  mais  le  21  le  dédoublement  était  parfaitement  net,  tel 
que  je  l'observai  jusqu'au  23  février.  Le  dédoublement  de  l'Euphrate,  du 
canal  des  Titans  et  du  Pyriphlégéton  commença  également  sous  une 
forme  indécise  et  nébuleuse. 

Ces  dédoublements  ne  sont  pas  un  efl'et  d'optique  dépendant  de 
l'accroissement  du  pouvoir  visuel,  comme  il  arrive  dans  l'observation 


GEOGRAPHIE   DE   MARS 


des  étoiles  doubles,  et  ce  n'est  pas  non  plus  le  canal  lui-même  qui  se 
partage  en  deux  longitudinalement.  Voici  ce  qui  se  présente  :  A  droite  ou 
à  gauche  d'une  ligne  préexistante,  sans  que  rien  soit  changé  dans 
le  cours  et  la  position  de  cette  ligne,  on  voit  se  produire  une  autre 
ligne  égale  et  parallèle  à  la  première,  à  une  distance  variant  généra- 
lement de  6°  à  12°,  c'est-à-dire  de  350  à  700  kilomètres  (');  il  parait 
même  s'en  produire  de  plus  proches,  mais  le  télescope  n'est  pas  assez 
puissant  pour  permettre  de  les  distinguer  avec  certitude.  Leur  teinte 
paraît  être  celle  d'un  brun  roux  assez  foncé.  Le  parallélisme  est 
quelquefois  d'une  exactitude  rigoureuse.  Il  n'y  a  rien  d'analogue  dans 
la  Géographie  terrestre.  Tout  porte  à  croire  que  c'est  là  une  organi- 
sation spéciale  à  la  planète  Mars,  probablement  rattachée  au  cours  do 
ses  saisons. 

Voilà  les  faits  observés.  L'éloignement  de  la  planète  et  le  mauvais 
temps  empêchèrent  de  continuer  les  observations.  Il  est  difficile  de  se 
former  une  opinion  précise  sur  la  constitution  intrinsèque  de  cette  géo- 
graphie, assurément  fort  différente  de  celle  de  notre  monde.  Si  le  phéno- 
mène est  réellement  lié  aux  saisons  de  Mars.  Tout  instrument 
capable  de  faire  voir  sur  un  fond  clair  une  ligne  noire  de  0",2  de  largeur 
et  de  séparer  l'une  de  l'autre  deux  lignes  comme  celle-là,  écartées  de  0",5, 
pourra  être  employé  à  ces  observations. 

Dans  l'élat  actuel  des  choses,  il  serait  prématuré  d'émettre  des  con- 
jectures sur  la  nature  de  ces  canaux.  Quant  à  leur  existence,  je  n'ai  pas 
besoin  de  déclarer  que  j'ai  pris  toutes  les  précautions  commandées  pour 
éviter  tout  soupçon  d'illusion  :  je  suis  absolument  sûr  de  ce  que  j'ai 
observé. 

(')  Quels  sont  les  objets  les  plus  petits  que,  dans  l'état  actuel  de  l'Optique,  nous  puis- 
sions apercevoir  à  la  surface  de  Mars?  C'est  là  une  intéressante  question,  que  les  obser- 
vations de  M.  Schiapai-elli  viennent  en  partie  de  résoudre.  Sa  lunette,  dont  l'objectif 
mesure  0",2i8  de  diamètre,  armée  d'oculaires  grossissant  l'un  322  fois,  l'autre  4G8  foi^, 
et  dont  la  longueur  est  de  3", 25,  lui  a  permis  de  distinguer  :  t"  des  taches  lumineuses 
iur  fond  obscur  et  des  taches  obscures  sur  fond  lumineux,  mesurant  une  demi-seconde; 
2»  des  lignes  lumineuses  sur  fond  obscur  mesurant  seulement  un  quart  de  seconde; 
3°  des  lignes  obscures  sur  fond  lumineux  mesurant  également  un  quart  de  seconde.  11 
en  résulte  que,  dans  d'excellentes  conditions  atmosphériques,  on  distingue  des  taches 
dont  le  diamètre  n'est  que  le  cinquantième  de  celui  de  la  pkinète,  c'est-à-dire  de  137""  : 
la  Sicile,  les  grands  lacs  de  r.\frique  centrale,  l'île  Ceylan,  l'Islande  y  seraient  visibles. 
Semblablement,  une  ligne  dont  la  largeur  ne  serait  que  le  centième  de  celle  de  la  pla- 
nète, ou  de  70'",  y  serait  perceptible  ;  on  y  distinguerait  donc  :  l'Italie,  l'Adriatique,  la 
mer  Rouge,  etc.  Le  grand  équatorial  de  Washington  doit  montrer  des  détails  trois  fois 
plus  petits,  larges  d  44'"  et  de  24'".  Au  lieu  de  continuer  le  duel  avec  les  canons  de 
80  tonnes,  de  100  tonnes,  de  150  tonnes  et  les  plaques  blindées,  ne  serait-on  pas  mieux 
inspiré  de  suspendre  un  instant  cette  pure  perte  de  centaines  de  millions  payés  par  les 
contribuables,  et  d'en  consacrer  la  centième  partie  à  des  essais  capables  de  nous  ouvrir 
les  divins  secrets  de  la  nature  ? 


CËOCiîAI'HIK   Dli   MAliS 


Ainsi  parle  1p  savant  astronome  italien.  Considérons  nous-mêmes 
avec  attention  tct  étrange  réseau.  Assurément,  plus  nous  l'exami- 
nons, plus  il  nous  paraît  bizarre,  moins  il  nous  semble  naturel.  Ces 
((  canaux  »  nous  mettent,  à  vrai  dire,  dans  un  tel  embarras  pour 
être  expliqués,  n(ni  seulement  par  leur  aspect  individuel,  mais  en- 


Fig.  31.  —  Le  lover  du  solei!  sur  les  canaux  do  M:ir;. 


core  à  cause  des  différences  qu'ils  présentent  avec  la  carte  géogra- 
phique de  Mars  publiée  plus  haut,  que  le  plus  simple,  avouons-le 
franchement,  serait  de  rejeter  au  chapitre  des  illusions  d'optique 
ce  qu'ils  offrent  d'anormal  et  d'embarrassant.  Mais  c'est  assez  diffi- 
cile. M.  Scliiaparelli  n'est  pas  le  premier  venu;  c'est  un  astronome 
de  valeur,  depuis  longtemps  c(>lébre  par  sa  découverte  de  la  théorie 
cométaire  des  étoiles  filantes  et  par  d'autres  travaux.  On  a  remar- 


TEP.r.ES   DU    CIEL 


GEOGRAPHIE   DE  MARS 


que,  il  est  vrai,  que  les  astronomes  mathématiciens  sont  assez  sou- 
vent mauvais  observateurs.  Mais  tel  n'est  pas  le  cas  ici,  car  le  directeur 
de  l'Observatoire  de  Milan  a  fait  de  bonnes  observations  de  Saturne  ; 
ses  mesures  d'étoiles  doubles  sont  exactes  et  précises  ;  de  plus,  la 
carte  de  Mars  elle-même  lui  doit  un  grand  progrès  :  il  est  parvenu  à 
tiaire,  pour  la  première  fois,  une  véritable  triangulation  de  la  planète 
et  à  fixer  la  position  géographique  de  1 14  points  de  la  surface,  déter- 
minés d'après  un  ensemble  de  mesures  micromètriques  s'élevan  '. 
au  chiffre  de  482.  C'est  là  une  œuvre  capitale.  Ajoutons  encore 
que  M.  Schiaparelli  n'est  pas  un  homme  d'imagination  ;  au  con- 
traire. 

On  peut  objecter  que  si  l'astronome  italien  a  bien  vu,  si  tout  cela 
est  exact,  il  est  assez  singulier  que  personne  avant  lui  n'ait  aperçu 
ces  canaux,  même  en  observant  la  planète  à  l'aide  d'instruments 
plus  puissants  que  ceux  de  l'Observatoire  de  Milan.  Voici  quelques 
réponses  à  cette  objection  : 

1°  L'équatorial  de  Milan  est  un  instrument  excellent,  dont  les  qualités 
optiques  sont  depuis  longtemps  reconnues;  quoiqu'il  ne  soit  que  d'^ 
moyenne  taille  (0™,  216),  il  est  supérieur  à  beaucoup  d'instruments  plus 
gigantesques;  on  sait  d'ailleurs  que  pour  la  netteté  des  images  danj 
l'observation  des  planètes,  ce  ne  sont  pas  les  plus  grands  instruments  qui 
ont  donné  les  meilleurs  résultats. 

2°  Le  climat  de  Milan  est  particulièrement  favorable  aux  observations 
astronomiques;  son  atmosphère  est  pure,  calme,  et  d'une  température 
homogène. 

3°  L'hiver  de  1881-82  a  été  exceptionnel  pour  la  beauté  du  ciel;  tout  le 
monde  en  a  été  frappé  à  Nice  et  dans  le  Midi. 

4*  M.  Schiaparelli  a  mis  dans  ses  observations  une  persévérance  en 
rapport  avec  les  résultats  obtenus. 

Toutes  ces  circonstances  réunies  nous  portent  à  croire  que  ces 
nouvelles  observations  ne  sont  pas  imaginaires.  Sans  doute,  pour 
certains  détails,  et  notamment  pour  le  doublement  des  canaux, 
il  convient  d'attendre  une  vérification  lors  du  prochain  retour  de 
Mars.  Mais  quant  aux  principaux  canaux  eux-mêmes,  observés 
et  mesurés,  il  est  difficile  de  nier  leur  existence.  D'ailleurs,  leur 
position  s'accorde  avec  certains  tracés  antérieurs  dus  à  d'autres 
observateurs.   Ainsi  l'Hydaspe  et  l'Agathodémon  ont  été  vus  par 


GEOGRAPHIE   DE   MARS 


Dawes;  le  Gange  est  reconnaissable  sur  les  dessins  de  Secchi,  etc. 
Nous  nous  trouvons  donc  ici  en  présence  d'une  situation  assurément 
bizarre.  D'une  part,  il  est  probable  que  la  carte  de  M.  Schiaparelli 
est  exacte,  au  moins  dans  son  canevas  fondamental.  D'autre  part, 
on  se  demande  comment  la  nature  seule  aurait  pu  dessiner  ces 
lignes  droites  ou  légèrement  courbes  qui  semblent  destinées  à  mettre 
en  communication  toutes  les  régions  de  la  planète  entre  elles. 

L'hypothèse  d'une  origine  intelligente  de  ces  tracés  se  présente 
d'elle-même  à  notre  esprit,  sans  que  nous  puissions  nous  y  opposer. 
Quelque  téméraire  qu'elle  soit,  nous  sommes  forcés  de  la  prendre 
en  considération.  Tout  aussitôt,  il  est  vrai,  les  objections  abondent. 
Est-il  vraisemblable  que  les  habitants  d'ane  planète  construisent 
des  œuvres  aussi  gigantesques  que  celles-là?  Des  canaux  de  cent 
kilomètres  de  largeur?  Y  pense-t-on?  et  dans  quel  but? 

Eh  bien  (circonstance  assez  curieuse),  dans  Vhypotlièse  d'une 
origine  humaine  de  ces  tracés,  on  pourrait  en  trouver  l'explication 
dans  l'état  de  la  planète  elle-même.  D'une  part,  les  matériaux  sont 
beaucoup  moins  lourds  sur  cette  planète  que  sur  la  nôtre.  D'autre 
part,  la  théorie  cosmogonique  donne  à  ce  monde  voisin  un  âge 
beaucoup  plus  ancien  que  celui  du  globe  où  nous  vivons.  Il  est 
naturel  d'en  conclure  qu'il  a  été  habité  plus  tôt  que  la  Terre,  et 
que  son  humanité,  quelle  qu'elle  soit,  doit  être  plus  avancée  que 
la  nôtre.  Tandis  que  le  percement  des  Alpes,  l'isthme  de  Suez, 
l'isthme  de  Panama,  le  tunnel  sous-marin  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre paraissent  des  entreprises  colossales  à  la  science  et  à  l'in- 
dustrie de  notre  époque,  ce  ne  seront  plus  là  que  des  jeux  d'enfants 
pour  l'humanité  de  l'avenir.  Lorsqu'on  songe  aux  progrès  réalisés 
dans  notre  seul  dix-neuvième  siècle,  chemins  de  fer,  télégraphes, 
applications  de  l'électricité,  photographie,  téléphone,  etc.,  on  se 
demande  quel  serait  notre  éblouissement  si  nous  pouvions  voir  d'ici 
les  progrès  matériels  et  sociaux  que  le  vingtième,  le  vingt  et  unième 
siècle  et  leurs  successeurs  réservent  à  l'humanité  de  l'avenir.  L'es- 
prit le  moins  optimiste  prévoit  le  jour  où  la  navigation  aérienne 
sera  le  mode  ordinaire  de  circulation;  où  les  prétendues  frontières 
des  peuples  seront  effacées  pour  toujours;  où  l'hydre  infâme  de  la 
guerre  et  l'inqualifiable  folie  des  armées  permanentes  seront  anéan- 
ties devant  l'essor  glorieux  de  l'humanité  pensante  dans  la  lumière 


GEOGRAPHIE   DE   MARS 


et  dans  la  liberté  !  N'est-il  pas  logique  d'admettre  que,  plus  ancienne 
que  nous,  l'humanité  de  Mars  est  aussi  plus  perfectionnée,  et  que 
dans  l'unité  féconde  des  peuples,  les  travaux  de  la  paix  ont  pu 
atteindre  des  développements  considérables? 

Nous  ignorons  ce  que  peuvent  être  ces  longs  tracés  sombres  à 
travers  les  continents,  si  toute  leur  épaisseur  est  homogène,  et  rien 
ne  nous  prouve  assurément  que  ce  soient  là  des  canaux  pleins  d'eau. 
On  peut  faire  là-dessus  mille  conjectures.  Mon  ami  M.  Courbebaisse 
ne  serait  pas  éloigné  d'y  voir  des  travaux  de  drainage  des  eaux  deve- 
nues rares  sur  la  planète;  M.  Considérant,  le  vieux  phalanstérien,  y 
reconnaîtrait  de  préférence  une  sorte  de  cadastre  de  cultures  collec- 
tives sur  un  globe  «  arrivé  à  la  période  d'harmonie  »;  M.  Proctor^ 
l'astronome  anglais,  traitant  ce  même  sujet  dans  un  intéressant 
article  du  Times,  suggère  l'idée  que  «  les  habitants  de  Mars  doivent 
être  engagés  en  de  vastes  travaux  d'ingénieurs,  attendu  que  ces 
lignes  sont  tracées  dans  toutes  les  directions  et  gardent  entre  elles 
une  distance  constante  et  significative»  ;  à  la  séance  de  la  Société 
Royale  astronomique  de  Londres  du  14  avril  1882  ('),  M.  Green, 
l'habile  observateur  de  Mars,  signalant  cette  interprétation  de 
M.  Proctor,  ajoute  qu'il  n'a  aucunement  l'intention  d'introduire  un 
sujet  de  plaisanterie  dans  une  matière  scientifique  aussi  importante, 
mais  que  de  tels  aspects  géographiques  méritent  la  plus  grave  atten- 
tion et  qu'il  est  du  plus  haut  intérêt  de  les  vérifier;  M.  Maunder,  de 
l'Observatoire  de  Greenwich,  a  fait  remarquer  que  ce  qu'il  y  a  de 
plus  étrange,  c'est  que  ces  canaux  paraissent  changer  de  place  et 
sont  tantôt  visibles  et  tantôt  invisibles;  pour  plusieurs  observateurs, 
ce  ne  seraient  pas  des  canaux  proprement  dits,  mais  plutôt  des  bor- 
dures de  districts  plus  ou  moins  foncés  ;  les  dessins  de  Mars  obtenus 
à  Greenwich  pendant  l'opposition  de  1881  concordent  mieux  avec 
ceux  de  Milan  de  1879  qu'avec  ceux  de  1881;  sans  doute  la  diffé- 
rence est-elle  due  à  l'atmosphère,  qui  n'aura  pas  permis  de  distin- 
guer en  Angleterre  les  détails  observés  en  Italie.  Quant  aux  double- 
ments des  canaux  arrivés  sous  les  yeux  de  M.  Schiaparelli,  si  cet 
effet  n'est  pas  dû  à  l'objectif  de  sa  lunette  (et  vraiment,  tout  en  la 
signalant  comme  possible,  nous  ne  pouvons  regarder  cette  illusion 


(')  Voir  The  Observalory,  inay  1882,  p.  13S. 


CËOGRAPIIIE    DE   MARS 


comme  probable  de  sa  part),  il  faut  avouer  qu'un  tel  phénomène  est 
bien  fait  pour  nous  surprendre  et  nous  confondre. 

Quelle  que  soit  l'hypothèse  vers  laquelle  on  penche,  origine  natu- 
relle ou  origine  industrielle  de  ces  canaux,  leur  existence  n'en  con- 
stitue pas  moins  un  problème  du  plus  haut  intérêt,  et  l'un  des  plus 
singuliers  sujets  d'études  que  l'astronomie  physique  nous  ait  encore 
offert.  Assurément,  ce  doit  être  là  un  fort  curieux  spectacle  à  voir  du 
haut  d'un  ballon  ou  du  haut  d'une  montagne  escarpée,  surtout  au 
lever  ou  au  coucher  du  soleil,  lorsque  la  lumière  éblouissante  du  dieu 
du  jour  vient  embraser  toutes  ces  eaux  de  reflets  d'or  ou  de  pourpre... 
Quels  yeux  contemplent  ces  scènes?  quels  peintres  les  reproduisent? 
quelles  âmes  rêvent  devant  ces  lumineuses  et  sereines  splendeurs? 

Nous  ne  nous  attarderons  pas  plus  longtemps  en  ce  moment  dans 
ces  curieux  et  mystérieux  détails  de  la  géographie  de  Mars.  L'impor- 
tant pour  nous  était  de  nous  en  former  d'abord  une  idée  générale, 
afin  de  prendre  immédiatement  possession,  dans  notre  esprit,  de 
cette  planète  considérée  comme  «  terre  du  ciel  ».  Remarquons,  à  ce 
propos,  que,  depuis  le  commencement  du  monde,  depuis  l'origine  de 
l'humanité  terrestre,  c'est  pour  la  première  fois  que  l'esprit  humain 
se  met  en  rapport  direct  avec  un  autre  monde,  pour  la  première  fois 
qu'il  nous  a  été  possible  de  construire  une  carte  géographique  d'une 
planète  étrangère  à  la  nôtre,  mais  assez  analogue  pour  nous  inviter 
à  conclure  qu'elle  est  actuellement  habitée  par  une  race  intelli- 
gente peu  différente  de  la  nôtre.  La  science,  la  philosophie,  font  en 
ce  moment  un  pas  considérable  en  avant  de  tout  ce  qui  a  été  fait  jus- 
qu'ici dans  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines,  un  pro- 
grés gigantesque,  calme,  tranquille,  pacifique,  dont  nous  n'appré- 
cions pas  encore  nous-mêmes  la  portée,  mais  qui  transformera  la 
face  des  choses.  Révolution  intellectuelle  plus  profonde  que  toutes 
celles  du  sabre  et  du  canon.  C'est  seulement  à  dater  d'aujourd'hui 
que  nous  pouvons  vraiment  nous  sentir  citovexs  du  ciel.  Le 
XX"  siècle  sera  le  premier  siècle  de  la  vraie  philosophie  —  si 
l'humanité  continue  de  marcher  en  avant  et  de  suivre  la  devise  de 
la  Science  :  Excelsior  ! 

Mais  revenons  à  l'étude  astronomique  de  Mars. 


CHAPITRE  IV 


Aspect  de  Mars  à  l'œil  nu. 

Sa  coloration  rouge.  —  Idées  des  anciens  sur  la  planète. 

Astrologie  et  histoire.  —  Mouvement  de  Mars  autour  du  Soleil. 

Phases.  —  Volume.  —  Densité. 

Nous  nous  sommes  laissés  eaiporttn-  un  peu  rapidement,  dans 
les  descriptions  précédentes,  par  l'intérêt  et  par  la  nouveauté  du 
sujet;  nous  avons  pu  nous  croire  un  instant  envolés  au-dessus  des 
méditerranées  et  des  lacs  de  cette  patrie  voisine;  nous  avons  cru 
assister  h  la  formation  des  nuages  qui  viennent  couronner  ses  mon- 
tagnes, contempler  ses  îles  et  ses  rivages,  naviguer  sur  ses  canaux 
énigmatiques.  Bientôt  nous  pénétrerons  davantage  encore  dans  la 
connaissance  de  ce  nouveau  monde,  nous  nous  rendrons  compte  des 
aspects  particuliers  de  sa  surface,  nous  admirerons  les  phénomènes 
météorologiques  de  son  ciel,  les  splendeurs  des  couchers  de  soleil  sur 
ses  montagnes  alpestres  et  l'étrange  spectacle  de  ses  deux  lunes  cou- 
rant ou  planant  dans  son  ciel  en  produisant  des  éclipses  aussi  bizarres 
que  multipliées.  Mais  avant  de  nous  répandre  dans  les  mille  détails  pit- 
toresques de  la  découverte  d'un  nouveau  monde,  il  importe  poui' 
nous  de  posséder  d'abord  la  planète  au  point  de  vue  de  sa  description 
astronomique.  Nous  devons  donc  sans  tarder  reprendre  l'étude  de 
cette  quatrième  province  du  système  solaire,  apprendre  à  la  recon- 
naître nous-mêmes  dans  le  ciel,  à  la  trouvera  l'œil  nu,  à  l'observer 


ASPECT    DE  MARS   A   L'OEIL   NO 


à  l'aide  des  instruments  qui  peuvent  être  à  notre  disposition,  à  nous 
rendre  compte  de  sa  position  dans  l'espace  et  de  sa  marche  autour 
du  Soleil  ;  en  un  mot,  nous  devons  en  prendre  d'abord  complète- 
ment possession  au  point  devue  uranographique. 

A  l'œil  nu,  la  planète  Mars  brille  dans  le  ciel  comme  une  étoile  do. 
première  grandeur.  Elle  se  distingue  particulièrement  par  son  éclat 
rouge  et  dans  tous  les  temps  elle  a  été  remarquée  pour  cette  colora- 
tion (').  Le  nom  qu'elle  portait  chez  les  Hébreux  signifie  embrasé. 
Chez  les  Égyptiens  de  la  XIX^  dynastie,  aux  temps  pharaoniques,  elle 
est  nommée  Har-tesch  et  Armachis,  avec  le  signe  de  la  rétrogradation, 
qui  caractérise  son  mouvement,  et  dans  le  Zodiaque  de  Dendérah, 
qui  date  de  l'époque  romaine,  on  l'appelle  Horus  le  rouge.  Chez 
les  Grecs,  Mars,  qui  s'appelait  aussi  Ap/,;  et  Hercule,  avait  pour  épi- 
théte  habituelle  TropÔEi;,  ou  twcawc^escen^.  Chez  les  Chinois,  il  portait 
le  nom  de  Tch'i-Sing  {la  planète  rouge)  et  de  Young-houo  [lueur 
vacillante).  Chez  les  Indiens,  il  était  nommé  Angaraka  {charbon 
ardent),  et  se  nommait  aussi  Lohitanga  [le  corps  rouge).  C'est,  sans 
aucun  doute  possible,  cette  coloration  rouge  qui  a  fait  appeler  Mars 
le  dieu  du  sang  et  des  combats,  à  l'époque  primitive  où  l'on  croyait 
que  les  destinées  humaines  étaient  réglées  par  les  astres.  Aussi  a-t-il 
toujours  personnifié  le  dieu  de  la  guerre  dans  les  mythologies  an- 
ciennes, et  le  signe  j*  sous  lequel  nous  continuons  de  le  représenter 
doit-il  être  un  vestige  de  l'union  de  la  lance  et  du  bouclier. 

Dans  tous  les  siècles,  les  peintres  et  les  sculpteurs  ont  représenté 
cette  planète  avec  les  attributs  du  combat,  suivant  en  cela  les 
antiques  traditions  de  la  poésie.  L'une  des  dernières  représentations 
classiques  du  dieu  guerrier,  et  en  même  temps  l'une  des  plus  belle^, 
est  assurément  celle  que  nous  reproduisons  ici  (/î//.  32),  due  au  crayon 
de  Raphaël,  qui  a  voulu  rappeler  en  môme  temps  les  influences  astro- 
logiques de  la  planète.  Ce  tableau  peut  être  placé  en  regard  de  celui 
du  Soleil,  du  divin  Apollon  lançant  ses  flèches  d'or  dans  l'espace. 


(')  Lorsque  les  Grecs  et  les  Romains  voulaient  parler  d'une  étoile  rougeâtre,  ils  pre- 
naient toujours  Mars  pour  point  de  comparaison.  Aujourd'hui  encore,  cet  astre  est  le 
plus  rouge  de  tous  ceux  que  l'on  voit  à  l'œil  nu.  (Il  y  a  des  étoiles  télescopiques  qui 
sont  d'un  rouge  sang.)  Le  nom  de  l'étoile  rougeàlre  Anlarès  a  lui-môme  Mars  pour 
origme  :  avt-SîT)?,  rivale  de  Mars.  —  Depuis  plusieurs  milliers  d'années  donc,  le  carac- 
tère particulier  de  la  lumière  que  cette  planète  nous  réQéchit  n'a  pas  été  altéré. 


IDKES   l)i;s   ANCIENS    SlMt    MARS 


Dans  l'ancienne  astrologie,  Mars  était  associé  aux  deux  constella- 
tions zodiacales  du  Scorpion  et  du  Bélier,  et  l'on  combinait  les  pré- 

Fig.  3-2. 


Sll^-l>rl„^u  ,r^ 


JPia/s 

ScoijyÙLf^  j?7//i//.f  pnncipaïur  ,Ancj 

tendues  influences  de  ces  signes  avec  les  siennes  propres  pour  tirer 
les  horoscopes  et  calculer  les  destinées.  Nous  avons  sur  ce  point  de 


IDKKS    DKS    ANCIENS    S  i;  F!    .M  A  11  S 


fort  ancions  documents,  oiitn>  antn^s  uno  série  do  médailles  do  l'oin- 
poreiir  Antunin,  t'rappéos  on  Égyi)t,o  l'an  Ii5  do  notre  ère,  précisé- 


c^ianeéanim.  meaius  e/  maaumus-  COcjnUùr  ^lis  À  en 

mont  ;i  l'époqne  où  Ptoléméo  rédigciit  V.lh/inf/r>ifp.Coii  médailles 
sont  actuellement  à  Paris,  à  la  Bililiothéquc  nationale;  elles  repré- 

TEflRES   DC  CIEI.  lO 


ASTRONOMIE    ET    ASTKULOIJIE 


sentent  (Voy.  ftg.  34)  l'empereur  Antonin,  —  la  Lune  sui'  le  Scor- 
pion—  le  Soleil  sur  le  Lion —  Mercure  et  la  Vierge —  Vénus  et  la 
Balance  —  Mars  et  le  Scorpion  —  Jupiter  et  le  Sagitaire  —  Saturne 


Fig.  ai.  —  Méilaillc^  plunùtaires  frappées  en  Égj'ple  sous  TompeiTur  Antonin. 


associé  au  Capricorne  et  au  Verseau  —  Jupiter  sur  les  Poissons  — 
Vénus  sur  le  Taureau.  Une  dernière  résume  ces  combinaisons  en  un 
même  tableau. 


ASTIIONOMIE   ET  ASTROLOGIE 


A  cette  époque,  en  Egypte,  l'astrologie  faisait  partie  intégrante  de 
la  religion.  Nous  aurons  lieu,  plus  tard,  de  revenir  sur  cet  intéressant 
sujet  historique. 

Florissante  aux  premiers  siècles  de  notre  ère,  l'astrologie  était 
encore  en  grande  faveur  à  la  cour  de  France  sous  les  Médicis,  et 
mènie  sous  Louis  Xl\,  Gassini  y  croyait  encore.  A  la  naissance  du 


a4-«.44 


■    -> 


Scpteoibris 
D.  H.  M. 

425    11.  T. A. vero. 
2)    15.  ïftimato. 
Latitudo  49. 
Ex^TabulisB-udoJph. 


.it 


Laticudiaes 

0.  j7  M.D 
0.   ss  S.  D 

}.   20  M.D 

9 

0-  1}  M.A 

5 

0.  47  S.  D 

z.  i&  M.D 

Fig.  35.  —  Uoroscopo  Ju  Louis  XIV  lii'i;  le  jour  do  sa  uaissancu. 

roi,  Anne  d'Autriche  avait  fait  venir  l'astrologue  Morin  pour  tirer 
l'horoscope  du  nouveau-né.  Morin  parait  convaincu  de  sa  science  ('). 
11  donne  lui-même  dans  son  livre  l'horoscope  du  roi,  reproduit 
ici,  l'ail  à  Saint-Germain,  le  -4  septembre  1638,  à  SS'lo""  (c'est-à-dire 
le  ô  a  1  liô™)  et  raconte  qu'il  le  remit  au  cardinal  de  Richelieu,  que 
l'enfant  a  eu  deux  maladies,  uu  érésipéle,  le  l'2  mars  1644,  et  la 

(')  J"ai  (lo  lui,  dans  ma  bibliothèque,  un  (■norme  in-folio  de  78*  pages  sur  deux 
colonnes,  tout  entier  consacré  à  l'Astrologie,  bourré  d'Iioroscopes  de  grands  person- 
nages, de  villes  et  de  provinces,  et  dédié  à....  JÉsis-CnniST  en  personne  :  Aslrologia 
yallica,  La  Haye,  16G1.  Pour  l'auteur,  la  Terre  est  fixe  au  centn;  du  monde  et  les  astres 
régissent  toutes  les  actions  humaines.  Morin  était  un  médecin  renommé.  11  se  basait 
sur  les  positions  des  planètes  pour  soigner  ses  malades,  lesquels  ne  s'en  portaient 
pas  plus  mal. 


ASTRONOMIE  ET  ASTKOLOCIE 


petite  vérole  le  11  novembre  1647,  mais  que  l'influence  de  Jupiter  a 
déjoué  celle  de  Saturne  et  de  la  Lune.  C'est  là  le  dernier  livre  écrit 
sur  l'Astrologie.  Pourtant  nous  trouvons  encore  plus  tard  dans  un 
ouvrage  dédié  au  roi  (')  les  influences  planétaires  exposées,  et  notam- 
ment celle  de  Mars  avec  la  figure  ci-contre  représentant  un  siège  en 
règle,  au-dessus  duquel  plane  la  planète,  la  vraie,  telle  qu'on  l'obser- 
vait déjà  au  télescope. 

On  trouve  des  traces  de  la  connaissance  de  la  planète  Mars  aux 
plus  anciennes  époque  de  l'histoire.  Nous  pouvons  conjecturer 
qu'elle  a  été  la  troisième  distinguée  des  étoiles  fixes  par  les  pre- 
miers observateurs.  Vénus  et  Jupiter  ont  dû  être  remarquées  les 
deux  premières,  à  cause  de  leur  éclat  sans  rival. 

Les  annales  de  l'astronomie  ont  conservé  d'antiques  observations  de 
la  planète  Mars  ainsi  que  des  plus  brillantes  planètes.  L'une  des  plus 
reculées  est  assurément  la  curieuse  remarque  consignée  par  les  Chi- 
nois, que  sous  le  règne  de  l'empereur  Chuen-Kuh  (petit-fils  de  l'em- 
pereur H\vang-Te  (Hoang-Ti),  le  premier  jour  de  la  première  lune 
du  printemps,  on  vit  les  planètes  Mars,  Jupiter,  Saturne  et  Mercure 
réunies  auprès  de  la  Lune  dans  la  constellation  Shih,  qui  correspond 
au  Verseau  et  aux  Poissons.  Cet  empereur  a  régné  78  ans,  de  l'année 
2513  à  l'année  2436  avant  notre  ère,  et  la  conjonction  a  eu  lieu 
vers  l'an  2441.  Voilà  donc  une  observation  de  planètes  qui  date  de 
plus  de  quatre  mille  trois  cents  ans.  C'est,  pour  notre  science,  un 
titre  de  noblesse  bien  antérieur  aux  croisades.  Aucun  quartier 
héraldique  ne  peut  soutenir  de  comparaison  avec  ceux-là. 

Et  pourtant,  ce  n'est  pas  le  plus  ancien,  car  l'établissement  du 
calendrier  dont  se  servent  encore  actuellement  les  habitants  du 
céleste  empire  remonte  encore  plus  haut  dans  la  nuit  des  temps. 
Ce  système  de  chronologie  se  compose  de  cycles  de  60  ans.  On  est 
entré  en  1864  dans  le  76°  cycle.  La  première  année  de  cette  série 
est  donc:  75x60(^=4500)  —  1863,  et  remonte  par  conséquent  à  l'an 
2637  avant  notre  ère.  Cette  année  a,  du  reste,  un  caractère  parfai- 
tement historique,  car  elle  est  la  60°  du  règne  de  l'empereur 
Hwang-Te,  monté  sur  le  trône  l'an  2698  avant  notre  ère.  Ce  prince 
lettré  est  regardé  par  les  Chinois  comme  ayant  découvert  le  cycle 

('}  Description  de  l'Univers,  par  AUain  Manesson  Mallet.  Paris,  160^', 


ASTlUINd.MIt:    KT    ASTROLOf.lE 


lunaire  de   19  ans  qui  ramène  les  éclipses  dans  le  mèuio  ordre, 
cycle  redécouvert  deux   iiiillr   ans  plus  tard  par  Méton   chez    les 


Pig.  3C.  —  La  planète  Mars  et  les  batailles. 
(Figure  de  l'an  1693). 


Grecs  et  exposé  à  la  Grèce  assemblée  lors  des  jeux  olympiques 
(l'an  -'i;{3  av.  J.-C).  Les  Athéniens  inscrivirent  en  lettres  d'or  h; 
cycle   di;   Méton  sur  les  monuments   publics  ;  c'est   de  là  que  le 


L'ASTRONOMIE   IL  Y   A   QUARANTE  SIÈCLES 


numéro  de  l'année  du  cycle  prit  le  nom  de  Nombre  d'or,  qu'il 
porte  encore  aujourd'hui  dans  nos  almanachs. 

Nous  possédons  encore,  sur  la  planète  Mars  et  sur  ses  compagnes 
des  A^estiges  d'observations  presque  aussi  anciennes,  mais  provenant 
d'une  contrée  bien  différente  de  la  Chine. 

11  y  a  un  certain  nombre  d'années  déjà,  en  1845,  M.  Layard, 
descendant  d'une  famille  française  protestante  chassée  de  France 
par  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  découvrit  sur  la  rive  gau- 
che du  Tigre,  à  l'est  de  Nemroud,  de  curieuses  ruines  de  l'ancienne 
Ninive  qu'il  recueillit  avec  soins  et  fit  transporter  en  Angleterre,  sa 
seconde  patrie.  Ce  savant  retrouva,  dans  la  région  du  Palais-Royal 
de  Ninive  appelée  des  habitants  actuels  Koyoundijk,  —  bâtie  sous 
le  règne  d'Assourbanipal,  le  dernier  des  conquérants  Assyriens, 
—  la  salle  des  archives  et  la  bibliothèque.  Cette  bibliothèque,  bien 
singulière  pour  nos  idées  et  nos  habitudes,  se  composait  exclu- 
sivement de  tablettes  plates  et  carrées,  en  terre  cuite,  portant  sur 
l'une  et  l'autre  de  leurs  deux  faces  une  page  d'écriture  cunéiforme 
cursive,  très  fine  et  très  serrée,  tracée  sur  l'argile  encore  fraîche, 
avant  sa  cuisson.  Chacune  était  numérotée,  et  formait  le  feuillet 
d'un  livre  dont  l'ensemble  était  constitué  par  la  réunion  d'une  série 
de  tablettes  pareilles,  sans  doute  empilées  les  unes  sur  les  autres 
dans  une  même  case  de  la  bibliothèque.  Les  Babyloniens  et  les 
Assyriens  n'avaient  pas,  du  reste,  d'autres  livres  que  ces  «  coctiles 
laterculi  »,  comme  les  appelle  Pline.  Ils  ne  traçaient  les  signes  de 
leur  écriture  ni  à  l'encre,  ni  avec  le  calame  ou  le  pinceau,  sur  le 
papyrus,  des  peaux  préparées  ou  des  bandelettes  de  toile,  ni  à  la 
pointe  sèche,  sur  des  planchettes,  des  feuilles  de  palmier  ou  des 
écorces  d'arbres.  Faute  d'autres  ressources  facilement  à  leur  portée, 
ils  les  dessinaient  en  creux  sur  des  briques  d'argile  qu'ils  faisaient 
cuire  ensuite  pour  les  conserver.  De  là  l'apparence  de  leur  écriture  ; 
car  l'élément  tout  particulier,  qui  produit  l'aspect  original  des  écri- 
tures cunéiformes  et  y  devient  le  générateur  de  toutes  les  figures, 
le  trait  en  forme  de  coin  ou  de  clou,  n'est  autre  que  le  sillon  tracé 
dans  l'argile  par  le  style  en  biseau  dont  on  se  servait  pour  cet 
usage,  et  dont  on  a  trouvé  de  nombreux  échantillons  dans  les  ruines 
de  Ninive.  Ajoutons  que  cette  bibliothèque  publique  était  organisée 
à  peu  prés  comme  l'est  de  nos  jours  notre  bibliothèque  nationale  : 


L'ASTRONOMIE   IL   Y  A   QUARANTE   SltCLES 


on  a  môme  retrouvé  les  registres  où  les  visiteurs  inscrivaient  leur 
nom  et  leur  adresse...  Nil  sub  sole  novum  ! 

Les  fragments  de  tablettes  recueillis  parles  ouvriers  de  M.Layard, 
dans  la  salle  où  Assourbanipal  avait  établi  sa  bibliothèque,  montent 
à  près  de  dix  mille,  et  proviennent  d'ouvrages  qui  traitaient  des  sujets 
les  plus  différents  :  mythologie,  astronomie,  astrologie,  grammaire, 
histoire,  droit,  histoire  naturelle,  etc. 

Depuis  cette  époque,  plusieurs  savants  anglais,  notamment 
MM.  Smith,  Sayce  et  Bosanquet,  se  sont  occupés  de  déchiffrer  ces 
tablettes  et  d'en  dégager  la  valeur  scientifique.  Le  résultat  de 
leurs  travaux  est  que  ces  tablettes  sont  des  copies  faites  dans  le 
septième  siècle. avant  notre  ère,  par  ordre  d'Assourbanipal,  d'après 
un  exemplaire  original  très  ancien  qui  existait  dans  la  ville  d'Ou- 
rouk  en  Chaldèe  (l'Erech  du  chapitre  x  de  la  Genèse).  Cet  ori- 
ginal remontait  à  l'époque  du  premier  empire  de  Chaldée,  dix-sept 
siècles  au  moins  avant  notre  ère,  et  même  probablement  plus  haut  ; 
il  était  donc  fort  antérieur  à  Moïse.  Comme  il  est  écrit  en  langue 
accadienne,  il  doit  être  de  plus  de  deux  mille  ans  antérieur  à  notre 
ère.  On  peut  dire  en  thèse  générale  que  les  documents  écrits  en 
langue  accadienne  sont  antérieurs  au  XX''  siècle,  que  ceux 
écrits  en  langue  sémitique  sont  compris  entre  2000  et  1000  avant 
notre  ère,  et  que  la  période  assyrienne  proprement  dite,  occupe 
le  dernier  millénaire  avant  notre  ère.  Cette  antiquité  des  obser- 
vations babyloniennes  s'accorde  avec  les  observations  d'étoiles 
rapportées  dans  un  planisphère  de  la  même  époque,  dans  lequel 
la  position  de  Régulus,  de  Capella  et  de  la  constellation  du  Scor- 
pion correspondent  à  l'état  du  ciel  2120  ans  avant  notre  ère.  En 
ces  temps  reculés,  le  calendrier  babylonien  était  déjà  constitué  : 
il  était  lunaire  comme  le  calendrier  Israélite  ;  les  éclipses  de  lune 
arrivaient  vers  le  14  du  mois,  et  les  éclipses  de  soleil  vers  le  29.  ' 

Dans  ces  ruines  de  Ninive,  on  a  trouvé  entre  autres  un  ouvrage 
intitulé  :  les  Observations  de  Bel.  Cet  ouvrage,  divisé  en  LX  livres, 
était  resté  dans  les  ruines  du  palais  de  Sardanapale,  appartenait 
anciennement  à  la  bibliothèque  publique  de  cette  capitale,  et 
était  dédié  au  roi  Sargon,  d'Agané,  en  Babylonie.  Or,  l'un  des 
livres  de  cet  ouvrage  est  consacré  à  la  planète  Mars,  un  autre 
à  Vénus,  un  autre  à  l'étoile  polaire  (qui  était  alors  l'étoile  a  du 


L'ASTRONOMIE    IL  Y   A    QUARANTE    SIÈCLES 


Dragon),  etc.  Les  cinq  planètes  Mercure,  Vénus,  Mars,  Jupiter  et 
Saturne  étaient  connues  dès  cette  époque  ;  la  semaine  de  sept 
jours  consacrés  aux  sept  astres  [cinq  planètes,  plus  le  Soleil  et  la 
Lune  (')]  était  peut-être  déjà  en  usage  au  commencement  des  obser- 
vations assyriennes  et  accadiennes,  c'est-à-dire  vers  l'an  2500 
avant  notre  ère. 

Nous  possédons  aussi  des  observations  d'entrées  et  de  sorties  de  la 
planète  dans  les  signes  du  zodiaque  datant  de  la  XIX°  dynastie  des 
rois  d'Egypte.  Mais  la  plus  ancienne  mesure  de  position  de  Mars 
qui  nous  soit  parvenue  date  de  la  52*  année  qui  suivit  la  mort 
d'Alexandre  le  Conquérant  (486  de  l'ère  de  Nabonassar),  ou  de 
l'an  272  avant  notre  èi-e.  Le  17  janvier  (21  athir)  de  cette  année,  la 
planète  passa  tout  près  de  l'étoile  |3  du  Scorpion.  Cette  observa- 
tion nous  a  été  conservée  dans  VAlmageste  de  Ptolémée.  Le  cours 
de  Mars  était  connu  depuis  longtemps  à  cette  époque. 

Non  seulement  l'astronomie  est  la  première  et  la  plus  ancienne 
des  sciences,  non  seulement  elle  est  aujourd'luii  la  plus  importante 


(«)  Lundi,  Lunae  dies,         jour  de  la  Lune. 

Mardi,  Martis  dies,       jour  de  Mars. 

Mercuedi,  Mercuris  dies,  jour  de  Mercure. 

Jkudi,  Jovis  dies,  jour  de  Jupiter. 

Vendredi,  Veneris  dies,     jour  de  Venu*. 

Samedi,  Saturni  dies,     jour  de  Saturne. 

Dimanche,  dies  dominica,  jour  du  Seigneur  ou  Solis  dies  :  Sunday, 

Sonntag,  jour  du  Soleil. 

Les  signes  sous  lesquels  les  planètes  sont  représentées  datent  probablement  de  la 
fin  de  l'époque  romaine,  du  temps  où  l'astrologie  chaldéonne  florissait  dans  toute  son 
expansion.  Les  voici  : 

Le  Soleil  0  Mars       (f 

La  Lune    <ï  Vénus      $ 

Saturne     f)  Mercure  Ç 

Jupiter      ^ 

Les  deux  premiers,  un  disque  pour  le  Soleil  et  un  croissant  pour  la  Lune,  sont  très 
anciens  :  ils  sont  naturels  et  on  les  retrouve  dès  l'ancienne  astronomie  égyptienne.  Le 
signe  de  Saturne  est  la  faux  du  Temps;  celui  de  Jupiter  paraît  être  la  première  lettre 
de  son  nom  grec  Zeus;  celui  de  Mars  est  une  lance  attachée  à  un  bouclier;  celui  de 
Vénus,  qui  rappelle  la  croix  ansée  des  Égyptiens,  pourrait  bien  être  la  réunion  des 
attributs  de  la  fécondité  (un  petit  cercle  et  un  trait  droit),  mais  on  y  voit  aussi  un  miroir; 
celui  de  Mercure  a  certainement  pour  origine  un  caducée.  Ce  signe  est  gravé  sur  les 
médailles  de  l'empereur  Antonin  reproduites  plus  haut  (p.  74).  Dans  un  autre  ouvrage 
[Astronomie  populaire,  p.  548),  nos  lecteurs  ont  pu  remarquer  une  bague  romaine  sur 
laquelle  sont  gravés  les  signes  des  planètes.  Ainsi,  ces  signes  datent  de  l'époque  romaine. 


!M|iii>lelles.  iiiiiics  et  poussicrel  los  n.Wolulions  liuniaini's 
mais  les  c'toiles  sont  toiijouis  Ik, 

TElil'.ES  Df   CIKI.. 


«1 


L'ASTRONOMIE   ET    LHISTOIRE 


entre  toutes  et  la  plus  indispensable  à  connaître  pour  toute  instruc- 
tion qui  veut  être  sérieuse;  mais  encore  elle  a  servi  de  base  à  toutes 
les  anciennes  religions  :  la  charpente  du  Ciel  physique  a  été  néces- 
saire à  toute  construction  métaphysique,  et  les  planètes  en  particu 
lier  ont  été  découvertes,  implorées,  adorées  antérieurement  aux 
plus  anciennes  mythologies,  car  ce  sont  elles  qui  en  forment  les 
orincipaux  personnages. 

Oui,  cette  étoile  rouge  de  Mars  que  nos  yeux  peuvent  suivre 
actuellement  dans  le  ciel  (en  ce  moment,  août  1883,  elle  revient 
vers  nous,  se  lève  à  minuit  et  ajoute  son  ardente  lumière  à  celle  des 
étoiles  du  Taureau),  cette  planète  associée  par  nos  aïeux  au  destin  des 
batailles  a  été  l'objet  des  observations,  des  contemplations  de  nos 
prédécesseurs  sur  la  scène  du  monde,  à  une  époque  où  l'Assyrie, 
l'Egypte,  la  Chine  brillaient  au  plus  haut  degré  de  la  civilisation,  et 
c'est  sur  les  terrasses  élégantes  des  palais  antiques,  dans  les  jardins 
parfumés  des  bosquets  du  printemps,  devant  le  miroir  des  pièces 
d'eau  silencieuses  qui  reflètent  les  feux  de  la  voûte  céleste,  que  les 
admirateurs  du  ciel  contemplaient  les  beautés  du  firmament.  Du 
haut  des  terrasses  de  Babylone,  l'astronome  assyrien  observait  Mars 
il  y  a  quarante  siècles.  Ces  observatoires,  ces  palais,  ces  jardins  sus- 
pendus, ces  temples,  se  sont  écroulés.  Les  bibliothèques,  les  salles 
de  lecture,  les  lecteurs,  les  curieux,  les  passants  ont  été  ensevelis 
sous  les  décombres.  Les  yeux  qui  observaient  se  sont  fermés;  les 
corps  qui  agissaient  se  sont  couchés  pour  ne  plus  se  relever;  il  n'en 
reste  rien  :  chaque  molécule  de  ces  êtres,  astronomes,  pontifes, 
guerriers,  rois  et  esclaves,  princesses  et  courtisanes,  est  retournée  à 
la  terre  et  à  l^tmosphère;  tout  a  disparu,  et  ce  n'est  qu'au  prix 
i'extrêmes  difficultés  que  l'archéologue  de  nos  jours  parvient  à  ras- 
sembler quelques  lambeaux  des  splendeuis  ensevelies.  Oui,  lef> 
hommes  ont  disparu.  Squelettes,  ruines  et  poussière!  les  révolutions 
humaines  ont  tout  renversé;  mais  les  étoiles  sont  toujours  là,  im- 
muables, permanentes,  impérissables  symboles  de  la  Vérité.  Et  les 
hommes  d'aujourd'hui  sont  les  mômes  que  leurs  aïeux  de  quatre  mille 
ans.  Pour  un  sage,  mille  fous.  Pour  un  penseur,  mille  aveugles.  Ils 
continuent  de  vivre  sans  savoir  où  ils  sont.  Ils  continuent  d'adorer 
les  faux  dieux  fabriqués  par  eux-mêmes.  Ils  continuent  de  jouer 
aux  soldats  et  de  stériliser  leurs  forces  dans  la  brutale  sottise  des 


MOUVEMENT  DE  MARS  AUTOUR  DU  SOLEIL 


armées  permanentes.  Les  nations  les  plus  civilisées  de  la  fin  du  dix- 
neuvième  siècle  sont  juste  au  niveau  des  troupeaux  humains  du 
temps  de  Sésostris.  Mêmes  généraux  et  mêmes  députés.  Étrange 
planète! 

Au  surplus,  nous  avons  peut-être  tort  de  nous  en  étonner  et  d- 
jegretter  que  chaque  être  humain  ne  vive  dans  la  tranquille  et  char 
mante  contemplation  de  la  Vérité.  Puisque,  —  s'ils  le  voulaient,  — 
les  hommes  seraient  rationnels  dans  leurs  croyances,  indépendants, 
libres  et  heureux,  et  qu'ils  ne  le  veulent  pas,  c'est  qu'ils  préfèrent 
l'esclavage.  Laissons-les  donc  à  leurs  oripeaux,  et  pour  nous,  inté- 
ressons-nous à  l'étude  du  vrai,  et  vivons  doublement  par  le  bonheur 
de  penser. 

Les  traditions  humaines  nous  ont  fait  parcourir  un  instant  l'his- 
toire de  l'astronomie,  et,  à  propos  de  Mars,  nous  avons  pris  une  idée 
générale  des  anciennes  observations  planétaires.  Revenons  à  l'étude 
personnelle  de  la  planète. 

Nous  avons  déjà  vu  (p.  18)  qu'elle  circule  autour  du  Soleil  le 
long  d'une  orbite  tracée  à  la  distance  moyenne  de  56  millions  de 
lieues  du  centre  solaire,  que  l'orbite  de  la  Terre  est  à  la  distance 
moyenne  de  37  millions  de  lieues  du  môme  astre,  et  que  l'orbite  de 
Mars  entoure  celle  de  la  Terre  à  19  millions  de  lieues  de  distance, 
en  moyenne. 

Mars  emploie  687  jours  pour  accomplir  sa  révolution  autour  du 
Sobil,  suivant  une  orbite  elliptique  dont  voici  les  éléments  princi- 
paux : 

DISTANCES    EXTRÊMES    ET    MOYENNE    AU    SOLEIL 

La  Terre  étanl  1.     En  kilomètres.  En  lieues. 

Distance  périhélie 1,38-26       20'i520000      51130000 

Distance  moyenne 1,5237       225400000      563.50000 

Distance  aphéhe 1,6658      246280000      61570000 

La  variation  de  distance  est  considérable  et  atteint  près  du  cin- 
quième de  la  distance  moyenne  (l'excentricité  est  de  0,09326).  Man 
est  de  10  millions  de  lieues  plus  près  du  Soleil  au  périhélie  qu'à 
l'aphélie  ('). 

(')  La  connaissance  du  mouvement  de  Mars  est  due  à  l'infatigable  persévérance  de 
l'immortel  Kepler,  et  c'est  à  son  analyse  du  mouvement  de  cette  planète  que  nous 
devons  la  découverte  des  lois  qui  régissent  le  système  du  monde.  Si  l'orbite  de  Mars 


MOUVEMENT    I>  E    MARS   ADTOUR    DU   SOLEIL 


Le  développement  total  de  l'orbite  mesurant  350  millions  de 
lieues  et  étant  parcouru  en  687  jours,  ce  monde  vogue  à  raison  de 
plus  de  500000  lieues  par  jour,  ou  de  23850  mètres  par  seconde  :  il 
marche  donc  un  peu  moins  vite  que  la  Terre,  dont  la  vitesse  moyenne 
est  de  29500  métrés. 

La  translation  de  Mars  autour  du  Soleil  ne  s'accomplit  pas  tout  à 
fait  dans  le  même  plan  que  celle  de  la  Terre,  mais  sur  un  plan  incliné 
légèrement  de  1°  51'. 

Si  l'on  combine  le  mouvement  de  la  Terre  avec  celui  de  Mars,  on 
trouve  que  les  deux  globes  tournent  dans  le  même  sens  autour  du 
Soleil,  à  la  façon  des  aiguilles  d'un  cadran;  seulement  ici  c'est  la 
petite  aiguille  qui  tourne  le  plus  vite.  A  quels  moments  les  deux 
aiguilles  (les  deux  planètes)  se  rencontrent-elles  en  perspective?  à 
quelles  époques  Mars  et  la  Terre  se  trouvent-ils  sur  une  même  ligne 
relativement  au  Soleil?  Tous  les  779  jours  ou  tous  les  2  ans  49  jours. 

Nous  avons  déjà  rappelé  qu'une  planète  est  dite  en  opposition 
avec  nous  lorsqu'elle  passe  à  l'opposé  du  Soleil  relativement  à  nous, 
lorsqu'elle  se  trouve  sur  le  prolongement  d'une  ligne  menée  du 
Soleil  à  la  Terre.  Comme  on  a  divisé  la  circonférence  du  Ciel  en 
360°  de  longitude,  une  planète  est  en  opposition  avec  le  Soleil 
lorsque  sa  longitude  diffère  de  180°  avec  celle  du  Soleil,  en  conjonc- 
tion lorsqu'elle  se  trouve,  au  contraire,  du  côté  du  Soleil  et  à  la 
même  longitude  que  lui,  en  quadrature  lorsqu'elle  se  trouve  à 
angle  droit  avec  lui  ou  à  90°  (Voy.  /?(/.  39).  Mais,  par  suite  de  l'incli- 
naison des  plans  des  orbites,  de  la  figure  de  ces  orbites,  qui  ne  sont 


se  fût  rapprochée  du  cercle,  comme  celle  de  Vénus,  au  lieu  d'être  une  ellipse  très 
accusée,  nous  ne  connaîtrions  peut-être  pas  encore  les  lois  de  l'astronomie.  Tyclio- 
Brahé  avait  fait  une  longue  série  d'observations  de  Mars  extrêmement  précises.  Kepler 
les  lui  demanda  à  étudier,  et  Tycho  les  lui  confia,  «  sous  condition  de  ne  pas  s'en  servir 
pour  prouver  le  système  de  Copernic  ».  Mais  la  science  le  prouvait  malgré  Kepler  lui- 
même.  Pendant  quinze  années  consécutives,  il  tourna  et  retourna  ces  observations 
pour  les  concilier  avec  la  doctrine  ancienne,  qui  enseignait  que  tout  se  meut  en 
cercle  parfait  dans  l'univers.  Il  arriva  à  conclure  qu'il  était  absolument  impossible 
de  les  faire  concorder  avec  cette  figure,  et  que  très  certainement,  les  planètes  ne  décri- 
vent pas  des  cercles,  mais  des  ellipses.  C'est  à  cette  découverte  que  l'on  doit  la  véritable 
fondation  de  la  mécanique  céleste,  y  compris  la  découverte  newtonienne  de  l'attraction. 
En  souvenir  des  diflicultés  de  ce  travail,  Kepler  raconte  que  Reliiicus  avait  voulu 
avant  lui  réformer  l'astronomie,  mais  que  décontenancé  par  le  mouvement  de  Mars,  il 
avait  évoqué  son  génie  familier,  lequel  arriva,  le  saisit  par  les  cheveux,  l'éleva  jusqu'au 
plafond  et  le  laissa  retomber  en  lui  disant  :  «  Voilà  le  mouvement  de  Mars.  >- 


MOUVEMKNT    BE    .MARS   AUTOUK   1)L   SOLEIL 


pas  circulaires  mais  elliptiques,  et  des  mouvements  respectifs  de  la 
Terre  et  de  Mars,  la  planète  en  opposition   ne  passe  pas  nécessaire- 


oivnrr£«,. 


.  '  QunH 


Fig.  39.  —  L'opposition,  la  conjonction  et  les  quadratures. 


ment  au  méridien  à  minuit  juste,  ni  à  sa  plus  grande  proximité  de 
la  Terre,  le  jour  même  de  son  opposition.  Ainsi  voici,  par  exemple, 


oi^ 


.s^J 


Fig.  40.  —  Cycle  des  oppositions  de  Mars. 


quatre  révolutions  de  Mars  indiquant  les  périodes  actuelles  aux- 
quelles la  planète  passe  prés  de  nous  dans  ses  meilleures  con- 
ditions d'observation  : 


MOUVEMENT   DE  MARS 


Distance  minimum,  le  2  septembre  1877  :  55746000  kilomètres. 
Opposition,  le  5  septembre. 
Passage  au  méridien  à  minuit,  le  6  septembre. 

..    l  Distance  minimum  le  4  novembre  1879  :  71400000  kilomètres 
I  Opposition,  le  12  novembre. 

Passage  au  méridien  à  minuit,  le  9  novembre. 

j„  1  Distance  minimum,  le  21  décembre  1881  :  89216000  kilomètres 
1  Opposition,  le  26  décembre. 

Passage  au  méridien  à  minuit,  le  27  décembre. 

j„  j  Distance  minimum,  le  30  janvier  1884  :  99000000  de  kilomètres, 
j  Opposition,  le  31  janvier. 

Passage  au  méridien  à  minuit,  le  4  février. 

C'est  en  1877  qu'elle  est  passée  le  plus  près,  comme  on  le  voit 
en  comparant  les  chiffres  précédents.  Le  périhélie  de  Mars  arrive 
lorsque  ia  planète  se  trouve  à  la  position  céleste,  à  la  longitude,  où 
la  Terre  se  trouve  le  27  août.  La  plus  grande  proximité  des  deux 
planètes  arrive  donc  lorsque  Mars  passe  en  opposition  vers  cette 
date.  En  1877,  elle  en  était  bien  près.  En  1892,  elle  passera  plus 
près  encore.  On  se  rendra  exactement  compte  de  ces  intervalles 
d'oppositions,  qui  reviennent  tous  les  deux  ans  environ,  ainsi  que 
des  mois  auxquels  ils  se  reproduisent  et  des  variations  de  distances 
à  chaque  opposition,  par  l'examen  de  notre  figure  40,  construite  à 
l'échelle  de  1  millimètre  pour  2  millions  de  lieues.  Ce  diagramme 
géométrique  est  le  complément  de  ceux  que  l'on  a  vus  plus  haut 
(p.  18  et  19).  Les  distances  entre  la  Terre  et  Mars  sont  inscrites  en 
millions  de  lieues  (en  nombres  ronds)  pour  chaque  opposition. 

A  chacune  de  ses  oppositions,  la  planète  ne  revient  pas  juste  à 
la  môme  distance.  Nous  venons  de  voir  que  c'est  en  1877  qu'elle  a 
atteint  son  minimum.  Si  nous  voulions  figurer  année  par  année 
mois  par  mois,  cette  marche  céleste  relativement  à  la  Terre  suppo- 
sée immobile,  nous  obtiendrions  le  curieux  diagramme  ci-dessous, 
{fig.  41),  .sur  lequel  on  peut  lire  ce  mouvement  depuis  la  dernière 
opposition  minimum  de  1877  jusqu'à  la  prochaine  de  1892,  c'est-à- 
dire  pendant  un  cycle  entier.  Il  est  facile  de  concevoir,  en  effet,  qu'en 
raison  de  la  double  marche  de  la  Terre  et  de  Mars  autour  du  Soleil 


MOfVE.MK.NT    DE    MARS 


les  disfnnoos  entre  les  deux  planètes  varient  rapidement  i>t  cimsidéra- 
lilenicut. 

Nous  av(ins  vu  qu'à  ses  époques  de  [ilus  jurande  pnixiinili'',  la 
planète  arrive  à  l'i  millions  de  lieues  de  nous  lorsqu'elle  se 
trouve  en  opposition  vt'rs  la,  fin  d'août  ou  au  commencement  de 
septembre.  Mais  lorsque  l'opposition  arrive  en  février,  le  rappnjche- 
ment  des  deux  planètes  ne  descend  pas  au-dessous  do  :2G  millions 


Ko        ::o 
Fig.  11.  —  .Mouvement  de  Mars  par  rapport  à  la  Terre. 


de  lieues.  Si  maintenant  nous  considérons  Mars  lor.squ'il  s'éloigne 
Je  la  Terre  dans  raufre  côté  de  son  orbite  et  qu'il  passe 
en  conjonction  au  delà  du  Soleil,  sa  distance  à  la  Terre  peut 
s'élever  à  87  millions  de  lieues,  btrsque  la  conjonction  arrive  en 
février,  et  elle  peut  même  atteindre  00  millions  de  lieues,  lorsque 
la  conjonction  arrive  en  août.  On  voit  donc  que  la  distance  entre 
les  deux  planètes  varie  de  14  à  00  millions  de  lieues. 
Remarquons,  en  passant,  combien  un  tel  mouvement  serait  plus 


LE  SYSTEME   PLANETAIRE 


compliqué  que  le  mouvement  réel  des  deux  planètes  autour  du  So- 
leil, et  combien  ce  seul  aspect  devait  rendre  peu  probable  l'hypo- 
thèse de  l'immobilité  de  la  Terre,  laquelle  hypothèse  obligeait  toutes 
les  planètes  à  tourbillonner  ainsi  pour  permettre  d'expliquer  les 
variations  de  position  et  d'éclat  observées. 

Il  faut  constater,  du  reste,  en  l'honneur  du  génie  de  l'homme,  qui 
sait  s'élever  au-dessus  des  apparences  vulgaires  et  dominer  les  illu- 
sions des  sens,  que  bien  des  siècles  avant  Copernic,  le  système  qui 
porte  son  nom  était  enseigné  par  les  philosophes,  par  les  penseurs 
indépendants.  Vers  l'an  530  avant  notre  ère,  Pythagore  enseignait 
le  mouvement  de  rotation  diurne  de  la  Terre,  et  il  en  fut  de  même 
de  ses  disciples  Hicétas  de  Syracuse  et  Ecphantus.  Philolaûs  (le  pre- 
mier pythagoricien  qui  ait  laissé  des  écrits)  expliquait  les  aspects 
célestes,  quatre  siècles  avant  notre  ère,  par  le  mouvement  de  rota- 
tion diurne  et  par  le  mouvement  de  révolution  annuelle  de  la  Terre 
autour  du  Soleil  en  365  jours  et  demi,  ainsi  que  par  la  translation 
des  autres  planètes  autour  de  l'astre  du  jour.  Ptolémée,  dans  son 
Almageste,  a  longuement  discuté  cette  opinion  des  pythagoriciens 
sur  le  double  mouvement  de  la  Terre  :  il  trouve  qu'elle  est  «  du 
dernier  ridicule  »  et  tout  à  fait  contraire  au  plus  simple  bon  sens. 
C'est  à  lui  qu'on  doit  le  retard  éprouvé  à  cet  égard  par  le  progrès  des 
sciences  et  de  la  philosophie.  Son  esprit  n'a  pas  su  s'élever  au-dessus 
des  apparences  vulgaires. 

Au  cinquième  siècle  de  notre  ère,  mille  ans  avant  Copernic,  l'as- 
tronome hindou  A'ryabhata,  auteur  du  traité  astronomique  et  astro- 
logique VA'ryabliata-Siddkanta,  écrivait  :  «  La  sphère  des  étoiles 
est  stalionnaire,  et  la  Terre,  en  tournant  sur  elle-même,  produit  les 
levers  et  couchers  des  étoiles  et  des  planètes.  »  Mais  cette  doctrine 
ne  devait  pas  prévaloir  non  plus  dans  l'astronomie  indienne.  Au 
commencement  du  septième  siècle_,  Brahmagupta  réfutait  l'auteur 
précédent,  tout  comme  Ptolémée  avait  réfuté  les  pythagoriciens,  en 
objectant  que  si  la  Terre  tournait,  les  objets  ne  devraient  pas  rester 
en  équilibre,  mais  tomber  par-dessous,  etc. 

C'est  le  mouvement  de  Mars  qui  donnait  le  plus  de  peine,  à  cause 
de  la  grande  variation  de  distance  de  la  planète.  C'est  cette  difficulté 
même  qui  a  conduit  Kepler  à  découvrir  les  véritables  orbites  plané- 
taires 


MOUVEMENT   DE   .AIAUS 


La  combinaison  de  son  nionvcnient  autour  clu  Soleil  avec  celui 
qui  nous  emporte  nous-mêmes  dans  notre  révolution  annuellt;  fait 
qu'il  décrit  sur  la  sphère  céleste  une  ligne  irrégulière,  marchant 
généralement,  comme  toutes  les  planètes,  de  l'ouest  à  l'est,  de 
droite  à  gauche  le  long  des  constellations  du  zodiaque,  mais  s'arrè- 
tant  à  certaines  époques,  rétrogradant  vers  l'ouest,  s'arrètant  de 
nouveau  et  reprenant  son  coui'S  vers  l'est.  Notre  figure  4'2  représente 


Fi;;.  1-2.  —  .Marche  cl  posilions  de  hi  |i;;inéle  Mars  sur  la  b-phi 


son  mouvement  apparent  parmi  les  étoiles,  pendant  sa  i)ériode  ac- 
tuelle de  visibilité.  Chacun  peut  s'en  rendre  compte  tous  les  soirs  à 
l'o'il  nu  ('). 


(')  Ct'ltf  pctiti'  carte  pi'iiiirl  à  chacun  do  trouver  Mars  parmi  les  t'toilcs,  rcconnais- 
sahlo  d'ailleurs  par  sa  coloration  rouge  et  par  son  niani|uo  de  scintillation.  Le  15  anùl. 
il  se  levé  a  1  est  à  minuit  et  passe  au  méridien  au  sud  à  8  heures  du  matin.  I.e  1.5  sep- 
tembre, il  se  lève  à  1  l'i^O"  du  soir  et  arrive  au  méridien  à  T'ai""  du  matin.  Le  15  oc- 
tobre, il  se  lève  à  Kt'iS'"  du  soir  et  passe  au  méridien  i\  «'38°.  Le  15  novembre,  lever 
a  O'o"  et  passage  au  méridien  à  oMS"".  Le  lo  décembre,  lever  à  8'36™  et  passage  an 
méridien  à  4'V'".  Il  avance  ainsi  de  mois  en  mois  pour  planer  sur  nos  nuits  d"hiver 
Telles  sont  les  positions  actuelles  de  Mars.  Ce  serait  sortir  du  cadre  d'un  ouxragi"  popu- 
laire et  d  un  livre  d'astronomie  descriptive  que  de  calculer  ici  les  épliémérides  de  ses 
positions  futures.  Mais  ceux  d'entre  nos  lecteurs  qui  s'intéressent  à  suivre  eux-mêmes, 
soit  à  l'œil  nu,  soit  à  t'aide  d'instruments  de  moyenne  puissance,  les  divers  phénomènes 
célestes,  trouveront  toutes  les  indicatinns  désirables  dans  notre  Revue  itte'isuclle  iV.islro- 
nomie populaire,  qui  préparu  perpétuellement  toutes  les  obsenations  ii  l'aire. 

TERRES    DU    CIEL.  12 


MOIVE.MKNT    DE    MARS 


Far  suite  de  ce  mouvement  de  Mars  le  long  du  zodiaque,  et  du 
mouvement  de  toutes  les  planètes  dans  la  intl-me  zone,  plusieurs 
planètes  peuvent  se  trouver  momentanément  réunies  dans  la  même 
région  du  ciel.  C'est  précisément  ce  qui  vient  d'arriver  :  eu  juil- 
let 1883,  toutes  les  planètes  visibles  à  l'œil  nu  pouvaient  être  vues 
en  même  temps  dans  le  ciel  le  matin  avant  le  lever  du  soleil.  Au 
mois  de  juin  I88I,  Mercure,  Vénus,  Mars,  Jupiter  et  Saturne  sont 
passés  les  uns  prés  des  autres  dans  la  constellation  des  Poissons. 
Quelquefois,  deux  planètes  passent  si  près  l'une  de  l'autre  qu'elles 


Fig    43. 
Conjonclion  île  Jlars  avec  Saturne  le  1'' juillet  1879. 


n'en  font  plus  qu'une  cà  l'œil  nu  et  que  dans  le  champ  d'une  lunette 
elles  sont  voisines  comme  les  deux  composantes  d'une  étoile  double. 
Ainsi,  par  exemple,  le  T""  juillet  1879,  à  5''16'°  du  matin,  Mars  et 
Saturne  se  sont  rencontrés  dans  le  ciel  en  perspective.  Les  deux 
planètes  sont  passées  à  87"  seulement  l'une  de  l'autre,  d'un  centre 
h  l'autre.  Saturne  se  montrait,  dans  une  lunette  de  huit  pouces, 
environné  de  trois  satellites,  et  Mars  semblait  appartenir  au  môme 
système.  Sa  couleur  était  d'un  jaune  orangé  bien  prononcé,  tandis 
que  Saturne  paraissait  jaune  verdàtre  pâle  et  beaucoup  moins  in- 
tense que  Mars  en  lumière. 

Ouclquetbis  trois  planètes  peuvent  se  rapprocher  ainsi.  Le  -23  dé- 


r  H  AS  ES    DK    M  A  11  s 


cembre  1769,  Mars,  Jupiter  et  Vénus  se  sont  trouvés  réunis  dans  lui 
même  champ  de  1  degré  de  diamètre.  Ce  rapprochement  si  curieux 
est  môme  arrivé  pour  quatre  planètes,  pour  Mars,  Jupiter,  Vénus  et 
Mercure,  le  17  mars  17:25.  Les  anciens  attribuaient  une  importance 
spéciale  à  ces  conjonctions  planétaires  et  nous  ont  conservé  un 
grand  nombre  d'observations,  sur  lesquelles  il  serait  superflu  de 
nous  étendre  davantage. 

Cette  même  combinaison  des  uiouvcnients  de  Mars  et  de  la  Terre 
autour  du  Soleil  fait  que  Mars  est  loin  de  nous  présenter  toujours  de 
face  son  hémispliére  éclairé  par  le  Soleil.  11  en  résulte  par  consé- 


Fig.  -U.  —  Les  phases  de  Mars. 


quent  que  nous  lui  observons  des  phases,  moins  complètes  que 
celles  de  la  Lune,  mais  pourtant  assez  sensibles,  et  même  parfois 
évidentes  du  premier  coup  d'œil.  Nos  lecteurs  ont  déjà  pu  en  remar- 
quer une  (p.  2'.]).  La  partie  obscure  peut  s'étendre  davantage  encore 
et  atteindre  le  huitième  du  disque. 

"Ces  phases  ont  été  remarquées  dès  l'année  1610,  aussitôt  qu'on 
eût  dirigé  la  lunette  astroDomique  vers  l'astre  de  la  guerre.  Galilée 
écrivait  au  père  Castclli,  le  .30  décembre  de  cette  année,  que  cet 
astre  ne  lui  paraissait  pas  entièrement  rond.  Le  24  août  1638,  Fon- 
tana  observant  sous  le  ciel  de  Naples,  dessina  la  planète  évidem- 
ment amincie  ou  gibbeuse.  C'était  une  confirmation  de  la  théorie 
que  cette  planète,  comme  les  autres,  ne  brilh^  pas  plus  que  la  Terre 


niMENSlONS    DE    MARS 


par  sa  propre  lumière,  mais  seulement  par  celle  qu'elle  reçoit  du 
Soleil  et  réfléchit  dans  l'espace. 

La  grandeur  apparente  de  Mars  varie  naturellement  en  raison 
de  sa  distance.  A  ses  époques  de  plus  grande  proximité,  cette  pla- 
nète brille  comme  une  étoile  de  première  grandeur,  rivalisant 
presque  d'éclat  avec  Vénus  et  Jupiter,  et  pouvant  même  devenir 
visible  en  plein  jour.  Lorsqu'elle  est  très  éloignée  de  nous,  elle  des- 
cend au  contraire  au  rang  de  la  seconde  et  môme  de  la  troisième 
grandeur.  Le  diamètre  de  son  disque  télescopique  peut  des- 
cendre jusqu'à  3"  ;  aux  époques  d'opposition,  il  atteint  au 
minimum  13"  et  peut,  au  maximum,  s'élever  jusqu'à  30";  ce  qui 
est  arrivé  en  1877,  et  ce  qui  se  reproduira  en  1892.  Cette  époque 
favorable  revient  tous  les  quinze  ans,  et  coïncide  avec  celle  de  la 
disparition  des  anneaux  de  Saturne  lorsqu'ils  se  présentent  à  nous 
par  leur  tranche.  On  se  rendra  compte  de  la  variation  de  la  gran- 
deur apparente  de  Mars  à  l'examen  de  notre  figure  45,  dessinée  à 
l'échelle  de  2""°  pour  1".  A  chaque  opposition  consécutive,  le  disque 
apparent  de  la  planète  varie  dans  la  proportion  suivante  :  1877=30"; 
1879  =  23";  1881  =  18";  I88't=16";  1886=14";  1888=18"; 
1890=23";  1892  =  30".  Mais  la  distance  et  la  diminution  de  gran- 
deur  ne  jouent  pas  un  aussi  grand  rôle  qu'on  le  croirait  pour  la 
visibilité  des  détails. 

En  supposant  Mars  placé  à  la  distance  du  Soleil,  prise  pour  unité 
dans  les  mesures  célestes,  son  diamètre  serait  de  9"35  (mesures 
concordantes  de  Bessel,  Kaiser,  Main  et  Hartwig).  A  cette  même 
unité  de  distance,  le  diamètre  de  la  Terre  est  de  17"72. 

En  combinant  la  grandeur  apparente  de  Mars  avec  la  distance, 
on  trouve  qu'elle  correspond  à  un  diamètre  de  6850  kilomètres, 
soit  1700  lieues  en  nombre  rond.  Le  tour  du  monde  de  Mars  est 
donc  de  5375  lieues. 

On  voit  que  cette  planète  est  plus  petite  que  la  Terre.  Son  dia- 
mètre n'est  guère  que  la  moitié  du  nôtre  (0,54).  Sa  surface  n'est  que 
les  29  centièmes  de  la  surface  du  globe  terrestre,  et  son  volume 
n'est  que  les  16  centièmes  du  nôtre. 

Étant  six  fois  et  demie  plus  petit  que  la  Terre  en  volume.  Mars  se 
trouve  être  sept  fois  et  demie  plus  gros  que  la  Lune,  et  trois  fois 
plus  gros  que  Mercure. 


Dimensions  de  .mars 


Combien  pèse-t-il  ? 

Avant  la  découverte  des  satellites  de  Mars,  faite  en  1877,  il  était 
assez  difïicile  de  déterminer  exactem3nt  la  masse  de  cette  planète. 
Cumment  pèse-t-on  les  mondes?  Le  procédé  le  plus  simple;  à 
employer  pour  peser  un  astre,  c'est  de  comparer  la  vitesse  avec 
lujuelle  il  fait  tourner  un  corps  céleste  soumis  à  sa  puissance  avec 


Dimensions  apparentes  de  Mars  à  ses  disUinres  pjilrèmes  et  raoycnnos. 
(Écbeus  2»"  =  I"). 


celle  que  la  Terre  imprime  à  la  Lune  :  la  proportion  des  vitesses 
conduit  à  la  proportion  des  masses  ou  des  poids.  C'est  ainsi  que 
nous  avons  pesé  le  Soleil.  Quand  la  nature  ne  fournit  pas  ce  moyen 
direct, il  faut  prendre  un  moyen  détourné,  tel  que  les  perturbations 
que  la  planète  fait  éprouver  à  ses  compagnes  célestes  dans  leur 
cours  à  travers  l'espace,  ou  à  quelque  comète  vagabonde  qui  s'ap- 
pnielie  suffisamment  pour  subir  une  influence  sensible.  C'est  ainsi 
qu'on  a  déterminé  les  masses  de  Mercure,  de  Vénus,  et  celle  de  Mars 
jusqir(>n  lS77.Mais  lor?;qu'il  y  a  un  satellite,  l'opénifiDU  esta  la  fois 


MARS.— VOLUME,    POIDS  ET   DENSITE 


incomparablement  plus  rapide  et  plus  précise.  L  calcul  de  la  masse 
de  Mais  fait  par  Le  Verrier  représente  un  siècli  entier  d'observa- 
tions et  plusieurs  mois  consé.  itifs  de  calcul,  plus  de  mille  bcures 
de  numération  !  A  peine  les  s  tellites  de  Mars  étaient-ils  décou- 
verts, au  contraire,  que  quatre  nuits  d'observation  et  vingt  minutes 
de  calcul  ont  suffi  pour  prouver  que  cette  planète  pèse  neuf  fois  et 
demie  moins  que  la  Terre.  Le  poids  de  notre  globe  étant,  par 
exemple,  représenté  par  le  nombre  de  1000,  celui  de  Mars  serait 
x'eprésenté  par  106  ('). 

La  densité  des  matériaux  consécutifs  de  ce  globe  est  égale  aux 
ô9  centièmes  de  la  densité  moyenne  de  la  Terre.  Ainsi,  tandis  que 
le  globe  terrestre  est  environ  cinq  fois  et  demie  plus  lourd  qu'un 
globe  d'eau  de  même  dimension.  Mars  est  seulement  quatre  fois  et 
demie  plus  dense.  La  pesanteur  des  objets  à  sa  surface  ne  surpasse 
guère  le  tiers  de  celle  des  objets  terrestres,  ne  dépasse  pas  les  37 
centièmes  de  la  nôtre.  Des  huit  planètes  principales,  c'est  la  plus 
faible  intensité  de  pesanteur  :  cent  kilogrammes  transportés  sur 
Mars  et  pesés  au  dynamomètre  n'y  pèseraient  que  37  kilogrammes. 

Nous  pouvons  très  facilement  voir  que  ces  résultats  sont  déter- 
minés avec  une  certitude  mathématique  et  constater  nous-mêmes, 
par  un  exposé  sommaire  de  la  méthode  employée,  qu'il  n'y  a  ici 
aucune  œuvre  d'imagination. 

Le  poids  des  corps,  l'intensité  de  la  pesanteur  à  la  surface  d'un 
monde  dépendent  :  1°  de  la  masse  ou  du  poids  intrinsèque  de  ce 
globe;  2"  de  son  volume  ou  de  la  distance  de  la  surface  au  centre. 
Ainsi,  par  exemple,  si  la  Terre,  tout  en  gardant  le  même  volume, 
était  dix  fois  plus  dense,  dix  fois  plus  lourde  qu'elle  n'est,  nous  pèse- 
rions dix  fois  plus,  nous  serions  attirés  dix  fois  plus  fortement  par 
elle,  et  un  corps  abandonné  à  la  pesanteur,  au  lieu  de  parcourir  4"'90 
pendant  la  première  seconde  de  sa  chute,  serait  attiré  avec  une  vitesse 

(•)  En  effet,  la  Terre  fait  tourner  la  Lune,  à  la  distance  de  384i00  kilomètres,  en 
27  jours  7  heures  43  minutes  11  secondes,  et  Mars  fait  tourner  l'un  de  ses  satellites,  à 
ladislancede-237()0kiloniètres,  en  30  heures  17  minutes  54  secondes.  Puisque  les  carrés 
des  temps  sont  entre  eux  comme  les  cubes  des  distances,  si  ce  satellite  do  Mars  était 
éloigné  de  la  planète  à  la  distance  à  laquelle  gravite  la  Lune,  il  tournerait  autour  de  la 
planète  en  un  temps  beaucoup  plus  long  que  celui  que  notre  satellite  emploie  à  circuler 
autour  de  nous.  C'est  la  proportion  entre  ces  deux  durées  qui  prouve  que  Mars  est  neuf 
fois  et  demie  moins  fort  que  la  Terre. 


Al Ai!s.  —  vdi.iMi:,  i'()ir>s  r.ï  nicNsni-; 


de  49  métros.  Mais,  d'autre  i)art,  la  pesanteur  décroît  avec  la,  distance 
au  {■("utro  d'attraction  dans  le  rapport  do  cette  distance  multipliée 
par  (dlo-iuérae,  ou  du  carré.  Ainsi,  si  la  Terre,  tout  en  pesant  exac- 
Iciiirnl  ce  qu'elle  pèse  actuellement,  était  dix.  fois  plus  lari^e  en  dia- 
mètre, nous  serions  dix  fois  plus  éloignés  de  son  centre  (pu-  nous  le 
sonmies  actuellement,  et  nous  pèserions  cent  fois  moins.  I  kilo- 
gramme actuel  ne  pèserait  plus  que  dix  grammes;  abandonné  à  la 
jH'santeur,  il  ne  tomberait  qu'avec  une  vitesse  de  49  millimètres 
pendant  la  première  seconde  de  cbute. 


Fig.  16. 
Grandeur  comparée  de  la  Terre,  Mars.  Mercure  et  la  Lune. 


Faisons  nous-mêmes  ici  le  calcul  de  ce  qui  doit  exister  sur  ce  point 
à  la  surface  de  la  planète  Mars  : 

Nous  venons  de  dire  que  ce  globe  pèse  neuf  fois  et  demie  moins  que 
la  Terre.  S'il  avait  le  même  volume  que  notre  globe,  le  poids  des  corps 
y  serait  donc  réduit  dans  la  même  proportion,  et  1  kilogramme  trans- 
porté là  et  pesé  au  dynanomètre  n'y  pèserait  que  95  grammes. 

Mais  ce  globe  est  plus  petit  que  la  Terre,  la  surface  est  plus  rapprochée 
du  centre,  et  la  pesanteur  s'accroît  en  raison  du  carré  du  rapprochement. 
Lt'  rapport  des  diamètres  est  de  53  à  100.  Étant  près  de  moitié  plus  proche 
ilu  rentre,  les  objets  sont  attirés  près  de  quatre  fois  plus  exactement  3,7). 
-Nos  U5  grammes  deviennent  donc  95  x3,7  ou  350  grammes.  Tel  est  par 
iousé(|aent  le  poids  de  1  kilogramme  terrestre  transporté  à  la  surface  de 
la  planète  dont  nous  nous  occupons. 

Ou  voit,  pur  parenthèse,  (pie  ces  calculs  sont  aussi  simples  et  aussi 


LA  PESANTEUR  A  LA  SURFACE  DE  MARS 


clairs  que  tous  ceux  de  la  vie  quotidienne  :  ils  demandent  la  même  atten- 
tion, ni  plus  ni  moins,  et  chacun  conviendra  sans  peine  qu'ils  sont 
beaucoup  plus  intéressants  que  toutes  les  banalités  du  monde  vulgaire.) 
De  légères  différences  dans  les  mesures  du  diamètre  et  de  la  masse  de 
Mars  conduiraient  à  des  différences  correspondantes  dans  les  résultats.  Au 
lieu  de  35  centièmes,  on  pourrait,  par  exemple,  trouver  36  ou  37  cen- 
tièmes. Ces  différences  n'empêchent  pas  la  méthode  d'être  e.xacte  et 
mathématique. 

II  résulte  de  ce  que  nous  venons  de  dire  qu'un  corps  qui  tombe, 
au  lieu  de  se  précipiter  avec  la  vitesse  de  4"'90  dans  la  première 
seconde  de  chute,  comme  il  arrive  sur  la  Terre,  ne  descend,  sur 
Mars,  qu'avec  la  vitesse  de  4°,90x0,35,  ou  i™,??.  Voici,  par 
exemple  {fig.  47),  deux  colonnes,  dont  l'une  est  supposée  sur  la 
Terre  et  l'autre  sur  Mars.  Si  nous  imaginons  que  deux  hommes  se 
précipitent  du  haut  des  tours,,  après  deux  secondes  de  chute,  l'expé- 
rimentateur terrestre  aura  parcouru  19",60,  tandis  que  celui  de  Mars 
n'aura  parcouru  que  5"°,  16.  Le  premier  arrivera  à  terre  avec  uno 
vitesse  suffisante  pour  lui  donner  un  choc  mortel,  tandis  que  Ij 
second  n'aura  probablement  fait  là  qu'un  exercice  inoffensif. 

En  d'autres  termes,  les  corps  sont  très  légers  sur  cette  planète. 
Un  kilogramme  terrestre  transporté  là  n'y  pèserait  plus  que 
350  grammes,  et  un  homme  pesant  ici  70  kilogrammes  n'en  pèse- 
rait plus  que  24.  Nous  verrons  tout-à-I'heure,  que,  transporté  sur 
l'un  de  ses  satellites,^  ce  même  homme  n'y  pèserait  plus  que 
117  grammes.  Transporté  dans  l'espace  pur,  ce  même  sujet  d'expé- 
rience ne  pèserait  plus  rien  du  tout,  et,  couché  dans  le  vide,  ne 
tomberait  jamais,  à  moins  d'être  attiré  par  une  étoile. 

Cet  état  de  la  pesanteur  jouant  le  premier  rôle  dans  l'organisation 
des  êtres,  pour  la  force  des  tissus  organiques,  pour  les  muscles  de 
la  locomotion,  pour  les  modes  de  locomotion  eux-mêmes,  il  n'est 
pas  douteux  que  les  habitants  de  Mars  soient  plus  légers  que  nous 
et  soient  constitués  autrement  que  nous.  C'est  le  problème  que 
nous  discuterons  tout-à-I'heure,  dans  notre  chapitre  spécial  sur 
les  habitants  de  Mars. 

Ces  considérations  nous  montrent  que,  pour  nous  rendre  aptes  à 
juger  librement  des  phénomènes  observés  sur  les  autres  planètes,  il 
faut  avant  tout  savoir  nous  dégager  des  influences  terrestres,  consi- 


LA    l'ESAM'Klll  A   1,  A    STRFAC.K    1)K    M  A  I',  S 


dérer  qiio  l'état  des  phosps  y  est  tout  autre  qu'ici,  que  les  forces  do  la 
nature  s'y  exercent  en  d'autres  conditions,  et  que,  par  conséquent, 
nous  ne  devons  ni  rejeter  à  priori  ce  ([ui  nous  paraît  en  contradic- 
tion ;ivec  notre  monde  habiluel,  ni  vouloir  quand  même  tout  expli- 


V 


I   -     1  -  —  Inti'nsitO  C'jiiipari'O  Je  la  pesanteur  sur  la  Terre  et  sur  llar-. 

quer  immédiatement  par  les  seules  lumières  de  nos  observations 
terresti'es. 

Telle  est  la  condition  uranoj,'rapliique  de  la  planète  Mars.  Nous 
allons  maintenant  en  étudier  les  consèijuencc^s  physiologiques,  et 
faire  connaissance  avec  son  l'alendrier,  ses  années,  ses  jours,  ses 
saisons  et  ses  climats. 


TERRES    DL-    riEI. 


«3 


CHAPITRE  V 


Le  calendrier  des  habitants  de  Mars 

Révolution  annuelle  et  rotation  diurne.  —  Le  jour  et  la  nuit.  —  Années. 

Saisons.  — Coloration  des  continents.  — Neiges  polaires 

et  climats  tropicaux. 


On  entend  quelquefois  des  personnes  irréfléchies  demander  «  à 
quoi  sert  l'Astronomie  ».  Une  pareille  question  fait  sourire  celui 
qui  sait  que  sans  l'Astronomie  nous  serions  incapables  de  connaître 
même  la  date  du  jour  où  nous  vivons.  Le  calendrier,  base  de  l'his- 
toire, est  l'un  des  premiers  monuments  des  sciences  d'observa- 
tion. Sans  l'Astronomie,  nous  ne  saurions  pas  ce  que  c'est  que  la 
Terre,  nous  ne  saurions  pas  où  nous  sommes,  nous  n'aurions  aucune 
idée  saine  sur  la  composition  et  la  grandeur  de  l'Univers,  nous 
serions  comme  des  aveugles  dans  une  cave,  il  eût  été  impossible  de 
diriger  la  navigation,  il  serait  impossible  de  déterminer  la  position 
précise  d'un  point  sur  le  globe  ni  de  fixer  une  date  dans  l'histoire, 
et  même  nous  pouvons  dire  que  sans  cette  science  nous  ne  pour- 
rions avoir  aucune  idée  générale  positive  sur  quoi  que  ce  soit; 
en  un  mot,  sans  l'Astronomie,  l'homme  serait  encore  à  l'état  d'i- 
gnorance de  la  sauvagerie  primitive  ('), 

Actuellement,  au  moment  où  j'écris  ces  lignes,  les  Chrétiens  sont 

(')  Sans  que  nous  nous  en  doutions,  l'Astronomie  nous  enveloppe  en  tout  et  partout. 
En  prenant  une  tasse  de  café,  nous  appliquons  l'Astronomie,  car  si  les  navigateurs 
n'avaient  pas  su  déterminer  les  longitudes  par  l'observation  des  éclipses  des  satellites 
de  Jupiter,  le  café  n'aurait  pas  été  exportable  à  des  prix  populaires  et  ne  serait  pas 
entré  dans  les  mœurs.  En  datant  une  lettre,  en  regardant  la  pendule,  nous  faisons  de 
l'astronomie  sans  le  savoir;  etc.,  etc. 


LE    CALENDRIER    DES   HABITANTS   DE   MARS 


à  l'année  1883  de  leur  ère,  comptée  à  partir  de  la  naissance  de 
Jésus  ;  les  Musulmans  en  sont  à  l'an  1301  de  Mahomet  ;  les  Israélites 
sont  à  l'année  5643  de  la  création  du  monde,  selon  la  Bible;  les  Chi- 
nois inscrivent  sur  leur  calendrier  la  20'  année  du  76'  cycle  de 
60  années  Institué  au  XXVIP  siècle  avant  notre  ère,  etc.,  etc.  ;  toutes 
ces  manières  de  mesurer  et  de  compter  le  temps  étant  d'ailleurs 
réglées  par  le  cours  apparent  du  Soleil  et  de  la  Lune. 

Demander  en  quelle  année  on  est  actuellement  sur  Mars,  serait 
une  question  oiseuse,  puisque  même  sur  la  Terre  il  y  a  un  grand 
nombre  d'ères  différentes.  L'ère  chrétienne  n'est  pas  plus  connue 
dans  le  Ciel  que  l'ère  chinoise  ou  l'ère  arabe,  et  ce  qu'il  y  a  d'assez 
surprenant,  c'est  de  voir  des  hommes  intelligents  s'imaginer  que  nos 
fêtes  chrétiennes  aient  un  écho  dansTempyrée:  que  le  vendredi-saint, 
par  exemple,  on  soit  triste  «  dans  le  Ciel  ï  ;  que  le  jour  de  Pâques  ou 
de  l'Ascension  la  gaieté  rayonne;  que  le  jour  de  l'Assomption  la 
Sainte-Vierge  reçoive  nos  prières;  que  les  Saints  entendent  les  invo- 
cations qui  leur  sont  adressées  dans  les  cha^^elles  chaque  jour  de 
l'année;  etc.,  etc.  Il  faut  croire  qu'il  déplaît  aux  hommes  de  faire 
usage  de  leur  raison.  Ce  sera  le  complément  de  l'œuvre  de  l'Astro- 
nomie dans  l'avenir.  Du  reste,  notre  calendrier  lui-même  est,  dans 
sa  forme  mondaine,  un  tissu  d'inconséquences.  Pour  n'en  signaler 
qu'une  parfaitement  bizarre,  n'est-il  pas  étrange  de  voir  le  premier 
jour  de  notre  calendrier  a  chrétien  »  consacré  à...  la  circoncision! 
Quelle  singulière  anomahe  pour  des  peuples  étrangers  à  ce  rite 
physiologique  !  Ce  mot  est  pourtant  le  premier  que  toute  jeune  fille 
doit  lire,  et  celui  qu'elle  a  constamment  sous  les  yeux,  chaque  fois 
qu'elle  consulte  l'élégant  petit  carnet  doré  sur  lequel  elle  inscrit 
ses  promesses  ou  ses  souvenirs. 

On  peut  espérer  que  sur  Mars  la  rédaction  du  calendrier  est  plus 
rationnelle  qu'ici,  et  qu'au  lieu  de  Jeter,  par  exemple,  le  retour  de 
l'année  au  milieu  de  la  plus  mauvaise  saison,  les  habitants  de  la 
planète  ont  su  s'entendre  pour  placer  cette  fête  au  printemps.  En 
lui-même,  le  calendrier,  la  mesure  du  temps,  est  réglé  là  comme 
ici  par  les  mouvements  célestes,  par  la  combinaison  du  mouvement 
diurne  de  rotation  de  la  planète  sur  elle-même,  et  de  son  mouve 
înent  annuel  de  translation  autour  du  Soleil.  Ils  ont  des  années  e. 
des  jours,  mais  ils  n'ont  pas  de  mois,  ou  pour  mieux  dire,   ils  n'eu 


LE   CALENDRIER   ULs   UADITANTS    DE   MAKS 


ont  (|u'uri  petit  (le  cinq  jours,  produit  par  la  combinaison  du  mou- 
vement du  satellite  extérieur  avec  la  rotation  de  la  planète.  Ce  petit 
mois  minuscule  leur  sert  sans  doute  de  semaine,  et  peut-être  ont-ils 
aussi  donné  à  ces  jours  des  noms  dérivés  des  cinq  astres  qu'ils  voient 
le  mieux  :  le  Soleil,  leurs  deux  lunes,  Jupiter  et  la  Terre. 

La  durée  de  la  rotation  diurne  de  Mars  est  connue  avec  autant  de 
précision  que  celle  de  notre  propre  monde.  Elle  a  été  déterminée 
dès  l'an  165!)  par  Huygens.  Aux  époques  de  bonne  visibilité,  une 
observation  attentive  de  quelques  lieures  suffit  pour  permettre  de 


Kig,  49.  —  Comment  on  observe  la  rotation  diurne  de  Mars. 

constater  cette  rotation  par  le  déplacementdes  taches,  et,  en  quelques 
jours,  si  l'on  a  remarqué  une  tache  bien  définie,  on  peut  la  voir 
revenir  par  le  méridien  central  du  disque  et  ainsi  faire  soi-même 
une  première  constatation  approximative  de  la  durée  de  la  période. 
Ainsi,  par  exemple,  voici  trois  dessins  faits  le  même  soir  (28  sep- 
tembre 1877),  le  premier  à  7  heures  30  minutes  du  soir,  le  second 
à  9  heures  30  minutes,  le  troisième  à  1 1  heures  30  minutes  :  ils 
suffisent  pour  montrer  que  la  tache  circulaire  grise  a  marché  de  la 
droite  vers  la  gauche  (pôle  sud  en  haut),  et  qu'en  quatre  heures  elle 
a  parcouru,  en  apparence,  plus  de  la  moitié  de  l'hémisphère.  Gomme 
les  bords  d'un  globe  sont  vus  en  raccourci,  elle  emploie  beaucoup 
plus  de  temps  pour  parcourir  le  premier  et  le  dernier  quart.  En  fai!, 
on  constate  que  pour  aller  d'un  bord  à  l'autre,  elle  met  plus  de 
douze  heures,  c'est-à-dire  plus  de  vingt-quatre  pour  faire  le  tour 
complet. 


LA   KOTATION    DIURNE    DE    HAHS  1111 

Cet  examen  du  mouvement  des  taches  donna  en  1666  à  Cassini 
24  heures  40  minutes  pour  la  période  de  rotation.  Maraldi,  en  1704 
et  en  1719,  William  Herschel  et  Schroëter  à;la  fin  du  même  siècle, 
Kunowskien  182-2,  Miidler  en  1830,  Kaiser  en  1882,  Wolfen  1866, 
Proctor  en  1869,  Crulls  en  1877,  perfectionnèrent  la  môme  recher- 
che, et  nous  connaissons  aujourd'hui,  à  une  seconde  près,  la  durée 
exacte  de  la  rotation  diurne  de  ce  monde,  qui  est  de 

24    HEURES    37    MINUTES   23    SECONDES. 

La  durée  du  jour  et  de  la  nuit  est  donc  à  peu  près  la  même  sur 
Mars  que  sur  la  Terre  :  elle  surpasse  la  nôtre  d'un  peu  plus  d'une 
demi-heure  seulement.  Il  est  extrêmement  remarquable  que  cette 
durée  soit  sensiblement  analogue  pour  les  quatre  planètes  Mercure, 
Vénus,  la  Terre  et  Mars.  Nous  ne  connaissons  pas  la  raison  de  cette 
similitude.  La  distance  au  Soleil  ne  paraît  pas  enjeu  ici  commue  pour 
la  durée  de  l'année,  ni  le  volume  de  la  planète.  La  densité  paraît 
entrer  pour  la  plus  grande  part  dans  cet  établissement  du  temps  de  la 
rotation,  comme  je  l'ai  montré  dans  un  travail  antérieur.  Les  quatre 
planètes  dont  la  rotation  s'effectue  en  une  période  voisine  de  24  heures 
sont  les  plus  denses.  Les  quatre  planètes  géantes,  Jupiter,  Saturne, 
Uranus  et  Neptune,  tournent  beaucoup  plus  vite  :  en  une  période 
voisine  de  10  heures,  et  ce  sont  aussi  les  mondes  de  la  plus  faible 
densité. 

Pendant  la  durée  de  sa  révolution  autour  du  Soleil,  Mars  tourne 
669  fois  sur  lui-môme.  Dans  l'année  de  Mars  il  y  a  669  rotations  ou 
jours  sidéraux  (669^),  et  par  conséquent  668  |  jours  solaires  ou  ci- 
vils (').  De  môme  que  le  jour  terrestre  est  de  2't  heures,  surpas- 
sant de  4  minutes  la  durée  de  la  rotation  terrestre,  laquelle  est  de 
23  heures  56  minutes,  le  jour  martien  est  également  un  peu  plus 
long  que  la  rotation  ;  il  dure,  tout  compté,  24  heures  39  minutes 
35  secondes.  Il  y  a  sur  trois  ans  une  année  courte  de  668  jours  et 
deux  longues  de  66),  autrement  dit,  deux  années  bissextiles  sur 
trois. 

Le  jour  et  la  nuit  suivent  sur  ce  globe  le  môme  cours  que  sur  la 
Terre.  A  l'équateur,  ils  sont  d'égale  durée,  de  12  heures  19  minutes 

(')  11  y  a,  pour  chaque  planète,  un  jour  de  moins  que  de  rotations  par  an.  Ce  fait,  trè* 
simple  d'ailleurs,  sera  expliqué  au  chapitre  de  la  Terre. 


LA    UOÏATION    DIURNE    DE   MARS 


47  secondes  eldemie  pondantrannée  entière.  Il  en  est  de  même  pour 
tous  les  pays  du  monde  martien  le  jour  de  l'équinoxe.  L'empiéte- 
ment du  jour  sur  la  nuit  pendant  l'été,  et  de  la  nuit  sur  le  jour 
pendant  l'hiver,  y  suit  la  même  loi  qu'ici,  et  varie  semblablemen, 
suivant  les  latitudes.  A  la  latitude  correspondante  à  celle  de  Paris, 
la  durée  du  jour  au  solstice  d'été  surpasse  16  heures;  au  cercle 
polaire,  elle  atteint  24  heures  39  minutes;  au  pôle  même,  elle  est 
d'une  demi-année  martienne,  ou  de  onze  mois  et  demi  et  l'hiver  y 
est  encore  plus  sombre,  plus  triste  et  plus  glacial  que  celui  de  nos 
régions  polaires.  Le  régime  cliraatologique  est  presque  le  même 
qu'ici,  mais  plus  lent. 

On  voit  qu'entre  Mars  et  la  Terre  la  différence  est  peu  sensible, 
sous  le  rapport  du  mouvement  de  rotation  :  les  phénomènes  qui  en 
sont  la  conséquence,  la  succession  des  jours  et  des  nuits,  le  lever  et 
le  coucher  du  soleil  et  des  étoiles,  la  fuite  des  heures,  rapides  ou 
lentes  suivant  l'état  de  l'âme,  les  travaux,  les  joies  ou  les  peines; 
en  un  mot,  le  cours  quotidien  de  la  vie  et  la  marche  habituelle  des 
choses  s'y  développent  à  peu  prés  dans  les  mêmes  conditions  que 
chez  nous. 

Les  mesures  faites  sur  Mars  ne  sont  pas  concordantes  quant  à  son 
aplatissement  polaire.  Herschel  a  trouvé  ^j,  Schroëter  ^'^,  Arago  ~, 
Hind  ^,  Main  ^,  Kaiser-^,  et  Young,  en  1879,  ^f^.  Les  premières 
de  ces  valeurs  sont  beaucoup  trop  fortes  pour  la  théorie  de  l'attrac- 
tion. Ce  globe  tournant  moins  vite  que  la  Terre  et  étant  plus  petit, 
ne  développe  qu'une  faible  force  centrifuge,  et  son  aplatissement 
devrait  être  inférieur  à  celui  de  notre  planète,  qui  est  de  ^fj-- 
Peut-être  la  planète  s'est-elle  formée  en  plusieurs  fois,  et  les  couches 
voisines  de  la  surface  sont-elles  plus  denses  que  la  densité  moyenne. 
11  y  a  là  quelque  mystère  :  cette  planète  est  petite,  et  il  y  en  a  plu- 
sieurs centaines  plus  petites  derrière  elle  ;  nous  verrons  plus  loin 
que  l'un  de  ses  satellites  tourne  plus  vite  qu'elle  ne  roule  elle-même. 
C'est  la  plus  excentrique  des  planètes  principales.  Autant  de  faits  à 
expliquer  ('). 

(•)  D'après  les  mesures  du  diamètre  de  la  planète  et  des  plus  grandes  élongations  des 
satellites,  combinées  avec  la  durée  de  la  rotation  de  Mars  et  celle  des  révolutions  des 
satellites,  on  conclut  que  le  rapport  de  la  force  centril'uge  à  la  pesanteur  à  l'équateur 
■^e  Mars  est  environ  ^^.  Il  suit  de  là  que  si  la  planète  était  homogène,  son  aplatisso 


INCLINAISON    DE   L'AXE    DE   M  Ali  S 


La  connaissance  si  exacte  que  nous  avons  du  mouvement  de  ro- 
tation de  la  planète  Mars  (elle  est  tout  aussi  précise,  en  vérité,  que 
celle  du  mouvement  de  la  Terre  elle-même)  a  permis  de  détermi- 
ner non  moins  exactement  l'inclinaison  de  son  axe  de  rotation  sur 
le  plan  de  son  orbite. 

Les  mesures  de  William  Herschel  avaient  conduit  au  cliiiïre 
de  28°'i-2'  pour  l'inclinaison  de  l'axe  de  rotation  :  c'est  la  valeur 
adoptée    dans    tous   les     traités    d'Astronomie.    Cette    inclinaison 


Fig.  "jO.  —  Inclinaison  de  Mars  sur  son  axe  :  les  trois  zones. 


produirait  des  saisons  analogues  aux  nôtres,  seulement  un  peu 
plus  prononcées  l'on  sait  que  rinrlinaisnn  de  l'axe  de  la  Terre 
est  de  •2.'^°-27'L  Les  mesures  de  Bcssel,  réduites  par  Oudemans, 
conduiseni  au  chiffre  de  '2~°[C)'.  Tout  récemment,  en  1877,  1878 
et  1881,  M.  Schiaparelli  a  repris  la  même  recherche  avec  des 
soins  particuliers  et  a  trouvé  pour  résultat  ?i"5'2',  ce  qui  ramène 

nii'iit  serait  de  -^  piiviroii.  Si.  au  lieu  d'ilrr'  lioiiiofrène,  sa  donsilé  interne  varie  selon 
la  même  loi  que  relie  de  la  Terre,  de  telle  sorte  que  cet  aplatissement  soit  à  la  force 
centrifuge  dans  le  uièine  rapport  relatif  que  sur  la  Terre,  cet  aplatissement  serait  de  ,-7;. 
Selon  toute  prohahilité,  il  est  roiupris  entre  ces  limites. 


INCLINAISON    DE   L'AXK    l)E    MARS 


les  saisons  de  Mars  à  une  identification  presque  absolue  avec  les 
nôtres. 

Nous  savons  d'ailleurs  par  la  seule  inspection,  et  lors  même  que 
les  variations  météorologiques,  visibles  d'ici  sur  cette  planète  voi- 
sine, ne  nous  l'auraient  pas  démontré  de  visu,  que  ses  saisons  ne 
sont  pas  très  différentes  des  nôtres,  quant  à  leur  variation  d'in- 
lensité  entre  l'été  et  l'hiver.  Un  astronome  de  la  Terre  n'a  pas 
besoin  de  faire  le  voyage  de  Mars  pour  connaître  ses  climats. 

Ce  monde  présente  comme  le  nôtre  trois  zones  bien  distinctes  : 
la  zone  torride,  la  zone  tempérée  et  la  zone  glaciale.  La  première 
s'étend,  de  part  et  d'autre,  de  l'équateur  jusqu'à  24°52';  la  zone  tem- 
pérée s'étend  depuis  cette  latitude  jusqu'à  65°8';  la  zone  glaciale 
entoure  chaque  pôle  jusqu'à  cette  distance  ('). 

Ainsi,  la  durée  des  jours  et  des  nuits,  leurs  différences  selon  les 
latitudes,  leurs  variations  suivant  le  cours  de  l'année,  les  longues 
nuits  et  les  longs  jours  des  régions  polaires,  en  un  mot  tout  ce  qui 
concerne  la  distribution  de  la  chaleur,  sont  autant  de  phénomènes 
presque  semblables  sur  Mars  et  sur  la  Terre.  Entre  les  deux  planètes 
cependant,  il  y  a  une  très  notable  différence,  c'est  celle  qui  existe 
entre  la  durée  des  saisons. 

Cette  durée  y  est  beaucoup  plus  longue.  En  effet,  nous  avons  vu  au 
chapitre  précédent  que  l'année  martienne  dure  687  jours  terrestres  ; 
chacune  des  quatre  saisons  est  donc  aussi  près  du  double  plus 
longue  qu'ici.  De  plus,  l'orbite  de  Mars  étant  très  allongée,  l'iné- 
galité de  durée  des  saisons  y  est  plus  marquée  que  chez  nous.  Poui 
en  faire  la  comparaison  exacte,  choisissons  l'hémisphère  de  Mars 

(')  Remarquons,  à  propos  du  calendrier  de  Mars,  que  la  planète  tournant  comme  1? 
Terre  dans  le  zodiaque,  le  Soleil  tourne  également  en  apparence  pendant  son  annét 
devant  les  douze  constellations  zodiacales.  Seulement,  au  solstice  d'été  de  l'hémisphère 
nord,  ce  n'est  pas  dans  le  Cancer  que  le  Soleil  se  trouve,  mais  dans  le  Verseau,  et  au 
solstice  d'hiver,  ce  n'est  pas  dans  le  Capricorne,  mais  dans  le  Lion  :  de  sorte  que  nous 
pourrions  appeler  les  tropiques  de  Mars,  tropiques  du  Verseau  et  du  Lion.  Il  est 
opportun  d'ajouter  d'ailleurs  que  les  habitants  de  Mars  ne  désignent  certaine- 
ment pas  leurs  constellations  sous  les  mêmes  noms  que  nous  désignons  les  nôtres, 
quoique  la  différence  de  perspective  soit  si  faible  pour  les  étoiles  vues  de  là  ou  d'ici, 
que  les  configurations  y  restent  absolument  les  mêmes.  Là  comme  ici,  les  sept  étoiles 
de  la  Grande  Ourse  forment  un  char.  Castor  ai.  Pollux  donnint  l'idée  de  jumeaux, 
la  Couronne,  la  Flèche,  peuvent  porter  les  mêmes  noms  dans  les  langues  de 
Mars,  le  Scorpion  ressemble  à  un  scorpion,  ,  mais  y  a-t-il  des  scorpions  sur  cettp 
planète? 


SAISONS    ET    CLIMATS   S  l!  U    M  A  li  S 


analogue  à  celui  que  nous  habitons  sur  la  Terre,  son  hémisphère 
boréal , et  comparons  les  durées  des  saisons  sur  les  deux  planètes. 


Dl'IÎKK    DKS    SAISONS 

Sur  la  Terre. 

Printemps 93  jours  Icrrosfres. 

Élé 'J3 

Automne .  90 

Hiver 89 

363 


Sur  Mars. 

191  jours  martiens 

181 

119 

147 

008 


On  voit  que  les  saisons  de  Mars  sont  beaucoup  plus  lentes  et  sen- 
siblement plus  inégales  que  les  nôtres.   Gomme  nous  l'avons  vu 


Graaiieur  comparée  Ju  Soleil  vu  de  Mars  et  vu  de  la  Terre. 


tout  à  l'heure,  le  jour  de  Mars  est  de  31)  minutt's  plus  long  que  le 
nôtre,  et  son  année  compte  668  jours  martiens,  669  dans  les  années 
bissextiles.  Chaque  saison  dure  presque  six  de  nos  mois. 

Ainsi  le  printemps  et  l'été  de  l'hémisphère  boréal  de  cette  planète 
durent  372  jours,  tandis  que  l'automne  et  l'hiver  n'en  durent  que 
296.  La  chaleur  solaire  doit  donc  s'accumuler  dans  l'hémisphère 
boréal  en  ([iiautité  notablement  plus  grande  que  dans  l'hémisphère 
austral.  Mais  il  y  a,  comme  sur  la  Terre,  une  compensation  pro- 
venant de  ce  que  l'orbite  de  Mars  n'étant  pas  circulaire,  la  planète 
est  beaucoup  plus  proche  du  Soleil  au  périhélie  qu'à  l'aphélie  :  la 

TERRES  DU   CIEL.  *'* 


SAISONS    ET   CLIMATS    SDR    MARS 


différence  est  de  5  millions  de  lieues.  C'est  au  solstice  d'été  de  son 
hémisphère  sud  que  cette  planète  est  actuellement  à  sa  moindre 
distance  du  Soleil,  et  par  conséquent  reçoit  de  cet  astre  le  maximum 
de  chaleur.  Il  résulte  de  ce  fait  que  les  neiges  polaires  australes 
doivent  beaucoup  plus  varier  d'étendue  que  celles  du  pôle  boréal, 
et  c'est  aussi  ce  que  montre  l'observation. 

Cette  variation  dans  la  longueur  des  saisons,  quoique  fort  carac- 
téristique, ne  doit  avoir  aucun  effet  désagréable  sur  les  conditions  de 
la  vie.  Un  astronome  anglais,  M.  Ledger,  remarquait  même  derniè- 
rement ('),  à  ce  propos,  que  la  faible  quantité  de  chaleur  et  de  lu- 
mière que  Mars  reçoit  du  Soleil,  peut  avoir  pour  résultat  une 
plus  grande  lenteur  dans  la  végétation,  ainsi  que  dans  les  récoltes; 
de  telle  sorte  qu'une  année  et  des  saisons  du  double  environ 
plus  longues  que  les  nôtres,  doivent  être  parfaitement  appro- 
priées à  l'état  de  la  planète.  Il  y  a  néanmoins  ici,  dans  cette  diffé- 
rence de  chaleur  et  de  lumière,  quelques  considérations  qui 
s'imposent  d'elles-mêmes  à  notre  attention,  à  propos  des  habitants 
de  Mars. 

En  moyenne,  la  lumière  et  la  chaleur  reçues  du  Soleil,  n'ont  là 
qu'une  intensité  égale  aux  ~  ou  à  peu  près  aux  |  de  celles  que  nous 
recevons.  Le  Soleil  présente  à  un  observateur  martien  un  diamètre 
égal  aux  deux  tiers  de  celui  qu'il  nous  présente  à  nous-mêmes 
(voy.  fig.  51),  attendu  que  la  distance  de  Mars  au  Soleil  surpasse 
de  une  fois  et  demie  celle  de  la  Terre,  et  que  la  lumière  et 
la  chaleur  reçues  varient  comme  la  surface  du  disque  apparent, 
c'est-à-dire  comme  le  carré  de 'ou  comme  |;  la  valeur  exacte 
est  -^ 

*'*''    100- 

Nous  disons  «  en  moyenne  »  attendu  que  l'ellipticité  de  l'orbite  de 
Mars  change  considérablement  la  distance  de  la  planète,  tout  le 
long  de  son  année,  sa  distance  minimum  au  Soleil  descendant  à 
51  millions  de  lieues  et  sa  distance  maximum  s'élevant  au-dessus 
de  61.  Il  en  résulte  une  variation  correspondante  dans  le  diamètre 
apparent  du  Soleil,  s'élevant  à  environ  77  de  sa  valeur  moyenne  ;  en 
d'autres  termes,  cediamètre  du  disque  solaire  varie  aux  différentes 
époques  de  l'année  martienne  comme  les  nombres  10,  11  et  12,  et 


(*)  The  Scn,  itsplanets  and  their  salellUes,  London,  1882. 


SAlSUNb  ET  CLIMATS  SUR  MAUS 


la  lumière  ainsi  que  la  chaleur  comme  les  carrés  de  ces  nombres, 
c'est-à-dire  dans  la  proportion  de  100  à  121  et  144,  ou,  en  définitive, 
plus  simplement,  comme  les  nombres  5,  6  et  7.  Telle  est  la  varia- 
tion apparente  du  disque  solaire,  ainsi  que  de  la  lumière  et  de  la 
chaleur  reçues  dans  le  cours  de  l'année  des  habitants  de  Mars. 

En  somme,  cette  variation  n'a  rien  d'excessif,  et  la  plus  grande 
différence  entre  les  conditions  d'habitabilité  examinées  sous  ce  point 
de  vue  spécial,  consiste  dans  la  quantité  de  chaleur  et  de  lumière 
reçues,  laquelle  est  inférieure,  comme  nous  l'avons  dit,  à  la  moitié 
de  celles  que  nous  recevons  nous-mêmes  de  l'astre  central. 

Il  est  certain,  en  supposant  que  l'atmosphère  de  Mars  ne  soit  pas 
constituée  de  façon  à  accroître  cette  valeur,  que  l'humanité  terrestre 
pourrait  fort  bien  s'acclimater  à  ces  conditions  mômes,  car  elle  le 
fait  déjà  sur  la  Terre  en  s'adaptant  aux  climats  de  l'Afrique  centrale, 
du  Groenland  et  de  la  Sibérie.  Mais  il  est  presque  superflu  de  notre 
part  de  nous  inquiéter  de  cette  adaptation,  non  seulement  parce 
que  les  espèces  vivantes  sont,  parla  nature  même,  appropriées  aux 
conditions  organiques  spéciales  de  chaque  monde,  mais  encore  parce 
que  la  température  générale  de  la  planète  Mars  ne  parait  pas  du 
tout  aussi  froide  que  nous  aurions  lieu  de  le  craindre.  En  effet,  si 
telle  était  la  température  de  ce  globe,  un  thermomètre  placé  dans 
ses  régions  équatoriales  ne  devrait  pas  s'élever  plus  haut  que  nos 
thermo'Tiètres  observés  vers  notre  62*  degré  de  latitude.  Or,  les 
neiges  polaires  de  Mars  n'offrent  pas  l'extension  qu'elles  devraient 
avoir,  s'il  en  était  ainsi. 

Nous  pouvons  étudier  d'ici  ces  variations  climatologiques,  et  cette 
étude  est  une  des  plus  intéressantes  qu'il  nous  soit  donné  de  faire,  car 
elle  transporte  notre  pensée  au  sein  d'une  nature  physique  offrant 
avec  la  nôtre  une  sympathique  analogie. 

L'inclinaison  de  Mars  sur  son  orbite  fait  qu'il  ne  se  présente  pas 
à  nous  dans  un  sens  que  nous  pourrions  appeler  vertical,  avec  ses 
deux  pôles  placés  juste  en  haut  et  en  bas  de  son  disque,  mais  penché 
vers  nous.  Comme  le  milieu  de  l'été  de  l'hémisphère  austral  de 
Mars  coïncide  avec  son  périhélie,  c'est  cet  hémisphère  qui  est  le 
plus  facilement  visible  pour  nous,  c'est  celui  que  nous  pouvons 
observer  quand  la  planète  est  à  sa  distance  minimum,  aussi  con- 
naissons-nous beaucoup  mieux  cet  hémisphère  austral  que  l'hémi- 


SAISONS   ET   CLIMATS   SUH    MARS 


sphère  boréal.  Il  se  passera  dos  milliers  d'années  avant  que  le  pôle 
boréal  de  Mars  soit  visible  de  la  Terre  à  moins  de  la  moitié  de  la 
distance  de  la  Terreau  Soleil,  ;ï  moins  de  18  millions  de  lieues. 

Pour  donner  mit.'  idée  dos  observations  i\n(:  nous  pouvons  faire  au 
télescope  sur  les  climats  et  saisons  de  cette  planùtc  voisine,  je  rappellerai 
ici  celles  que  j'ai  laites  en  1873,  époque  fort  avantageuse  pour  l'étude  de 
son  hémisphère  se})tentriunal,  le  plus  difhcile  ù  observer.  Sans  tourner 
son  pôle  nord  tout  à  fait  vers  nous,  elle  en  laissait  alors  parfaitement  voir 


Lus  siiisoiis  sur  Mars  :  asiiuct  Ju  Ui  plauL'li'  It  i'JjuiM  1873. 


une  certaine  partie.  Ce  pôh^  était  marqué  [)ar  une  taclie  blanchi'  ovale, 
si  blanche  et  si  éclalanlc,  ({u'elle  paraissait  dépasser  le  bord  du  disijue 
par  un  effet  d'irradiation. 

Cette  calotte  neigeuse  n'était  pas  très  étendue.  «  Les  neiges  polaires 
boréales,  disais-je  alors  dans  un  rapport  à  flnstitut,  ne  s'étendent  pas 
actuellement  (juin  1873)  au  delà  du  80"  degré  de  latitude.  On  sait  qu'elles 
couvrent  parfois  une  étendue  beaucoup  plus  considérable,  puisque  dans 
certaines  années  elles  ont  dépassé  le  60°  degré. 

«  La  planète  Mars,  ajoutais-je.  est  actuellement  dans  la  saison  d'au- 
tomne de  son  hémisphère  nord.  La  plus  grande  ])artie  des  neiges  polaires 
boréales  sont  fondues,  tandis  qu'elles  s'amoncellent  autour  du  pôle  aus- 
tral, en  ce  moment  invisible  pour  nous.  La  région  sud  est  visiblement 
marquée  d'une  traînée  blanche  près  des  bords.  Est-ce  la  neige  qui  des- 


SAISONS  i;r  climats  siin  mars 


rendrait  jusqu'au  40'  dej,a-é  do  latitude  sud?  Il  est  plus  i)r(jl)able  que  ce 
sont  des  nuages  (').  » 

La  ligure  précédente,  que  j'ai  dessinée  avec  le  plus  grand  soin  d'après 
uion  observation  du  29  juin  (à  10  heures  du  soir),  montre  au  premier  couj) 
d'orul  cette  tache  polaire  boréale,  ainsi  que  l'aspect  géographiiiue  de  Mars 
ce  jour-là.  Une  phase  déjà  sensible  diminue  le  disque  de  la  planète  sur  la 
ilroite. 

Los  dimensions  dos  taches  polaires  correspondent  à  la  saison.  En 
se  reportant  ;i  notre  ligure  40,  p.  80,  qui  représente  l'orbite  de  Mars  et 


Fig  53.  —  Les  saisons  sur  la  pluuèlc  Mars. 


celle  de  la  Terre,  on  peutyremarquerquo  l'opposition  de  1871  est  arri- 
vée au  mois  de  mars,. c'est-à-dire  pendant  l'été  boréal  de  la  planète; 
aussi,  cette  année-là,  la  farho  neigeuse  boréale  est-elle  apparue 
constamment  très  petite  à  cause  de  l'action  do  l'été,  mais  très  visible 
à  cause  de  l'inclinaison  de  l'extrémité  nord  de  l'axe  vers  nous. 
L'opposition  de  187.'^  est  arrivée  en  mai,  ce  qui  correspond  au  moisdo 
septembre  du  calendrier  de  Mars,  c'est-à-dire  au  commencement  de 
son  automne  :  la  neige  polaire  boréale  ne  formait  plus  qu'un  petit 

(•)  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences  du  28  juillet  1873. 


SAISONS   ET   CLIjMATS   SUR  MARS 


cercle.  En  1875,  l'opposition  est  arrivée  au  mois  de  juin,  après  le 
milieu  de  l'automne  :  la  tache  polaire  boréale  était  si  réduite,  qu'on 
la  distinguait  à  peine,  tandis  que  les  neiges  du  pôle  austral,  (pii 
venaient  de  subir  l'hiver  entier,  étaient  très  étendues.  En  1877, 
l'opposition  est  arrivée  13  jours  avant  le  solstice  d'été  de  l'hémi- 
sphère austral;  en  1879  elle  est  arrivée  90  jours  après,  et  en  1881, 
178  jours  après  (').  Ce  solstice  est  arrivé  le  18  septembre  en  1877, 
le  14  août  en  1879,  le  l"  juillet  en  1881. 

On  a  pensé  que  les  taches  polaires  blanches  pouvaient  être  pro- 
duites, non  par  la  neige,  mais  par  des  nuages  amoncelés  sur  les  pôles. 
C'est  beaucoup  moins  probable,  et  l'on  peut  même  être  assuré  qu'il 
n'en  est  rien,  quoique  des  nuages  peuvent  fort  bien  s'ajouter  aux 
glaces  polaires  en  ces  froids  climats.  D'abord  leur  aspect  n'est  pas 
celui  des  nuages  que  l'on  voit  sur  la  planète.  Ensuite  la  tache  blanche 
est  trop  fixe  pendant  des  mois  entiers,  diminue  et  s'accroît  trop 
régulièrement,  et  offre  des  contours  trop  nets.  Ainsi,  par  l'aspect 
comme  par  la  forme,  il  n'est  pas  douteux  que  ce  soient  bien  là  des 
neiges. 

Il  résulte  des  mesures  prises  en  1830  par  Bessel,  en  1862  par  Kai- 
ser, Lockyer  et  Linsser,  en  1877  par  Hall  et  Schiaparelli,  que  la 
tache  polaire  australe,  lorsqu'elle  est  réduite  à  ses  moindres  dimen- 
sions, après  les  solstices  de  l'hémisphère  austral,  occupe  toujours 
à  peu  prés  la  même  place  sur  la  planète,  vers  19"  de  longitude  et  5°-j 
de  distance  au  pôle.  Cette  position  ne  diffère  pas  sensiblement  de 
celle  qui  a  été  déterminée  par  M.  Schiaparelli,  après  le  solstice  de 
1877,  époque  pendant  laquelle  les  intéressantes  observations  sui- 
vantes montrent  que  la  tache  polaire  a  régulièrement  diminué  par 
la  fonte  des  neiges  : 

(')  On  peut  se  rendre  compte  des  saisons  de  Mars  par  la  figure  ci-dessus  (53).  Sur  ce 
diagramme,  les  points  marqués  A  et  P  représentent  respectivement  l'aphélie  et  le  péri- 
iiélie  de  la  Terre  et  de  Mars.  1-,'ordre  et  la  succession  des  saisons  sur  cette  planète  dans 
le  cours  de  son  année  y  sont  clairement  indiqués.  Dans  la  moitié  droite  de  son  orbite, 
lorsqu'elle  passe  à  sa  plus  grande  proximité  de  l'orbite  terrestre,  son  hémisphère  nord 
est  en  hiver,  tandis  que  son  hémisphère  sud  tourné  vers  le  Soleil,  est  admirablement 
visible  pour  nous.  C'est  le  contraire  dans  l'autre  moitié  de  l'orbite.  Voilà  pourquoi  nous 
connaissons  moins  bien  le  pôle  nord  que  le  pôle  sud  de  Mars.  Les  prochaines  oppositions 
spécialement  observées,  avanceront  sans  doute  de  beaucoup  la  science  sur  ce  point.  Qui 
sait'?  des  indices  inattendus  nous  apprendront  peut-être  un  jour  lequel  des  deux  hémi- 
sphères est  le  plus  civilisé I 


SAISONS   KT   CLIMATS   SI:R   .MAHï< 


lit 


iiiMiMTKiN  i>i:s  Ni;ii;i:s  polaiiiks  m:  mm!s  ai    solstice  detk 


Il  A  ri; 

liI.l.MKTRE 

dfs  observations. 

Ue 

la  luclie  polaire. 

ili  a(u\t  1877  .... 

2G  jours  ;i\ant  le  solstirp  dotù, 

28",6 

:!  sc|ilomlirc.  .  .  . 

i:i         —                     — 

20°,6 

Il         —        .... 

7            — 

20", 2 

18          —        .... 

jour  (lu  solstice 

iy°,i 

■2i          --         ... 

4  jours  après  le  solstice  d'été.  . 

14",  7 

:io        -       .... 

12          —                        — 

12",;; 

m  lu-Uilirc 

22          —                          — 

10°,4 

i:{     —     ... 

23           —                          - 

9°,3 

i  iiincililin'  .... 

47           —                          — 

7",0 

Kig.  jl.  —  Neiges  polaires  de  Mars  après  leté  ;  1S7"  et  18T9. 

L;i  taclii'.  pukiiriî  ue  disparut  pas  cutiLTeiiiciit  et  elle  (■(Uniiu'ura  de 
nouveau  à  s'accroître  à  partir  de  déceml)re  :  c'est  là  un  iilirnomène 
identirpie  à  ce  qui  se  passe  sur  la  Terre.  L'astronome  de  Milan  fait 
remarquer  à  ce  propos  que  sur  notre  monde  «  la  saison  la  plus  propice 
à  la  navigation  polaire  retarde  notablement  par  rapport  au  solstice 
d'hiver  »  ;  que  sur  Mars  le  solstice  d'été  est  arrivé  le  18  septembre  de 
ictte  année  là,  et  l'équinoxe  suivant  le  22  février;  que  le  retard  a 
donc  été  de  deux  mois  et  demi  environ,  et  que  sur  la  Terre  il  est 
un  peu  plus  court,  comme  il  convient  à  la  moindre  durée  des 
>  lisons  ('). 


(')  En  1830.  Madler  a  vu  la  ralottn  dos  f;laros  pnlairos  australes  fondre,  diminuer,  de 
13"  à  6°:  en  J86î,  l.assell  et  I.orkyer  lont  vue  descendre  de  20°  à  6":  en  1877,  M.  Scliia- 
parelli  a  mesuré  une  diminution  de  28°  à  "*.  I.e  minimum  arrive  de  eux  mois  et  demi 


SAISONS   ET  CLIMATS  SUR  MARS 


Sur  Mars  comme  sur  la  Terre,  le  Soleil  se  lève  et  se  couche  chaque 
jour  pour  tous  les  pays  situés  dans  la  zone  tempérée  et  dans  la  zone 
torride.  Là  comme  ici,  le  Soleil  ne  se  couche  plus  au  solstice  d'été, 
et  la  durée  du  jour  surpasse  vingt-quatre  heures,  à  partir  du  cercle 
polaire,  et  sans  doute  aussi  là  comme  en  Islande,  comme  en  Lapo- 
nie,  comme  en  Suède,  des  excursions  s'organisent  pour  aller  admi- 
rer le  Soleil  de  minuit  le  jour  de  la  Saint-Jean  d'été,  —  ou  du  moins  le 
jour  qui  correspond  à  cette  fête  des  feux  solaires  dans  le  calendrier 
des  habitants  de  Mars. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  pôle  sud  de  Mars  est  beaucoup 
mieux  connu  que  le  pôle  sud  de  la  Terre.  Les  observations  faites 
prouvent  de  plus  que  sa  connaissance  poiu'rait  n'être  pas  inutile  aux 
géographes  terrestres.  Mon  ami  regretté  Gustave  Lambert  (qui  est 
tombé  victime  du  dernier  combat  de  l'incompréhensible  guerre 
de  1870),  était  arrivé  par  certains  calculs  de  physique,  à  la  convic- 
tion que  la  mer  polaire  est  libre  sur  notre  planète,  et  que  la  durée 
de  la  présence  du  Soleil  au-dessus  de  ces  horizons,  compensant  am- 
plement la  faiblesse  de  son  élévation,  les  glaces  sont  fondues  au  pôle 
même.  Eh  bien,  il  est  certain  qu'en  1877  le  pôle  de  Mars  est  resté 
parfaitement  dégagé  des  glaces,  lesquelles,  au  mois  de  novembre, 
étaient  réduites  au  petit  triangle  de  7°  de  diamètre  que  l'on  a  vu  sur 
la  figure  précédente.  L'astronome  de  Milan  pense  que  pour  maintenir 
«es  neiges,  il  doit  y  avoir  là  quelque  île  ou  quelque  bas-fond. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  les  saisons  de  Mars  sont  plus  longues  que  les 
nôtres  et  si  les  hivers  y  sont  plus  rudes  qu'ici  (nous  étudierons  le 
sujet  au  point  de  vue  de  la  radiation  atmosphérique  dans  le  chapitre 
prochain),  le  printemps  revient  chaque  année  comme  ici  dénouer  les 
liens  qui  retenaient  les  eaux  dans  les  glaces  hivernales,  les  neiges 
fondent,  les  eaux  circulent,  les  sources  gazouillent,  le  soleil  brille, 
et  la  nature  reprend  avec  joie  son  œuvre  d'activité,  de  travail  et 
d'amour. 


à  trois  mois  après  le  solstice  d'été.  L'effet  optique  bien  connu  de  la  diffraction  fait 
paraître  cette  tache  blanche  beaucoup  plus  grande  qu'elle  n'est  en  réalité  (elle  semble 
parfois  sortir  du  disque)  ;  l'astronome  italien  estime  que  lorsqu'elle  est  réduite  à  4°,  elle 
n'a  en  réalité  que  2°  de  diamètre,  c'est-à-dire  120  kilomètres,  car  un  degré  de  grand 
cercle  sur  le  globe  de  Mars  équivaut  à  0°o33  de  l'équateur  terrestre  ou  à  60  kilomètres. 
Notre  figure  53  représente  ces  neiges  polaires  de  Mars  à  l'époque  de  leur  minimum  en 
1877  et  en  1879,  mesurées  micrométriquement  par  M.  Schiaparelli. 


SAISONS    KT   CLIMATS   SUR    MARS 


113 


On  lo  vdit,  on  résumé,  depuis  plus  de  deux  siècles,  nous  olisorvons 
de  la  Terre  les  faits  principaux  de  la  météorologie  marlienni';  nous 


Kig.  SS.  -  Le  soleil  de  minuit  sur  la  planMc  M^rs. 


nssistons  d'ici  à  la  formation  dos  glaces  polaires,  à  la  clmli-  et  à  la 
fiinte  des  neiges,  aux  intempéries,  nuages,  pluies  et  tempêtes,  et 
au  retour  des  beaux  jours,  en  un  mot  à  toutes  les  vicissitudes  des 

TERRES  DD  CIEL  <5 


LES    COMIMENTS  JAUNES    DE   MARS 


saisons.  La  succession  de  ces  faits  est  aujourd'hui  si  bien  établie, 
que  les  astronomes  peuvent  prédire  d'avance  la  forme,  la  grandeur 
et  la  position  des  neiges  polaires,  comme  l'état  probable,  nuageux 
ou  clair,  de  son  atmosphère,  laquelle  subit  beaucoup  plus  com- 
plètement qu'ici  l'influence  des  saisons. 

Ainsi  donc  ce  monde  offre  avec  le  nôtre  les  analogies  les  plus 
I  curieuses  :  les  habitants  de  Vénus  voient  notre  planète  sous  des 
apparences  à  peu  près  semblables  à  celles  que  Mars  nous  présente  ; 
comme  les  pôles  de  Mars,  les  nôtres  sont  couverts  de  neiges  et  de 
glaces;  c'est  aussi  notre  pôle  austral  qui  est  le  plus  envahi,  et  pour 
les  mômes  raisons,  par  ces  produits  de  la  congélation  de  l'eau.  Enfin 
les  pôles  de  froid,  sur  Mars  comme  sur  la  Terx-e,  ne  coïncident  pas 
avec  les  pôles  de  rotation. 

Un  mot  encore  sur  la  coloration  spéciale  de  la  planète. 

Les  mers  de  Mars  sont  légèrement  teintées  de  vert,  et  les  conti- 
nents fortement  nuancés  de  jaune  orangé. 

La  couleur  de  l'eau  martienne  parait  donc  être  la  même  que  celle 
de  l'eau  terrestre.  Quant  aux  terres,  pourquoi  sont-elles  rougeâtres? 
On  avait  d'abord  supposé  que  cette  teinte  pouvait  être  due  à  l'at- 
mosphère de  ce  monde  guerrier.  De  ce  que  notre  air  est  bleu,  rien 
ne  prouve  en  effet  que  celui  des  autres  planètes  doive  avoir  la  même 
coloration.  11  serait  donc  possible  de  supposer  celui  de  Mars  rouge. 
Les  poètes  de  ce  pays  célébreraient  cette  nuance  ardente  au  lieu  de 
chanter  le  tendre  azur  de  nos  cieux;  au  lieu  de  diamants  allumés  à 
la  voûte  azurée,  les  étoiles  y  seraient  des  feux  d'or  flamboyant  dans 
l'écarlate,  les  nuages  blancs  suspendus  dans  ce  ciel  rouge,  les  splen- 
denrs  des  couchers  de  soleil  centuplées,  ne  laisseraient  pas  de  pro- 
duire des  effets  non  moins  merveilleux  que  ceux  que  nous  admi- 
rons sur  notre  globe  sublunaire. 

Mais  il  n'en  est  rien.  La  coloration  de  Mars  n'est  pas  due  h  son 
atmosphère,  car,  bien  que  ce  voile  s'étende  sur  toute  la  planète, 
ses  mers  ni  ses  neiges  polaires  ne  subissent  l'influence  de 
cette  coloration.  De  plus,  les  bords  de  la  planète  étant  moins 
colorés  que  le  centre  du  disque,  prouvent  que  cette  coloration 
n'est  pas  due  à  l'atmosphère  ;  car,  dans  ce  cas ,  les  rayons  qu'ils 
nous  renvoient  ayant  plus  d'air  à  traverser  que  ceux  qui  nous 
viennent  du  centre,  seraient  au  contraire  plus  colorés  que  ceux-ci. 


LES  cont:>:en'ts  jaunes  de  mai!s 


Cette  couleur  caractéristique  de  Mars,  si  sensible  à  l'œil  nu,  et 
qui  a  donné  naissance  à  la  personnification  guerrière  dont  les  an- 
ciens ont  gratifié  cette  planète,  serait-elle  due  à  la  couleur  de 
l'herbe  et  des  végétaux  qui  doivent  couvrir  ses  campagnes  ?  Aurait- 
on  là-bas  des  prairies  rouges,  des  forêts  rouges,  des  champs  rouges? 
Nos  bois  aux  douces  ombres  silencieuses  y  seraient-ils  remplacés 
par  des  arbres  au  feuillage  rubicond,  et  nos  coquelicots  écarlates 
seraient-ils  l'emblème  de  la  botanique  martienne?  On  peut  remar- 
quer en  effet  qu'un  observateur  placé  sur  laLune  ou  même  sur  Vénus 
verrait  nos  continents  fortement  teintés  de  la  nuance  verte.  Mais 
en  automne,  il  verrait  cette  nuance  se  modifier  sur  les  latitudes  où 
les  arbres  perdent  leurs  feuilles;  il  verrait  les  champs  varier  de 
nuances  jusqu'au  jaune  d'or,  et  ensuite  la  neige  couvrir  les  campa- 
gnes pendant  des  mois  entiers.  Sur  Mars,  la  coloration  rouge  paraît 
constante,  et,  à  part  les  neiges,  elle  subsiste  sur  toutes  ses  lati- 
tudes, aussi  bien  pendant  l'hiver  que  pendant  l'été  ;  elle  varie  seu- 
lement suivant  la  transparence  de  son  atmosphère  et  de  la  nôtre  ('). 

De  toutes  les  explications  que  l'on  puisse  donner  de  cette  colora- 
tion, celle  qui  l'attribue  à  la  végétation  inconnue  qui  doit  revêtir  .sa 
surface  continentale  est  la  plus  rationnelle.  N'y  eùt-il  là  que  de  la 
mousse,  il  doit  exister  sur  le  scil  un  revêtement  quelconque.  Autre- 
ment il  faudrait  supposer  que,  par  un  miracle  constant  de  stérili- 
sation, le  sol  est  resté  partout  aride,  nu,  et  tout  à  fait  improductif. 
Or,  comme  ce  n'est  pas  l'intérieur  du  sol,  mais  sa  surface,  que 
nous  voyons,  nous  sommes  conduits  à  penser  que  le  revêtement  de 
cette  surface,  quel  qu'il  soit,  a  pour  couleur  dominante  la  couleur 
rouge,  puisque  toutes  les  terres  de  Mars  offrent  ce  curieux  aspect  ('■'). 


(>)  Certaines  difteirnees  de  miaiioes  se  iiianiresleal  iieuiimoiiis.  Ainsi,  pendant  la 
période  de  1877,  la  couleur  d(^  Mars,  vu  au  grantl  éqnatorial  de  Washington,  a  paru 
jaune  d'or.  Les  mers  étaient  teintées  d'une  légère  nuance  de  bleu  indigo,  et  les  taches 
polaires  se  sont  montrées  parfaitement  blanches. 

Cj  Quelque  temps  après  la  présentation  à  IWcadémie  des  sciences  de  nos  observations 
sur  Mars  en  1873,  notre  savant  ami  le  docteur  Iloefer  objecta,  a  l'explication  qui  pré- 
cède sur  la  couleur  de  Mars,  que  ce  ne  peut  être  celle  des  végétaux,  parce  qu'elle  ne 
varie  pas  avec  les  saisons,  et  qu'il  est  beaucoup  plus  probable  que  c'est  simplement 
celle  du  sol. 

Celle  du  sol?  Mais  alors  ce  sol  serait  absolument  nu.  Le  soleil,  la  pluie,  l'air,  l'au- 
raient laissé  stérile  à  tiavers  les  siècles?...  Le  docteur  Iloefer,  qui  est  un  partisan  fer- 
vent de  la  doctrine  de  la  pluralité  des  mondes,  ne  peut  admettre  cette  stérilité  contraire 


LES    CONTINENTS   JAUNES   DE   MARS 


D'ailleurs  cette  végétation  inconnue  est  plutôt  jaunâtre  que  rou- 
geâtre.  Par  des  comparaisons  spéciales  laites  pendant  l'été  de  l'an- 
née 1875,  j'ai  constaté  que  la  couleur  dominante  de  cette  planète 
n'est  pas  aussi  rouge  qu'on  se  l'imagine  ordinairement;  elle  a 
seulement  la  nuance  du  gaz  d'éclairage,  c'est-à-dire  jaune 
orangé.  C'est  la  nuance  de  nos  blés  et  de  nos  céréales.  Vu  de 
ballon,  un  champ  de  blé  bien  mûr  rappelle  exactement  la  colora- 
tion de  Mars. 

Remarque  assez  curieuse  :  la  Terre  elle-même  a  été  couverte  de 
plantes  jaunes  pendant  des  milliers  de  siècles,  car  les  premiers 
végétaux  terrestres  ont  été  des  lycopodes,  dont  la  couleur  est  d'un 
jaune  roux  tout  martien. 

Nous  avons  vu  aussi  que  la  météorologie  martienne  est  une  re- 
production très  ressemblante  de  celle  delà  planète  que  nous  habitons. 
Sur  Mars  comme  sur  la  Terre,  en  effet,  le  Soleil  est  l'agent  suprême 
du  mouvement  et  de  la  vie,  et  son  action  y  détermine  des  résultats 
analogues  à  ceux  qui  existent  ici.  La  chaleur  vaporise  l'eau  des  mers 
et  s'élève  dans  les  hauteurs  de  l'atmosphère  ;  cette  vapeur  d'eau 
revêt  une  forme  visible  par  le  môme  procédé  qui  donne  naissance 
à  nos  nuages,  c'est-à-dire  par  des  différences  de  température  et  de 
saturation.  Les  vents  prennent  naissance  par  ces  mêmes  différences 
de  température.  On  peut  suivre  les  nuages  emportés  par  les  cou- 
rants aériens,  sur  les  mers  et  les  continents,  et  maintes  observa- 
tions ont  pour  ainsi  dire  déjà  photographié  ces  variations  météo- 

à  tous  les  effets  connus  des  forces  de  la  Nature.  11  faut  bien  qu'il  y  ait  quelque  chose 
sur  ces  terrains,  ne  serait-ce  que  de  la  mousse. 

L'objection  de  l'invariabilité  de  la  couleur  pendant  l'année  martienne  n'est  pas  fon- 
damentale, et  il  suffit  de  voir  les  choses  un  peu  largement  pour  en  reconnaître  l'insuf- 
fisance. Pourquoi  astreindre  la  Nature  à  avoir  construit  sur  Mars  des  végétaux  de  même 
espèce  que  les  nôtres?  Les  conditions  de  milieux,  de  température,  de  densité  et  de 
pesanteur  s'y  opposent  ;  donc  la  différence  qui  existe  forcément  entre  la  végétation 
martienne  et  la  végétation  terrestre  peut  parfaitement  s'étendre  jusqu'aux  variations  de 
couleurs.  Mais  il  y  a  plus  :  sur  la  Terre  même  la  Nature  répond  à  cette  objection  en 
nous  montrant  des  espèces  végétales  qui  ne  changent  pas.  Dans  le  Midi,  les  oliviers, 
les  citronniers,  les  orangers,  les  palmiers,  les  lauriers,  les  eucalyptus,  sont  aussi  verts 
en  hiver  qu'en  été.  Dans  le  Nord,  le  sapin,  l'if,  le  cyprès,  le  buis,  le  houx,  le  lierre,  le 
rhododendron,  etc.,  conservent  leur  verdure  au  milieu  du  froid.  Dans  nos  latitudes 
mêmes,  l'herbe  des  prés  et  mille  espèces  végétales  ne  varient  guère.  Comment  donc 
rejeter  une  explication  si  simple,  quand  ici  même  nous  avons  de  tels  exemples,  et  quand 
les  différences  de  conditions  ne  peuvent  pas  avoir  développé  sur  cette  planète  la  même 
végétation  (lu'ici? 


SAISONS  ET  CLIMATS  SUR  MARS 


riquos  (').  Si  l'on  ne  voit  pas  encore  précisément  la  pluip  lomhrr 
sur  les  campagnes  de  Mars,  on  la  devine  du  moins,  puisque  les 
nuages  se  dissolvent  et  se  renouvellent.  Si  l'on  ne  voit  pas  non  plus 
la  neige  tomber,  on  la  devine  aussi,  puisque,  comme  chez  nous,  le 
solstice  d'hiver  y  est  entouré  de  frimas.  Toutefois,  toutes  les  cam- 
pagnes ne  se  montrent  pas  couvertes  comme  les  nôtres  de  vastes 
nappes  de  neige  et  la  précipitation  aqueuse  y  est  beaucoup  moins 
abondante  que  chez  nous.  Ainsi  il  y  a  là,  comme  ici,  une  circu- 
lation atmosphérique,  et  la  goutte  d'eau  que  le  Soleil  dérobe 
cà  la  mer  y  retourne  après  être  tombée  du  nuage  qui  la  rece- 
lait. Il  y  a  plus:  quoique  nous  devions  nous  tenir  solidement  en 
garde  contre  toute  tendance  à  créer  des  mondes  imaginaires  à  l'i- 
mage du  nôtre,  cependant  celui-là  nous  présente,  comme  dans  un 
miroir,  une  telle  similitude  organique,  qu'il  est  difficile  de  ne  pas 
aller  encore  un  peu  plus  loin  dans  notre  description. 

En  effet,  l'existence  des  continents  et  des  mers  nous  montre  que 
cetteplanète  aétécomme  la  nôtre  le  siège  de  mouvements  géologiques 
intérieurs  qui  ont  donné  naissance  à  des  soulèvements  de  terrains 
et  à  des  dépressions.  Il  y  a  eu  des  tremblements  et  des  éruptions 
modifiant  la  croûte  primitivement  unie  du  globe.  Par  conséquent, 
il  y  a  des  montagnes  et  des  vallées,  des  plateaux  et  des  bassins,  des 
ravins  escarpés  et  des  falaises.  Comment  les  eaux  pluviales  retour- 
nent-elles à  la  mer  ?  Par  les  sources,  les  ruisseaux,  les  rivières  et 
les  fleuves.  La  goutte  d'eau  tombée  des  nues  traverse  comme  ici  les 
terrains  perméables,  glisse  sur  les  terrains  imperméables,  revoit  le 
jour  dans  la  source  limpide,  gazouille  dans  le  ruisseau,  coule  dans 
la  rivière,  et  descend  majestueusement  dans  le  fleuve  jusqu'à  son 
embouchure.  Ainsi,  il  est  difficile  de  ne  pas  voir  sur  Mars  des  scènes 
analogues  à  celles  qui  constituent  nos  paysages  terrestres  :  ruisseaux 

(')  On  distingue  parfois  sur  Mars  des  nuages  emportés  par  le  vent  au-dessus  de  ces 
continents  et  de  ces  mers.  Citons  entre  autres  une  observation  de  M.  l-ockyer,  qui,  le 
3  octobre  1862,  remarqua,  vers  dix  heures  du  soir,  qu'une  partie  du  continent,  qui 
aurait  dû  être  visible,  était  cachée  par  un  long  voile  blanc,  qui  s'étendit  ensuite  sur 
1  océan  voisin.  Le  même  soir,  après  minuit,  Dawes  remarqua  aussi  cette  traînée  de 
nuages,  qui  occupait  alors  une  place  plus  éloignée  au  sud.  J'ai  souvent  observé  que  du 
jour  au  lendemain,  à  la  même  heure  martienne  et  dans  les  mêmes  conditions  optiques, 
l'aspect  Je  la  planète  était  singulièrement  changé.  C'est  ainsi  que  le  22  juin  1873,  à 
neuf  lii'ures  du  soir,  une  vaste  traînée  nuageuse,  tendue  vers  l'équateur,  lui  donnait 
un  certain  air  de  ressemblance  avec  Jupiter. 


SAlSOiNS  ET  CLIMATS   SUR  MARS 


courant  dans  leur  lit  de  (mUIoux  dorés  par  le  soleil;  rivières  Ira- 
versant  les  plaines  ou  tombant  en  cataractes  au  fond  des  vallées; 
fleuves  descendant  lentement  à  la  mer  à  travers  les  vastes  cam- 
pagnes. Les  rivages  maritimes  reçoivent  là  comme  ici  le  tribut  des 
canaux  aquatiques,  et  la  mer  y  est  tantôt  calme  comme  un  miroir, 
tantôt  agitée  par  la  tempête  ;  elle  y  est  même  aussi  bercée  du  mou- 
vement périodique  du  flux  et  du  reflux,  car  il  y  a  là  deux  lunes 
pour  le  produire,  sans  compter  les  marées  causées  par  l'attraction 
du  Soleil,  mais  ces  marées  ne  sont  guère  plus  sensibles  que  celles 
de  la  Méditerranée. 

Ainsi  donc,  voilà  dans  l'espace,  à  quelques  millions  de  lieues  d'ici, 
une  terre  presque  semblable  à  la  nôtre,  où  tous  les  éléments  de  la 
vie  sont  réunis  aussi  bien  qu'autour  de  nous  :  eau,  air,  chaleur, 
lumière,  vents,  nuages,  pluies,  ruisseaux,  fontaines,  vallons,  mon- 
tagnes. Pour  compléter  la  ressemblance,  rappelons-nous  que  les 
saisons  y  ont  à  peu  prés  la  môme  intensité  que  sur  la  Terre,  qu'elles 
y  sont  seulement  plus  longues,  comme  les  années  elles-mêmes.  C'est 
là  assurément  un  séjour  peu  différent  de  celui  que  nous  habitons, 
et,  quoique  cette  planète  ne  soit  certainement  pas  absolument  iden- 
tique à  la  nôtre,  elle  est,  très  probablement,  parmi  toutes  ses  sœurs 
de  l'espace,  celle  dont  les  habitants  doivent  offrir  la  plus  grande 
ressemblance  avecles  membres  de  l'humanité  terrestre. 


CHAPITRE  VI 

L'atmosphère  de  Mars.  —  Sa  constitution  physique  et  chimique. 

Météorologie   de   cette   planète.  —  Eau.  —  Mers.  —   Nuages.  —  Pluies. 

Neiges.  —  Montagnes.  —  Géologie  et  géographie. 

Un  ;intiquo  et  A'énérable  proverbe  assure  qu'il  n'y  a  rien  de  nou- 
veau sous  le  Soleil.  Si,  pourtant,  Pythagore,  Hipparque,  Ptolémée, 
Copernic,  Galilée,  Kepler  revenaient  sur  notre  planète,  quelle  ne 
serait  pas  leur  surprise,  leur  admiration  !  Nos  lecteurs  sont  trop 
accoutumés  à  apprécier  à  leur  valeur  les  choses  de  l'esprit  pour 
qu'il  ait  été  nécessaire  de  souligner  l'intérêt  des  détails  exposés 
dans  les  pages  précédentes  sur  cette  connaissance  si  précise  que 
nous  avons  aujourd'hui  d'un  monde  différent  du  nôtre.  Quelles 
exclamations  ne  jetterait  pas  l'astronome  Ilévélius,  lui  (jui  n'avait 
pour  observer  Mars,  comme  Copernic  et  comme  Tycho,  que  des 
règles  i.v-  bois  et  de  cuivre  montées  sur  des  cercles  admirablement 
tonstruità,  il  est  ATai,  et  fort  artistiques,  mais  dépourvus  de  verres 
et  munis  seulement  d'alidades  et  de  pinnnles,  lui  qui  soutenait  que 
ces  instruments  étaient  aussi  précis  que  ceux  de  l'optique  nouvelle 
et  qui  les  préférait  même,  quelles  exclamations  ne  jetterait-il  pas 
.s'il  hii  él.iit  (loiuié  d'oliserver  Mars  dans  nos  télescopes  modernes  (*). 


(J  llivcliiis  alVi'CtioiiiKiit  paflii-iilit'nMiii^nt  IVlégant  instninii^nt  reproduit  ri-rnntre, 
(il  Vaille  (liKiiicl  il  o])ti'nait  en  clVet  des  nsiillats  très  précis).  Cniiinii'  souvenir  de  cet 
ôi;e  astroii(iiiiii|ue  — milieu  du  XVII' siécli; — nous  reproduisons  en  même  temps 
le  frontispice  de  son  ouvrage,  dans  lei|uel  il  représente  Copernic- et  Tycho-nralié  debout 
devant  un  globo  céleste  mesuré  par  Ptolémée.  La  Ciéoniétrie  et  rArillimétique  condui- 
sant dans  le  ciel  le  char  de  l'.Xstronomie.  «  Multa  détecta!  »  neaiicnup  do  choses  sont 
découvertes!"  Sed  quam  plurinuin  poslcris  relicta  ».  Mais  combien  d'autres  ne  sont  pas 
réservées  à  la  postérité  !  Les  aun's  de  la  science  et  du  progrès  ne  devraient-ils  pas  reve- 
nir tous  les  siècles  passer  quelque  temps  sur  la  Terre! 


luflruraents  astronomiques  du  temps  d'ilovélius. 


ff-i-.".:  >  nu  citL 


Fiuiil:*!'.,  ■  ili;  rouvrait;  d  ilOvùliu^. 


46 


L'ATMOSl'HÈIiE    DE    MAUS 


On  peut  dire  assurément  que  les  instruments  d^jbservation,  et  les 
méthodes  modernes  ont  transformé  l'astronomie  en  créant  vérita- 
blement ce  qu'on  peut  appeler  Isiphytiiologie  du  ciel. 

Nous  arrivons  ici  à  l'étude  des  conditions  mêmes  de  la  vie  sur  la 
planète  Mars,  à  l'étude  de  l'atmosphère  au  sein  de  laquelle  ses 
enfants  respirent,  vivent  et  meurent. 

Le  globe  de  Mars  est  environné  d'une  atmosphère  analogue  à 
celle  de  la  Terre.  L'existence  de  cette  atmosphère  se  manifeste  de 
trois  manières  différentes  :  1°  le  disque  de  la  planète  est  plus  blanc, 
plus  lumineux  le  long  de  son  contour  que  dans  la  région  centrale; 
2°  les  configurations  géographiques  perdent  leur  netteté  lorsque  la 
rotation  de  la  planète  les  conduit  près  du  bord,  où  elles  ne  sont  vues 
qu'à  travers  une  pliis  grande  épaisseur  atmosphérique;  3°  on  voit 
des  traînées  blanches  vaporeuses  se  déplacer  sur  le  disque  de  la 
planète,  et  ces  traînées  ne  peuvent  être  que  des  nuages  soutenus 
dans  une  atmosphère. 

Dès  que  les  instruments  employés  à  cette  étude  ont  été  suffisants, 
on  a  distingué  nettement  des  nuages  mobiles,  couvrant  tantôt  une 
latitude,  tantôt  une  autre,  se  déplaçant  exactement  comme  le  font 
les  nôtres.  Or,  pour  supporter  des  nuages,  il  faut  une  atmosphère. 
Que  dis-je?  pour  former  les  nuages  eux-mêmes,  une  atmosphère 
est  indispensable.  Ainsi  le  fait  seul,  bien  avéré,  de  l'existence  de 
nuages  sur  Mars  a  prouvé  en  même  temps  l'existence  de  son  atmos- 
phère. D'un  autre  côté,  lorsque  les  taches  fixes  de  la  surface  sont  au 
centre  de  l'hémisphère  martien  tourné  vers  la  Terre,  onies  distingue 
nettement.  Mais  lorsque,  emportées  par  la  rotation,  elles  arrivent 
vers  les  bords  du  disque,  non  seulement  elles  se  présentent  en  rac- 
courci suivant  la  perspective  géométrique  de  leur  position  sur  la 
sphère  tournante,  mais  encore  elles  perdent  leur  netteté,  deviennent 
pâles  et  cessent  d'être  reconnaissables  avant  d'atteindre  le  bord.  Cet 
effet  est  causé  par  l'atmosphère,  qui  absorbe  les  rayons  lumineux, 
et  interpose  un  voile  de  plus  en  plus  épais  à  mesure  que  le  rayon 
visuel  approche  du  bord.  De  plus,  le  bord  de  la  planète  est  tout 
autour,  dans  son  intérieur,  plus  pâle  que  la  région  centrale,  (voy. 
fig.  59)  à  cause  de  la  même  absorption  atmosphérique.  Ces  consta- 
tations s'unissent  pour  prouver  l'existence  de  l'atmosphère. 

Cette  clarté  du  bord  du  disque  n'est  pas  constante.   Parfois  la 


I.ATMOSl'HKllL    DE    MAI!^ 


zone  périmétralc  plus  lumineuse  est  fort  large,  quelquefois  elle  est 
si  étroite  qu'elle  se  réduit  à  un  mince  anneau  collé  intérieurement 
au  contour  du  disque,  ce  qui  s'est  manifesté  entr'autres  au  mois 
d'octobre  1877  dans  les  observations  de  Milan  :  l'atmospbére  de 
Mars  s'est  montrée  alors  absolument  transparente,  d'où  l'on  peut 
Cl  inclure  qu'elle  est  comme  la  nôtre  imprégnée  de  vapeurs  vési- 
culaircs  du  de  corpuscules  qui  réfléchissent  la  lumière  solaire  et  qui 
varient  de  qiuxntité  suivant  l'état  météorologique. 

Un  a  remarqué  que  cette  atténuation  (.es  taches  géographiques  de 


Fii;.  i.'J.  -     iuUo  almosiilRTinuu  sur  lo  cunloiir  nikTieiir  de  lu  jihmL'te. 

la  planète  lorsqu'elles  arrivent  près  des  bords  et  sont  vues  à  travers 
le  maxinnnn  d'épaisseur  atmosphérique  est  beaucoup  plus  pro- 
noncée sur  k'  biu'd  occidental'  que  sur  le  hord  oriental,  ce  qui 
indique  que  «  le  lever  du  soleil  sur  Mars  est  généralement  plus 
beau,  plus  clair  que  le  coucher  du  soleil  ».  —  U  nous  semble  que 
Udtre  planète  est  ù  peu  prés  dans  le  môme  cas;  du  moins  l'atmo- 
sphère de  l'aurore  est-elle  d'une  limpidité  remarquable,  et  la  pratique 
de  la  photographie  montre-t-ellc  (pic  la  lumière  du  matin  est 
plus  photogénique  que  celle  de  l'après-midi  ('). 


('l  Comme  nous  voyons  toujours,  de  Murs,  le  coté  éclairi- et  échauffé  directement  par 
le  Soleil,  il  est  possible  que  le  ciel  n'y  soit  pas  toujours  aussi  clair  qu'il  le  paraît,  et 
qu'il  se  couvre  de  brunies  le  soir  et  pendant  la  iiuil.  Nous  no  savons  pas  ce  que  devient 
l'atmosphère  de  Mars  pendant  le  l'roid  de  la  nuit.  Nous  pouvons  mC-me  ajouter  que  le 


L'ATMOSPHERE    DE   MAllS 


Les  phénomènes  météorologiques  dont  nous  avons  parlé  au  cha- 
pitre précédent  étahlissent  d'autre  part  une  analogie  pres(|ue  com- 
plète entre  cette  atmosphère  et  la  nôtre.  Déjà,  en  1840,  les  astro- 
nomes Béer  et  Mtidler,  après  avoir  observé  Mars  pendant  douze 
années  consécutives,  écrivaient  dans  leurs  Fnujinents  sur  les  corps 
célestes  : 

Les  différences  que  nous  avons  remarquées  sur  les  taches  blanches 
polaires  variant  avec  les  saisons,  s'accordent  [)arfaitement  avec  Thyiio- 
thése  qui  voit  en  elles  un  précijnté  analogue  à  notre  neige  ;  et  il  est  en 
effet  presque  impossible  de  rejeter  une  supposition  qui  se  confirme  d'une 
mauière  aussi  surprenante.  Notre  Terre,  vue  de  la  distance  d'une  planète, 
d.jit  présenter  des  phénomènes  tout  à  fait  semblables;  seulement,  chez 
elle,  le  rapport  entre  les  deux  hèmisjjhères  est  moins  inégal. 

Les  autres  taches  de  la  planète  paraissent  pour  l'essentiel  appartenir  à 
des  parties  constantes  de  la  surface.  Vu  la  position  et  l'éloignement  du 
globe  de  Mars,  on  ne  pourrait  sous  aucune  condition  imaginable,  dis- 
tinguer des  ombres  produites  par  des  montagnes,  quelque  gigantesques 
qu'elles  fussent.  Les  teintes  observées  sont  donc  des  différences  dans  la 
réflexion  de  la  lumière,  qui  doivent  provenir  des  mêmes  causes  que  celles 
qui  existent  sur  notre  Terre.  Ainsi,  quoique  ces  taches  elles-mêmes  ne 
paraissent  pas  analogues  à  nos  nuages,  cependant  on  voit  en  elles  des 
effets  optiques  rappelant  les  condensations  de  nos  nuages  ;  elles  se  mon- 
trent plus  précises  et  plus  intenses  dans  leur  été,  plus  vagues,  plus  pAles 
et  plus  confondues  dans  leur  hiver. 

Si  les  taches  polaires  sont  véritablement  de  la  neige,  leur  diminution  à 
l'approche  de  l'été  ne  peut  avoir  lieu  que  par  la  fonte  et  l'évaporation  con- 
tinuelle; l'épaisseur  de  cette  neige  est,  d'après  toute  vraisemblance,  très 
considérable;  ces  parties  de  la  surface  se  disposant  à  s'évaporer  doivent, 
par  conséquent,  être  extrêmement  humides  :  or,  un  sol  vaporeux  et  maré- 
cageux est  certainement  celui  qui  est  le  moins  susceptiljle  de  rétlexion, 
et  qui  doit,  par  conséquent,  nous  apparaître  le  plus  foncé. 

D'après  l'ensemble  des  observations,  ce  ne  serait  pas  aller  trop  loin  ({ue 
de  regarder  Mars  comme  un  corps  présentant  une  très  grande  ressem- 
blance avec  notre  monde,  comme  une  image  de  la  Terre  telle  qu'elle  nous 
apparaîtrait  au  firmament,  vue  à  une  pareille  distance. 

fait  est  rendu  probable  par  les  observations,  attendu  que  les  bords  de  la  planète  sont 
plus  indistincts  qu'ils  ne  devraient  l'être  par  ia  seule  influence  de  l'absorption  atmos- 
phérique dont  nous  avons  parlé,  et  que  d'autre  part  l'héniisphèro  d'hiver  parait  tou- 
jours fort  brumeux.  La  condensation  atmosphérique  est  donc  encore  plus  sensible  là 
qu'ici,  le  ciel  y  est  rarement  pur  pendant  le  froid  de  l'hiver  et  pendant  celui  de  la  nuit; 
le  matin  et  le  soir,  le  ciel  est  très  souvent  couvert,  tandis  qu'il  est  remarquablement  pur 
dans  le  cours  de  la  journée. 


L'ATMÛSI'llEKE    Di;   MARS 


Si  les  astronomes  s'exprimaient  déjà  en  pareils  termes  dès  l'année 
1840  sur  les  ressemblances  climatologiques  entre  la  planète  Mars  et 
la  Terre,  que  dirons-nous  aujourd'hui,  après  plus  de  quarante 
nouvelles  années  d'observations  constantes  qui  n'ont  fait  que  con- 
linnoi  et  développer  les  inductions  formulées  par  les  deux  émi- 
nents  observateurs  dont  nous  venons  de  rappeler  les  paroles? 
Aujourd'hui,  la  géographie  de  Mars,  qui  n'était  alors  qu'ébauchée, 
est  faite  pour  ainsi  dire;  sa  météorologie  est  connue  dans  ses  grands 
mouvements,  et  la  composition  chimique  elle-même  dg  son 
atmosphère  est  déterminée  par  l'analyse  spectrale. 

En  dirigeant  le  spectroscope  sur  Mars,  on  constata  d'ab(jrd  dans 
les  rayons  lumineux  émis  par  cette  planète  une  identité  parfaite 
avec  ceux  qui  émanent  de  l'astre  central  de  notre  système.  Mais  en 
employant  des  méthodes  plus  minutieuses,  M.  Huggins  trouva  pen- 
dant les  dernières  oppositions  de  la  planète,  que  le  spectre  de  Mars 
est  coupé  dans  sa  zone  orangée  par  un  groupe  de  raies  noires 
coïncidant  avec  les  lignes  qui  apparaissent  dans  le  spectre  solaire 
au  coucher  du  soleil,  quand  la  lumière  de  cet  astre  traverse  les 
couches  les  plus  denses  de  notre  atmosphère.  Or,  ces  raies  révéla- 
trices sont-elles  causées  par  notre  propre  atmosphère?  Pour  le  savoir, 
on  dirigea  le  spectroscope  vers  la  Lune.  Si  les  raies  dont  il  s'agit 
étaient  causées  par  notre  atmosphère,  elles  auraient  du  se  montrer 
dans  le  spectre  lunaire  comme  dans  celui  de  Mars,  et  même  avec 
plus  d'intensité.  Or,  elles  n'y  furent  même  pas  visibles.  Donc  elles 
appartenaient  évidemment  à  l'atmosphère  de  Mars.  Cette  atmos- 
phère ajoute  ses  caractères  particuliers  à  ceux  du  spectre  solaire, 
caractères  établissant  qu'elle  est  analogue  à  la  nôtre.  Mais  quelle  est 
la  substance  atmosphérique  qui  produii  ces  lignes  accusatrices!  En 
examinant  leur  position,  on  constate  que  c'est  la  vapeur  d'eau. 
Donc  il  y  a  de  l'eau  dans  l'atmosphère  de  Mars  comme  dans  la 
nôtre.  Les  taches  vertes  de  ce  globe  sont  bien  des  mers,  des 
étendues  d'eau  analogues  aux  eaux  terrestres.  Les  nuages  sont 
bien  formés  de  vésicules  d'eau  analogues  à  celles  de  nos  brouil- 
lards; les  neiges  sont  de  l'eau  solidifiée  par  le  froid.  Il  y  a  plus, 
cette  eau  révélée  par  le  spectroscope  étant  de  même  composition 
chimique  que  la  nôtre,  nous  savons  qu'il  y  a  là  aussi  de  l'oxygène 
et  de  l'hvdrogène. 


L'ATMOSIMlÈliE   DE   MARS 


L'astroiioine  Vogel  a  fait,  de  son  côté,  une  étude  spéciale  du 
spectre  de  Mars  : 

Dans  ce  spectre,  dit-il,  ou  retrouve  un  très  grand  nombre  de  raies  du 
spectre  solaire.  Dans  les  portions  les  moins  réfrangibles  du  spectre  appa- 
raissent quelques  bandes  qui  n'appartiennent  point  au  spectre  solaire, 
mais  qui  coïncident  avec  celles  du  spectre  d'absorption  de  notre  atmos- 
phère... On  peut  conclure  avec  certitude  que  Mars  possède  une  atmos- 
phère qui,  pour  la  composition,  ne  diffère  pas  essentiellement  de  la  nôtre, 
et  doit  être  riche,  en  particulier,  en  vapeur  d'eau.  La  coloration  rouge  de 
Mars  semble  résulter  d'une  absorption  qui  s'exerce  généralement  sur  les 
rayons  bleus  et  violets  dans  leur  ensemble;  au  moins,  il  n'a  pas  été  pos- 
sible de  discerner,  dans  cette  portion  du  spectre,  des  bandes  d'absorption 
tranchées.  Dans  le  rouge,  entre  B  et  G,  on  devine  des  raies  qui  seraient 
spéciales  au  spectre  de  Mars,  mais  il  n'a  pas  été  possible  de  fixer  leur 
position,  à  cause  de  la  trop  faible  intensité  lumineuse... 

Ce  n'est  pas  un  des  résultats  les  moins  importants  de  notre 
analyse  spectrale,  d'avoir  ainsi  démontré  l'analogie  et  presque 
l'identité  de  composition  chimique  des  ditïérents  mondes  de  notre 
système.  Nous  savions  déjà  qu'ils  sont  frères  d'origine;  mais  les 
conditions  diverses  dans  lesquelles  chacun  d'eux  s'est  développé 
auraient  pu  modifier  profondément  les  états  de  la  matière  et 
mettre  entre  eux  des  séparations  essentielles.  Telle  n'a  pas  été 
l'œuvre  du  temps  et  des  forces  cosmiques.  Une  parenté  inaliénable 
est  restée  entre  tous  ces  mondes,  et  nous  savons  aujourd'hui  que 
leurs  matériaux  constitutifs,  leurs  terres,  leurs  eaux,  leurs  fluides 
atmosphériques,  sont  les  mêmes  que  les  éléments  terrestres  ana- 
logues qui  nous  entourent,  ou  du  moins  n'en  différent  que  dans  les 
proportions.  Au  surplus,  tous  les  mondes  de  notre  système  pro- 
viennent de  la  nébuleuse  solaire  primitive,  et  sont  formés,  par 
conséquent,  des  mêmes  éléments  originaires. 

Nos  lecteurs  connaissent  les  principes  de  cette  merveilleuse  ana- 
lyse spectrale,  qui  nous  permet  aujourd'hui  de  déterminer  la  cons- 
titution chimique  des  atmosphères  planétaires.  Sans  revenir  sur  ces 
principes  ('),   rappelons  seulement  que  les  planètes  réfléchissent 

(')  L'analyse  spectrale  a  été  expliquée  dans  notre  Astronomie  populaire,  livre  III, 
chapitre  vu,  pages  388  à  400,  et  le  tableau  colorié  des  spectres  a  été  donné  dans  le  Sup- 
plément de  cet  ouvrage,  les  Étoiles  et  tes  Curiosités  du  Ciel,  page  224. 


l/ATM(ISlMli:i!E    IIK    M  Ali  S 


dans  l'espace  la  lumière  qu'elles  reçoivent  du  Soleil,  (!t  qu'on  luisant 
arriver  leur  lumière  sur  un  prisme  placé  devant  l'oculaire  d'une 
lunette,  cette  lumière  donne  naissance  à  un  petit  spectre  coloré 
des  sept  couleurs  de  l'arc-en-ciel,  et  qui  est  l'image  parfaite  du 
spectre  solaire.  D'autre  part,  si  l'on  examine  le  Soleil  lorsqu'il  n'est 
pas  très  élevé  au-dessus  de  l'horizon,  avant  son  coucher,  par 
exemple,  on  remarque  qu'il  présente  non  seulement  les  lignes 
caractéristiques  des  éléments  qui  brûlent  dans  cet  astre,  mais  encore 
d'autres  lignes,  qui  sont  d'autant  plus  noires  et  plus  épaisses,  que 
l'astre  est  plus  Las.  Ces  lignes-là  sont  produites  par  l'atmosphère 
terrestre,  et  surtout  par  la  vapeur  d'eau  dont  cette  atmosphère  est 
constamment  imprégnée. 
On  se  rendra  compte  de  ce  fait  à  l'examen  de  notre  figure  GO,  qui 


Fig.  60.  —  Raies  atmosphériques  du  spectre  solaire  que  l'on  n-trouve  dans  le  ^peitu;  de  Mars. 

représente  les  raies  principales  du  spectre  solaire  et,  au-dessous, 
leur  épaississement  et  leur  multiplication  par  l'absorption,  dans  ce 
spectre  due  à  la  vapeur  d'eau,  lorsqu'on  l'observe  quelque  temps 
avant  le  coucher  du  soleil.  Eh  bien,  cette  dernière  figure  est  ana- 
logue à  celle  du  spectre  de  Mars,  lors  même  qu'on  IVibserve  à 
une  très  grande  hauteur  au-dessus  de  l'horizon,  et  dans  des  condi- 
tions telles  que  notre  propre  atmosphère  ne  peut  pas  modifier 
sensiblement  sa  lumière. 

Certes,  c'est  là  un  résultat  qui  peut  paraître  tout  à  fait  incroyalile 
aux  personnes  qui  ne  se  tiennent  pas  au  courant  du  progrès  des 
sciences.  Il  est  merveilleux,  en  (>fFet,  que  nous  soyons  aussi  surs  de 
l'existence  de  l'eau  dans  cette  planète,  que  si  un  messager  céleste 
avait  pu  nous  en  apporter  un  tonneau  à  l'état  liquide  ou  un  mor- 
ceau à  l'état  de  glace,  et,  à  franchement  parler,  ces  procédés  de  l'a- 
nalyse spectrale  sont  de  ceux  qui  mettent  le  mieux  en  lumière  la 
puissance  conquérante  du  génie  de  i'homme.  Lorsque  nous  savons 
qu'une  étendue  de  glace  de  la  dimension  de  la  France,  n'est  guère 


L'ATMOSPHÈRE    DE   MARS 


vuesiir  le  disque  de  Mars,  que  delà  grosseur  d'une  tête  d'épingle,  et 
que  la  Méditerranée  tout  entière  se  réduit  à  un  petit  nuage  bleuâtre 
tracé  à  la  pointe  du  pinceau,  on  a  le  droit  d'admirer  de  pareils  ré- 
sultats. 

La  météorologie  de  cette  teri'e  voisine  n'a  plus  aujourd'hui  les 
mystères  qui  l'obscurcissaient  hier  encore.  Nous  pouvions  nous 
demander,  en  effet,  si  les  taches  blanches  qui  environnent  les  pôles 
de  Mars  et  paraissent  être  de  la  neige  sont  vraiment  de  la  neige,  la 
même  neige  que  celle  de  nos  hivers,  c'est-à-dire  de  l'eau  congelée 
dans  l'atmosphère,  formée  en  flocons  et  tombée  sur  le  sol; 
—  si  ces  nuages  qui  flottent  au-dessus  de  ses  continents  et  de  ses 
mers  sont  vraiment  des  nuages  comme  les  nôtres,  c'est-à-dire 
constitués  de  vésicules  d'eau  suspendues  dans  l'air;  — si  cette  eau, 
l'eau  de  ces  nuages,  de  ces  neiges,  de  ces  mers,  est  la  même  eau 
qu'ici?  Nous  ne  nous  demandions  pas,  il  est  vrai,  avec  le  père  Kir- 
cher  «  si  cette  eau  serait  bonne  pour  baptiser  et  pour  célébrer  la 
messe  »,  car  aucun  motif  ne  peut  nous  faire  supposer  que  l'on  ait  in- 
venté le  baptême  ou  l'eucharistie  sur  cette  planète  voisine  ;  mais  nous 
pouvions  nous  demander  si  c'est  bien  la  même  eau  chimique  que 
la  nôtre,  composée  de  la  combinaison  d'un  équivalent  d'oxygène 
avec  un  équivalent  d'hydrogène. 

Oui,  maintenant  nous  pouvons  l'affirmer:  l'atmosphère  de  Mars 
est  analogue  à  la  nôtre;  ses  nuages  mobiles  comme  ses  neiges  po- 
laires sont  composés  de  la  même  eau  que  celle  qui  circule  dans  notre 
propre  atmosphère,  et  sa  constitution  physique  et  chimique  ne  pa- 
rait pas  sensiblement  différente. 

Les  phénomènes  météorologiques  qui  s'accomplissent  dans  cette 
atmosphère  ont  fait  l'objet  d'observations  nombreuses.  L'existence 
de  la  vapeur  d'eau  sous  forme  gazeuse  est  démontrée  par  le  spec- 
)  troscope  ;  sa  présence  sous  forme  vésiculaire  résulte  de  l'observa- 
tion directe. 
Quand  les  nuées  de  Mars  se  projettent  sur  les  conflgurations  fon- 
t^^  cées  de  la  planète,    elles  se  montrent  sous  l'aspect   de  traînées 
'  vaporeuses  mal  définies,  généralement  très  blanches,  quelquefois 
grisâtres,  un  peu  transparentes,  mais  couvrant  néanmoins  comme 
un  voile  les  contrées  sur  lesquelles  elles  passent.  Ainsi,  par  exemple, 
dans  la  soirée  du  10  octobre  1877,  après  avoir  observé  sans  difficulté 


MÉTÉOROLOGIE   DE   MAliS 


la  région  comprise  entre  le  240*  et  le  350^  méridien,  M.  Schiaparelli 
ayant  interrompu  son  observation  pour  examiner  la  comète  décou- 
verte quelques  jours  auparavant  par  Tempel,  et  étant  ensuite  revenuà 
l'exploration  de  Mars,  écrivait  sur  son  registre  :  «  Planète  très  belle; 
la  mer  Érithrée  est  en  grande  partie  obscurcie  par  des  nuées  ;  la 
Noacliide  est  obscure  ;  la  terre  de  Deucalion  est  à  peine  visible  ;  au 
contraire  l'Arabie  est  très  claire  et  le  golfe  Sabeus  très  distinct.  »  Le 
jour  suivant,  le  même  observateur  écrivait  :  «  La  tempête  observée 
bier  se  continue  sur  la  Noaclude  et  la  mer  Érithrée;  je  ne  puis 
dire  avec  précision  quand  cet  état  de  cboses  a  commencé,  mais  ce 


Fig.  (il.  —  Nuages  sur  Mars  (20  décembre  1881  ) 

fut  certainem.ent  entre  le  4  et  le  10  octobre;  le  14  la  mer  Érithrée 
était  bien  découverte  à  l'Est,  et  le  4  novembre  elle  l'était  entière- 
iiient  ».  On  le  vuit,  le  mauvais  temps  sur  Mars,  nous  l'observons 
d'ici,  et  les  météorologistes  de  la  Terre  pourraient  s'instruire  sur 
la  marche  des  tempêtes  en  étudiant  cette  planète  voisim». 

En  comparant  la  riche  collection  de  dessins  télesci  Cliques  de  Mars 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  en  remarquons  de  fort  caracté- 
ristiques à  ce  point  de  vue.  Tel  est  par  exemple  celui  que  nous 
venons  de  reproduire  (fig.  61),  dessin  fait  le  "20  décembre  1881  à 
l'Observatoire  de  lord  Rosse,  à  Birr  Castle,  Irlande,  par  M.  Otto 
Bœddicker  ;  il  montre  bien  l'aspect  des  nuages,  couvrant  presque 
la  moitié  de  l'hémisphère  alors  tourné  vers  nous. 

TERRES   DU   CIEL  iT 


MÉTEOROLUGlt   DE   MARS 


Si  les  nuages  de  Mars  sont  visibles  par  vision  positive,  c'est-à-dire 
directement  eux-mêmes  sur  les  régions  foncées  de  la  planète,  leur 
présence  sur  les  régions  claires  se  reconnaît  par  vision  négative,  en 
ce  sens  qu'ils  empêchent  de  voir  ce  qui  est  au-dessous. 

Pendant  l'opposition  de  1877,  de  septembre  à  décembre,  une 
grande  partie  de  la  planète  a  été  encombrée  de  nuages,  principale- 
ment le  continent  équatorial  entre  la  mer  du  Sablier  et  la  Manche. 
Les  grands  canaux  dessinés  cette  année-là  sur  la  carte  de  M.  Schia- 
parelli,  n'ont  été  vus  qu'en  février  et  mars,  quoique  la  planète  fut 
alors  quatre  à  cinq  fois  plus  éloignée  de  la  Terre  qu'en  septembre. 
«  Sans  doute,  dit  l'auteur,  le  Soleil  en  arrivant  à  l'équateur  a  dissipé 
le  voile  impénétrable,  qui  d'abord  avait  rendu  ces  détails  inacces- 
sibles à  l'observation  » .  Les  dessins  faits  pendant  l'opposition  de  1 862, 
montrent  que  pendant  cette  année  les  nuages  ont  été  beaucoup 
plus  étendus  et  plus  denses  qu'en  1877;  la  mer  polaire  notamment 
est  restée  cachée  ainsi  que  les  golfes  qui  y  conduisent.  Remarquons 
encore  que  la  transparence  fréquente  de  ces  nuées  laisse  conjeclurer 
qu'elles  n'ont  qu'une  faible  densité  ou  qu'une  faible  épaisseur. 

Il  y  a  là,  comme  on  le  voit,  de  grandes  analogies  entre  la  météo- 
rologie de  Mars  et  celle  de  la  Terre.  Mais  il  y  a  aussi  des  différences 
essentielles  bien  dignes  d'attention.  Ainsi  les  observations  faites  sur 
les  tropiques  aux  époques  où  les  rayons  du  Soleil  dardent  directe- 
ment sur  eux,  montrent  qu'il  n'y  a  là  rien  d'analogue  à  nos  zones 
de  pluies  et  à  nos  calmes  équatoriaux.  11  semble  qu'à  l'époque  des 
solstices,  un  hémisphère  entier  dv  Mars  soit  consacré  à  l'évaporation 
et  l'autre  à  la  condensation.  Aux  époques  intermédiaires,  une  zone 
d'évaporation  parait  limitée  au  Sud  et  au  Nord  par  deux  calottes  de 
condensation.  On  sait  que  les  navigateurs  reconnaissent  de  loin  les 
îles  par  les  nuages  qui  s'amoncellent  au-dessus  d'elles  :  il  parait  eu 
être  de  même  sur  Mars. 

L'analogie  entre  le  régime  météorique  de  Mars  et  celui  de  la 
Terre  se  confirme  non  seulement  par  les  phénomènes  de  conden- 
sation de  la  vapeur  d'eau,  dont  nous  sommes  témoins,  mais  encore 
parla  diversité  même  des  teintes  des  mers  martiennes.  Il  est  digne 
d'attention,  en  effet,  que  les  mers  les  plus  foncées  de  la  planète  soient 
celles  qui  avoisinent  l'équateur  et  la  zone  torride,  et  que  les  moins 
foncées  soient  celles  qui  avoisinent  les  pôles.  Il  en  est  de  même  sur 


MÉTÉOROLOGIE    DE   MARS  131 


la  Terre.  «  On  peut  estimer  la  salure  des  eaux  maritimes  à  leur 
couleur,  écrit  le  commodore  Maury  dans  sa  Géographie  physique, 
de  la  mer  ;  plus  la  teinte  est  verdâtre,  moins  l'eau  est  salée,  et  cette 
différence  de  degré  dans  la  salure  suffit  pour  expliquer  le  contraste 
qui  existe  entre  le  vert  clair  de  la  mer  du  Nord  et  des  mers  polaires 
et  l'azur  foncé  des  mers  tropicales,  spécialement  de  l'Océan  Indien.  » 
Voilà  une  nouvelle  coïncidence  entre  Mars  et  la  Terre,  qui  ne  peut 
guère  être  un  effet  du  hasard.  Les  mers  martiennes  paraissent  donc 
avoir  les  mêmes  propriétés  physiques  que  les  mers  terrestres  ('); 
elles  sont  probablement  salées  aussi,  ce  qui  n'offre  rien  de  surpre- 
nant, le  chlorure  de  sodium  étant  l'un  des  corps  les  plus  communs 
de  la  chimie  minérale. 

Maintenant  que  nous  connaissons  si  bien  l'atmosphère  de  Mars, 
pouvons-nous  compléter  cette  connaissance  en  déterminant  sa  hau- 
teur et  sa  densité?  Cette  hauteur  et  cette  densité  ont  été  l'objet  d'obser- 
vations directes  pour  la  planète  Vénus;  mais  il  n'en  est  pas  de  même 
pour  Mars,  car  ce  globe  ne  présente  aucune  des  conditions  accessibles 
à  l'observation  des  réfractions  que  son  atmosphère  peut  subir.  Mars 
n'est  pas  exposé,  comme  sa  compagne  du  ciel  olympique,  à 
passer  devant  le  Soleil,  et  à  la  distance  où  il  plane,  nous  ne  pour- 
rions pas  voir  cette  atmosphère  déborder  autour  de  son  disque, 


(')  Ainsi  l'état  de  l'atmosphère  martionne,  la  présence  de  la  vapeur  d'eau  sous  tous 
ses  aspects,  les  nuages,  les  neiges,  les  glaces,  tout  s'accorde  pour  nous  montrer  que  les 
taches  grises  de  la  planète  ne  ressemblent  en  rien  à  celles  de  la  Lune  et  sont  incontesta- 
blement des  mers  liquides. 

On  s'est  demandé  si  l'on  ne  pourrait,  et  même  si  l'on  ne  devrait  pas,  voir  l'image  du 
Soleil  réfléchie  dans  ces  mers.  Le  calcul  montre,  par  exemple,  qu'aux  époques  où  la 
planète  est  la  plus  proche  de  nous,  le  Soleil,  ri'll('chi  par  le  miroir  de  ces  mers  lointaines, 
devrait  nous  être  renvoyé  sous  l'aspect  d'un  petit  point  lumineux,  d'une  intensité  égale 
au  quart  de  l'éclat  de  l'étoile  Capella,  c'est-à-dire  comme  une  belle  étoile  de  3' grandeur. 
Sans  tenir  compte  de  l'irradiation,  l'image  du  soleil  ainsi  réfléchie  mesurerait  -^  de 
seconde.  La  boule  d'un  thermomètre  renvoie  l'image  solaire  à  25  mètres  de  distance 
comme  une  belle  éloile  de  1"  de  diamètre,  très  brillante  à  l'œil  nu.  Or  un  grossissement 
de  300  appliqué  à  Mars  amplifie  j;  de  seconde  à  15".  Cette  réflexion  de  la  lumière  solaire 
devrait  être  visible  au  télescope.  On  ne  l'a  jamais  vue,  et  quelques  observateLTs  on» 
présenté  cette  absence  d'observation  comme  une  objection  contre  l'existence  des  mers 
martiennes.  Mais  nous  pouvons  répondre  que  l'on  ne  pourrait  observer  le  point 
lumineux  qu'en  des  circonstances  exceptionnelles,  et  qu'il  n'est  pas  probable  que  la 
surface  des  mers  soit  toujours  là  aussi  calme  qu'un  miroir  :  le  vent  doit  rider  cette 
surface  et  donner  naissance  à  des  vagues  qui  rendent  cette  réflexion  confuse  et  nébuleuse 
au  lieu  de  lui  laisser  l'aspect  d'un  point  net  très  tirillant. 


METEOROLOGIE    DE   MAKS 


lors  même  qu'elle  serait  beaucoup  plus  élevée  que  la  nôtre.  Une 
hauteur  de  80  kilomètres  ne  lui  donnerait  encore  qu'une  épaisseur 
de  0"3  lorsque  la  planète  est  la  plus  rapprochée  de  nous.  En  1672, 
Cassini  a  observé  le  passage  de  Mars  devant  l'étoile  i|/  du  Verseau,  de 
5^  grandeur,  et  comme  l'étoile  avait  disparu  à  6'  du  bord  de  la  pla- 
nète, il  en  avait  conclu  l'existence  d'une  énorme  atmosphère,  opi- 
nion exagérée  et  fondée  sur  une  observation  mal  interprétée,  attendu 
que  c'était  simplement  l'éclat  de  Mars  qui  empêchait  de  voir  l'étoile. 
L'astronome  South  a  observé  deux  occultations  et  un  contact  sans  la 
moindre  variation  dans  l'éclat  des  étoiles  devant  lesquelles  cette 
planète  est  passée. 

Cette  atmosphère  paraît  être  sensiblement  moins  dense  que  celle 
que  nous  respirons.  D'une  part,  nous  y  observons  beaucoup  moins 
de  nuages  et  de  condensations  que  sur  la  Terre.  D'autre  part,  le 
globe  de  Mars  étant  beaucoup  plus  petit  que  le  globe  terrestre,  doit 
être  enveloppé  d'une  atmosphère  moins  considérable.  D'autre  part 
encore,  l'intensité  de  la  pesanteur  étant  beaucoup  plus  faible  là 
qu'ici  a  pour  résultat  de  moins  condenser  l'atmosphère  vers  la  sur- 
face et  de  lui  donner  une  moindre  densité.  Chaque  mètre  carré  de 
la  surface  de  la  Terre  supporte  un  poids  atmosphérique  de  10330  ki- 
logrammes; si  l'atmosphère  de  Mars  était  égale  à  la  nôtre,  la  pres- 
sion atmosphérique  sur  chaque  mètre  carré  de  la  surface  de  la  pla- 
nète ne  serait  que  de  4000  kilogrammes;  de  sorte  que  la  densité 
des  couches  atmosphériques  inférieures  ne  surpasserait  pas  les  |  de 
celle  de  l'atmosphère  terrestre  au  niveau  de  la  mer.  Ce  n'est  guère 
que  la  densité  de  l'air  qui  existe  surnos  plus  hautes  montagnes;  et 
en  admettant  que  la  quantité  totale  de  l'atmosphère  martienne  fut 
réduite  dans  la  proportion  de  la  masse  de  Mars  à  celle  de  la  Terre, 
la  raréfaction  serait  encore  plus  grande. 

S'il  en  était  ainsi,  les  neiges  de  Mars  ne  s'arrêteraient  pas  à  quel- 
ques centaines  de  lieues  aux  environs  des  pôles  ;  elles  couvriraient 
d'un  éternel  linceul  la  planète  tout  entière,  et  nous  n'aurions  sous 
les  yeux  qu'un  bloc  de  glace. 

Nous  sommes  donc  conduits  à  conclure  que  l'atmosphère  de  Mars 
est  constituée  de  telle  sorte  que  loin  de  laisser  se  perdre  dans  l'es- 
pace la  chaleur  reçue  du  Soleil,  elle  la  conserve  et  l'accumule  comme 
une  serre.  L'aspect  de  la  géographie  de  Mars  prouve  que  l'eau  y  est 


LES   NUAGES   DE   MAKrt 


à  l'état  liquide,  et  les  phénomènes  météorologiques  observés  prou- 
vent qu'elle  s'y  évapore  et  donne  comme  ici  naissance  à  des  vapeurs, 
des  brouillards,  dos  nuages,  des  pluies  cl  des  neiges. 

On  est  généralement  porté  à  croire  (|ue  la  Lenqjérature  moyenne 
des  planètes  est  déterminée  par  leur  distance  au  Soleil,  que  sur 


...  Bien  souvent,  dans  la  nacelle  de  l'aérostat,  j'ai  assisté  à  la  formation  des  Diiagcs... 


Mercure  cette  température  est  7  fois  plus  élevée  que  celle  de  la 
Terre,  et  que  sur  Neptune  elle  est  DUO  fois  moindre.  Un  tel  raison- 
nement pèche  parla  base  ;  le  sommet  du  mont  Blanc  est  constamment 
glacé,  et,  à  ses  pieds,  la  douce  vallée  de  Chamounix  est  une  serre 
chaude;  pourtant  ces  deux  points  sont  à  la  même  distance  du  Soleil. 
("eut  la  constitudon  de  V  atmosphère  qui  joue  le  plus  (jrand 


LES    NUAGES   DE   MARS 


rôle  dans  V établissement  des  températures.  Il  peut  faire  beau- 
coup plus  chaud  sur  Mars  que  sur  la  Terre,  comme  il  pourrait  y  faire, 
beaucoup  plus  froid. 

L'atmosphère  agit  comme  une  serre.  Elle  laisse  arriver  les  rayons 
du  Soleil  jusqu'à  la  surface  du  sol,  mais  ensuite  elle  les  retient  et 
s'oppose  à  ce  que  la  chaleur  emmagasinée  s'échappe  dans  l'espace. 
Sans  l'atmosphère,  toute  la  chaleur  solaire  reçue  pendant  le  jour 
fuirait  pendant  la  nuit,  et  la  surface  du  sol  serait  gelée  chaque  nuit, 
en  été  comme  en  hiver.  Mais  sait-on  quelles  sont  les  molécules  atmo- 
sphériques qui  opposent  l'obstacle  le  plus  efficace  à  la  déperdition 
de  la  chaleur  absorbée  par  la  Terre  ?  Les  molécules  d'oxygène  et 
d'azote,  c'est-à-dire  l'air  proprement  dit,  sont  à  peu  prés  indiffé- 
rentes, etlaissent  tranquillement  perdre  cette  précieuse  chaleur.  Mais 
il  y  a  dans  l'air  de  la  vapeur  d'eau  en  suspension,  à  l'état  de  gaz  invisible. 
C'est  cet  élément  qui  est  le  plus  efficace.  Le  pouvoir  absorbant  d'une 
molécule  de  vapeur  aqueuse  est  1 6  000  fois  supérieur  à  celui  d'une  mo- 
lécule d'air  sec!  Cette  vapeur  est  une  couverture  plus  salutaire  pour 
la  vie  végétale  que  nos  vêtements  ne  le  sont  dans  les  plus  grands 
froids.  Supprimez  pendant  une  seule  nuit  la  vapeur  aqueuse  contenue 
dans  l'air  qui  couvre  la  France,  et  vous  détruirez,  par  ce  seul  fait, 
toutes  les  plantes  que  le  froid  fait  mourir;  la  chaleur  de  nos  champs 
et  de  nos  jardins  se  répandra  sans  retour  dans  l'espace,  et  lorsque 
le  soleil  se  lèvera,  il  n'éclairera  plus  qu'un  champ  de  glace. 

La  vapeur  d'eau  n'est  pas  la  seule  qui  jouisse  de  ce  privilège.  Les 
expériences  de  Tyndall  ont  montré  que  les  vapeurs  de  l'éther  sulfu- 
rique,  de  l'éther  formique,  de  l'éther  acétique,  de  l'amylène,  du  gaz 
défiant,  de  l'iodure  d'éthyle,  du  chloroforme,  du  bisulfure  de  car- 
bone, exercent  la  même  influence,  à  des  degrés  divers.  Les  parfums 
que  les  fleurs  répandent  le  soir  autour  d'elles  leur  servent,  pendant 
la  nuit,  d'un  voile  protecteur  contre  les  atteintes  de  la  gelée  ('). 


(')  «  On  a  publié,  écrivait  Tyndall  lui-même,  des  livres  curieux  pour  prouver  que  les 
planètes  les  plus  éloignées  sont  inhabitables.  En  appliquant  la  loi  de  la  raison  inverse 
des  carrés  de  leurs  distances  au  Soleil,  on  trouve  que  la  diminution  de  température 
doit  être  si  grande  que  la  vie  humaine  y  serait  impossible;  mais  dans  ces  calculs  on 
avait  omis  l'influence  de  l'enveloppe  atmosphérique,  et  cette  omission  faussait  tout  le 
raisonnement.  Par  exemple,  une  couche  d'air  de  deux  pouces  d'épaisseur,  saturée  de  va- 
peur d'éther  sulfurique,  olTrirait  une  très  faible  résistance  au  passage  des  rayons  solaires  ; 
mais  j'ai  trouvé  qu'elle  intercepterait  33  pour  100  de  la  radiation  planétaire.  11  n'v 


LES    NUAGES    I)  K    .M  A  I!  S 


Certains  savants  se  placent  en  dehors  de  la  nature,  en  dehors  de 
la  vérité,  lorsqu'ils  s'imaginent  que  l'Univers  entier  doit  être  la  répé- 
tition de  notre  habitacle,  et  lorsqu'ils  croient  pouvoir  juger  l'im- 
raensité  d'après  l'observation  de  notre  atome.  Une  atmosphère  de 
(juelques  mètres  d'épaisseur,  et  absolument  transparente  pour  la  vue, 
pourrait  envelopper  la  Lune  et  faire  de  ses  vallées  un  séjour  délicieux. 
Ne  craignons  pas  de  le  répéter,  le  champ  de  nos  expériences  terrestres 
est  très  restreint,  il  ne  suffit  pas  pour  faire  juger  l'Univers  entier; 
mais  chaque  particularité  peut  servir  d'enseignement,  de  point  de 
départ,  pour  commencer  le  réseau  d'une  science  comparée,  qui 
pourra  s'étendre  jusqu'aux  autres  séjours. 

Chacun  sait  combien  est  instable  l'équilibre  atmosphérique,  et 
quelles  imperceptibles  variations  dans  la  température  suffisent  pour 
(Innner  naissance  à  la  formation  des  nuages  et  des  brouillards.  De 
la  vapeur  d'eau,  à  l'état  invisible,  est  en  suspension  dans  l'air.  Qu'un 
li'ger  abaissement  se  produise  dans  la  température,  et  voilà  un 
nuage  formé.  Qu'un  léger  échauffement  succède,  et  voilà  le  nuage 
dissipé.  Bien  souvent,  du  haut  des  Alpes,  ou  dans  la  nacelle  de  l'aé- 
rostat, j'ai  assisté  à  ces  curieuses  et  instructives  transformations: 
los  nuages  se  forment  et  se  dissolvent  à  la  moindre  influence. 
La  pression  atmosphérique,  la  tension  de  la^  vapeur  d'eau 
agissent  constamment,  silencieusement,  doucement,  mais  énergi- 
qui'ment.  (Par  exemple,  pendant  la  majeure  partie  du  mois  de  jan- 
vier 1882,  la  France  presque  entière,  la  Belgique,  l'Allemagne,  l'An- 
gleterre sont  restées  ensevelies  sous  un  brouillard  opaque,  coïnci- 
dant avec  la  permanence  d'une  haute  pression  barométrique,  tandis 
que  l'Italie,  l'Espagne,  le  midi  de  la  France,  sous  l'influence  de  cette 
même  pression,  jouissaient  d'un  ciel  sans  nuages,  d'une  pure  lu- 
mière et  d'une  printanière  chaleur).  De  faibles  modifications  dans  la 
constitution  physique  et  chimique  de  notre  atmosphère  eussent  pu 
amener  dans  cette  atmosphère  une  opacité  perpétuelle.  Nous  eus- 
sions habité  alors  une  planète  brumeuse,  un  brouillard  sans  fin,  et 
jamais  nous  n'eussions  connu  l'existence  des  étoiles,  de  la  Lune,  ni 

aurait  pas  besoin  d"une  couche  d'une  épaisseur  démesurée  pour  doubler  celte  absorp- 
tion ;  et  il  est  bion  évident  qn'avoc  une  enveloppe  protectrice  de  ce  genre,  qui  permet- 
lr;iit  à  1;»  rhalenv  ifentrer  et  l'enipèrheniit  de  sortir,  on  aurait  des  climats  tempérés  à 
la  surlace  des  planètes  les  plus  éloijj'nées.  » 


I.KS   NIAT.  KS    DE   M  AU  S 


peut-être  même  celle  du  Soleil,  qui  ne  nous  eût  jamais  apparu  que 
sous  l'aspect  d'une  clarté  vague  et  blafarde;  l'Astronomie  n'eut  pu 
naître  sur  un  tel  séjour;  il  eut  été  impossible  à  l'humanité  t<'r- 
restre  de  se  rendre  compte  du  lieu  qu'elle  habite;  c'eut  été  une 
tout  autre  race,  arrêtée  dès  le  début  de  son  développement,  myope, 
terne,  grise,  bornée,  figée,  plus  animale  qu'humaine...  A  quoi 
tiennent  les  destinées  d'un  monde?  A  l'invisibilité  d'un  nuage! 

Fort  heureusement  pour  la  planète  Mars,  son  atmosphère  est 
transparente;  le  ciel  y  est  même  moins  souvent  couvert  que  chez 


Fig.  63.  —  Fragment  de  la  géographie  de  Mars  :  Vile  neigeuse. 


nous.  Toutefois,  les  nébulosités  blanches  que  l'on  aperçoit  de  temps 
à  autre  le  long  des  rivages,  et  les  nuages  plus  éclatants  encore  que 
l'on  remarque  sur  les  régions  polaires,  montrent  que  les  procédés 
météorologiques  n'y  diffèrent  pas  essentiellement  des  nôtres,  quoi- 
qu'il y  ait  moins  d'eau  qu'ici.  Mais,  sans  contredit,  une  différence 
essentielle  avec  le  monde  que  nous  habitons  est  présentée  par  ces 
variations,  qui  n'ont  riim  d'analogue  sur  la  Terre. 

On  a  de  temps  en  temps  remarqué  à  la  surface  de  Mars  quelques 
points  d'une  éclatante  blancheur,  que  l'on  a,  ajuste  titre,  considérés 
comme  représentant  des  montagnes  couvertes  de  neige.  Les  observa- 
tions sont  assez  concordantes  pour  montrer  que  ces  points  blancs  ont 
certainenK^nt  existé.  Quelquefois,  cependant,  c'est  en  vain  qu'on  les 


1.  lit!  neigeuse  vue  de  l'océan  Kepler  ;  inéléorologie  martienne 
TERRES    VI    CIEL  £^ 


LES   NUAGES   DE    MAHS 


a  cherchés,  sans  doute  précisément  parce  qu'alors  les  neiges  étaient 
fondues.  Signalons,  entre  autres,  dans  l'océan  Kepler,  vers  48°  de 
longitude  et  25°  de  latitude  sud,  le  district  auquel  on  a  donné  le 
nom  d'île  Neigeuse,  qui  se  trouve  loin  des  régions  polaires.  Tous 
les  faits  observés  s'accordent  pour  montrer  qu'il  y  a  là  une  île 
couverte  de  hautes  montagnes  de  temps  en  temps  blanchies 
par  les  neiges  ou  par  les  nuages.  L'astronome  anglais  Dawes  a 
notifié  là  de  curieux  changements  :  il  a  notamment  dessiné 
une  tache  blanche,  parfaitement  visible  les  21,  22  et  23  jan- 
vier 1865,  et,  aa  contraire,  complètement  invisible  les  10  et 
12  novembre  1864.  M.  Proctor  l'a  surnommée  l'île  neigeuse  de 
Dawes  et  M.  Green  l'île  de  Hall.  Le  4  avril  1871,  M.  Webb  a 
revu  la. même  tache,  puis  elle  est  devenue  invisible.  On  l'a  revue 
en  1877. 

Cette  île  paraît  s'élever  au  milieu  des  eaux,  cime  solitaire  souvent  • 
blanchie  par  les  neiges  et  surtout  environnée  de  nuages  qui  se 
condensent  là  comme  ceux  que  l'on  voit  suspendus  aux  sommets 
des  Alpes  toutes  les  fois  que  l'air  humide  est  un  peu  rafraîchi.  C'est 
l'île  de  Ténériffe  de  Mars,  plus  élevée  sans  doute,  mais  ne  plongeant 
point  comme  les  Alpes  et  les  Pyrénées  jusque  dans  la  région  des 
neiges  éternelles.  Vue  de  quelques  lieues  de  distance,  d'un  banc 
de  l'océan  Kepler,  elle  doit  se  présenter  au  spectateur  sous  l'aspect 
rappelé  par  le  dessin  qui  précède.  Quels  pâturages,  quels  chalets, 
quels  villages  s'abritent  dans  ses  phs?  quels  êtres  habitent  ses  ri- 
vages? quels  navires  sillonnent  ces  mers?  Cette  rive  maritime, 
aussi  variable  comme  climat  que  celles  de  nos  côtes  normandes, 
n'est-elle  pas  peuplée  de  bains  de  mer  où  les  jeux  mondains  agitent 
leurs  grelots?  n'est-elle  pas  le  rendez-vous  des  plaisirs  des  jeunes 
Martiennes  tout  occupées  des  lois  de  la  dernière  mode?  Ne  voit-elle 
pas  aussi  des  champs  de  courses  sur  lesquels  le  cheval  se  montre 
supérieur  à  l'homme?  Ou  bien,  plutôt,  sur  ce  pic  du  Midi,  n'a-t-on 
pas  élevé  un  observatoire  météorologique  d'où  les  tempêtes  sont 
annoncées  aux  diverses  nations  de  l'hémisphère  austral?  Peut-être 
en  ce  moment,  un  veilleur  de  nuit  découvre-t-il  dans  une  éclaircie 
notre  planète  brillant  comme  un  phare,  et  publie-t-il  que,  la  Terre 
étant  calme  et  lumineuse  dans  un  ciel  transparent,  promet  un  beau 
temps  aux  navigateurs  et  aux  touristes. 


Li;S    NLAOKS    DE    MARS 


Plusieurs  autres  régions  de  la  planète  sont  aussi  remarquables  que 
l'île  neigeuse  par  leurs  intermittences  d'éclat.  Ainsi,  par  exemple, 
M.  Schiaparelli  a  constaté  que  la  terre  de  Secchi,  appelée  par  lui 
Hellas,  paraît  quelquefois  aussi  brillante  que  le  pôle  ('). 

On  a  signalé  également  de  brillants  ménisques  ou  croissants 
le  long  des  bords  oriental  et  occidental  du  disque,  qui  paraissent  dus 
aussi  à  une  cause  atmosphérique. 

Un  grand  nombre  des  taches  foncées  de  Mars,  et  spécialement  cellfi 
dont  les  bordures  septentrionales  forment  une  bande  irrégulière  au- 
dessus  des  régions  équatoriales,  sont  bordées  de  ce  côté  par  une 
ligne  blanche,  suivant  toutes  leurs  sinuosités.  Ces  bordures  blanches 
ne  sont  pas  permanentes,  mais  variables.  Quelquefois  elles  parais- 
sent très  proéminentes*  et  d'un  vif  éclat,  à  ce  point  qu'elles  rivalisent 
même  avec  les  neiges  polaires.  A  d'autres  époques  au  contraire,  elles 
deviennent  si  légères  qu'on  peut  à  peine  les  distinguer,  et  même  par- 
fois elles"  disparaissent  tout  à  fait,  quoique  l'atmosphère  soit  claire 
et  que  les  taches  sombres  se  montrent  parfaitement  bien  définies. 
Notre  figure  65  reproduit  l'un  des  meilleurs  dessins  que  nous  possé- 
dions à  cet  égard  ;  il  a  été  fait  par  l'astronome  anglais  Phillips,  le 
15  octobre  1862,  avec  un  ôquatorial  de  6  pouces,  à  Oxford;  on  voit 
au  premier  coup  d'œil  toute  la  ligne  de  côtes  bordée  par  une  blanche 
hgne  de  nuages. 

Mon  savant  ami  M.  Trouvelot,  qui  a  fait  une  étude  spéciale  de  ces 
traînées  blanchâtres  rapporte  (*),  qu'aux  époques  où  elles  étaient 
invisibles,  il  les  a  souvent  cherchées  pendant  plusieurs  heures  sans 
pouvoir  en  discerner  aucune  trace,  mais  qu'en  plusieurs  circons- 
tances cependant,  il  a  eu  la  bonne  fortune  d'en  voir  quelques-unes 
se  former  graduellement  sous  ses  yeux  dans  l'intervalle  de  moins 

(')  Peniianl  les  mois  de  novembre  et  décembre  1879,  une  bande  blanche  s'étendait  sur 
le  iO*  degré  de  latitude  australe,  du  260'  au  360'  degré  de  longitude,  et  unissait  en  une 
longue  ligne  blanche  les  trois  îles  de  l'océan  Newton  (fin  de  la  terre  de  Cussini,  petite 
ile  et  ile  allongée  au-dessus  du  golfe  Kaiser).  A  l'est  de  cette  dernière,  cette  traînée  lunii 
neuse  tournait  vers  l'équateur  et,  passant  entre  la  baie  du  méridien  et  la  baie  Burton 
atteignait  le  continent  Ilalley.  Le  même  aspect  avait  déjà  été  vu  en  1830  par  Béer  et 
Màdler  et  en  1862  par  Lockyer;  mais  en  1877  il  n'y  avait  rien  de  semblable  et  l'on  dis- 
tinguait au  contraire  des  demi-teintes  qui  ont  fait  dessiner  ces  trois  îles  sur  la  c.irte 
(,iles  submergées?)  [Obs.  de  M.  Green  en  1879].  Est-ce  encore  ici  de  la  neige  qui  fond? 
Ne  seraient-ce  pas  plutôt  des  brumes  éclairées  par  le  soleil? 

(•)  The  Trouvelot  .islronomical  Drawings,  New-York,  1882,  p.  68. 


LES   NUAGES    DE   MARS 


de  deux  heures,  sur  des  points  où  il  n'y  en  avait  certainement  au- 
cune trace  auparavant.  Cet  habile  observateur  attribue  ces  i'rangcs 
à  des  nuages,  à  des  condensations  de  vapeurs  le  long  des  côtes  des 
mers  martiennes,  principalement  autour  des  pics  élevés  ou  des 
chaînes  de  montagnes,  qui  peuvent  sculpter  les  reliefs  de  ces  rivages, 
comme  les  Andes  et  les  montagnes  rocheuses  sculptent  les  côte^ 
de  l'Océan  pacifique.  Des  cimes  élevées  condensant  les  vapeurs 
en  brouillards  ou  en  nuages,  comme  il  arrive  dans  nos  pays  de 


Fig.  Co.  —  Météorologie  de  Mars   -   Tryinée  de  nuages  le  long  des  côtes. 


montagnes,  suffiraient  certainement  pour  donner  naissance  aiix 
aspects  observés. 

Les  pics  les  plus  élevés  pourraient  môme  avoir  leurs  somme 's 
couverts  de  neiges  perpétuelles.  Les  alternatives  de  visibilité  cl 
d'invisibilité  des  taches  blanches  aperçues  de  temps  à  autre  sur 
Mars,  de  même  que  les  changements  ultservés,  peuvent  facilement 
s'expliquer  ainsi. 

M.  Trouvelota  fait  à  ce  sujet,  en  1877  et  1879,  des  observations 
particulièrement  intéressantes.  Pendant  les  époques  où  le  disque  de 
Mars  n'est  pas  circulaire,  mais  présente  une  phase  marquée,  il  a 
suivi  ces  taches  blanchesemportéespar  la  rotation  du  globe  jusqu'au 


NUAGES,  NEICKS,    MONTAGNES 


moment  où  elles  arrivaient  au  bord  de  l'hémisphère  éclairé,  c'est- 
à-dire  sur  la  ligne  de  séparation  de  la  partie  éclairée  avec  la  partie 
obscure  de  la  planète.  En  ces  conditions,  ces  taches  blanches  ont  été 
vues  comme  des  bosses,  aspérités,  et  ainsi  elles  ont  montré 
([u'elles  sont  en  réalité  plus  élevées  que  le  niveau  moyen  de 
la  surface  de  la  planète.  D'autre  part,  des  sinuosités,  des  abais- 
sements dans  le  cercle  terminateur  correspondant  aux  larges  taches 
sombres,  indiquent  clairement  aussi  la  dépression  de  ces  taches  au- 
dessous  du  niveau  général,  (''(^st  là  une  o])servation  que  l'on  peut 


Fig.  r.i; 


Aspect  lie  M.irs  le  ill  scpliMiibre  1877  à  U  lieures  (in  soir. 


faire  presque  tous  les  soirs  sur  la  Lune,  que  l'on  a  obtenu  également 
pnur  Vénus  et  Mercure,  mais  qui  ii'avnil  pas  encore  été  faite  sur  la 
planète  Mars.  D'après  ces  observations,  les  plateaux  montagneux  les 
plus  élevés  de  la  planète  seraient  situés  entre  le  60'  et  le  TU""  degré 
de  latitude  australe,  vers  l'extrémité  occidentale  de  la  Terre  de  Gill. 
«  La  chaîne  de  montagnes  qui  forme  presque  complètement  cette 
terre,  dit  l'astronome  cité  plus  haut,  est  si  élevée  en  certains  points 
que  le  cercle  terminateur  en  est  tout  bouleversé  et  que  le  bord 
même  de  la  planète  en  est  modifié.  Il  y  a  là  un  sommet  si  blanc, 
si  brillant,  qu'il  a  été  pris  pour  la  tache  polaire  par  plusieurs  obser- 
vateurs, comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par  la  position  erronée 
qu'ils  ont  assignée  à  cette  tache  sur  leurs  dessins.  Cette  région 
alpestre  est  située  entre  le  180"  et  le  190"  degré  de  longitude.  » 


142  M'ACES,    NEIGES,    MONTAGNES 

Une  ligne  nuageuse  de  côtes  s'étend  également  le  long  des  rives 
septentrionales  de  l'océan  Kepler.  Nous  avons  vu  plus  haut  que 
c'est  dans  cette  région  que  l'on  a  observé  l'île  neigeuse  aux  blan- 
cheurs intermittentes. 

Ces  traînées  blanchâtres  se  montrent  plus  permanentes  et  plus 
intenses  sur  le  côté  oriental  de  la  mer  du  Sablier,  ainsi  que  sur  ses 
rives  australes,  au-dessous  de  la  terre  de  Secchi.  Il  doit  exister  une 
chaîne  de  montagnes,  longue  et  élevée,  le  long  de  cette  terre,  sui- 
vant les  côtes  de  la  mer  Lambert. 

II  est  extrêmement  rare,  au  contraire,  d'observer  des  nuages  un 
peu  denses  sur  les  zones  tropicales  de  la  planète.  Il  est  curieux 
néanmoins  de  noter  que  dans  le  cours  des  observations  faites  en 
1878,  par  M.  Trouvelot,  un  hémisphère  entier,  du  Nord  au  Sud, 
s'est  montré  couvert  de  nuages  ou  de  brouillards  pendant  huit 
semaines  consécutives  (du  12  décembre  au  6  février)  ;  tandis  que 
l'autre  hémisphère  est  resté  absolument  clair  et  sans  le  moindre 
nuage. 

Ou  aura  un  exemple  de  certains  aspects  nuageux  que  la  planète 
peut  parfois  présenter  par  l'examen  de  notre  figure  66,  sur  laquelle 
on  voit  l'océan  Kepler,  notamment,  parsemé  de  voiles  blanchâtres 
qui  en  dénaturent  l'aspect  général.  M.  Green  rapporte  que  pendant 
l'opposition  de  1877,  observée  par  lui  à  Madère,  il  a  dessiné  seize 
fois  le  côté  oriental  de  cet  océan,  et  que  dans  chaque  circonstance  il 
l'a  trouvé  très  clairet  très  net  ;  mais  que  le  29  septembre  cette  région 
se  présentait  comme  on  la  voit  sur  ce  croquis,  brisée  par  des  nuages 
qui  s'étendaient  vers  l'Ouest,  tandis  qu'en  haut,  au  Sud,  une  autre 
condensation  nuageuse' était  également  bien  visible.  Ces  voiles  nua- 
geux, ajoute-t-il,  n'ont  rien  d'extraordinaire.  Dans  la  série  de  dessins 
faits  en  1862,  par  M.  Lockyer,  une  partie  de  l'océan  Newton,  au 
Sud-Est  de  la  mer  du  Sablier,  est  évidemment  cachée  par  un  nuage, 
et  le  même  aspect  a  été  revu  à  l'Observatoire  de  Greenwich,  par 
MM.  Christie  et  Maunder,  le  16  octobre  1877  ('). 

Ce  sont  là  des  exemples  certains  de  nuages  parfaitement  obser- 
vés sur  Mars.  Il  ne  faudrait  pas  prendre  toujours  pour  des  nuages, 

(')  La  tendance  que  présentent  les  nuages  de  s'amonceler  sur  certaines  régions  de 
l'océan  Kepler  de  préférence  à  d'autres  régions  plus  sombres  semble  indiquer  qu'il  y  a 
là  une  température  dift'érente  de  celle  des  mers  environnantes,  comme  il  arrive  ici  sui' 
les  bas-fonds  et  sur  les  bancs  des  mers  terrestres. 


M  ACKS    ET   NEir.ES    I)  K    MAn> 


toutefois,  les  régions  dilTuses  ou  indécises;  car,  comme  nous  l'avons 
remarqué  au  chapitre  de  la  géographie  de  Mars,  il  y  a  dans  les  des- 
sins de  la  planète  des  dissemblances  qui  sont  uniquement  dues  aux 
différences  d'appréciation  des  observateurs.  Nous  devons  même 
signaler  ici  le  fait  assurément  bizarre,  que  les  différences  qui  exis- 
tent entre  les  dessins  de  Mars  faits  en  même  temps  par  divers 
observateurs,  sont  parfois  si  surprenantes  qu'elles  en  deviennent 
incompréhensibles.  Ni  la  diversité  des  conditions  de  transparence 
atmosphérique,  ni  les  pouvoirs  amplificateurs  des  instruments 
employés,  ni  les  différences  de  vues  entre  les  observateurs,  ni  les 
différences  d'habileté  pour  la  représentation  fidèle  par  le  dessin, 
ne  les  expliquent  entièrement.  Et  pourtant  elles  doivent  évidem- 
ment le  faire.  Il  faut  donc  accorder  une  certaine  latitude  à  cet 
égard  et  ne  pas  se  montrer  trop  exigeant.  Ainsi,  par  exemple, 
voici  (figures  67  et  68)  deux  planisphères  de  Mars  construits  ])(>ndant 
l'excellente  période  de  1877,  le  premier  par  M.  Harkness,  a  l'aide 
du  grand  équatorial  de  66  centimètres  de  diamètre  de  l'Observatoire 
de  Washington,  le  second  par  M.  Schiaparelli,  à  l'aide  de  l'équato- 
rial  de  22  centimètres  de  l'Observatoire  de  Milan.  On  ne  pourrait 
jamais  imaginer  que  le  plus  détaillé  des  deux  soit  celui  qui  résulte 
des  observations  faites  à  l'aide  de  l'instrument  le  plus  faible.  C'est 
pourtantce  qui  a  lieu.  M.  Harkness  déclare  que,  du  18  avril  au  18  oc- 
tobre, il  n'a  pu  obtenir  que  huit  bons  dessins,  à  cause  du  mauvais 
état  de  l'atmosphère,  et  que  c'est  à  l'aide  de  ces  huit  bons  dessins 
concordants  qu'il  a  construit  son  planisphère.  Il  ajoute  qu'on  a 
essayé  chaque  nuit  des  oculaires  grossissant  jusqu'à  400  fois,  mais 
que  c'est  celui  de  175  qui  a  été  généralement  trouvé  le  plus  avan- 
tageux. M.  Schiaparelli,  au  contraire,  a  joui  d'une  atmosphère  gé- 
néralement excellente  et  a  pu  continuer  ses  observations  jusqu'en 
novembre,  en  appliquant  à  sa  lunette  (trois  fois  plus  petite  que  la 
précédente)  des  grossissements  de  322  et  468  fois  (').  Ces  deux 
cartes  de  Mars  peuvent  être  considérées  comme  des  témoignages 
extrêmement   frappants   des    différences    dont    nous    venons   de 

(')  Pendant  le  cours  de  ses  observations  de  1879-80,  M.  Schiaparelli  a  revu  tous  les 
détails  géographiques,  grands  et  petits,  de  sa  carte  de  1877,  à  l'exception  seuiemenl 
d'un  petit  canal,  nommé  par  lui  Hàtldekel,  cl  d'tm  petit  lac  circulaire,  nommé  Fontaim- 
de  la  Jeunesse.  En  revanche,  un  grand  nombre  de  nouveaux  détails  ont  été  découverte 
et  dessinés  pendant  cette  période. 


Nl'ACES    ET   NEIGES    DE   MARS 


parlor.  Elles  suggèrent  aussi  une  autre  réflexion,  celle  de  savoir 
si  les  lunettes  colossales,  qui  permettent  de  sonder  les  abîmes 
des  profondeurs  sidérales  et  de  résoudre  les  pâles  nébuleuses  en 
amas  d'étoiles,  sont  véritablement  préférables  aux  instruments  de 
moyenne  puissance  pour  l'étude  des  planètes.  Plus  l'instrument  est 
fort,  plus  les  obstacles  venant  des  ondes  atmosphériques  augmen- 
tent. M.  Harkness  attribue  une  partie  de  l'insuffisance  des  vues  de 
la  planète,  au  fait  qu'elle  avait  une  grande  déclinaison  sud.  Mais 
l'Observatoire  de  Washington  est  plus  près  de  l'équateur  que  celui 


Fig.  67.  —  Ciirte  de  Mars  fuite  en  1877  à  l'Observatoire  de  Washington. 

de  Milan,  sa  latitude  étant  de  39",  tandis  que  celle  de  Milan  est  de 
45°.  Donc  la  planète  était  plus  élevée  sur  le  premier  horizon  que 
sur  le  second. 

Voici  maintenant,  pour  la  connaissance  de  la  météorologie  mar- 
tienne, quelques  autres  détails  non  moins  intéressants. 

Le  1"  septembre  1877,  à  10  heures  40  minutes  du  soir,  M.  Greeu,  ob- 
servant à  Madère,  a  remarqué  à  l'ouest  de  la  calotte  polaire  un  point 
lumineux  singulièrement  brillant.  Ce  point  est  visible  sur  la  première  des 
quatre  vues  télescopiques  de  Mars  reproduites  plus  haut.  (Voir  firj.  16, 


NUAOKS    ET    NEK.KS    H  K    .MARS 


p.3-2  .  Mai-s  1)11  en  Ultra  une  idée  plus  complète  par  l'examen  du  petit  dessin 
ci-après  (fig.  69)  qui  représente  seulement  le  pôle  Sud  de  la  planète  accom- 
pagné de  la  particularité  dont  il  s'agit.  «  Selon  toute  probabilité,  écrit  l'ob- 
servateur lui-même,  c'était  là  de  la  neige  restant  encore  sur  un  sol  élevé, 
tandis  qu'elle  avait  fondu  tout  autour  à  des  niveaux  inférieurs.  Ce  point  bril- 
lait comme  une  étoile,  et  il  était  imiîossiblc  de  ne  pas  le  remarquer.  Le  8  sep- 
tembre, à  minuit  30  minutes,  j'eus  de  nouveau  l'occasion  de  l'observer, 
mais  alors  on  distinguait  parfaitement  deux  points  séparés,  et  deux  jours 
plus  taid,  de  10  à  11  lieurcs  30  minutes,  ou  en  distinguait  encore  d'autres 
concentriques  à  la  zone  des  neiges,  comme  on  le  voit  figure  70.  Ces  alté- 


JO"      iO'      60?       B0°     lOII?    I2n 


I  if,'.  (18.  —  Carte  de  Mars  faiti»  en  1877  à  l'Observatoire  de  Milan. 


rations  lie  foi'mes  étaient  sans  doute  dues  à  la  perspiTtivc.  ces  diverses 
taches  neigeuses  s'étant  j)résentées  presque  de  prolil  liii<  de  l'observation 
du  i"  septembre.  On  ne  les  a  jamais  vues  à  l'Est  du  cap  [lolaire,  et  c'est 
là  une  circonstance  d'un  intérêt  particulier.  En  effet,  leur  grand  éclat  à 
l'Ouest  du  pôle,  leur  décroissance  en  passant  par  le  méridien  central,  et 
leur  invisibilité  en  arrivant  au  côté  oriental,  s'explique  naturellement  en 
supposant  que  les  pentes  des  montagnes  qui  conservaient  cette  neige 
étaient  tournées  au  Sud-Ouest  ;  de  cette  sorte  elles  étaient  abritées  des 
rayons  solaires  jiendant  la  plus  grande  partie  d'une  rotation  ;  mais  elles 
étaient  pleinement  expo.sées  à  sa  lumière,  et  par  conséquent  mieux  vues, 
justement  lorsqu'elles  s'éloignaient  vers  le  bord  occidental.  Il  est  curieux 
de  remarcpier  que  ce  point  de  lumière  a  été  observé  et  figuré  de  la  même 
façon  dans  un  dessin  fait  le  30  août  18  50,  à  Cincinnati,  par  Milcliel;  il  se 

TERr.ES   DU   CIEL  fO 


NUAC.ES,  NE1(;ES,  montacnks 


rattache  cci'taiiuniicut  à  une  couûyuration  locale  de  la  itlauùte.  Je  lui  ai 
donné  le  nom  de  mont  Mitchcl  en  souvenir  de  cet  enthousiaste  ami  de 
l'Astronomie.  » 

On  le  vuit,  peu  à  peu,  nous  pénétrons  en  détail  dans  les  diiïérentes 
régions  de  la  planète  et  dans  la  connaissance  de  ses  contrées  les  plus 
extrêmes. 


Fig  ti'J.  —  I.cs  neiges  du  pôle  sud  d 


bro  1S77.) 


Nous  avons  vu  plus  haut  que  les  taches  foncées  de  Mars  s'effacent 
en  approchant  vers  les  bords  du  disque,  généralement  en  arrivant 
à  une  distance  du  bord  égale  au  cinquième  du  rayon,  ce  qui  cor- 


Fifî.  '0.  -  Les  ueiRes  du  pôle  sud  de  Mars  (10  septembre  1877.) 

respond  à  53"  du  centre  de  l'hémisphère  visible.  Quelquefois  des 
taches  très  foncées  et  très  nettes,  comme  la  mer  circulaire,  peuvent 
être  aperçues  plus  loin,  jusqu'à  60"  et  même  63°.  Les  taches  lumi- 
neuses se  comportent  tout  autrement.  M.  Schiaparelli  a  observé  que 
les  deux  îles  de  Thulé  (terres  de  Rosse  et  de  Gill),  l'île  d'Argyre 
(terre  de  Schroëter),  et  l'Hellade  (terre  de  Secchi),  sont,  au  contraire, 
beaucoup  plus  faciles  à  voir  près  des  bords  que  dans  la  région  cen- 


NL'Ar.KS,    NlCIf.KS,   MO.NÏ  AdN  ES 


traie  du  disque.  A  quelle  cause  cette  plus  grande  visibilité  est-elle 
due?  Peut-être  à  ce  qu'il  y  a  là  des  régions  montagneuses  dont 
les  pentes  inclinées  réfléchissent  mieux  la  lumière  solaire  lors- 
qu'on les  voit  très  obliquement.  Telle  était  la  théorie  de  Zôllner 
pour  expliquer  le  grand  éclat  du  bord  lunaire  à  la  pleine  lune.  Cet 
astronome  physicien  avait  même  calculé  l'inclinaison  de  ces  pentes, 
qu'il  estimait  à  76".  Mais  cette  plus  grande  visibilité  est  plutôt 
due  à  des  nuées  étagées  de  telle  sorte  qu'elles  réfléchissent  mieux 
la  lumière  lorsqu'on  les  voit  sous  une  certaine  obliquité  {*). 
Dans  certaines  régions,  le  fond  des  mers  se  laisse  apercevoir  à 

(')  L'astronome  ZoIIiil'I'  a  soigneusciiient  observé  l'éclat  des  plaiirtcs  supérieures  aux 
époques  de  leur  opposition  moyenne  et  en  a  déduit  les  résultats  suivants. 

Erreur  probable 
pour  cent. 
Soleil  =  6  994  000  000  de  fois  Mars.  3,8 

Soleil=  5  472  000  000      —      Jupiter.  3,7 

Soleil=        130  980  000  000       —       Saturne  (sans  les  anneaux).  3,0 

Soleil  =     8  486  000  000  000      —       Uranus.  6,0 

Soleil  =  79  020  000  000  000      —      Neptniu'.  5,5 

Il  s'en  suit  que  si  l'on  représente  par  1000  l'éclat  total  de  Mars  à  son  opposition 
moyenne,  on  triiuv(!  les  valeurs  suivantes  pour  l'éclat  des  diverses  planètes  ainsi  obser- 
vées, et  calculé  d'autre  part  pour  le  cas  de  sphères  d'égale  puissance  réflective  : 

Éclat  observé.  Écl.it  calculé. 

Mars 1000  1000 

Jupiter 1278  487 

Saturne  (sans  anneaux)  .  .  .         3:t,4  24,3 

Uranus 0,824  0,30 

Neptune, 0,088  0,Co8 

Zôllner  en  conclut  pour  le  pouvoir  réflecteur  des  surfaces  di;  ces  planètes  les  valeurs 

suivantes  : 

Mars =0,2672 

Jupiter =0,6238 

Saturne =0,4981 

Uranus =0,6400 

Neptune =0,4648 

L'examen  de  l'éclat  de  Mars  pendant  ses  phases  l'a  conduit  à  conclure  qu'il  rélléchit 
la  lumière  solaire  comme  si  sa  surface  était  couverte  do  hautes  montagnes  dont  les 
pentes  seraient  inclinées  à  76*.  Ce  seraient  de  véritables  pains  de  sucre.  L'hypothèse 
est  peu  soutenable,  étant  surtout  données  les  mers  de  Mars.  Nous  préférons  admettre 
avec  l'rmtor  que  cette  réflexion  est  due  à  des  nuages  analogues  aux  légers  cumuli  qui 
flottent  en  été  dans  notre  atmosphère.  Près  du  cercle  terminateur  de  la  phase  de  Mars 
la  clarté  du  disque  s'assombrit  sensiblement,  ce  qui  conc(U-de  avec  cette  explication  et 
ce  qui  montre  qu'en  somme  les  brunies  du  matin  et  du  soir  ne  sont  pas  intenses,  car 
dans  ce  cas  le  disque  ne  s'obscurcirait  pas. 


NUAGES   ET   NEIGES   DE   MARS 


travers  une  mince  couche  d'eau.  Déjà  les  observations  permettent 
d'ajouter  que  les  dilïérentos  mers  ne  se  ressemblent  pas  à  cet  égard. 
Ainsi  les  plages  boréales  de  la  mer  Hooke,  finissent  plus  nettement 
que  les  plages  australes  de  la  mer  Maraldi.  La  terre  de  Cassini 
semble  s'immerger  par  degrés  insensibles  dans  la  mer  Flammarion, 
qui  est  très  sombre.  L'île  allongée  que  l'on  voit  dans  l'océan  Kepler 
au-dessus  du  golfe  Kaiser  et  de  la  baie  du  Méridien,  est  au  contraire 
d'une  teinte  si  uniforme,  que  M.  Schiaparelli  la  compare  aux  grandes 
plaines  de  l'Europe  orientale;  il  la  considère  comme  une  plaine 
d'alluvion,  et  il  lui  a  donné  le  nom  de  «  terre  de  Deucalion  ».  Ce 
même  observateur  a  remarqué  que  la  terre  de  Hall,  nommée  par  lui 
l'Hespéride,  devient  plus  sombre  et  se  confond  avec  les  mers  voisines 
toutes  les  fois  que  la  rotation  l'emporte  à  une  certaine  distance  du 
centre  du  disque,  et  il  en  conclut  que  très  probablement  cette  pé- 
ninsule ressemble  à  l'Italie  formée  par  la  chaîne  des  Apennins,  en 
ce  sens  qu'une  chaîne  de  montagnes  dessinerait  son  ossature  et  que 
ses  pentes  iraient  mourir,  l'une  dans  la  mer  Hooke,  l'autre  dans  la 
mer  Maraldi  :  l'extrémité  australe  de  cette  terre  (qui  a  reçu  le  nom 
d'isthme  de  Niesten),  descendrait  même  un  peu  au-dessous  du 
niveau  de  la  mer,  et  mettrait  en  communication  les  deux  mers  ('), 
elle  serait  donc  submergée,  recouverte  d'une  nappe  d'eau,  et  l'as- 
sombrissement  de  cette  région  à  mesure  que  nous  la  voyons  plus 
obliquement,  viendrait  de  ce  que  le  fond  ne  serait  alors  visible  qu'à 
travers  une  couche  d'eau  de  plus  en  plus  grande. 

Nous  avons  décrit  plus  haut  les  variations  météorologiques  et 
géographiques  considérables  que  l'observation  a  constatées  à  la 
surface  de  la  planète.  Ces  variations  considérables  sont  pour  nous 
un  témoignage  que  cette  planète  est  le  siège  d'une  énergique  vita- 
lité. Ces  mouvements  divers  nous  paraissent  s'effectuer  en  silence, 
à  cause  de  l'èloignement  qui  nous  en  sépare  ;  mais,  tandis  que  nous 

(')  Nous  ne  nous  aventurerons  pas  à  conjecturer  la  profondeur  des  mers  martiennes, 
quoique  la  diversité  des  teintes  soit  un  indice  de  ces  profondeurs.  Les  expériences  du 
P.  Secchi  ont  montré  que,  dans  la  Méditerranée,  un  objet  blanc  cesse  d'être  visible  au 
delà  de  60  mètres  de  profondeur  ;  mais  M.  de  Tessan  rapporte  que  le  banc  des  Aiguilles, 
à  l'extrémité  australe  de  l'Afrique,  est  encore  visible  à  200  mètres.  11  est  probable, 
connue  nous  l'avons  déjà  dit,  que  les  mers  martiennes  "n'ont  qu'une  profondeur  relati- 
vement très  faible.  Ce  qui  est  confirmé  par  les  phénomènes  d'évaporation. 


MÉTÉOROLOGIE  DE   MARS 


observons  tranquillement  ces  continents  et  ces  mors,  lentement 
emportés  devant  notre  regard  par  la  rotation  de  la  planète  autour 
de  son  axe,  tandis  que  nous  nous  demandons  sur  lequel  de  ces  ri- 
vages il  serait  le  plus  agréable  de  vivre,  peut-être  y  a-t-il  là,  en  ce 
moment  même,  des  orages  épouvantables,  des  volcans  en  fureur, 
des  tempêtes  déchaînées,  des  armées  excitées  parle  feu  des  combats, 
des  flottes  de  guerre  bombardant  une  autre  Alexandrie,  ou  des 
troupes  innombrables  préparant  l'investissement  soldatesque  d'un 
autre  Paris.  De  môme,  les  astronomes  de  Vénus,  armés  d'instru- 
ments d'optique  analogues  aux  nôtres,  contemplant  la  Terre  et  la 
voyant  planer  dans  une  calme  tranquillité  au  milieu  d'un  ciel  pur, 
ne  se  doutent  pas  assurément  que  sur  ces  campagnes  dorées  par  le 
soleil  et  sur  ces  mers  azurées  qui  se  découpent  en  golfes  si  délicats, 
l'intérêt,  l'ambition,  la  cupidité,  la  barbarie  ajoutent  souvent  leurs 
orages  volontaires  aux  intempéries  fatales  d'une  planei,<;  imoarfaite. 
Nous  pouvons  pourtant  espérer  que  le  monde  de  Mars  étant  plus 
ancien  que  le  nôtre,  son  humanité  est  plus  avancée  et  plus  sage.  Ce 
sont  sans  doute  les  travaux  et  les  bruits  de  la  paix  qui  animent  son 
atmosphère.  Il  est  curieux  de  penser,  toutefois,  que  malgré  leurs 
eiïorts,  ces  frères  inconnus  peuvent  n'avoir  pas  encore  fait  la  con- 
quête entière  de  leur  globe  et  ne  pas  connaître  la  configuration 
géographique  de  leurs  propres  pôles  aussi  exactement  que  nous  la 
connaissons  nous-mêmes  I  Les  astronomes  de  Vénus,  également,  se 
trouvent  dans  une  situation  préférable  à  la  nôtre  pour  observer  les 
pôles  terrestres  et  étudier  l'ensemble  de  notre  propre  patrie. 

Combien  singulier  est  son  arrangement  géographique,  au  point 
de  vue  de  nos  idées  terrestres!  Pas  de  grands  continents;  pas  de 
grands  océans.  Une  série  de  terres  consécutives  à  l'équateur,  bordées, 
surtout  dans  l'hémisphère  austral,  par  une  série  de  méditerranées. 
On  peut  faire  le  tour  do  la  planète,  soit  par  la  terre  ferme  (excep- 
tion faite  des  canaux),  soit  par  les  mers. 

Ajoutons,  comme  caractères  spéciaux,  les  terres  submergées,  tantôt 
sèches  et  tantôt  inondées,  et  son  étrange  réseau  de  canaux,  et  nous 
compléterons  l'aspect  du  monde  martien.  Ces  canaux  doivent  être 
incomparablement  plus  nombreux  que  ceux  qui  ont  été  découverts 
jusqu'ici,  car  en  certains  moments  fugitifs  de  visibilité  parfaite, 
divers  observateurs  ont  aperçu  des  détails  qu'ils  déclarent  avoir  été 


MÉTÉOROLOGIE    DE  MARS 


dans  l'impossibilité  de  dessiner  (Secclii,  juin  1858.  —  Schiaparelli, 
octobre  1877).  L'histoire  géologique  de  Mars  nous  conduit  à  con- 
clure que,  plus  ancien  et  plus  vite  refroidi  que  notre  planète,  il 
n'est  plus  aujourd'hui  soumis  aux  forces  intérieures  de  soulève- 
ments qui  agissent  encore  ici,  a  perdu  une  partie  de  ses  eaux,  et  se 
laisse  désormais  niveler  de  siècle  en  siècle  par  les  eaux  qui  lui  res- 
tent et  par  son  atmosphère. 

Ainsi  se  résument  les  nombreuses  observations  faites  sur  Mars, 
depuis  un  quart  de  siècle  surtout.  En  les  comparant  et  les  discutant, 
nous  avons  pris  soin  de  n'en  exagérer  aucune,  et,  au  contraire,  de 
glisser,  sans  appuyer,  sur  celles  qui  n'ont  pas  été  confirmées  par 
plusieurs  observateurs.  Mais,  évidemment,  tout  en  mettant  une 
judicieuse  sévérité  scientifique  dans  le  choix  et  l'appréciation  des 
documents,  il  ne  faudrait  pas  imiter  le  scepticisme  de  Napoléon 
auquel  Arago  montrait  les  taches  du  Soleil.  Le  grand  conquérant 
n'a  jamais  voulu  croire  que  ces  taches  n'étaient  pas  dans  la  lunette  ! 
Le  héros  d'Austerlitz  n' admettait  pas  que  l'astre  du  jour  pût  avoir 
des  taches... 

Nous  tirerons  bientôt  les  conclusions  auxquelles  cette  analyse 
détaillée  de  la  planète  nous  conduit,  relativement  à  son  état  actuel 
d'habitation.  Mais  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  la  décou- 
verte aussi  inattendue  qu'extraordinaire  de  ses  deux  satellites. 


CHAPITRE  YII 


Les  satellites  de  Mars. 


La  découverte  des  deux  satellites  de  Mars  est  assurément  l'une 
des  plus  curieuses  et  des  plus  intéressantes  des  temps  modernes. 
On  peut  dire  qu'elle  a  été  faite  exprès,  et  qu'elle  est  le  résultat  de  la 
plus  louable  persévérance.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  l'année  1877 
i''tait  particulièrement  remarquable  à  cause  du  rapprochement 
maximum  auquel  Mars  devait  se  trouver  de  la  Terre,  l'opposition 
des  deux  planètes  ayant  été  fixée  par  le  calcul  pour  le  5  septembre 
de  cette  année-là.  Le  professeur  Asaph  Hall,  astrounnic  de  l'Obser- 
vatoire de  Washington,  pensa  que  ce  serait  là  une  circonstance 
extrêmement  favorable  pour  vérifier  le  voisinage  de  Mars,  à  l'aide 
du  grand  équatorial  de  cet  Observatoire.  Il  se  disait  avec  raison  que 
quoique  plusieurs  observateurs  eussent  déjà  été  déçus  dans  leurs 
espérances  en  cherchant  un  satellite  à  cette  planète,  ce  n'était  pour- 
tant pas  là  une  raison  suffisante  pour  y  renoncer  définitivement, 
surtout  en  considérant  que  les  conditions  actuelles  de  la  recherche 
étaient  exceptionnellement  favorables.  Il  se  mit  donc  à  l'œuvre  dés 
les  premières  soirées  du  mois  d'août,  scruta  les  environs  de  la  pla- 
nète avec  un  soin  minutieux,  et  pour  ne  pas  être  gêné  par  son 
grand  éclat,  prit  soin  de  la  masquer  ou  de  la  faire  sortir  du  champ 
de  la  lunette,  de  façon  à  pouvoir  saisir  la  plus  légère  trace  de  satel- 
lite visible  dans  s<iii  voisinage. 

Les  premières  nuits  funMit  inrmclueuses.   fatigantes  et  désespé- 


LES   SATELLITES    DE    .MARS 


rantes,  et  l'astronome  renonçait  à  continuer  sa  recherche,  lorsque 
Madame  Hall,  secrétaire  de  son  mari,  insista  vivement  pour  qu'il  y 
consacrât  «  encore  une  soirée  ».  C'était  le  11  août.  M.  Hall  se  mit  à 
l'équatorial,  et  trois  heures  plus  tard,  crut  apercevoir  un  petit 
point  lumineux  qui  fît  battre  son  cœur.  Mais  à  peine  avait-il  bien 
constaté  sou  existence  qu'un  épais  brouillard  s'élevant  de  la  rivière 
Potomac  vint  interrompre  l'observation.  Le  ciel  resta  obstinément 
couvert  pendant  les  nuits  suivantes.  Enfîn,  cinq  jours  plus  tard, 
le  16,  le  ciel  s'étant  éclairci,  l'astronome  se  précipita  à  sa  lunette, 
retrouva  le  petit  point,  ne  le  perdit  plus,  et  en  deux  heures  d'ob- 
servation constata  qu'il  marchait  dans  le  ciel  avec  la  planète.  Ce 
petit  point  n'était  donc  pas  une  étoile  fixe.  Mais  peut-être,  —  le 
hasard  est  si  grand  !  —  l'une  des  innombrables  petites  planètes,  qui 
gravitent  entre  Mars  et  Jupiter,  passai^elle  justement  par  là  en  se 
moment?  On  consulta  les  éphémérides  et  on  trouva,  qu'en  effet,  la 
planète  Europa  devait  justement  passer  à  cette  date  derrière  Mars. 

Un  calcul  préliminaire  montra  que  si  le  petit  point  observé  étai. 
un  satellite,  il  devrait  être  caché  par  la  planète  pendant  une  partie 
de  la  nuit  suivante  du  17,  mais  devrait  reparaître  avant  l'aurore, 
près  de  sa  position  originale  ;  tandis  que,  si  c'était  la  petite  planète 
Europa,  elle  devrait  se  trouver  le  soir  même  un  peu  au  sud-est  de 
Mars. 

Cette  nuit  du  17  fut  merveilleusement  claire,  et  à  peine  Mars 
était-il  levé  au-dessus  des  brumes  de  l'horizon,  que  l'équatorial  fut 
impatiemment  pointé  sur  lui.  Aucun  satellite  n'était  visible,  ce  qui 
était  de  bon  augure.  A  quatre  heures  du  matin,  l'astronome  radieux 
vit  le  petit  point  lumineux  émerger  tranquillement  des  rayons  de  la 
planète,  comme  le  calcul  l'annonçait  :  c'était  bien  un  satellite  de 
Mars. 

Ce  n'est  pas  tout.  En  observant  ce  satellite  et  en  suivant  son 
mouvement,  M.  Hall  ne  tarda  pas  à  en  remarquer  un  second,  encore 
plus  petit  et  plus  proche  de  la  planète  ! 

La  nouvelle  fut  télégraphiée  aux  principaux  astronomes  du 
monde,  et  malgré  le  scepticisme  qu'elle  excita  d'abord,  elle  ne 
tarda  pas  à  être  confirmée  par  toutes  les  observations  ultérieures. 

Ces  deux  petits  satellites  ont  été  suivis,  à  l'aide  des  grands  instru- 
ments, pendant  les  mois  de  septembre  et  d'octobre  1877;  puis  on 


LES   SAÏKLLIÏKS    11  K    MACS 


1(\^  pfn-;lit  do  vue,  à  incsiuv  que  M;ir.-;  s'rloigiia  de  la  Terre.  On  les 
retrouva  en  1879,  lorsque  la  planète  revint  dans  notre  voisinage, 
et  un  put  même  les  observera  l'aide  d'instruments  moins  puissants, 
car  lorsqu'on  sait  qu'une  chose  existe,  on  la  voit  beaucoup  mieux  que 
liirsqu'ou  ignore  son  existence.  On  les  a  encore  retrouvés  pendant 
l'iipposition  de  1881.  Mais  Mars  ne  passant  plus  maintenant  qu'à 
(Il  s  distances  de  plus  en  plus  considérables  de  nous,  il  sera  très 


Fig.  'i.  —  L'Observatoire  de  Washingion. 

dilTicile  et  peut-être  même  impossible  de  les  revoir  avant  l'année 
ISS8  et  peut-être  même  avant  1890. 

('.es  deux  petites  lunes  ont  reçu  de  leur  dècouvnMir  lt>s  noms  de 
D>'i>/i')s  (la  Terreur)  et  P/iobos  (la  Fuite),  en  souvenir  de  deux  vers 
de  VUinde  d'Homère  (liv.  XV),  qui  représentent  Mars  descendant 
-  ir  la  Terre  pour  venger  la  mort  de  son  fils  Ascalaphe  : 

Il  ordonne  à  la  Terreur ot  a  la  Fuite  d'atteler  ses  coursiers; 
i;t  lui-même  revêt  ses  armes  étincelantes. 

Phobos  est  le  premier,  le  plus  proche;  Deiraos  le  second.  Voici 
les  élémcMits  de  leurs  orbites  : 


Diamètre  de  Mars     =   C830  kilomètres. 

Distance  de  Piiobos=         2,771  de  demi-diamètre  de  Mars  étant  1). 

=  9190  kilomètres. 
Distance  de  Deimos  =         0,021 

— -23700  kilomètres. 


TERRES    DC   CIEL. 


20 


LKS    SATKLLITKS    DK    MAIl- 


Ges  distances  sont  comptées  du  centre  de  la  planète.  Si  nous  en  retran- 
chons le  deaii-diamètre  de  Mars,  il  reste  pour  la  ilistauce  de  la  surface  de 
la  planète  à  la  surface  des  satellites,  moins  de  0000  kiloLuètres  pour  le 
premier  et  moins  de  20000  pour  le  second. 

Le  diamètre  de  Mars  étant  de  9", 57,  les  plus  grandes  élongations  ne 
sont  que  de  13"  pour  le  premier  et  de  32"  pour  le  second. 

La  révolution  du  premier  s'effectue  dans  la  période  étrangement  rapide 
de  7  heures  39  minutes  14  secondes,  et  celle  du  second  dans  la  période 
également  très  rapide  de  30  heures  17  minutes  5-'«  secondes,  période  ù 
peu  près  égale  ù  quatre  fois  la  première,  ce  qui  indique  un  lien  de  parenté 


entre  les  deux  satellites.  Leurs  orbites  sont,  toutes  deux,  presque  circu- 
laires, à  peu  près  dans  le  plan  de  l'équateur  martien,  et  inclinées  l'une  et 
l'autre  de  26°  environ  sur  l'écliptique.  —  Nous  avons  représenté  ce  petit 
système  sur  notre  figure  74  :  c'est  ainsi  qu'ils  circulent  actuellement  dans 
le  plan  de  l'équateur  de  Mars. 

Depuis  leur  découverte,  ces  satellites  ont  été  revus,  le  second 
surtout,  par  un  grand  nombre  d'observateurs.  Dès  le  27  août  1877, 
au  reçu  de  la  dépèche,  on  les  recherchait  à  l'Observatoire  de  Paris, 
et  MM.  Paul  ot  Prosper  Henry  parvenaient  à  reconnaître  le  second 
à  l'aide  de  l'équatorial  de  0"',25  de  diamètre,  en  prenant  soin  de 
cacher  la  planète  par  un  écran.  Nous  reproduisons  ici  [fuj.  75),  le 


LES   SATELLITES   DE   MAUS 


dessin  qu'ils  en  ont  fait  ce  soir-là.  A  cause  de  l'exiguïté  de  ces 
satellites  et  de  leur  voisinage  de  la  planète,  il  faut  d'excellents 
instruments  pour  les  distinguer.  Toutefois,  comme  un  objet  qu'on 
sait  exister  est  plus. facile  à  découvrir  qu'un  objet  dont  on  ignore 
l'existence,  des  instruments  fort  inférieurs  à  l'équatorial  de  Was- 
hington suffisent  aujourd'hui  pour  permettre  d'observer  ces  deux 
points  lumineux,  et  même  pour  mesurer  leur  position  ('). 

L'analogie  avait  déjà  fait  soupçonner  l'existence  de  ces  satellites, 
et  plusieurs  astronomes,  W.  Herschel,  d'Arrest,  etc.,  avaient  même 
passé  d(>  longues  heures  à  les  chercher.  On  avait  dit  :  la  Terre  a  un 
satellite,  Jupiter  en  possède  quatre  (et  Saturne  huiti  ;  Mars,  qui  se 


50 '•  17T.-,i 


Tl.  —  Le  svstéme  de  M^j  s. 


trouve  entre  la  Terre  et  Jupiter,  pourrait  bien  en  avoir  un  ou  plutôt 
deux.  C'est  Kepler  lui-même  qui,  le  premier,  a  tenu  ce  raisonne- 
ment, dès  l'année  1610.  Dans  les  Voyagen  de  Gulliver,  écrits  par 
Swift  vers  1720,  le  narrateur  du  voyage  à  Laputa  raconte  que  «  les 
astronomes  de  ce  pays  ont  découvert  à  la  planète  Mars  deux  satel- 
lites, dont  le  plus  proche  est  à  une  distance  du  centre  égale  à  trois 


(1)  Conséquence  inattendue  de  la  découverte  de  ces  satellites.  Nous  avons  signalé 
autrefois,  en  plaisantant  [La  Pluralité  des  Mondes  habités,  p.  21o)  le  projet  original 
d'un  astronome  allemand  qui  proposait  d'entrer  en  correspondance  avec  les  habitants 
de  la  Lune,  en  établissant  dans  les  vastes  plaines  de  la  Sibérie  des  figures  géométriques 
formées  par  des  signaux  de  feu,  par  exemple,  des  dessins  de  cercles,  de  triangles,  de 
carrés,  que  les  Sélénitos  auraient  sans  doute  l'idée  de  reproduire.  Eh  bien  1  le  satellite 
extérieur  de  Mars  ne  paniit  jias  soustendre  un  angle  de  0"03,  et  l'on  est  parvenu  à  le 
distinguer  dans  une  lunette  de  17  centimètres  de  diamètre  :  à  la  distance  de  la  Lune, 
cet  angle  correspond  à  une  longuem-  de  57  mètres  sur  la  surface  lunaire,  et  M.  Hall 
remarque  lui-même  que  l'idée  en  question  n'est  pas  un  projet  chimérique  «  is  by  no 
means  a  chimerical  proJect  ».  .\ssurément,  si  nous  découvrions  quelques  témoignages 
d'habitation  à  la  surface  de  ce  globe  voisin,  nous  ne  devrions  pas  iiésiler  un  instant  à 
essayer  à  nous  mettre  en  communication  avec  lui.  Première  comnuinication  du  ciel 
avecla  terre!  Quelle  révolution,  ou  plutôt  quelle  évolution  dans  l'essor  de  l'humanité! 


LES   SATELLITES    DE   MARS 


fois  le  diamètre  de  la  planète,  et  le  plus  éloigné  à  cinq  fois  ce  même 
diamètre.  La  révolution  du  premier,  ajoute-t-il,  s'accomplit  en  lû 
heures  et  celle  du  second  en  21  heures,  de  sorte  que  les  carrés  des 
temps  sont  dans  la  proportion  des  cubes  de  distances,  ce  qui  prouve 
que  ces  deux  lunes  sont  gouvernées  par  la  même  loi  de  gravitation 
qui  régit  les  autres  corps  célestes.  »  Voilà  certes  un  roman  qui 
s'est  singulièrement  approché  de  la  vérité.  —  Les  prophètes  de  la 
Bible  n'ont  jamais  été  aussi  clairs  à  propos  de  Jésus-Christ,  et  Swift 
a  été  là  supérieur  en  inspiration  à  Daniel  comme  à  Jérémie.  TA  mé- 
diter pour  les  théologiens  qui  n'auraient  pas  l'esprit  tout  à  fait 
fermé].  —  Si  quelque  archéologue  avait  trouvé  une  inscription  de 
cette  nature  dans  les  fouilles  de  l'Euvoîe  ou  de  l'Assvrio,  les  en- 


d'uii  salL'llito  de  Mars  (-27  nom  ISTT  , 


thousiastes  du  passé  n'auraient  pas  manqué  d'en  conclure  que  nos 
ancêtres  avaient  des  instruments  d'optique  d'une  énorme  puis- 
sance. Pourtant,  il  est  certain  que  ni  Kepler,  ni  Swift,  —  ni 
Voltaire,  qui  tient  le  même  propos  dans  sa  charmante  histoire  astro- 
nomique de  Micromégas,  —  n'avaient  vu  les  satellites  de  Mars,  et 
qu'il  n'y  avait  là  qu'une  idée  heureuse.  A  notre  tour,  nous  pourrions 
penser  aujourd'hui  qu'Uranus  a  seize  satellites  et  Neptune  trente- 
deux.  Mais  il  est  probable  qu'ici  le  raisonnement  par  analogie  nous 
éloignerait  fort  de  la  vérité. 

Ces  deux  globules  célestes  sont  si  petits  qu'il  est  impossible  de 
leur  trouver  aucun  diamètre  appréciable,  et  qu'on  ne  peut  obtenir 
({uelque  estimation  de  leur  volume  probable,  qu'en  mesurant  avec 
soin  la  quantité  de  lumière  qu'ils  réfléchissent.  C'est  ce  qui  a  été  fait 
à  l'Observatoire  de  Harvard-Collège,  par  le  professeur  Pickeriug,  et 


LES  S  AT  EL  LIT  tS   UE   MAILS 


il  résulte  de  ces  mesures  photométriques,  confirmées  du  reste  par 
les  estimations  des  autres  observateurs,  qu'en  admettant  que  leur 
surface  soit  analogue  à  celle  de  laplanètc  elle-même,  leurs  diamètres 
ne  surpassent  pas  dix  à  douze  kilomètres.  Le  premier,  Pliobos,  est 
le  plus  brillant  et  probablement  le  plus  gros  des  deux;  il  n'offre 
que  le  faible  éclat  d'une  étoile  de  10''  grandeur,  et  le  second, 
seulement  celui  d'une  étoile  de  1,2";  cependant  le  second  est  plus 
facile  à  découvrir,  parce  qu'il  est  plus  éloigné  de  la  planète  et 
moins  éclipsé  dans  ses  rayons.  Il  n'en  est  pas  moins  bien  remar- 
quable que  ces  deux  points  lumineux,  dont  le  diamètre  ne  sur- 
passe guère  celui  de  Paris,  soient  visibles  à  quinze  millions  de 
lieues  de  distance  dans  les  instruments  dus  au  génie  de  l'homme.' 


G.  —  Marche  des  salelliles  de  Mars  dans  le  ciel  de  leur  planète. 


Ce  sont  assurément  là  des  mondes  bien  minuscules.  Quoiqu'ils 
n'aient  été  découverts  que  de  nos  jours,  il  ne  faudrait  pas  en  con- 
clure pour  cela  qu'ils  n'existaient  pas  auparavant,  et  que  leur  for- 
mation ne  date  que  d'hier. -Il  est  bien  probable  qu'ils  sont  fils  de 
Mars  comme  la  Lune  est  fille  de  la  Terre,  et  comme  les  satellites 
de  Jupiter  sont  fils  de  leur  planète  centrale,  et  que  leur  naissance 
date  de  l'origine  nébuleuse  de  la  planète  elle-même.  Il  ne  serait 
pas  impossible  cependant  que  ce  fussent  là  deux  petites  planètes 
accrochées  au  passage  par  l'astre  de  la  guerre,  car  déjà  parmi  les 
innombrables  petites  planètes  qui  gravitent  entre  Mars  et  Jupiter, 
il  en  est  une,  yEthra,  qui  arrive  jusqu'à  l'orbite  de  Mars,  qui  la  frôle 
d'assez  près,  et  qui  même  pénétre  dans  l'intérieur  de  cette  orbite.  Une 
telle  origine  n'est  pas  impossible  ;  cependant  elle  n'est  pas  naturelle, 
et  nous  ne  devons  la  considérer  que  comme  fort  peu  probalile. 

Les  mouvements  apparents  de  ces  satellites  dans  le  ciel  de  Mars 


LES   SATKLLITKS   DE   MAlîS 


sont  parliciiliùremoni  curieux.  Le  satellite  extérieur  tourne,  avons- 
nous  (lit,  autour  (lo  sa  pianote,  en  30  heures  17  minutes  54  secondes, 
tandis  que  la  planète  tourne  sur  elle-même  en  24  heures  37  minutes 
23  secondes.  11  en  résulte.  ;j.o  ce  petit  globe  parait  marcher  très  len- 
tement de  l'est  à  l'ouesî  dans  le  ciel  de  Mars.  Si  sa  révolution  s'efl'ec- 
tuait  juste  dans  le  môme  temps  que  la  rotation  de  Mars,  il  paraîtrait 
fixe  dans  le  ciel  :  il  resterait  toujours  immobile  au  même  point.  Les 
habitants  d'un  hémisphère  de  Mars  l'auraient  constamment  sur 
leurs  têtes,  tandis  que  les  habitants  de  l'hémisphère  opposé  ne  le 
verraient  jamais.  C'est  ce  qui  arriverait  chez  nous  pour  la  Lune,  si 
elle  tournait  autour  de  la  Terre  en  un  temps  égal  à  celui  de  notre 
rotation  diurne.  La  différence  entre  la  période  du  satellite  extérieur 
et  la  rotation  de  Mars  étant  de  5  heures  41  minutes,  ce  satellite 
emploie  en  apparence  131  heures  pour  accomplir  son  circuit  au- 
tour du  ciel  de  Mars;  c'est  une  période  de  5  jours  martiens  plus 
8  heures,  et  c'est  là  un  petit  mois  dont  les  habitants  doivent  se 
servir  pour  leur  calendrier. 

Bien  différent  est  le  mouvement  du  satellite  le  plus  proche. 
Comme  il  accomplit  sa  révolution  entière  de  l'ouest  à  l'est  en 
7  heures  39  minutes,  et  que  la  planète  tourne  dans  le  même  sens 
en  24  heures  37  minutes,  il  se  lève  à  l'occident  et  se  couche  à 
l'orient  après  avoir  traversé  le  ciel  avec  une  vitesse  correspondante 
à  la  différence  des  deux  mouvements,  c'est-à-dire  en  11  heures 
environ.  C'est  là  un  exemple  unique  dans  le  système  du  monde. 
La  figure  précédente  donne  une  idée  de  ces  deux  mouvements 
contraires. 

Quelle  est  la  grandeur  apparente  de  ces  deux  lunes,  vues  de  la 
planète  ? 

Chacun  sait  qu'un  objet  éloigné  à  la  distance  de  57  fois  son  dia- 
mètre, apparaît  avec  une  grandeur  apparente  de  1  degré,  et  qu'un 
objet  éloigné  à  570  fois  son  diamètre  soustend  un  angle  dix  fois  plus 
petit,  ou  de  6  minutes.  Le  premier  satellite  de  Mars  étant  à  6000  kilo- 
mètres de  la  surface  de  la  planète  et  ayant,  selon  toute  probabilité, 
12  kilomètres  de  largeur,  est  éloigné  à  500  fois  son  diamètre  et 
offre  par  conséquent  un  disque  de  7  minutes  environ. 

C'est  un  peu  moins  du  quart  du  diamètre  apparent  de  notre 
pleine  lune,  lequel  est  de  31  minutes. 


LES   SATELLITES   DE   .MAIIS 


C'est  en  même  temps  le  tiers  du  diamètre  moyen  du  Soleil  vu  ce 
Mars,  ce  diamètre  étant  de  21  minutes. 

Le  second  satellite,  éloigné  à  20000  kilomètres  de  la  surface  de 
Mars,  est  réduit  à  un  petit  disque  de  2  minutes  et  demie. 

C'est-à-dire  que  le  Soleil  vu  de  la  Terre  et  notre  Lune,  étant  re- 
présentés par  deux  disques  de  32  et  31  millimètres,  le  soleil  de  Mars 
serait  représenté  à  la  même  échelle  par  un  cercle  de  21  milli- 
mètres, et  ses  deux  lunes  par  des  disi|ues  de  7  et  2  millimètres 
et  demi  (voy.  fuj.  77.) 

La  lumière  renvoyée  par  ces  deux  satellites  aux  habitants  de  la  pla- 
nète, doit  être  extrêmement  faible.  Le  satellite  extérieur  n'oiïre  en 


Fig.  ".  —  Grandeur  apparenic  relative  A  i  so.i'il  cl  des  ;iines  do  Mars. 

effet,  même  au  zénith,  qu'un  disque  égal  au  quinzième  environ  de 
celui  de  notite  pleine  lune,  ce  qui  équivaut  à  une  surface  225  fois 
plus  petite.  D'un  autre  côté,  la  lumière  reçue  du  Soleil  varie,  sui- 
vant la  position  de  Mars,  de  la  moitié  au  tiers  de  celle  que  notre 
Lune  reçoit.  Il  en  résulte  que  la  clarté  de  Deimos  doit  être  com- 
prise entre  les  fractions  jf;  et  jfr  de  celle  de  notre  clair  de  lune. 
Phobos  doit  être  trois  fois  plus  large,  offrir  un  disque  de  6  à 
7  minutes  et  donner  une  clarté  dix  fois  plus  forte,  c'est-à-dire 
comprise  entre  j^  et  ^  de  l'intensité  de  notre  clair  de  lune. 
Ce  sont  là  deux  lunes  minuscules.  Quoique  les  yeux  des  habitants 
de  Mars  doivent  être  plus  sensibles  que  les  nôtres  à  la  lumière, 
ce  ne  sont  pas  là  des  clairs  de  lune  bien  lumineux,  et  nous  pouvons 
penser  que  les  services  rendus  à  nos  voisins  de  cette  patrie  céleste 
par  leurs  deux  satellites,  ne  viennent  pas  de  la  lumière  nocturne 
qu'ils  peuvent  distribuer  aux  voyageurs,  mais  plutôt  de  la  rapidité 


LES   ECLIPSES   sua   MAltS 


de  leur  révolution,  grâce  à  laquelle  les  longitudes,  les  horloges 
ou  les  montres  peuvent  être  réglées  avec  une  précision  remarquable. 
Les  marées  produites  sur  les  mers  de  Mars  par  l'attraction  des 
deux  satellites,  ne  sont  pas  aussi  fortes  qu'on  pourrait  le  croire  à 
première  vue,  malgré  la  grande  proximité  de  ces  deux  satellites. 
En  effet,  l'influence  du  satellite  le  plus  proche  est  500  fois  plus 
faible  que  celle  de  la  Lune,  et  l'influence  du  satellite  le  plus  éloigné 
est  8000  fois  plus  faible.  C'est  presque  insignifiant.  Quant  aux  ma- 
rées dues  à  l'attraction  du  Soleil,  elles  sont  six  fois  plus  faibles  que 
celles  des  mers  terrestres.  On  voit  que  sur  cette  planète  ce  sont  les 
marées  solaires  qui  sont  les  plus  importantes,  et  que,  comme 
(toutes  choses  égales  d'ailleurs)  la  hauteur  d'eau  n'atteint  que  le 
sixième  de  celle  de  nos  marées  solaires,  elles  sont  presque  insensi- 
bles. Mais  il  faudrait  tenir  compte  de  la  densité  de  l'eau  de  Mars  et 
de  la  pesanteur.  Les  différences  de  niveau  dues  à  la  pression  baro- 
métrique, aux  vents,  aux  courants,  etc.,  doivent  masquer  presque 
complètement  ces  marées,  comme  elles  le  font  du  reste,  même 
ici  sur  les  rives  de  la  Méditerranée,  où  les  marées  luni-solaires 
sont  certaines,  mais  effacées  par  les  autres  influences. 

Les  mouvements  combinés  de  ces  deux  satellites  dans  le  ciel  de 
Mars,  doivent  donner  naissance  à  de  bien  curieuses  éclipses. 

Phobos  est  éclipsé  presqu'à  chaque  pleine  lune,  ou  tout  au 
moins  une  fois  sur  deux,  et  Deimos  une  fois  sur  cinq.  La  durée 
maximum  de  l'éclipsé  du  premier  est  de  53  minutes  et  celle  du 
second  de  54.  Grâce  à  la  lenteur  de  son  mouvement  apparent 
dans  le  ciel  de  Mars,  Deimos  peut,  dans  l'intei'valle  de  66  heures, 
entre  son  lever  et  son  coucher,  passer  trois  fois  par  la  phase  de  la 
pleine  lune,  et  donner  le  spectacle  de  trois  éclipses  de  lune. 

Pour  avoir  une  idée  de  ces  bizarres  aspects  des  lunes  de  Mars,  sup- 
posons, par  exemple,  que  le  soleil  vienne  de  se  coucher  à  six  heures 
du  soir,  et  que  Phobos  vienne  de  se  lever  à  l'ouest  juste  au-dessus 
du  soleil  couchant.  La  marche  apparente  contraire  de  ces  deux  astres 
(le  soleil  et  la  première  lune),  est  si  rapide  que  trois  heures  trois 
quarts  plus  tard,  soit  à  dix  heures  moins  un  quart,  ils  se  trouveront 
diamétralement  opposés  l'un  à  l'autre,  et  cette  première  lune 
subira  une  éclipse  totale  à  55  degrés  au-dessus  de  l'horizon  oriental. 


!•:  c,  1, 1 1' s  !■;  s  s  i;  w  m  a  m  s 


Quelque  temps  après,  vers  onze  heures  et  demie,  o11(î  se  cuu- 
ehera  dans  l'est.  A  cinq  heures  du  matin  elle  se  relèvera  à 
l'ouest,  et  avant  que  le  Soleil  ne  soit  levé  à  son  tour,  elle  pourra 
enc(»r(>    être  éclipsée  une   seconde  fois.  Pendant   ce   temps-là,   la 


Fig.  "8.  —  Les  Jeux  lunes  de  Ma 


deuxième  luue,  Deimos,  peut,  de  sua  cùtù,  se  lever  éclipsée  à 
l'orient,  hriller  de  nouveau  dans  le  ciel  à  mesure  qu'elle  y  monte, 
arriver  à  68  detrrés  de  hauteur  ^i  heures  plus  tard,  au  moment 
où  le  soleil  se  couchera  pour  la  seconde  fois;  subir  une  seconde^ 
éclipse  totale  vers  minuit  ;  avancer  encore  de  68  degrés  dans  le 
ciel   pendant   le    second  juin-;  subir  une  troisième    éclipse  avant 

TEUKES    DU    CIEL.  2t 


KC.I.II'SES    hlK   M  Ans 


le  truisiriuo  Icvit  do  snloil,  ot  enfin  se  coucher  à  l'huriziin  occi- 
dental l'i. 

Quelquefois  (lU  jicut  voir  ces  deux  lunes,  arrivant  ili's  deux  i)arties 
opposées  d;i  ciel,  s'avancer  l'une  vers  l'anfi-c,  se  rcucuntrer  et 
s'éclipser  partielicim-at  ou  totalement.  D'où  il  rcsullc  (ju'indépen- 
damnient  d(>s  éclipses  de  lune  produites  par  le  passage  des  satellites 
dans  l'ombre  de  la  planète,  éclipses  analogues  à  celles  qui  se 
présentent  sur  notre  monde,  il  y  a  sur  Mars  des  éclipses  inconnues 
à  la  Terre  :  celles  d'un  satellite  par  l'autre,  celles  du  second  satellite 
par  le  premier. 

Celui-ci    offre    un  diamètre  de  7   minutes,  nu  ])eu  moins   du 


?ig.  79.  — Une  éclipse  il<^  Soleil  par  les  deux  luiii'S  Je  Murs. 

quart  de  celui  de  notre  lune,  et  le  second  un  diamètre  de  2  minutes 
et  demie.  Lorsque  ces  deux  satellites  se  rencontrent  en  perspective 
dans  learroute  céleste,  le  premier  éclipse  partiellement  ou  totale- 
ment le  second.  Aucun  phénomène  céleste  analogue  ne  peut,  natu- 
rellement, arriver  sur  la  Terre. 

Ainsi,  Phobos  peut  éclipser  totalement  Deimos,  et  cela  très  facile- 
ment. Mais  il  ne  peut  jamais  éclipser  totalement  le  soleil  de  Mars, 
dont  le  diamètre  moyen  est  de  21  minutes.  Lorsque  la  combi- 
naison des  mouvements  célestes  l'amène  devant  l'astre  du  jour,  il 
peut  produire  une  éclipse  annulaire  du  genre  de  celle  qui  est  repré- 


(')  lidniond  liOd^cr  ;  The  six,  ils  plamAs  and  Iheir  satellites,  p.  250. 


i:i:lii>sks  si;i',  m  \  i;s  les 

spntée  ici  ifirj.  79),  ;'i  l;ujiu>ll('  piMit  s';iji>ulci-  le  [nissagc  du  second 
satellite  dovjiul  le  Soleil,  smis  lu  runiic  d'un  pdil  dis({ii(' noir.  Los 
habitants  de  Mars  n'oni  donc  jamais  vu  une  éclipse  totale  de  Soleil; 
mais  ils  voienl  souveul  des  éclipses  de  lune  ou,  pour  mieux  dire, 
des  occullalions  d'uni'  Inné  par  l'anlre.  Il  y  a  Va  certaiiu's  coniiili- 
cations  laliorienscs  pour  les  calculalenrs  des  alininiarlis  inarliens. 
Un  phénomène  du  mr'me  ordre  et  non  moins  curieux  peut  être 


Fig.  80.  —  Passag,'  de  l:i  Toprc  cl  de  la  Lune  devant  le  Soloil.  arrivé  pour  k's  liatiitants  de  Mars 
le  12  novembre  1879. 


observi'"  sur  Mars  :  ce  sont  les  passages  de  la   Terre   devant   le 
Soleil. 

Tout  récemment,  li'  |-?  novembre  1879,  les  journaux  de  la  pla- 
nète onr  dû  retentir  des  préparatifs  de  l'observation  de  ce  mémo- 
rable passaLie,  dont  les  astronomes  martiens  tirent  sans  doute  parti 
comme  les  m'itres  des  passages  de  Vénus,  dans  l'inlérèt  delà  science 
et  dans  celle  du  budget  des  fonctionnaires  de  l'État.  En  elTet,  ce 
jour-là,  vers  -î  heures  de  l'après-midi  (heure  de  Paris),  un  petit  point 
noirest  entré  sur  le  Soleil  par  le  côté  sud-est  ;  six  minutesaprés  avoir 
commencé  d'échancrer  son  disque,  il  était  entièrement  entré,  et 
lentement  s'est  avancé  sur  le  Soleil,  eu  marchant  de  la  gauche  vers 


SATELLITES    DE    MARS 


la  droite.  Vers  quatre  heures  un  quart,  un  autre  point  noir  beau- 
coup plus  gros  est  arrivé  à  son  tour  sur  le  bord  du  Soleil  et  n'a 
pas  employé  moins  de  21  minutes  pour  y  pénétrer  entièrement. 
Ces  deux  points  noirs,  c'était  ?ions  :  c'étaient  la  Terre  et  la  Lune, 
qui,  ce  jour-là,  passaient  devant  le  Soleil  pour  les  habitants  de 
Mars,  comme  Vénus  y  est  passée,  le  6  décembre  dernier,  pour  les 
habitants  de  la  Terre.  Vers  dix  heures  un  quart  du  soir,  la  Lune 
est  sortie  du  Soleil  :  la  sortie  de  la  Terre  n'a  eu  lieu  qu'à  mi- 
nuit. 

C(>  curieux  et  rare  phénomène  a  coïncidé  avec  une  belle  éclipse 
de  soleil  par  la  première  lune  de  Mars,  laquelle  est  arrivée  par  la 
droite  et  en  25  secondes  a  glissé  rapidement  devant  le  Soleil.  Un 
astronome  anglais,  M.  Marth ,  qui  a  signalé  ce  fait,  ajoute  que 
les  habitants  de  Mars  ont  dû  être  beaucoup  plus  intéressés  par 
le  passage  de  la  Terre  et  de  la  Lune  devant  le  Soleil  que  par  l'é- 
clipse  elle-même,  attendu  que  dans  le  cours  d'une  année  martienne 
il  n'y  a  pas  moins  de  1388  éclipses  de  soleil  par  la  première  lune 
et  de  133  par  la  seconde,  tandis  que  les  passages  de  la  Terre  sont 
excessivement  rares;  le  dernier  avant  celui  de  1879,  ayant  eu  lieu 
pendant  l'année  1800,  et  le  prochain  ne  devant  arriver  qu'en  1905. 
Les  diverses  nations  martiennes  auront  sans  doute  distribué  un 
choix  de  missions  scientifiques  à  la  surface  de  leur  planète,  alin 
d'observer  avec  profit  notre  passage  devant  l'astre  du  jour  et  d'en 
conclure  la  parallaxe  du  Soleil,  s'ils  ne  la  possèdent  déjà  avec 
précision.  Ce  jour-là,  il  n'y  avait  que  de  minuscules  taches  sur  le 
Soleil. 

Se  doutent-ils  qu'il  y  a  du  monde  ici,  et  même  du  monde  intelli- 
gent, qui  observe,  qui  raisonne,  qui  n'admet  que  les  vérités  démon- 
trées, qui  ne  se  laisse  pas  dominer  par  des  idées  imaginaires,  qui  ne 
reconnaît  qu'à  la  science  positive  le  droit  d'instruire,  qui  ne  perd 
pas  son  temps  en  puériles  querelles,  qui  n'est  pas  divisé  en  partis 
nationaux  armés  les  uns  contre  les  autres?...  Qui  sait,  en  voyant  la 
Terre  si  noire  devant  le  Soleil,  si  proche  de  lui  et  comme  brûlée  par 
ses  rayons,  s'imaginent-ils  peut-être  que  la  moitié  de  ses  habitants 
craignent  de  penser  et  abandonnent  la  direction  de  leurs  consciences 
à  des  individus  qui  se  chargent  de  raisonner  pour  eux!  peut-être 
aussi   nous  prennent-ils  pour  des   enfants  qui  passent  la  majeure 


SATELLITES    Dli   MAltS 


part.io  (le  Iciii"  t('ni[is  à  joiior  aux  soldats  et  le.  rcst(>  à  ]i;ms('i-  lours 
Mcssures! . . .  Couiiiio  ils  sont  loin  de  la  vérité  ! 

S'il  y  a  sur  Mars  des  astronomes  munis  de  télescopes  analogues 
aux  nôtres,  il  n'est  pas  douteux  qu'ils  aient  pu  tafileiiicnt  savoir  si 
leurs  satellites  sont  habités.  Nous  avons  vu,  en  effet,  ((iie  la  première 
de  lei,irs  lunes  plane  à  moins  de  6000  kilomètres,  et  la  seconde  à  moins 
de  20000  de  la  surface  de  Mars.  11  en  résulte  qu'un  grossissement 
(le  -^'OOO  t'ois  rapproi'li(>  la  pn-mière  à  'A  kilomètres  et  la  seconde  à 
10  kilomètres.  Si  nous  avions  la  même  faveur  pour  la  Lune! 


D'un  autre  côté,  si  ces  petites  lunes  sont  habitées,  la  vue  de 
Mars  est  merveilleuse  pour  les  observateurs  du  i)remier  satellite. 
Sou  disque  soustend  un  angle  do  42  degrés  et  demi,  presque  la 
moitié  d'un  angle  droit,  presque  la  moitié  de  la  distance  (pii  s'étend 
de  l'horizon  au  zénith.  Du  second  satellite,  le  disque  de  Mars  sous- 
tend eurore  un  angle  de  16  degrés  et  demi. 

Ainsi,  vu  de  Phobos,  Mars  paraît  80  fois  plus  large  en  diamètre, 
ou  6400  fois  plus  énorme  que  la  Lune  ne  nous  paraît  ;  vu  de  Dei- 
mos,  il  est  encore  en  apparence  1000  fuis  plus  volumineux  que 
la  pleine-lune. 

Hemari[ue  assez  curieuse,  cette  grandeur  de  Mars  vu  du  premier 


SATliLLllKS    DK    .MAl'.S 


satellite  est  prérisément  la  nirme  que  rolle  de  Jupiter,  vu  également 
de  son  premier  satellite.  Safiiriic,  vu  de  la  même  station,  parait  seu- 
lement 900  fois  plus  étendu  i[ue  notre  lune;  mais,  vu  par  un 
observateur  placé  sur  le  bord  intérieur  de  l'anneau,  à  une  dis- 
tance de  29000  kilomètres,  son  immense  globe  occupe  une  sur- 
face de  82  degrés  et  demi,  presque  le  ciel  entier  de  riKU'izun 
au  zénith! 

Mais  ces  deux  petites  îles  célestes,  ces  deux  lilliputiennes  pro- 
vinces sont-elles  habitées? 

En  voyant  des  astres  si  minuscules,  on  peut  se  demander  si  la 
doctrine  générale  de  la  pluralité  des  mondes,  doit  s'étendi'e  jus(iu'à 
eux.  Sans  doute,  ils  seraient,  comme  la  Belgique,  indignes  du 
sceptre  d'un  Alexandre,  d'un  César,  d'un  Charlemagne  ou  d'un 
Napoléon,  de  même  que  l'Angleterre  ne  tenterait  sans  doute  l'am- 
bition de  personne  sans  ses  colonies  qui  aujourd'hui  enveloppent 
la  Terre.  Et  pourtant  la  minuscule  petite  Grèce  antique  ne  brille- 
t-elle  pas  d'un  éclat  sans  rival  au-dessus  de  toute  l'humanité  intel- 
lectuelle? Ce  n'est  pas  l'étendue  d'un  monde  qui  en  constitue  la 
vraie  grandeur  spirituelle.  Mais  toutefois,  l'exiguïté  d'un  globe 
crée  de  si  singulières  conditions  d'habitabilité,  qu'il  y  a  certaine- 
ment une  limite  à  l'établissement  des  races  intellectuelles.  Cela 
n'empêcherait  pas  néanmoins  ces  globes  minuscules  d'être  peu- 
plés d'êtres  organisés  suivant  ces  conditions,  lesquels  êtres  ne 
seraient  ni  des  hommes  ni  des  animaux*  supérieurs,  mais  peut- 
être  des  insectes  de  formes  absolument  étrangères  à  celles  de 
la  zoologie  terrestre,  munis  d'autres  sens  et  d'autres  facultés  que 
les  nôtres. 

Cette  question  se  rattache  au  problème  général  des  conditions  de 
la  VIE  SUR  LES  AUTRES  MONDES,  qui  va  être  traité  au  chapitre  sui- 
vant, complément  et  corollaire  de  tout  ce  qui  précède,  et  dans 
lequel  nous  allons  étudier  tout  spécialement  le  problème  de  l'habi- 
tation. 


CHAPITRE  VIII 


Les  habitants  de  Mars.  —  Conditions  de  la  vie  sur  ce  globe. 
Lois  de  la  nature  et  forme  des  êtres  :  anthropologie  comparée.   - 
du  séjour  martien.  —  Le  Ciel  et  la  Terre  vus  de  là. 


Etat 


Les  chapitres  qui  précèdent  ont  exposé  dans  leur  ensemble  et 
dans  leurs  détails  les  analogies  remarquables  qui  existent  entre  le 
monde  d(^  Mars  et  celui  que  nous  habitons;  mais  nous  avons  pi'is  soin 
on  même  temps  de  signaler  les  di/fc/'ences  qui  se  sont  présentées 
au  cours  de  notre  exposition.  11  ne  faudrait  pas,  en  cSïvi,  (|ue  les 
antagonistes  de  la  belle  et  grande  doctrine  de  la  Pluralité  des 
mondes,  qui,  pour  un(>  raison  ou  pour  une  autre,  refusent  à  la  nature 
la  faculté  d'avoir  multiplié  dans  l'espace  les  sc'jours  de  la  vie  et  de  la 
pensée,  s'imaginent  que  ces  différences  embarrassent  les  partisans 
de  cette  théorie  si  rationnelle.  Il  n'en  est  rien.  Les  défenseurs  de  la 
doctrine  de  la  vie  universelle  et  éternelle  apprécient  la  puissance  et  la 
fécondité  de  la  nature  et  savent  (|ue  la  variété  des  conditions,  loiu 
d'être  un  obstacle  à  la  manifestation  de  cette  fécondité,  sert.au  con- 
ti'aire  de  prétexte  et  de  ressort  pour  son  exercice  et  son  développe- 
ment. Ils  savent  que  si  notre  planète,  par  exemple,  avait  été  partout 
uniforme,  sans  différences  de  milieux  et  de  climats,  sans  montagnes, 
sans  <jcéans,  le  règne  végétal  et  le  règne  animal  seraient  loin  d'offrir 
retendue  de  leurs  cadres  actuels  et  la  richesse  de  leurs  productions. 
Le  monde  de  la  mer  n'eût  pas  existé.  On  peut  dire,  sans  contredit, 
qu'entre  la  population  du  fond  des  mers  et  celle  de  la  surface  du  sol, 


LES  TERRES   DU    CIEL 


il  y  a  une  telle  dissemblance  qu'elles  appartiennent  vraiment  à  deux 
mondes  absolument  séparés  l'un  de  l'autre  par  toutes  les  conditions 
de  vitalité,  quoique  les  poissons  et  les  mollusques  consomment 
de  l'oxygène  comme  les  reptiles  et  comme  nous-mêmes.  Sachons 
donc  interpréter  largement  les  enseignements  de  la  nature.  Ne  nous 
targuons  pas  de  la  prétention  d'assigner  des  bornes  à  cette  intaris- 
sable puissance.  Que  les  habitants  des  autres  planètes  ne  nous  res- 
s(Mnblent  pas,  c'est  vraisemblable.  Que  certains  mondes  soient  peu- 
plés d'èlres  qui  ne  pourraient  pas  vivre  sur  la  Terre  et  qui  seraient 
pour  nous  de  véritables  monstres,  c'est  également  plus  que  probable. 
Notre  pauvre  fourmilière  n'est  pas  le  type  de  l'univers.  Soyons  donc 
persuadés  que,  même  sur  notre  voisine  la  planète  Mars,  les  condi- 
tions organiques,  le  sol,  l'air,  les  eaux,  les  éléments,  la  pesanteur,  la 
densité,  la  lumière,  la  chaleur,  l'électricité,  etc.,  sont  différents  de 
ce  qu'ils  sont  ici,  et  que,  par  conséquent,  les  manifestations  de  la  vie 
doivent  être  autres  que  les  manifestations  de  la  vie  terrestre.  Les 
variations  étranges  dont  nous  sommes  témoins  d'une  année  à  l'autre 
dans  les  aspects  de  la  surface  de  Mars  suffiraient  à  elles  seules  pour 
nous  montrer  que  ce  globe  ne  ressemble  pas  aussi  complètement  au 
nôtre  qu'on  l'avait  cru  tout  d'abord,  mais  qu'il  en  diffère  au  contraire 
d'une  manière  fort  intéressante. 

Il  serait  superflu  de  reproduire  ici,  sur  la  réalité  de  la  vie  à  la 
surface  des  autres  mondes,  la  démonstration  générale  que  nous  en 
avons  surabondamment  donnée  dans  notre  ouvrage  la  PLUuALrrÉ  des 
MONDES  HABrriis.  Nous  n'avons  pas  à  nous  répéter.  Cette  démonstra- 
tion étant  définitivement,  établie,  nous  ne  nous  occupons,  dans 
cet  ouvrage-ci,  que  des  conditions  variées  dans  lesquelles  la  vie 
doit  se  trouver  sur  chaque  monde. 

C'est  ce  que  nous  allons  faire  dans  un  instant.  Mais  comment  ne 
pas  remarquer  tout  d'abord  la  singulière  tendance  anthropomor- 
phique  de  l'homme  à  tout  vouloir  créer  à  son  image? 

Quoi!  la  seule  imagination  humaine  a  fait  sortir  du  sein  de  l;i 
fable  les  êtres  les  plus  divers,  elle  a  peuplé  le  monde  d'êtres  fan- 
tastiques :  anges,  démons,  farfadets,  nymphes,  satyres,  ondines, 
sirènes,  chimères,  harpies,  centaures,  cyclopes,  hippogryphes, 
cynocéphales,  loups-garous,  vampires,  etc.,  etc.,  créations  purement 
imaginaires,  qui  ii'ont  jamais  existé,  et  que  néanmoins  nous  trou- 


...  L'imuginulion  a  peuplé  le  monUu  d'ûircs  faiitasliqueb.. 


TERRES  DU   CIEL. 


03 


LES  TKRRES   DU   CIEL 


vons  décrites  dans  les  vieux  poèmes  mythologiques,  gravées  sur 
les  monuments  antiques,  sculptées  dans  le  granit  de  nos  cathé- 
drales, et  nous  voudrions  que  les  myriades  de  mondes  fussent  tous 
construits  sur  le  même  modèle  et  eussent  tous  pour  habitants  des 
Chinois,  des  Anglais  ou  des  Français!...  Nous  supposerions  que  la 
nature  est  moins  féconde  que  notre  pauvre  imagination!...  C'est 
d'une  inconséquence  flagrante  et  absolument  injustifiable. 

Ici,  l'art  s'est  beaucoup  plus  approché  de  la  vérité  que  la  science.  Il 
faut  avouer,  sans  fausse  honte,  que  sur  ce  point  les  savants  ont  fait 
preuve,  en  général,  d'une  inconcevable  étroitesse  de  jugement  et  de 
la  plus  mesquine  faculté  d'imagination.  C'est  à  peine  si ,  même 
aujourd'hui,  les  astronomes  osent  admettre  la  pluralité  des  mondes. 
11  en  est  même  qui  s'y  refusent  encore,  comme  au  temps  de  Galilée. 
Il  faut  croire  qu'il  est  bien  difficile  de  se  libérer  des  chaînes  do 
plomb  de  l'éducation  classique.  C'est  un  regret  pour  nous  d'avoir 
à  enregistrer,  par  exemple,  des  déclarations  du  genre  de  celles-ci, 
émises  par  des  membres  de  l'Académie  des  sciences  de  l'Institut  de 
France  : 

Sans  les  gelées  de  l'hiver,  le  blé  croîtrait  en  herbe.  Jupiter  n'ayant  pas 
d'hivers  ne  produit  point  de  blé  et  ne  peut,  par  conséquent,  nourrir  d'ha- 
jiîtants  ('). 

La  condition  de  température  exclut  (des  cadres  de  la  vie)  les  planètes 
dont  l'axe  de  rotation  est  trop  peu  incliné  sur  le  plan  de  l'orbite,  Uranus 
par  exemple  ('). 

Il  faut  encore  exclure  les  globes  qui,  comme  Saturne,  sont  entourés 
d'anneaux  dont  l'ombre,  portée  sur  les  régions  les  plus  favorables  au 
développement  de  la  vie,  y  produit  ç.à  et  là,  périodiquement  des  éclipses 
continuelles  ('). 

Il  faut  exclure  aussi  les  planètes  qui  n'ont  pas  assez  d'atmosphère  ;  et 
même  une  enveloppe  formée  exclusivement  de  gaz  permanents  ne  suffi- 
rait pas  (*). 

Un  disciple,  plus  zélé  encore  que  ses  maîtres  (il  était  alors  can- 
didat à  l'Académie)  va  plus  loin  dans  son  interdiction  à  la  puissance 
créatrice  : 

(')  Batiinot,  de  rinstiliit.  Conférences  faites  à  l'Assacialion  polytechni(|ii(>,  ISi;3,  p.  39. 
(*)  Faye,  île  l'institiit.  Annuaire  fin  Bureau  des  long-itudes  pour  I87i,  i>.  48o. 
(')  Id.  Id. 

{»J  Id.  Id. 


LES    ÏEKKLS    UL;    CIEL 


M.  Paye  a  montré  d'un  mot  le  néant  de  ces  conceptions  (sur  la  pluralité 

des  mondes;  :  qu'il  manque  àralmosphùre  de  Mars  les  quelques  millièmes 
d'acide  carbonique  que  contient  la  nôtre,  et  voilà  la  vie  animale  et  végé- 
tale imjjossiô/e  sur  celte  jilauète  i^'j. 

'  Un  le  voit,  il  n'y  a  rnôme  plus  ici  de  raisonnement  humain;  c'est 
-  que  l'un  ne  prenne  point  cette  comparaison  en  mauvaise  part  — 
c'est  un  simple  raisonnement  de  poisson  :  «  Il  n'y  a  pas  d'eau  salée 
dans  les  rivières,  disait  un  poisson  de  ïrouville  à  un  poisson  du  Havre; 
donc  il  n'y  a  pas  de  poissons  dans  les  rivières.  »  Quant  à  s'élever  plus 
haut  dans  l'appréciation  des  forces  naturelles  et  à  imaginer  qu'il  soit 
possible  de  vivre  hors  de  l'eau,  c'est  une  idée  qui  ne  pourrait  naître 
dans  la  cervelle  d'aucun  habitant  des  ondes. 

La  science  contemporaine,  il  faut  l'avouer,  est  aussi  peu  philoso- 
phique que  possible.  Elle  s'est  partagée  en  casiers  de  bois  et  chaque 
savant  n'est  plus  guère  aujourd'hui  que  le  formica-leo  d'un  casier. 
Ajoutez  à  cela  l'habitude  si  bien  enracinée  chez  les  savants  de  perdre 
les  99  centièmes  de  leur  temps  en  fonctions  administratives  ou  en 
tourmentes  ambitieuses,  et  vous  comprendrez  sans  peine  qu'il  ne 
leur  reste  plus  le  temps  de  penser.  Où  sont,  en  effet,  les  penseurs 
qui  faisaient  autrefois  la  gloire  de  la  science  européenne?  Où  sont 
les  Pascal,  les  Descartes,  les  Leibnitz,  les  Euler?  L'esprit  synthétique 
est  mort.  Il  n'y  a  plus  de  penseurs! 

Car,  il  n'est  pas  inutile  de  le  remarquer,  les  astronomes  dont  nous 
venons  de  citer  les  déductions  anti-scientifiques  et  anti-philosophi- 
ques sont  —  à  part  quelques  rares  exceptions  —  les  plus  avancés,  les 
plus  littéraires,  et  ceux  dont  l'éducation  est  la  plus  complète,  parmi 
les  astronomes  contemporains.  Leurs  collègues  n'ont,  en  général, 
jamais  même  songé  aux  questions  qui  nous  préoccupent  ici.  Nous 
pourrions,  par  exemple,  citera  ce  propos  un  nom  assurément  illus- 
tre, un  nom  inscrit  en  lettres  d'or  au  ciel,  un  nom  immortalisé  par 
l'une  des  plus  splendides  découvertes  de  la  science  moderne  : 
Le  Verrier.  Eh  bien  !  l'immortel  auteur  de  la  découverte  de  Neptune, 
le  Newton  français  qui,  par  la  seule  puissance  du  calcul,  a  senti  la 
présence    d'un   monde    éloigné  à  plus   d'un   milliard  de  lieues, 

(')  Wolf,  astronome  de  l'Observatoire  de  Paris,  professeur  à  la  Sorboune,  maintenant 
membre  de  l'Institut,  confcrenco  faite  à  l'Association  scientifique. 


LES  TKRRES  DU  CIEL 


Le  VerriiT,  dans  les  rares  conversations  (iiic  nous  avons  eues  avec 
lui  pondant  ses  dernières  années,  nous  a  lait  entendre  que,  dans  sa 
pensée,  les  recherches  relatives  à  l'existence  de  la  vie  sur  les  autres 
mondes  sont  en  dehors  du  cadre  de  l'Astronomie,  et  d'ailleurs  com- 
plètement inutiles.  Il  faut  dire,  du  reste,  que  Le  Verrier  était  fort 
peu  curieux,  si  peu  même,  qu'après  avoir  découvert  Neptune  par  le 
calcul  et  avoir  signalé  le  point  du  ciel  où  la  mystérieuse  inconnue 
devait  se  trouver,  il  n'eut  même  par  la  curiosité  de  prendre  une 
lunette  (celles  de  l'Observatoire  de  Paris  étaient  à  sa  disposition)  et 
de  regarder  si  vraiment  la  fameuse  planète  était  là  !  Gomme  son 
éclat  égale  celui  d'une  étoile  de  huitième  grandeur,  la  plus  petite 
Innette  eût  permis  de  la  trouver,  lors  même  qu'on  n'eût  pas  en  la 
carte  des  étoiles  de  cette  région.  Ce  n'est  qu'un  mois  aprt'îs  qu'un 
astronome  allemand,  M.  Galle,  la  chercha,  et  la  trouva,  en  effet,  eu 
une  heure  de  recherches.  Et  quand  Le  Verrier  eut  reçu  la  nouvelle 
de  cette  constatation  évidemment  fort  importante  pour  lui,  il  n'ont 
pas  davantage  le  désir  de  la  vérifier.  Je  crois  même  qu'il  n'a  jamais 
vu  Neptune. 

Soit  dit  en  passant,  l'exemple  illustre  que  nous  venons  de  choi- 
sir doit  montrer  ici  que,  tout  en  regrettant  de  voir  des  savants 
respectables  en  antagonisme  avec  des  opinions  que  nous  tenons  pour 
essentiellement  scientifiques  et  pour  extrêmement  importantes  au 
point  de  vue  philosophique,  opinions  partagées  d'ailleurs  par  les 
plus  grands  esprits  de  tous  les  siècles,  nous  ne  mettons  aucunement 
en  doute  leur  valeur  personnelle  comme  savants.  C'est  comme 
penseurs  que  nous  signalons  la  décadence  des  successeurs  de  Pascal 
et  de  Descartes.  Et  c'est  notre  devoir;  car  il  ne  serait  pas  légitime 
de    laisser   sans   réponses    les    insinuations  f)   proférées    contre 

(')  «  La  satisfaction  d'apprendre  que  deux  ou  trois  esprits  supérieurs  avaient  deviné 
le  secret  de  notre  isolement  et  de  notre  faiblesse  était  une  maigre  compensation  poui 
tant  d'illusions  perdues  (la  Terre  centrale  et  l'univers  créé  pour  elle  seule).  De  là  l'idée 
de  la  Pluralité  des  Mondes  habités,  avec  laquelle  Fontenelle  et  ses  contemporains  tâchè- 
rent de  dédommager  les  lettrés  en  leur  présentant  l'univers  comme  un  vaste  ensemble 
de  mondes  indépendants  qui  assurent  spontanément  à  la  vie  dans  toute  sa  plénitude  et 
sous  toutes  ces  faces  un  développement  illimité.  La  science  actuelle,  prise  à  la  surface, 
semble  confirmer  ce  courant  à'idées  médiocres  {\)  qui  a  succédé  effectivement  aux  doc- 
trines de  l'antique  philosophie.  »  Faye,  Annuaire  du  Bureau  des  lonjUudes  pour  1874-, 
Pi  477. 

C'est  avec  un  sentiment  de  surprise  et  de  regrets  que  l'on  a  vu  l'un  de  nos  astronomes 


LES   TEKRES    DU   CIEL 


les  apôtres  d'une  doctrine  dont  ils  ne  comprennent  pas  la  gran- 
deur. 

Il  est  incontestable  que,  vue  et  jugée  sans  idée  préconçue,  la  Terre 
n'a  reçu  aucune  distinction  spéciale  qui  en  fasse  une  exception  dans 
la  famille  du  Soleil.  Néanmoins,  les  antagonismes  de  la  doctrine 
philosophique  de  la  vie  universelle  trouvent  le  moyen  de  s'aveugler 
au  point  de  supposer  tout  le  contraire  de  ce  qui  est,  et  de  trouver 
dans  l'état  des  choses  terrestres  une  préparation  providentielle  et 
détaillée  pour  les  circonstances  de  la  vie.  Voici  comment  raisonne, 
par  exemple,  l'un  des  plus  récents  auteurs  qui  aient  écrit  sur  la 
matière  (')  : 

La  Terre  a  été  particulièrement  placée  pour  recevoir  la  vie,  laquelle  ne 
peut  provenir  des  combinaisous  de  la  matière  inanimée  et  n'est  duo  qu'à 
un  miracle  spécial  de  la  volonté  divine. 

Placée  justement  à  la  distance  convenable  du  Soleil,  la  lumière  et  la 
chaleur  qu'elle  en  reçoit  sont  précisément  au  degré  voulu  pour  favoriser 
la  vie. 

La  végétation  adaptée  pour  soutenir  la  vie  animale  reçoit  la  quantité 
exacte  de  calorique  qui  lui  convient. 

L'atmosphère  est  composée  d'éléments  combinés  avec  précision  pour 
entretenir  la  vie,  tant  animale  que  végétale. 

La  surface  du  sol  est  arrangée  en  plaines,  vallées,  montagnes,  rivières, 
mers,  juste  comme  il  convient  pour  une  quantité  d'eau  ni  trop  grande  ni 
trop  petite. 

français  les  plus  instruits,  M.  Faye,  président  du  Bureau  des  longitudes  et  membre  de 
l'institut,  traiter  ainsi  la  grande  et  immortelle  doctrine  delà  Pluralité  des  Mondes  d'une 
«  idée  médiocre  »,  passer  en  revue  les  différents  astres  sous  le  rapport  des  conditions 
astronomiques  de  la  vie  et  les  éliminer  tous  successivement  parée  qu'ils  ne  sont  pas 
identiques  à  la  Terre  :  la  Lune  parce  que  son  atmosphère  n'est  pas  sensible,  Jupiter 
parce  qu'il  n'est  pas  assez  dense,  Uranus  parce  que  les  saisons  y  sont  trop  longues  et 
trop  prononcées,  Saturne  parce  qu'il  a  des  anneaux  qui  donnent  de  l'ombre,  etc.  C'est  à 
peine  si  Mars  trouve  grâce  :  «  encore  faut-il  avouer  que  l'aspect  invariable  de  ses  conti- 
nents rouges,  contrastant  avec  ses  mers  légèrement  verdâtros.  n'est  guère  favorable  à 
l'idée  d'une  vie  organique  largement  développée  à  sa  surface.  »  I. 'auteur  tient  a  affir- 
mer sous  toutes  les  formes  qu'il  prend  son  liorizou  pour  les  bornes  du  monde.  Iluygens, 
après  avoir  découvert  le  principal  satellite  de  Saturne,  en  16ob,  a  eu  l'imprudence 
d'écrire  que  ce  satellite  est  sans  doute  le  seul,  car,  «  comme  il  n'y  a  que  six  planètes,  il 
ne  doit  exister  que  six  satellites  »,  et  en  1729,  alors  que  cinq  satellites  étaient  découverts, 
un  savant  anglais  ajoutait  encore  qu'il  était  inutile  d'en  chercher  d'autres,  car,  écri- 
vait-il :  «  les  découvertes  en  optique  sont  arrivées  à  leur  terme  »...  Dans  le  paradis 
lerrestre,  .\dani  et  Eve  ont  dû  croire  que  la  mode  ne  changerait  pas. 

(')  The  lieaveny  bodies,  their  nature  and  UibtUibilUy,  by  William  .IJiller.  —  Lon- 
dres, 1883. 


LES   TERKES   DU   CIEL 


Parfailumcnt  combinées  aussi  sont  les  distances  respectives  du  Soleil  et 
de  la  Lune,  pour  que;  les  marées  ne  soient  pas  trop  fortes  et  n'amènent  pas 
d'inondations.  Le  flot  va  juscjua-là,  et  n'ira  pas  plus  loin. 

Le  Créateur  a  poussé  le  soin  jusqu'à  élever,  par  des  soulèvements  au-des- 
sus du  niveau  de  la  mer,  les  pierres  formées  au  fond  de  l'Océan  pour  que 
nous  puissions  nous  en  servir  pour  construire  nos  habitations,  et  jusqu'à 
préparer  dans  les  mines  de  houille  le  charbon  de  terre  que  nous  devions 
brûler.  Ce  but  est  évident  par  ce  seul  fait  que  les  animaux  n'ont  pas  besoin 
de  pierres  et  de  charbon,  et  que  c'est  l'homme  seul  qui  s'en  sert. 

La  laine,  le  coton,  le  fil,  la  soie  ont  été  créés  en  vue  des  services  qu'ils 
devaient  rendre  à  l'homme,  etc.,  etc. 

En  un  mot,  la  planète,  dans  tous  ses  détails,  a  été  construite, arrangée, 
préparée  tout  exprès  pour  l'homme,  et  rien  ne  prouve  que  Dieu  ait  eu  la 
fantaisie  d'en  faire  autant  ailleurs. 

On  le  voit,  c'est  toujours  le  raisonnement  du  poisson  :  «  L'eau 
est  l'élément  de  la  vie;  donc  on  ne  peut  pas  vivre  hors  de  l'eau  ». 
Une  grenouille  raisonnerait  déjà  mieux,  par  la  seule  raison  qu'elle 
est  amphibie. 

L'excellent  Bernardin  de  Saint-Pierre  ne  peusait-il  pas  que  les 
marées  ont  été  faites  pour  permettre  aux  navires  d'entrer  au  Havre? 
Lorsqu'on  objectait  à  la  tradition  de  la  création  du  monde  il  y  a  six 
mille  ans,  les  découvertes  géologiques  et  paléontologiques,  ne  répon- 
<lait-il  pas  que  Dieu  avait  cru  le  monde  tout  vieux,  avec  ses  fossiles, 
(sans  doute  dans  le  but  d'attraper  les  géologues!)  Et  l'auteur  du  Spec- 
tacle de  la  nature  n'assurait-il  pas  que  si  les  puces  sont  noires, 
c'est  dans  le  but  d'être  plus  facilement  saisies  sur  la  peau  blanche  ! 

L'écrivain  que  nous  venons  de  citer  tout  à  l'heure  va  même  plus 
loin  lorsqu'il  dit  textuellement  que  chaque  chose  sur  la  Terre  est 
arrangée  pour  servir  directement  ou  indirectement  au  bénéfice  de 
l'homme,  et  que  «  môme  les  animaux  venimeux  et  les  poisons  ont 
eu  ce  but  »;  ce  qaS.  prouve,  ajoute-t-il,  que  la  vie  terrestre  n'a  pas 
eu  d'autre  but  que  l'homme  :  puisque  le  but  est  rempli,  quelle 
raison  y  aurait-il  de  supposer  que  la  vie  existe  sur  d'autres 
globes  ?  »  ('). 

Mais  pourquoi  élever  tant  d'objections  contre  une  théorie  aussi 
naturelle  en  elle-même  !  Pourquoi  s'imaginer  que  les  habitants  des 

('}  Morne  ouvrage,  p.  216.  On  croira  peut-être  que  nous  exagérons.  Voici  la  phrase  : 
«  So  that,  thé  earth  was  not  only  specially  adapted,  but  specially  iiiade  for  man.  And. 
if  so,  what  reason  can  there  be  for  presuming  life  on  other  gîobes?  » 


LES   TERRES    DU   CIEL 


autres  mondes  doivent  ou  nous  ressembler  ou  ne  pas  exister  ?  Nous 
avons  cinq  sens.  D'autres  êtres  peuvent  en  avoir  six,  sept,  huit,  dix, 
cent.  Avons-nous  un  sens  pour  apprécier  l'électricité?  Non.  Nous 
pouvons,  sans  nous  en  douter,  passer  à  côté  du  tonnerre,  et  lors 
même  qu'il  nous  foudroierait,  nous  ne  nous  en  douterions  pas  davan- 
tage. Avons-nous  un  sens  pour  apprécier  le  magnétisme  terrestre  ? 
Non.  Nous  sommes,  sur  ce  point  comme  sur  le  précédent,  moins 
avancés  qu'une  aiguille  aimantée  et  que  certains  animaux.  Si,  dès 
l'origine  des  êtres,  l'électricité  atmosphérique  eût  été  plus  déve- 
loppée et  en  rapport  immédiat  avec  les  organismes,  nous  aurions 
sans  doute  aujourd'hui  ce  sixième  sens,  et  peut-être  le  septième. 
C'est  être  naïf  que  d'affirmer  avec  Huygens  que  les  habitants  des 
autres  planètes  ont  des  mains  faites  comme  les  nôtres,  avec  cinq 
doigts  tout  juste,  deux  yeux  identiques  aux  nôtres,  des  sourcils  pour 
les  protéger,  des  cheveux  blonds   ou  bruns,  des  instruments  de 
musique  pareils  à  ceux  qui  étaient  en  usage  au  siècle  de  Louis  XIV, 
et  des  habitations  semblables  à  celles  de  Paris  ;  —  ou  bien  avec 
Swedenborg  qu'ils  ont  des  juste-au-corps  bleus   ou  rouges,   des 
troupeaux  de  moutons  gardés  par  des  chiens  et  des  voitures  à  bras 
pour  se  transporter  d'un  pays  à  un  autre.  Autant  vaudrait  prétendre 
calculer  le  nombre  des  habitants  de  toutes   les  planètes  d'après 
leur  surface  géographique  ('). 

(>)  Ce  calcul  fantaisiste  a  du  reste  été  fait  par  un  ministre  protestant,  Thomas  Dick, 
dans  son  ouvrage  Celeslial  scenery  (1837),  en  prenant  pour  base  la  statistique  de 
l'.\ngleterre,  à  raison  de  280  habitants  par  mille  carré.  Le  voici  : 

POPULATION     DES     PLANÈTES 

Mercure 8  960  000  000 

Vénus .ï3  500  000  000 

Mars 15  bOO  000  000 

Vesta Gi  000  000 

Junon i  "SC)  000  000 

Cérès 2  319  962  400 

Pallas 4  009  000  000 

Jupiter 6  967  520  OOn  000 

Saturne 5  488  000  00(1  000 

Anneaux  de  Saliiriie 8  141  903  820  000 

Uranus 1  077  368  800  000 

La  Lune 4  200  OOO  000 

Satellites  de  Jupiter 2G  673  000  000 

Satellites  de  Saturne o5  UT  824  000 

Satellites  dUranus 47  500  992  000 

Total 21  894  974  401  480 


LES  TERRES  DU   CIEL 


Uncî  vue  gùnérale  de  cette  grande  question  de  la  vie  universelle  et 
éternelle  nous  montre  les  forces  de  la  nature  partout  en  activité, 
mais  en  des  conditions  variées.  Les  mondes  eux-mêmes  naissent, 
vivent  ot  meurent,  et  dans  la  durée  de  leur  existence,  la  période 
illustrée  parla  vie  intellectuelle  d'une  humanité  est  sans  contredit 
beaucoup  plus  courte  que  la  période  de  préparation  et  que  celle  de 
l'extinction.  La  Terre  a  été  des  milliers  de  siècles  sans  être  habitée 
par  des  êtres  intelligents,  et  après  le  dernier  soupir  du  dernier 
homme,  elle  roulera  pendant  des  milliers  de  siècles  comme  une 
tombe  déserte  et  silencieuse.  C'est  donc  dans  le  sens  de  l'éternité 
qu'il  faut  envisager  aussi  la  question  de  la  vie  universelle,  car  suc- 
cessivement les  différents  mondes  se  développent  à  travers  les  âges. 
Il  peut  se  faire  aussi  qu'un  grand  nombre  de  mondes  subissent  des 
arrêts  de  développement  et  n'arrivent  jamais,  à  aucune  époque  de 
leur  durée,  à  porter  une  race  quelque  peu  intelligente.  Il  peut  se 
faire  également  que  d'autres  mondes  arrivent  rapidement  à  donner  le 
jour  à  des  humanités  si  supérieures  que  les  enfants  y  résolvent  natu- 
rellement des  problèmes  restés  fermés  au  génie  des  Archimède, 
(les  Newton  et  des  Kepler,  et  que  des  esprits  aussi  éminents  que 
Jésus,  Socrate,  Platon,  Gonfucius,  Boudha,  n'y  seraient  comparati- 
vement que  de  médiocres  moralistes.  Mais  ce  que  nous  devons  voir, 
sous  un  aspect  général,  c'est,  parmi  les  milliards  de  planètes  qui 
doivent  graviter  autour  des  innombrables  soleils  de  l'espace,  des 
miUions  de  mondes  habités,  des  légions  d'êtres  inconnus  enfantés 
par  les  forces  de  la  nature,  absolument  différents  de  tout  ce  qui 
existe  sur  notre  planète. 

A  quoi  il  faut  ajouter  la  population  de  la  Terre,  alors  évaluéeà  800  000  000  d'habitants, 
et  celle  du  Soleil,  que  l'auteur  estime  a.  681  184  000  000  000.  C'est  donc  à  70:j  trillions 
■79  milliards  774  millions  que  notre  excellent  calculateur  fixe  la  population  du  sys- 
tème solaire.  Pas  une  planète  n'a  trouvé  grâce,  ni  un  seul  satellite,  ni  les  anneaux  de 
Saturne,  ni  le  Soleil  :  tout  est  habité  actuellement  par  des  individus  construits  à 
-ïotre  image.  .\  son  calcul,  il  faudrait  ajouter  Neptune,  les  satellites  de  Mars  et 
sûtes  les  petites  planètes  découvertes  depuis  1837.  11  est  aussi  puéril  de  prétendre  que 
.ous  les  mondes  sont  actuellement  habités  que  de  prétendre  qu'il  n'y  en  a  aucun  d'ha- 
bitable. Mais  l'esprit  humain  aime  à  se  précipiter  toujours  dans  les  extrêmes.  Le  plus 
joli  du  calcul  précédent  est  qu'il  y  aurait  cinq  fois  plus  d'habitants  sur  la  Lune  que  sur 
la  Terre.  Comme  il  n'y  a  pas  d'océans  là,  l'auteur  n'a  pas  voulu  qu'il  y  eût  un  centi- 
mèlrc  de  perdu.  Cette  exigence  rappelle  la  repartie  de  Fontenelle  aux  objections  qui  lui 
étaient  faites  contre  les  habitants  de  la  Lune  :  «  Quand  il  n'y  aurait  que  du  sel  sur  les 
rochers,  je  le  ferais  plutôt  lécher  par  les  habitants  que  de  n'y  en  point  mettre.  » 


...  Là  descend  du  ciel  une  autre  lumière,  là  fleurissent  des  plantes  qui  ne  sont  pas  des  plantes... 
Tr.r.r.F.s  Df  CIEL  23 


LES  TKl'.UES    DU    CIEL 


Xénoplume  disait,  il  y  a  deux  raille  ans,  qu(;  si  les  bœufs  avaient 
l'idée  de  penser  à  une  puissance  suprême  et  do  se  représenter  un  dieu 
quelconque,  ils  se  le  figureraient  sous  la  forme  d'un  bœuf.  Si  les 
animaux  qui  habitaient  la  Terre  il  y  a  cent  mille  ans  avaient  fait  des 
conjectures  sur  la  pluralité  des  mondes,  ils  auraient,  par  analogie, 
peuplé  les  astres  d'animaux  sauvages  et  non  raisonnables,  et  n'au- 
raient sans  doute  pas  songé  à  la  possibilité  d'une  race  intellectuelle  de 
la  nature  de  la  nôtre.  Si  une  planète  était  peuplée  de  séraphins,  ses 
philosophes  seraient  portés  à  croire  qu'il  n'y  a  que  des  séraphins 
sur  tous  les  mondes  de  l'espace.  C'est  là  une  analogie  trop  étroite. 
Répétons-le  cent  fois  pour  une  :  nous  ne  sommes  pas  le  type  de  la 
création;  nous  ne  sommes  ni  aussi  beaux  ni  aussi  parfaits  que  l'on 
nous  l'assure,  et  il  n'y  a  aucune  bonne  raison  pour  que  l'Hercule 
Farnèse  ou  la  Vénus  Callipyge  représentent  le  type  des  habitants 
de  tous  les  mondes. 

Il  est  temps  de  faire  justice  de  ces  fantaisies  et  de  ces  pusillani- 
mités. Malgré  le  regrettable  mouvement  de  recul  essayé  par  les 
savants  contemporains,  —  mouvement  comparable  à  celui  qu'on 
observe  de  temps  à  autre  en  politique  chez  les  hommes  mêmes  qui 
sont  à  la  tète  des  gouvernements  et  qui  devraient  donner  l'exemple 
du  perfectionnement  social, —  il  n'est  pas  contestable  que  la  planète 
que  nous  habitons  n'a  reçu  de  la  nature  aucun  privilège  spécial  et 
qu'il  n'y  a  aucune  bonne  raison  pour  prétendre  qu'elle  soit,  pendant 
toute  l'éternité,  le  seul  monde  habité  de  l'univers,  —  pour  oser  sou- 
tenir que  les  forces  de  la  nature  sont  partout  restées  improductives 
parce  que  les  conditions  d'existence  diffèrent  d'une  région  à  l'autre, 
— et  pour  s'imaginer  naïvement  que  notre  imperceptible  et  misérable 
foLU-raiUère  doive  être  le  type  de  toute  terre  habitée  ou  exister  seule 
au  monde. 

En  principe,  le  penseur  admet,  rationnellement,  que  tout  monde 
qui  arrive  à  son  terme  devient  le  séjour  d'une  humanité  quelconque; 
mais  que,  notre  époque  actuelle  n'ayant  pas  plus  d'importance 
qu'une  autre  dans  l'éternité,  il  n'y  a  aucune  raison  pour  supposer 
que  les  autres  mondes  de  notre  système,  ainsi  que  ceux  qui  gravi- 
tent autour  des  innombrables  soleils  disséminés  dans  l'infini,  soient 
justement  arrivés  en  ce  moment  à  leur  époque  d'habitation.  Ces 
époques  ont  existé  pour  certains  mondes  il  y  a  des  millions  d'an- 


LES   TEURES   DU   CIEL 


nées,  et  elles   n'existeront  pour  d'autres  que   dans  des   millions 
d'années. 

Cette  contemplation  générale  de  la  vie  universelle  ainsi  posée  en 
principe,  nous  pouvons,  rationnellement  aussi,  nous  demander 
quelles  espèces  d'êtres  peuvent  éclore  sur  les  autres  mondes. 

Et  ici,  en  nous  souvenant  des  pensées  que  la  première  vue  des 
Terres  du  ciel  nous  inspirait  dès  les  premières  pages  de  cet  ouvrage, 
nous  pourrions  dire  encore  :  «  Là  brille  un  autre  soleil,  là  descend 
du  ciel  une  autre  lumière,  là  souffle  un  air  qui  n'est  point  terrestre; 
là  fleurissent  des  plantes  qui  ne  sont  pas  des  plantes,  là  coulent  des 
eaux  qui  ne  sont  pas  des  eaux;  là  reposent  des  paysages,  des  lacs, 
des  forets,  des  mers,  que  nos  yeux  n'ont  point  vus  et  qu'ils  ne  pour- 
raient point  reconnaître  ».  Transportée  sur  l'aile  de  la  science  jus- 
qu'aux frontières  d'un  autre  monde,  notre  imagination  éprouve  un 
intime  bonheur  à  sentir  que  la  vie  existe  réellement  dans  les 
régions  de  l'espace,  mais  elle  n'est  pas  satisfaite,  parce  qu'elle  reste 
suspendue  devant  la  question  qui  se  [Ose  immédiatement  :  Com- 
ment sont  organisés  nos  collègues  de  Mars  et  des  autres  mondes? 

Ce  n'est  pas  que  les  réponses  manquent.  Le  lecteur  curieux  de  se 
former  une  idée  de  la  puissance  de  l'imagination  humaine  et  de  la 
richesse  de  ses  facultés  pourrait  feuilleter  sur  ce  point  l'ouvrage  que 
nous  avons  consacré  à  cette  revue  spéciale  des  théories  humaines 
sur  les  habitants  des  astres  ('),  et  sans  contredit  cette  lecture  lui 
offrirait  plusd'un  côté  pittoresque.  Sans  entrer  dans  aucun  détail  sur 
cet  aspect  plutôt  romanesque  et  artistique  que  théorique  et  scienti- 
fique de  la  question  qui  nous  occupe  ici,  nous  pouvons  rappeler  que 
maintes  fois  on  est  allé  jusqu'à  représenter  parle  dessin  les  citoyens 
des  patries  célestes.  Nous  ne  parlons  pas  des  anges,  des  archanges, 
des  chérubins,  des  séraphins,  des  trônes,  des  puissances,  des  domi- 
nations et  de  tous  les  personnages  imaginaires  de  la  milice  céleste 
inventée  par  les  théologiens  en  vacances.  Et  pourtant,  ce  serait  là 
une  revue  fort  curieuse  à  passer,  sui^tout  si  nous  voulions  lui  adjoin- 
dre celle  de  la  milice  infernale,  plus  nombreuse,  plus  riche,  plus 
variée  et  plus  intéressante  encore,  quoique  non  moins  imaginaire. 
Mais  au  point  de  vue  purement  astronomique,  les  colonisateurs  de 
planètes  n'ont  pas  manqué. 


(')  Les  Mondes  imaginaires  et  les  Mondes  rérls. 


LES   TKKRES    DU    CIEL 


.lordano  Bruno,  dans  son  ouvrapH  sur  «  l'Infini,  l'Univers  et  les 
Mondes  »;  Kepler,  dans  son  «  Songe  astronomique  »  ;  Godwin,  dans 
a  l'Homme  dans  la  Lune  »  ;  Cyrano  de  Bergerac,  dans  son  «  Voyage 
dans  la  Lune  »  et  dans  ses  «  Etats  et  Empires  du  Soleil  »  ;  Kircher, 
dans  son  «  Voyage  extatique  céleste  »  ;  Fontenelle,  dans  ses  «  Entre- 
tiens sur  la  Pluralité  des  Mondes  »;  Huygens,  dans  son  «  Cosmo- 


•î^'-..,.  .,^-^^1.- ->>*~^^^  ^^-^Lî^.  ,. 


..u.-t;  1 

FiR.  8o.  —  Scène  imaginaii'e  chez  les  habitants  de  Jupiter. 

théoros  »;  Niel  Klim,  dans  son  «  Voyage  aux  planètes  souterraines  »; 
Voltaire,  dans  «  Micromégas  »  ;  Swedenborg,  dans  ses  a  Arcanes  cé- 
lestes »  ;  Wolff,  dans  ses  «  Études  planétaires  »  ;  Gudin,  dans  son 
livre  «  De  l'Univers  >-  ;  l'auteur  anonyme  des  «  Découvertes  faites 
dans  la  Lune  par  Herschel  »  en  18;i3;  Edgar  Poë,  dans  son  «  Aven- 
ture d'un  certain  Hans  Ptaall  »;  Boitard,  dans  sa  «  Descrii)tion  des  pla- 
nètes »  ;  Brewster,  dans  son  ouvrage  «  Il  y  a  plus  d'un  monde  »  ; 
Allan  Kardec  dans  «  le  Livre  des  Esprits  «  ;  M.  Victorien  Sardou,  dans 


LES    TERRKS    DU    CIEL 


un  curieux  article  intitulé  «  Des  Habitations  de  la  planète  Jupiter  », 
publié  par  la  Revue  spirite  de  1858;  M.  Henri  de  Parville,  dans 
«  Un  Habitant  de  la  planète  Mars  »  ;  M.  Victor  Dazur,  dans  «  le  Régi- 
ment fantastique»;  M.  Blanqui,  dans  «  l'Éternité  par  les  astres  »,  et, 
tout  récemment  encore  (1883),  M.  Vernier  dans  «l'Étrange  voyage  », 
ainsi  qu'un  grand  nombre  d'autres  écrivains  moins  connus,  ont  non 
seulement  écrit  sur  les  habitants  des  astres,  mais  ont  encore  imaginé 
leui's  formes,  leurs  modes  d'existence,  leur  état  intellectuel  et  moral, 
leurs  mœurs  et  leurs  habitudes  ('). 

(1)  Pour  n'en  signaler  ici  qu'un  exemple,  aussi  intéressant  que  peu  connu,  nous  avons 
reproduit  (fig.  85)  un  dessin  fait  et  gravé  par  M.  Victorien  Sardou  lui-même,  —  long- 
temps avant  sa  candidature  à  l'Académie  française  —  dessin  ayant  pour  objet  de  repré- 
senter une  habitation  du  monde  de  Jupiter.  Cette  habitation  est  toute  végétale;  elle  est 
agréablement  fleurie.  On  voit  des  êtres  suspendus  ou  envolés.  En  bas,  des  joueurs 
s'exercent  à  un  jeu  de  quilles  particulier  :  il  s'agit,  non  de  renverser  les  quilles,  mais 
de  les  coiffer,  comme  au  bilboquet.  Ces  êtres  ne  sont  pas  les  habitants  de  Jupiter;  ce 
sont  des  animaux  à  leur  service. 

Cette  ville  de  Jupiter,  nommée  Julnius,  se  compose  de  deux  cités,  l'une,  «  la  ville 
haute  »  est  flottante  dans  l'air,  l'autre,  la  «  ville  basse  >>  est  construite  sur  la  terre  ferme. 
Les  animaux  habitent  la  seconde,  les  hommes-esprits  habitent  la  première.  Mozart, 
Cervantes,  Palissy  étaient  voisins  de  campagne. 

Une  note  annexée  à  la  publication  de  ce  dessin  ajoutait  que  l'auteur  ne  savait  m 
dessiner  ni  graver,  et  que  toutefois  cette  figure  avait  été  directement  gravée  par  lui  à 
l'eau-forte,  en  neuf  heures,  sans  aucune  étude  préalable.  Elle  était  signée  «  Bernard 
Palissy  ». 

Le  spirituel  auteur  de  Nos  Intimes,  des  Pattes  de  Mouches,  de  Divorçons,  a  créé  cette 
composition,  ainsi  que  plusieurs  autres,  dans  cet  état  particulier  de  l'esprit  que  l'on 
désigne  sous  le  nom  de  médiumnité,  et  c'est  en  effet  comme  médium  qu'il  l'a  signée. 
C'est  un  état  dans  lequel  on  n'est  ni  endormi,  ni  magnétisé,  ni  hypnotisé  d'aucune  façon. 
On  est  tout  simplement  recueilli  dans  un  cercle  d'idées  déterminé.  Le  cerveau  agit 
alors,  par  l'intermédiaire  du  système  nerveux,  un  peu  autrement  que  dans  l'état  nor- 
mal. La  différence  n'est  pas  aussi  grande  qu'on  l'a  supposé.  Voici  principalement  en 
quoi  elle  consiste.  Dans  l'état  normal,  nous  pensons  à  ce  que  nous  allons  écrire,  avant 
de  commencer  l'acte  d'écrire;  nous  construisons  notre  phrase  dans  notre  pensée  avant 
de  la  traduire  par  le  langage  ;  nous  agissons  directement  pour  faire  marcher  notre 
idume,  notre  main,  notre  avant-bras.  Dans  cette  autre  condition,  au  contraire,  nous 
ne  pensons  pas  avant  d'écrire,  nous  ne  faisons  pas  marcher  notre  main,  nous  la  lais- 
sons inerte,  passive,  libre;  nous  la  posons  sur  le  papier,  en  faisant  en  sorte  qu'elle 
éprouve  la  moindre  résistance  possible  ;  nous  pensons  à  un  mot,  à  un  chiffre,  à  un  trait 
de  plume,  et  notre  main  écrit  d'elle-même,  toute  seule.  Mais  il  faut  penser  à  ce  que 
l'on  fait,  non  pas  d'avance,  mais  sans  discontinuité,  autrement  la  main  s'arrête. 
Essayez,  par  exemple,  d'écrire  le  mot  océan,  non  pas  comme  d'habitude,  en  l'écrivant 
volontairement,  mais  en  prenant  un  crayon,  en  laissant  simplement  votre  main  libre- 
ment posée  sur  un  cahier,  en  pensant  à  ce  mot,  et  en  observant  attentivement  si 
votre  main  l'écrira.  Eh  bien  !  votre  main  ne  tardera  pas  à  écrire  un  o,  puis  un  c,  et 
ainsi  de  suite.  Du  moins,  c'est  l'expérience  que  j'ai  faite  sur  moi-même,  il  y  a  un  quart 
de  siècle,  lorsque,  à  la  même  époque  que  mon  illustre  et  érudit  ami  Victorien  Sardou, 


i.i;s  IL  11  m;  s  du  cill 


Rovriions  aux  hvpothrscs  laites  sur  la  lormo  des  habitants  des 
autres  inondes.  Nous  sijiualions  toiit-à-riieure  parmi  les  prineipaux 
ouvrages  écrits  sur  le  sujet,  celui  de  notre  savant  ami  H.  de  Parviile 
intitulé  :  L'n  habitant  de  la  platu'te  Mars.  On  remarrpu'  dans  cet 
ouvrage  le  dessin  reproduit  ici  (//r/.  86),  représentant  ledit  haiùlant 
apporté  sur  la  Terre  dans  un  aérolithe.  Nous  ne  pouvons  pas  créer 
de  formes  étrangères  à  celles  que  nous  connaissons  :  c'est  encore 
là  un  animal  qui  ressemlile  plus  ou  niuins  aux  êtres  terrestres. 


Fig.  Rfi.  —  H;il)it;int  imaginaire  de  la  pianote  Mars. 


Il  ne  faut  consiilérer  ces  romans  astronomiques  que  comme  des 
œuvres  d'imagination.  Si  nous  voulions  essayer  de  nous  représenter 
l'état  des  autres  mondes  au  point  de  vue  de  l'intéressant  proLlème 


j't'tiidiais  les  nouveaux  pi-oblèmes  du  spiritisme  et  du  magnétisme.  [J'ai  toujouii 
pensé  que  le  cerele  de  la  science  n'est  pas  fermé  et  qu'il  nous  reste  bien  des  choses  à 
apprendre].  Dans  ces  expériences,  il  est  très  facile  de  s'abuser  soi-même  et  de  croire 
que  notre  main  est  sous  l'influence  d'un  esprit  différent  du  nôtre.  Je  dois  dire  cepen- 
dant que  bi  conclusion  de  ces  expériences  a  été  que  l'action  de  ces  esprits  étrangers 
n'est  pas  nécessaire  pour  expliquer  les  phénomènes  observés.  Le  spiritisme  ne  nous  a 
absolument  rien  appris  en  astronomie,  et  les  conjectures  écrites  parles  médimns  n'ont 
pas  été  confirmées  par  les  découvertes  récentes.  Sur  Jupiter,  notammi'ul,  l'c'tat 
d'habitation  ne  peut  pas  être  tel  qu'on  l'avait  indiqué.  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d'entrer  d;ins  plus  de  di^tails  à  l'égard  d'un  sujet  qui  a  été  josipi'à  iir('S(>ul  jibis  cxiilnilé 
[lai'  di's  spécidalcurs  (piiOuilic  par  des  sa\:nils. 


LES   TERRES    DU    CIEL 


de  leur  habitation  par  des  races  intellectuelles,  la  méthode  à  suivre 
devrait  être  essentiellement  et  exclusivement  scientifique,  et  se  con- 
clure de  la  synthèse  des  faits  acquis  à  la  physiologie,  à  la  géologie  et 
à  l'ontologie  générale.  C'est  là  un  essai  qui,  grâce  aux  progrés  actuels 
de  la  science,  peut  être,  croyons-nous,  tenté  sans  trop  de  présomp- 
tion. Examinons  au  moins  la  question. 

Los  études  de  la  physiologie  positive  et  de  la  statistique  moderne 
démontrent  scientifiquement  que  le  corps  humain  est  le  produit  de 
la  planète  terrestre  :  son  poids,  sa  taille,  la  de'usité  de  ses  tissus,  le 
poids  et  le  volume  de  son  squelette,  la  durée  de  la  vie,  les  périodes 
de  travail  et  de  sommeil,  la  quantité  d'air  qu'il  respire  et  de  nourri- 
ture qu'il  s'assimile,  toutes  ses  fonctions  organiques,  même  celles 
qui  paraissent  le  plus  arbitraires,  et  jusqu'aux  époques  maxima  des 
naissances,  des  mariages  et  des  décès,  en  un  mot,  tous  les  éléments 
de  la  machine  humaine,  sont  oi^ganisés  par  la  planète.  La  capa- 
cité de  nos  poumons  et  la  forme  de  notre  poitrine,  la  nature  de  notre 
alimentation  et  la  longueur  du  tube  digestif,  la  marche  et  la  force 
des  jambes,  la  vue  et  la  construction  de  l'œil,  la  pensée  et  le  déve- 
loppement du  cerveau,  etc.,  etc.,  tous  les  détails  de  notre  orga- 
nisme, toutes  les  fonctions  de  notre  être  sont  en  corrélation  intime, 
absolue,  permanente,  avec  le  monde  au  milieu  duquel  nous  vivons. 
La  construction  anatomique  de  notre  corps  est  la  même  que  celle 
des  animaux  qui  nous  précèdent  dans  l'échelle  de  la  création.  Nous 
sommes  faits  comme  nous  le  sommes,  parce  que  les  quadrupèdes 
mammifères  sont  construits  comme  ils  le  sont;  et  ainsi  toutes  les 
espèces  animales  se  suivent  comme  les  anneaux  d'une  même  chaîne, 
et,  en  remontant  d'anneau  en  anneau,  on  retrouve  les  premiers 
organismes  rudiraentaires,  qui  sont  plus  visiblement  encore,  mais 
pas  davantage,  le  produit  des  forces  qui  leur  ont  donné  nais- 
sance. 

C'est  là  une  vérité  dont  il  n'est  plus  permis  de  douter  aujourd'hui, 
à  moins  d'être  resté  étranger  à  tout  le  mouvement  de  la  physiologie 
contemporaine  et  de  s'être  tenu  à  l'écart  des  admirables  travaux  qui 
illustrent  la  seconde  moitié  du  XIX'  siècle  dans  la  solution  du  grand 
problème  de  l'origine  des  espèces,  travaux  qui  ont  absolument  trans- 
formé la  paléontologie  classique  de  Cuvier  et  de  ses  émules. 


LES    HABITANTS    DE   MARS 


Los  espèces  se  sont  lentement  succédées  à  la  surface  de  notre 
planète.  Elles  ont  commencé,  à  l'époque  lointaine  de  la  période  pri- 
mordiale, par  les  organismes  les  plus  simples,  aussi  bien  dans  le  rè- 
gne animal  que  dans  le  règne  végétal.  Les  premières  plantes  méri- 
tent à  peine  ce  titre  :  elles  n'ont  ni  feuilles,  ni  fleurs,  ni  fruits.  Les 
premiers  animaux  sont  des  invertébrés,  des  mollusques,  des  objets 
gélatineux  qui  n'ont  ni  tête,  ni  sens,  ni  système  nerveux  et  qui,  à 
proprement  parler,  ne  sentent  pas.  Par  le  perfectionnement  séculaire 
des  conditions  organiques  de  la  planète,  par  le  développement  gra- 
duel de  quelques  organes  rudimentaires,  la  vie  s'améliore,  s'enri- 
chit, se  perfectionne.  Pendant  l'époque  primordiale,  on  ne  voit  que 
des  invertébrés  flottant  dans  les  eaux  encore  tièdes  des  mers  primi- 
tives. Vers  la  fin  de  cette  époque,  pendant  la  période  silurienne,  on 
voit  apparaître  les  premiers  poissons,  mais  seulement  les  cartilagi- 
neux :  les  poissons  osseux  ne  viendront  que  longtemps  après.  Pendant 
la  période  primaire  commencent  les  grossiers  amphibies  et  les  lourds 
reptiles,  les  lents  crustacés.  Des  îles  s'élèvent  du  sein  des  ondes  et 
se  couvrent  d'une  végétation  splendide.  Mais  le  régne  animal  est  en- 
core bien  pauvre.  Ce  n'est  que  pendant  l'âge  secondaire  qu'il  se  diver- 
sifie en  espèces  bien  distinctes  et  nombreuses.  Les  reptiles  se  sont 
développés:  l'aile  porte  l'oiseau  dans  les  airs;  les  premiers  mammi- 
fères, les  marsupiaux,  habitent  les  forêts.  Pendant  l'âge  tertiaire,  les 
serpents  se  détachent  tout  à  fait  des  reptiles  en  perdant  leurs  pattes 
(dont  les  soudures  primitives  sont  encore  visibles  aujourd'hui),  le 
reptile-oiseau,  archéoptérix,  disparaît  aussi,  les  ancêtres  des  simiens 
se  développent  sur  les  continents  en  même  temps  que  toutes  les  fortes 
espèces  animales.  Mais  la  race  humaine  n'existe  pas  encore.  L'homme 
va  apparaître,  semblable  à  l'animal  par  sa  constitution  anatomique, 
mais  plus  élevé  dans  l'échelle  du  progrès  et  destiné  à  dominer  un 
jour  le  monde  par  la  grandeur  de  son  intelligence. 

Les  couches  géologiques  du  globe  terrestre,  que  nous  retournons 
aujourd'hui  comme  les  feuillets  d'un  livre,  nous  montrent  ainsi 
cette  succession  de  fossiles  ensevelis.  Les  espèces  se  sont  suc- 
cédées en  se  développant  graduellement,  comme  les  rameaux  d'un 
même  arbre.  Elles  dérivent  d'une  même  source;  elles  se  rattachent 
entre  elles  comme  les  anneaux  d'une  même  chaîne;  elles  appartien- 
nent au  même  ordre  de  choses;  elles  réalisent  le  même  programme. 


f .  H  elle    se 


Fig.  87.  —  Arbre  généalogique  des  habitants  de  la  Terre. 


TERRES   DD  CIEL. 


24 


LES  HABITANTS   DE  MARS 


On  peut  se  rendre  compte  de  cette  succession  à  l'examon  de  notre 
figure  87,  qui  représente  l'arbre  généalogique  des  habitants  do  la 
Terre  :  cet  arbre  résume  en  un  même  tableau  les  faits  que  nous  venons 
d'exposer.  Quant  à  la  durée  de  cette  création  de  la  vie  terrestre,  nous 
pouvons  adopter  sur  ce  point  l'opinion  de  Haeckel,  qui  conclut  de 
la  comparaison  de  l'épaisseur  et  de  la  richesse  des  couches,  qu'en  re- 
présentant par  le  chiffre  100  l'âge  du  monde  depuis  l'origine  des  pre- 
miers invertébrés,  la  première  époque  a  dû  prendre  déjà  pour  elle 
seule  plus  de  la  moitié  de  cette  durée,  tandis  que  l'époque  actuelle 
n'en  a  consommé  qu'une  minime  fraction  ;  en  n'accordant  que  cent 
milh;  ans  à  l'càge  quaternaire,  âge  de  la  nature  actuelle,  la  période 
tertiaire  aurait  régné  pendant  trois  cent  mille  ans  auparavant,  la  pé- 
riode secondaire  pendant  douze  cent  mille  ans,  la  période  primaire 
pendant  plus  de  trois  millions,  et  la  période  primordiale  pendant 
plus  de  cinq  millions  d'années.  Total  :  dix  millions.  Mais  qu'est-ce 
encore  que  cette  histoire  de  la  vie  comparée  à  l'histoire  totale  de  la 
planèlo,  puisqu'il  a  fallu  plus  de  trois  cents  millions  d'années  pour  la 
refroidir  au  degré  d'habitabilité? 

L'enseignement  de  la  nature  établit  ainsi,  d'une  part,  par  la  géo- 
logie et  la  paléontologie,  que  les  espèces  se  sont  succédées  en  se  per- 
fectionnant graduellement,  qu'elles  se  rattachent  entre  elles  par  leur 
origine,  et  qu'elles  sont  toutes  parentes.  L'homme  ne  descend  pas 
des  singes  actuels,  pas  plus  que  des  reptiles  ou  des  invertébrés  ac- 
tuels. Il  dérive,  comme  les  anthropoïdes  et  les  singes,  des  prosimiens 
aujourd'hui  disparus,  et,  en  remontant  plus  haut  encore,  de  marsu- 
piaux, d'amphibies  et  de  poissons  depuis  longtemps  disparus  de  la 
scène  du  monde.  Au  surplus,  l'examen  détaillé  de  notre  corps  con- 
firme cet  enseignement  de  la  paléontologie.  Nous  avons  conservé, 
encore  aujourd'hui,  des  organes  rudimentaires  atrophiés,  qui  ne  nous 
servent  absolument  à  rien,  et  qui  proviennent  de  nos  ancêtres  ani- 
maux, par  exemple  les  muscles  de  l'oreille,  qui  servaient  à  mouvoir 
l'oreille  chez  ces  animaux,  le  petit  repli  que  nous  portons  à  l'angle 
interne  de  l'œil,  et  qui  était  une  troisième  paupière,  etc.  Tous  les 
animaux  ont  de  même  ces  organes  rudimentaires  inutiles  provenant 
de  l'héritage  de  leurs  ancêtres.  Les  poissons  qui  vivent  dans  les  ca- 
vernes ont  encore  des  yeux,  mais  des  yeux  atrophiés,  incapables  de 
voir.  Les  oiseaux  qui  ne  volent  plus  ont  encore  des  ailes  (autruche, 


A  N  F  II  r.  Il  1'  U  L  U  (i  1 E    C  0  .M  l' A  11  E  ïr 


casoar),  mais  elles  ne  leur  servent  plus,  car  ils  ont  perdu  l'usnue  de 
voler.  Les  serpents  boas  et  pythons  portent  encore  à  la  partie  pustr- 
rieure  de  leur  corps  quelques  pièces  osseuses  inutiles,  reste  des  iikmu- 
bres  postérieurs  qu'ils  ont  perdu,  etc.,  etc. 

Si  nous  voulions  faire  ici  en  détail  l'analyse  du  corps  humain,  nous 
constaterions  (|ue  l'anatomie  confirme  absolument  la  gé(»logie  et  la 
paléontologie.  Mais  ce  n'en  est  pas  ici  le  lieu,  quoique,  en  lait,  nous 
ne  sortions  en  aucune  façon  de  la  question  posée  :  «  Comment  les 
iiabitants  des  autres  mondes  sont-ils  construits?  »  et  que  nous 
établissions  précisément  par  cette  exposition  les  prémisses  de  sa 


ii^'  bS  —  Les  origines  de  llioinme  : 


Lias  et  pâlies  coiupuiées 


solutiiiu  scientifique.  Signalons  notre  parenté  avec  toute  la  nature 
terrestre. 

Comparons,  par  exemple,  la  main  de  l'homme  avec  les  pattes  du 
gorille,  de  l'orang-outang,  du  chien,  du  phoque,  du  dauphin. 
Sur  notre  figure  88,  la  partie  blanche  représente  les  os  et  la  partie 
ombrée  la  chair.  On  voit  que,  anatomiquement,  c'est  la  7nême 
structure. 

La  conclusion  serait  identiquement  la  même  si  nous  conqiarions 
entre  eux  les  squelettes  tout  entiers  de  l'orang,  du  cîiimpanzé,  du 
gorille  et  de  l'homme.  L'homme  s'élève  graduellement  (voy.  fi(j.  S!)) 
de  l'horizontalité  de  la  nature  animale  vers  la  nolilesse  de  la  posi- 
tion verti{';ilr  i[ui  doit  dominer  le  [laimi-inia  du  Monde. 

La  comparaison  des  cerveaux  conduit  à  la  même  conséquence.  Le 
cerveau  n'est  que  l'épanouissement  de  la  moelle  épinière  :  la  partie 


LES  HABITANTS    I)  K   MAIIS 


antérieure  de  la  moelle  épinière  se  développe  d'espèce  en  espèce, 
devient  le  cerveau,  lequel  à  son  tour  grandit,  s'accroît  et  s'enrichit 
avec  l'exercice  des  facultés  intellectuelles. 

On  le  voit,  tous  les  faits  d'observation  s'accordent  entre  eux  pour 
montrer  que  le  type  humain  s'est  lentement  formé  en  passant  par 
toute  la  série  de  la  nature  vivante  ;  d'où  il  résulte  qu'il  n'est  pas  dû 
à  lu  fantaisie  ou  à  la  volonté  arbitraire  d'un  Créateur,  qui  l'aurait  tiré 
du  néant  jiar  un  acte  miraculeux  étranger  au  développement  nor- 


ri^'.  8'J,  —  Les  origines  de  l'homme  :  squelettes  comparés 


mal  de  la  nature  terrestre,  et  que  par  conséquent  ce  type  provient 
de  la  zoologie  de  notre  planète  aussi  naturellement  que  le  fruit 
produit  par  ;m  arbre.  Cette  importante  conclusion  est  encore  sura- 
bondamment démontrée  par  une  science  étrangère  aux  précédentes, 
et  qui,  sans  avoir  rien  de  commun  avec  la  géologie  ou  la  paléonto- 
logie, vient  cependant  donner  identiquement  le  même  témoignage 
sur  cette  importante  question  de  l'origine  de  l'homme.  Nous  voulons 
parler  de  l'embryogénie.  En  effet,  chacun  de  nous  a  passé  dans  le 
sein  de  sa  mère  par  les  principales  espèces  animales  qui  existent 
encore  aujourd'hui;  chacun  de  nous  a  d'abord  été  une  simple  petite 


AN'T11U0I'(I1.(»(.I  !•■,    C.dMI'AUEE 


cellule  organique,  ni  plus  ni  moins  qu'un  modeste  poulet;  chacun 
de  nous  a  commencé  par  être  une  petite  sphère,  un  ovule  mesurant 
un  quinzième  de  millimètre,  puis  notre  emhryon  a  été  pareil  à 
celui  d'un  poisson;  ensuite  à  celui  d'un  amphibie;  ensuite  à  celui 
d'un  reptile;  ce  n'est  qu'après  plusieurs  semaines  de  la  vie  embryon- 
naire qu'apparaissent  les  caractères  particuliers  aux  mammifères; 
pendant  les  premières  semaines,  il  est  absolument  impossible  de 
distinguer  l'embryon  de  l'homme  de  celui  des  autres  mammifères, 
des  oiseaux,  des  reptiles  et  des  poissons;  il  y  a  parallélisme  parfait 
entre  l'évolution  embryologique  de  l'individu  et  l'évolution  p;iléon- 


Fig.  90.  —  Les  origines  de  rtioniine  ;  embryons  comparés. 


tologique  du  groupe  entier  auquel  il  appartient.  En  parcourant  ainsi 
une  série  de  formes  transitoires,  l'homme  résume  dans  une  succ(!s- 
sion  rapide  la  longue  série  évolutive  des  formes  par  lesquelles  ont 
passé  ses  ancêtres,  depuis  les  âges  les  plus  reculés.  Ceux  d'entre 
nos  lecteurs  qui  n'ont  pas  eu  l'occasion  de  faire  eux-mêmes  ces 
études  un  peu  spéciales,  se  rendront  exactement  compte  de  ces  faits 
si  importants  par  l'examen  de  notre  figure  90,  qui  représente  les 
embryons  comparés  de  la  tortue,  de  la  poule, du  chien  (M:  de  l'homme 
dans  les  premières  phases  de  leur  formation. 

Ainsi,  tous  les  enseignements  de  la  nature  s'unissent  pour  nous 
montrer  que  l'homme  est  le  résumé  perfectionné  do  toute  la  série 
zoologique  terrestre  qui  l'a  précédé  sur  la  scène  du  monde,  que  la 
forme  humaine  n'est  pas  arbitraire,  et  qu'elle  est  due,  comme  celle 
de  tous  les  êtres  vivants  qui  peuplent  la  Terre,  à  la  combinaison  des 


LES   HABITANTS   DK   MARS 


forces  organiques  en  ai'tivitô  sur  la  planète.  Il  en  est  nécessairement 
de  môme  sur  les  autres  mondes.  Et  puisque  sur  ces  autres  mondes 
les  forces  organiques  ne  sont  pas  dans  le  même  état  d'activité  que 
chez  nous,  comme  les  combinaisons  des  éléments  ne  sont  pas  les 
mêmes,  comme  les  milieux  diffèrent  d'une  planète  à  l'autre,  que 
la  lumière,  la  chaleur,  l'électricité,  la  pesanteur,  la  composition 
atmosphérique,  etc.,  etc.,  difîèrent  suivant  les  régions  célestes  et  sui- 
vant les  systèmes,  les  premières  formes  animales  et  végétales  ont 
du  différer  dès  l'origine,  bifurquer  de  plus  en  plus,  de  sorte  que  la 
dernière  espèce  animale,  celle  qui  sur  chaque  monde  est  devenue 
ou  deviendra  l'espèce  intellectuelle,  doit  être  aussi  la  résultante  de 
la  série  zoologique  de  chaque  monde  et  par  conséquent  doit  absolu- 
ment différer  de  celle  à  laquelle  nous  appartenons  sur  la  Terre. 

Ces  déductions  nous  paraissent  judicieusement  établies  ('). 

Sans  prétendre  déterminer  dés  maintenant  l'état  physiologique 
des  habitants  de  Mars,  ne  pourrions-nous  essayer  d'appliquer  les 
considérations  qui  précèdent  aux  documents  encore  trop  rares  que 
nous  possédons  sur  l'habitabilité  de  cette  planète? 


(1)  Par  tles  considérations  complètement  étrangères  aux  témoignages  de  la  science, 
la  plupart  des  romanciers  du  ciel  n'ont  voulu  voir  chez  les  habitants  des  auties  mondes 
que  des  êtres  semblables  à  nous  et  reproduisant  dans  tout  l'univers  les  mêmes  actes, 
les  mêmes  sentiments,  les  mêmes  passions  que  celles  qui  régissent  l'humanité  terrestre. 
On  a  même  vu  récemment,  non  sans  curiosité,  un  auteur  plus  connu  dans  la  politique 
que  dans  la  science,  A.  Blanqui,  assurer  dans  une  publication  originale  «  l'Éternité 
par  les  astres  »  que,  comme  il  n'y  a  qu'un  certain  nombre  d'éléments  et  de  combinai- 
sons, toutes  les  combinaisons  possibles,  malgré  leur  multitude,  ont  un  ferme,  et  dès 
lors  doivent  se  répéter  pour  peupler  l'infini.  Il  en  résulterait  que  quoiqu'il  y  ait  un 
nombre  incommensurable  de  terres  différentes  de  la  nôtre,  cependant  il  doit  en  exister 
un  très  grand  nombre  de  semblables.  Parmi  ces  terres  semblables,  plusieurs  ont 
bifurqué  à  cause  de  la  différence  des  conditions,  mais  cependant  plusieurs  se  seraient 
développées  absolument  dans  le  même  sens,  et  auraient  finalement  donné  naissance 
aux  mêmes  êtres,  à  la  même  humanité,  aux  mêmes  nations,  aux  mêmes  villes,  aux 
mêmes  familles  et  aux  mêmes  hommes,  portant  les  mêmes  noms  qu'ici .  be  telle  sorte  que, 
le  nombre  des  combinaisons  étant  fini,  et  l'étendue  de  l'univers  étant  infinie,  la  nature  ;i 
été  forcée  de  tirer  chacun  de  ses  ouvrages  à  des  milliards  d'exemplaires,  et  cela  pen- 
dant toute  l'éternité  :  si  bien,  conclut  l'auteur,  que  la  Terre,  la  France,  Paris,  nos  per- 
sonnes, existent  actuellement,  ont  toujours  existé  et  existeront  toujours  en  plusieurs 
endroits  à  la  fois.  Ainsi  nous  serions  immortels  d'une  façon  assuiément  inattendue, 
sans  le  savoir  et  sans  jamais  nous  en  douter. 

Cotte  théorie  originale  pèciie  par  la  base.  Lors  même  qu'il  n'y  aurait  chimiquement 
qu'un  seul  corps  simple  primitif,  au  lieu  de  soixante-quatre,  la  nature  pourrait  varier 
à  l'infini  se^  modes  d'existence  et  d'activité,  sans  jamais  se  répétiT. 

La  voie  indiquée  plus  haut  nous  parait  être  la  seule  scientifique  et  l  gique. 


LES    HABITANTS    DE   MARS 


Déjà,  tous  nos  lecteurs  l'ont  remarqué,  des  divers  mondes  du 
système  solaire,  Mars  est  sans  contredit  celui  qui  ressemble  le  plus 
au  nôtre;  les  manifestations  de  la  vie  à  sa  surface  ne  doivent  donc 
pas  être  absolument  étrangères  à  celles  de  la  vie  terrestre;  l'ana- 
logie si  remarquable  qui  relie  ce  monde  au  nôtre  doit  avoir  déter- 
miné chez  lui  des  évolutions  organiques  partagées  comme  ici  entre 
deux  ordres  généraux  :  la  végétation  et  l'animalité.  Or,  nous  voyons 
que  les  végétaux  tirant  leur  substance  de  l'air  principalement,  ont 
une  densité  inférieure  à  celle  de  l'eau,  et  que  les  animaux,  étant 
composés  de  substances  dans  lesquelles  l'eau  entre  pour  la  plus 
grande  part,  ont  une  densité  moyenne  un  peu  supérieure  à  celle  de 
l'eau  :  sur  Mars,  tout  cela  est  plus  léger  qu'ici. 

La  densité  moyenne  des  matériaux  qui  composent  cette  planète 
est  inférieure  à  celle  des  matériaux  constitutifs  de  notre  globe  :  elle 
est  de  71  pour  100.  Il  résulte  d'autre  part,  du  volume  et  de  la  masse 
de  Mars,  que  le  poids  des  corps  est  extrêmement  léger  à  sa  surface. 
Ainsi  l'intensité  de  la  pesanteur  à  la  surface  de  la  Terre  étant  repré- 
sentée par  1 00,  elle  n'est  que  de  37  à  la  surface  de  Mars  :  c'est  la 
plus  faible  que  l'on  puisse  trouver  sur  toutes  les  planètes  du  sys- 
tème. Il  en  résulte  qu'un  kilogramme  terrestre  transporté  là  ne 
pèserait  plus  que  374  grammes.  Un  homme  du  poids  de  70  kilos, 
transporté  sur  Mars,  n'en  pèserait  que  26.  11  ne  serait  pas  plus  fati- 
gué pour  parcourir  50  kilomètres  que  pour  en  parcourir  20  sur  la 
Terre,  et  l'effort  musculaire  dont  l'exercice  a  fait  inventer  le  jeu  de 
(c  saut  de  mouton  »  aux  écoliers  en  récréation  les  lancerait  non 
plus  seulement  sur  le  dos  de  leurs  camarades,  mais  sur  les  toits 
et  à  la  cime  des  arbres. 

Les  animaux  et  les  végétaux  doivent  y  être  de  plus  haute  taille 
qu'ici,  quoique  la  planète  soit  plus  petite.  Ce  n'est  pas  le  volume 
d'un  globe  qui  règle  la  disposition  des  êtres  vivants  à  sa  surface, 
mais  l'intensité  de  la  ^'pesanteur  relativement  aux  conditions  de 
milieux  et  de  vitalité.  Ainsi  des  hommes  deux  fois  plus  haut  que 
nous  auraient  une  certaine  difficulté  à  marcher  ici,  et  se  casseraient 
inévitablement  les  jambes  à  cause  de  l'intensité  de  l'attraction  ter- 
restre. Il  leur  faudrait  quatre  jambes  pour  une  plus  grande  stabilité. 
Les  quadrupèdes,  en  effet,  peuvent  dépasser  ces  proportions.  Les 
seuls  animaux  qui  puissent  marcher  sur  deux  jambes,  les  singes 


LES   HAIllTANTS    DE   MARS 


aiitliropomorphes,  sont  d'une  taille  inférieure  à  la  nôtre,  et  il  est 
probable  que  l'homme  n'est  arrivé  à  sa  taille  naturelle  qu'après 
des  siècles  d'exercice  et  de  développement.  (Cette  taille  décroît 
aujourd'hui  dans  les  pays  très  civilisés,  à  cause  de  la  vie  citadine 
et  de  l'accroissement  du  système  nerveux  au  détriment  du  système 
musculaire.)  Dans  l'eau,  les  animaux  peuvent  atteindre  des  dimen- 
sions plus  considérables,  à  cause  de  la  légèreté  spécifique  qu'ils  y 
gagnent.  Le  règne  végétal  nous  montre  certaines  espèces  d'arbres 
qui  s'élèvent  à  des  hauteurs  géantes  à  cause  de  leur  immobilité. 
Ainsi,  la  taille  des  êtres  est  intimement  et  nécessairement  détermi- 
née par  l'intensité  de  la  pesanteur. 

11  est  donc  probable  que  les  choses  sont  établies  sur  une  plus 
grande  échelle  à  la  surface  de  Mars,  et  que  les  plantes  et  les  animaux 
y  sont  beaucoup  plus  élevés  qu'ici.  Ce  n'est  pas  à  dire  cependant 
pour  cela  que  les  humains  y  aient  notre  forme  et  soient  des  géants. 
En  remontant  à  la  formation  de  la  série  zoologique,  on  peut  augurer 
que  la  pesanteur  aura  exercé  une  influence  d'un  autre  ordre  sur  la 
succession  des  espèces.  Tandis  qu'ici  la  grande  majorité  des  races 
animales  est  restée  clouée  à  la  surface  du  sol  par  l'attraction  ter- 
restre, et  qu'un  bien  petit  nombre  ont  reçu  le  privilège  de  l'aile  et 
du  vol,  il  est  bien  probable  qu'en  raison  de  la  disposition  toute  par- 
ticulière des  choses,  la  série  zoologique  martienne  s'est  développée 
de  préférence  par  la  succession  des  espèces  ailées.  La  conclusion 
naturelle  est  que  les  espèces  animales  supérieures  y  sont  munies 
d'ailes.  Sur  notre  sphère  sublunaire,  le  vautour  et  le  condor  sont 
les  rois  du  monde  aérien;  là-bas  les  grandes  races  vertébrées  et  la 
race  humaine  elle-même,  qui  en  est  la  résultante  et  la  dernière  ex- 
pression, ont  dû  conquérir  le  privilège  très  digne  d'envie  de  jouir  de 
la  locomotion  aérienne.  Le  fait  est  d'autant  plus  probable  qu'à  la  fai- 
blesse de  la  pesanteur  s'ajoute  l'existence  d'une  atmosphère  analogue 
à  la  nôtre.  ' 

Sur  la  Terre,  un  corps  qui  tombe  du  haut  d'une  tour  ou  d'une 
fenêtre  parcourt  4  mètres  90  centimètres  dans  la  première  seconde 
de  chute.  Sur  Mars,  le  même  corps,  attiré  moins  fortement,  ne 
tombe  qu'avec  une  vitesse  presque  trois  fois  moindre,  et  ne  parcourt 
que  1  mètre  87  centimètres  dans  la  même  unité  de  temps.  Les 
tentatives  faites  pour  s'élever  dans  les  airs  à  l'aide  d'ailes  con- 


LES    HABITANTS    DE   MARS 


struites  dans  ce  but  n'ont  pas  réussi  sur  notre  planète  et  ne  peuvent 
réussir,  parce  que  la  pesanteur  nous  fait  tomber  de  4  mètres  90 
centimètres  dans  une  seconde,  et  que  le  mouvement  des  ailes 
s'appuyant  sur  l'air  ne  peut  nous  élever  de  la  même  quantité  dans 
le  même  temps.  Mais  un  tel  état  est  naturel  sur  Mars  ('J. 

Ces  hypothèses,  qui  peuvent  paraître  conjecturales  à  certains 
esprits  timides,  sontappuyées  sur  une  argumentation  judicieusement 
fondée.  La  faible  intensité  de  l'attraction  de  Mars  doit  permettre  aux 
végétaux  de  s'élever  beaucoup  plus  haut  que  sur  la  Terre,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs.  Il  en  est  de  même  pour  les  animaux  qui 
marchent  sur  le  sol.  Cette  môme  cause  a  du  déterminer  une  prédi- 
lection pour  les  formes  aériennes,  et  les  races  animales  les  plus 
importantes  ont  du  se  construire,  se  développer,   se  succéder  et 


(')  La  chute  des  corps  se  l'ait  jiar  un  mouvL'iiieiU  unit'orinéinent  accélère.  Dans  le 
premier  tiers  de  seconde,  il  n'est  que  de  54o  millimètres;  il  est  de  1635  dans  le 
deuxième  tiers,  de  2720  dans  le  troisième  :  total,  4  mètres  90  centimètres.  Si  Ton 
pouvait  faire  trois  battements  d'ailes  par  seconde,  il  suffirait  de  s'élever  de  oo  cen- 
timètres par  battement  pour  pouvoir  se  soutenir  et  planer.  Or,  la  force  d'un  cheval 
pouvant  seulement  élever  le  poids  d'un  homme  pesant  7o  kilogrammes  de  1  mètre  en 
une  seconde,  et  la  force  de  Tliomme  étant  au  plus  le  cinquième  de  celle  du  cheval, 
la  force  de  l'homme  ne  monterait  son  propre  poids  en  une  seconde  que  d'un  cin- 
quième de  mètre,  ou  de  20  centimètres  ;  en  un  tiers  de  seconde,  elle  ne  relèverait  que 
de  7  centimètres.  Donc  l'homme  ne  peut  pas  voler  sur  notre  planète  par  sa  propre 
force  musculaire. 

Il  y  a  quelques  années, j'avais  exposé  ces  principes  à  un  malheureux  aéronaute  belf^c 
qui  s'obstinait  à  essayer  de  voler  dans  les  airs,  après  s'être  préalablement  fait  enlever 
sous  la  nacelle  d'un  aérostat.  Il  persista  dans  ses  tentatives,  se  fit  enlever  en  ballon  au- 
dessus  de  Londres,  s'élança  dans  les  airs,  s'embarrassa  dans  son  appareil,  et  fut  préci- 
pité de  bOO  mètres  de  hauteur  sur  les  tombes  d'un  cimetière.  L'n  parapluie  lui  eût  été 
d'un  usage  plus  efficace  que  ses  ailes. 

Sur  Mars,  l'intensité  de  la  pesanteur  étant  presque  trois  (bis  moindre,  au  lieu  de 
oa  centimètres,  il  suffirait  de  s'élever  de  19  centimètres  par  battement  d'ailes  d'un 
tiers  de  seconde,  pour  pouvoir  se  soutenir  dans  l'air  et  planer.  Or,  le  même  eft'ort  mus- 
culaire qui  nous  élèverait  à  7  centimètres  nous  porterait  là  à  20  centimètres,  ce  qui 
serait  déjà  suffisant  pour  vaincre  la  pesanteur.  Mais,  d'autre  part,  un  [loids  de  75  kilo- 
i:ranimes  n'en  pèse  ([ue  28  à  la  surface  de  Mars.  Si  donc,  nous  supposions  aux  Martiens 
un(^  force  musculaire  égale  à  la  nôtre,  et  un  poids  réduit  proportionnellement  à  l'inten- 
sité de  la  pesanteur,  nous  en  conclurions  qu'il  leur  serait  aussi  facile  de  voler  qu'à 
nous  de  marcher,  et  qu'ils  peuvent  se  soutenir  dans  les  airs  à  l'aide  d'une  construction 
anatomique  peu  dift'érente  de  celle  des  grands  voiliers  de  notre  atmosphère. 

Le  privilège  de  l'aile  me  parait  si  précieux,  (pie  je  ne  puis  même  voir  une  chauve- 
souris  (notre  plus  proche  parente,  d'ailleurs,  parmi  les  espèces  ailées)  sans  envier  son 
bienheureux  sort. 

TEIir.ES    DU    CIEL.  25 


LES  HABITANTS    DE   MARS 


s'établir  défini tdveraent  dans  la  vie  atmosphérique.  La  sélection 
"'.aturellt'  n'a  pu  qu'aider  encore  à  l'affirmation  vitale  de  ce  règne 
dérien. 

Tout  ce  qui  vient  d'être  exposé  ne  doit  s'entendre  qu'au  point  de 
vue  de  l'organisme  vital  considéré  en  lui-même,  et  non  pas  au 
point  de  vue  des  formes  extérieures.  Nous  ne  supposons  point  qu'il  y 
ait  sur  Mars  des  peupliers,  des  sapins,  des  chênes;,  ni  des  chiens,  ni 
des  chats  ou  des  éléphants;  ni  des  hommes  formés  d'une  tête 
pareille  à  la  nôtre,  portée  par  un  buste  installé  sttr  de^jx  jambes,  etc., 
le  tout  accompagné  d'une  paire  d'ailes  à  la  façon  des  anges  de 
Raphaël  ou  des  diables  de  Callot.  Ge  serait  fort  se  méprendre 
sur  les  essais  d'anatomie  ctymparée  qui  précèdent  que  de  pousser 
l'anthropomorphisme  jusque-là.  Non  :  de  la  forme  nous  ne  pou- 
vons rien  dire  ni  rien  penser.  Elle  dépend  de  la  direction  pri- 
mordiale qui  a  été  prise  par  les  premières  cellules  organiques  à 
l'époque  de  l'apparition  de  la  vie  à  la  surface  de  la  planète,  et 
il  est  probable  que  les  formes  de  la  vie  diffèrent  essentiellement 
sur  chaque  monde.  Nous  ne  parlons  donc  ici  que  de  l'ensemble,  et 
nous  exposons  ce  que  l'énorme  différence  de  pesanteur  a  dû  déter- 
miner dans  les  manifestations  de  cette  vie,  quelles  qu'elles  soient 
d'ailleurs. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  savoir  que  notre  organisation 
humaine  terrestre  a  été  fabriquée,  agencée,  détei'minée  par  la 
planète  que  nous  habitons.  Nous  sommes  la.  résultante  matliéma- 
tique  des  forces  en  action  à  la  surface  de  ce  globe.  C'est  cette  vérité 
nouvelle  de  l'analogie  scientifique  moderne  qui  nous  autorise  à 
essayer  des  recherches  telles  que  les  précédentes,  lesquelles  eussent 
été  purement  romanesques  à  ime  autre  époque.  En  résumé,  le 
problème  se  pose  en  ces  termes  :  l'homme  est  la  résultante  des  forces 
planétaires;  étant  données  ces  forces,  poser  l'équation  et  calculer 
cette  résultante,  inconnue  jusqu'ici  pooi"  tous  les  mondes  différents 
du  nôtre. 

Ce  qui  nous  intéresse  donc  ici,  ce  ne  sont  plus  les  analogies,  mais 
ce  sont  plutôt  les  différences  qui  distinguent  Mars  de  la  Terre  au 
point  do  vue  de  l'état  et  des  formes  de  la  vie  sur  ces  deux  mondes. 
Tous  les  êtres  terrestres,  depuis  le  plus  petit  jusqu'au  plus  grand, 
sont  dans  le  rapport  le  plus  intime  avec  les  conditions  organiques 


LES    HABITANTS    DE   MARS 


de  la  planète,  et  ce  rapport  est  si  al)Solu,  que  la  différence  qui  existe 
entre  Mars  et  la  Terre  suffit  pour  nous  apprendre  que  les  végétaux 
et  les  animaux  de  notre  planète  ne  pourraient  être  naturalisés  sur 
ce  monde  voisin. 

La  quantité  de  chaleur  et  de  lumière  que  Mars  reçoit  du  Soleil 
n'est  pas,  il  est  vrai,  fort  différente  de  celle  que  la  Terre  reçoit,  et 
peut-être  même  l'absorption  de  l'atmosphère  rend-elle  la  tempé- 
rature moyenne  de  Mars  identique  à  celle  de  notre  globe  :  il  n'y  a 
donc  pas  là  une  différence  essentielle  à  signaler  entre  les  deux 
mondes.  La  longueur  de  Vannée  martienne  nous  en  offre  une  plus 
réelle.  Or,  c'est  une  circonstance  digne  d'attention  que  la  consti- 
tution organique  du  plus  grand  nombre  de  nos  végétaux  est  spécia- 
lement ajustée  à  la  longueur  de  notre  année  :  si  cette  année  était 
allongée  tout  à  coup,  même  d'un  seul  mois,  le  monde  végétal  serait 
presque  désorganisé^  les  fonctions  des  plantes  seraient  entièrement 
dérangées,  et  le  règne  végétal  tout  entier  subirait  une  influence 
mortelle.  Le  calendrier  de  Flore,  de  Linné,  qui  résume  la  marche 
annuelle  du  régne  végétal,  serait  renversé.  Chaque  plante  demande 
une  quantité  donnée  de  chaleur  et  de  lumière  pour  arriver  à  sa 
floraison  et  à  sa  fructificaLion_,  et  un  tel  changement  serait  fatal  à 
la  vie  de  nos  espèces  végétales,  qui  ont  été  formées  par  et  pour 
la  Terre. 

La  même  conclusion  peut  être  appliquée  aux  espèces  animales. 
11  résulte  donc  de  toutes  ces  considérations  que,  quelles  que  soient 
les  formes  végétales  et  animales  de  la  planète  Mars,  elles  y  sont 
certainement  différentes  des  nôtres. 

Mais  évidemment  la  différence  qui  exerce  l'action  la  plus  impor- 
tante sur  la  vie,  dans  ces  deux  mondes,  c'est  la  différence  de  la 
pesanteur. 

Supposons,  par  exemple,  que  la  pesanteur  terrestre  soit  diminuée 
dans  la  proportion  de  sa  faiblesse  à  la  surface  de  Mai's  :  cette 
métamorphose  théorique  serait  immédiatement  remarquée  dans  la 
pratique  par  la  légèreté  inattendue  de  tout  ce  qui  nous  entourerait 
et  de  nous-mêmes.  Au  lieu  de  rester  fixes  à  la  place  où  nous  les 
poserions,  les  objets  seraient  si  légers  qu'ils  seraient  prêts  à  se 
déplacer  comme  des  flocons  déplumes  au  mouidre  mouvement.  Soit 
pour  nous  tenir  debout,  soit  pour  marcher,  nous  serions  dans  une 


LES   OOMUniONS    1)K    l.A    Vit 


Borte  d'équilibre  instable,  à  peu  près  comme  sur  un  navire  mû. par 
le  roulis  et  le  tangage,  et  nous  serions  oppressés,  sous  l'atmosphère 
raréfiée,  comme  le  voyageur  sur  les  plus  hautes  montagnes  ou 
comme  l'aèronaute  dans  les  régions  aériennes  supérieures.  Notre 
condition  sur  la  Terre  dépend,  non  seulement  de  la  surface,  mais 
encore  de  toute  la  masse  intérieure  du  globe,  qui  nous  attinî  et 
nous  fixe  sur  un  sol  stable  et  solide. 

On  trouve  un  exemple  remarquable  de  l'importance  de  la  force 
gravifique  dans  la  correspondance  intime  qui  existe  entre  l'expan- 
ion  de  la  sève  des  plantes  et  la  pesanteur  qui  s'y  oppose.  Un  chan- 
gement considérable  dans  l'intensité  de  la  pesanteur  serait 
inadéquat  à  la  vie  de  nos  espèces  végétales  :  un  allégement  de  la 
pesanteur  hâterait  et  développerait  démesurément  l'exubérance  de 
la  sève,  tandis  qu'un  accroissement  en  réduirait  l'activité  ('). 

Quant  à  la  forme  des  plantes,  elle  serait  naturellement  changée 
considérablement  par  la  même  cause,  attendu  que  l'attraction  de  la 
Terre  d'une  part,  et  la  lumière  solaire  d'autre  part,  exercent  une 
action  opposée  sur  la  taille  des  végétaux,  et  que  la  force  de  ceux-ci 
donne  tantôt  aux  plantes  une  attitude  penchée,  tantôt  une  position 
verticale,  tantôt  les  couche  horizontalement  sur  les  eaux,  et  que  la 
forme  comme  l'attitude  des  plantes  sont  d'autre  part  en  corres- 
pondance avec  leur  mode  de  reproduction. 

(')  On  n'admire  pas  assez  l'énergie  et  la  puissance  de  cette  sève  végétale.  Pour  ma 
part,  je  ne  suis  jamais  sans  admiration,  au  printemps  de  chaque  année,  lorsque  je 
vois  les  grands  marronniers  situés  sous  mon  balcon  se  métamorplioser  au  mois  du 
mars  avec  une  activité  surprenante,  et,  de  squelettes  nus,  sombres  et  immobiles,  de- 
venir de  véritables  bosquets  aux  feuilles  multipliées,  aux  tleurs  énormes,  transt'ormanl 
radicalement  leur  aspect.  D'où  sortent  ces  bourgeons,  ces  feuilles  et  ces  fleurs?  La 
sève  ardente  s'élève  avec  enthousiasme  vers  la  lumière,  traverse  dix  et  quinze  mètres 
de  branches,  en  apparence  inertes,  et  s'épanouit  dans  les  airs  en  feuilles  immenses  et 
serrées  que  les  rayons  du  soleil  de  juillet  ne  traverseront  plus.  L'arbre  a  décuplé, 
centuplé  de  surface,  et  c'est  véritablement  un  être  nouveau.  Nous  n'y  songeons  pas 
parce  que  nous  y  sommes  accoutumés  ;  mais  en  vérité  c'est  là  une  transformation  surpre- 
nante à  laquelle  nous  ne  consentirions  jamais  à  croire,  si  nous  habitions  un  monde  oii 
elle  ne  se  produisit  pas.  La  force  qui  projette  cette  sève  en  hauteur  est  si  puissante, 
que,  par  exemple,  une  branche  de  vigne  a  été  mesurée,  lançant  sa  sève  à  une  hauteur 
de  vingt  pieds  dans  un  tube  de  verre  attaché  au  tronçon  de  cette  branche  coupée. 

Le  spectacle  de  chaque  printemps  met,  chaque  année,  en  évidence  sous  nosyeuxl'har- 
nionie  intime  qui  existe  entre  les  forces  virtuelles  de  la  nature  terrestre  et  les  êtres  qui 
animent  la  Terre:  plantes,  animaux  et  hommes.  —  Ne  nous  sentons-nous  pas  nous- 
mêmes,  précisément  au  printemps,  encore  un  peu  plantes  sous  certains  aspects? 


LI'.S    CONDITIONS    DE    LA    VIE 


C'est  la  grande  vérité  qu'exprimait  déjà  le  navigateur  Maury  dans 
sa  Gthxjraphie  physique  : 

«  Plus  nous  avançons  dans  l'étude  du  globe,  disait-il,  mieux  nous 
comprenons  la  corrélation  qui  existe  entre  toutes  choses.  S'il  y  avait 
ou  des  changements  dans  l'orientation  des  vents,  —  dans  la  position 
géographique  des  déserts,  des  plateaux  et  des  chaînes  de  montagnes,  — 
dans  la  proportion  des  eaux  et  des  terres  ou  dans  la  distribution  des 
mers,  des  continents  et  des  lies;  —  en  un  mot,  si  la  surface  du  globe 
avait  été  différente  de  ce  qu'elle  est,  il  y  aurait  eu  des  modifications  cor- 
respondantes dans  la  végétation  et  dans  le  règne  animal. 

«  Prenons  pour  e.xemple,  ajoutait-il,  la  perce-neige,  lorsque,  à  la  fin  de 
l'hiver,  elle  apparaît  sur  les  plates-bandes  de  nos  jardins.  Examinons 
cette  fleur  silencieuse,  et  voyons  ce  qu'elle  nous  apprendra.  Nous  remar- 
querons qu'elle  courbe  d'abord  sa  tige  pour  fleurir,  et  que,  ensuite,  après 
un  intervalle  de  quelques  jours,  elle  la  relève  de  nouveau.  Si  nous 
interrogeons  un  botaniste  au  sujet  de  ce  changement  d'attitude,  il  nous 
montrera  que  la  structure  de  la  perce-neige  exige  un  renversement  de  la 
corolle  pour  faciliter  la  fécondation  de  la  fleur,  et  qu'il  faut  qu'elle  se 
redresse  pour  achever  la  formation  de  sa  graine.  Un  géomètre,  à  son 
tour,  nous  apprendra  que  Dieu  crée  en  suivant  les  lois  de  la  géométrie, 
et  qu'une  diminution  ou  une  augmentation  des  forces  de  la  pesanteur 
aurait  empêché  les  mouvements  de  la  fleur  et  la  production  de  la  semence. 
A-insi,  au  moment  où  cette  modeste  plante  a  été  formée,  le  globe  terrestre 
était  mesuré  d'un  pôle  à  l'autre,  du  centre  à  la  surface,  de  telle  sorte 
qu'une  dimension  appropriée  a  été  donnée  à  la  fibre  de  cette  frêle  tige, 
et  que  l'énergie  vitale  de  la  petite  perce-neir/e  a  été  mise  dans  un  juste 
rapport  avec  les  puissantes  forces  de  la  gravitation^  » 

Les  mêmes  harmonies  existent  nécessairement  sur  Mars  entre 
son  état  planétaire  et  la  forme,  la  nature,  les  facultés  des  êtres 
qui  l'habitent. 

Et  maintenant,  avant  de  quitter  cette  planète  voisine,  si  n'-us 
considérions,  à  ce  propos,  les  conditions  de  la  vie  sur  les  satellites 
de  Mars,  nous  arriverions  à  des  déductions  plus  frappantes  encore. 

Dans  une  étude  fort  intéressante  sur  ces  petits  mondes,  M.  Proctor 
admet  comme  base  de  raisonnement  que  ces  deux  satellites  pour- 
ra.ient  avoir  au  maximum  un  diamètre  de  vingt  milles,  ce  qui  cor- 
respondrait à  32  kilomètres.  C'est  assurément  là  une  estimation 


LtS    C0Nl)lïlO^JS   DE   LA    VIE 


exagécée,  mais  enfin  elle  peut  servli-  de  base  pour  des  conjectures 
sur  les  ccjiuliliuns  de  la  vie  en  des  mondes  aussi  minuscules.  Ce 
diamètre  équivaudrait  à  peu  près  au  ^  du  diamètre  de  la  Terre  ou 
auceatième  du  diamètre  de  la  Lune.  Ces  satellites  aui-aient  ainsi  une 
surface  égale  à  ^^^  de  celle  de  la  Terre,  ou  à  j^  de  celle  de  la 
Lune,  et  un  Tolume  égal  au  ,,,,\,,,  de  celui  de  la  Terre  ou  au  mil- 
lionième de  celui  delà  Lune.  Quant  à  leur  masse  et  à  leur  densité, 
nous  n'avons  aucune  base  pour  les  déterminer,  mais  nous  ne  nous 
éloignerons  sans  doute  pas  de  la  réalité,  en  admettant  que  leur 
densité  moyenne  ne  diffère  pas  considérablement  de  celle  de  la 
Lune.  Ces  hypothèses  (les  plus  simples  de  toutes)  conduiraient  aux 
singulières  conséquences  que  voici  : 

L'intensité  de  la  pesanteur  à  la  surface  de  ces  petits  globes  serait  pro- 
portionnellement à  la  pesanteur  humaine  dans  le  rapport  du  diamètre 
d'une  lune  martienne  à  celui  de  la  Lune  terrestre.  Cette  intensité  de 
pesanteur  serait  donc  cent  fois  plus  faible  qu'elle  ne  l'est  à  la  surface  de 
la  Lune,  ou  six  cents  fois  plus  faible  qu'elle  ne  l'est  à  la  surface  de  la 
Terre.  11  en  résulte  qu'un  homme  de  70  kilos  transporté  sur  l'un  de  ces 
satellites,  n'y  pèserait  plus  que  117  grammes...  Une  compagnie  de  cent 
hommes  serait  d'un  enlèvement  facile,  puisque  son  poids  total  n'attein- 
drait pas  1 2  kilos  ! 

Mais  ici  commence  la  dilîlculté.  Si  nous  supposions  qu'il  pût  exister  là 
des  êtres  intelligents  constitués  comme  nous,  de  la  même  taille,  et  doués 
de»  mêmes  forces  nerveuses  et  musculaires,  leurs  habitations,  si  elles 
étaient  de  la  dimension  des  nôtres,  seraient  extrêmement  minuscules 
pour  leur  activité,  car  des  êtres  à  la  fois  aussi  forts  et  aussi  légers  de- 
vraient facilement  sauter  à  la  hauteur  de  800  mètres,  ou  à  la  distance  de 
quatre  mUle  mètres.  Ils  ne  pourraient  pas  facilement  vivre  enfermés.  De 
plus,  tout  serait  fort  différent  de  ce  qui  existe  sur  la  Terre.  Ainsi  par 
exemple,  en  exécutant  son  saut  de  800  mètres  de  hauteur,  notre  acrobate 
resterait  en  l'air  dix  longues  minutes,  pendant  lesquelles  il  aurait  le  temps 
de  faire  toutes  sortes  de  réflexions. 

Eu  de  telles  conditions  de  forces  musculaires  et  de  légèreté,  un  bon 
coureur  pourrait  faire  le  tour  d'un  de  ces  petits  mondes  en  trois  cents 
minutes  ou  en  cinq  heures,  et  pourrait  voir  le  soleil  se  lever  et  se  cou- 
cher à  sa  fantaisie  ou  le  garder  perpétuellement  sur  sa  tête,  suivant  la 
manière  dont  il  accomplirait  son  voyage  autour  du  monde;  de  même 
qu'un  voyageur  terrestre  qui  pourrait  faire  le  tour  du  monde  en  vingt- 
quatre  heures,  poTU-rait  garder  constamment  le  soleil  à  midi. 

iJ'un  autre  côté,  si  nous  cherchons  quelle  taille  devraient  avoir  les  habi- 


LE  nOPFI>E  M  MARS 


tants  de  ces  petites  lunes  pour  ne  pas  être  doués  de  cette  exagération  de 
force  musculaire  et  n'être  pas  plus  agiles  qu'un  habitant  de  la  Terre,  nous 
trouvons  que  le  volume  des  êtres  vivants  doit  être  pour  cela  en  proportion 
inverse  de  l'intensité  de  la  pesanteur,  ce  qui  conduit  à  cet  étrange  résul- 
tat que  les  hommes  de  cette  contrée  devraient  être,  pour  nous  ressembler 
en  activité,  six  cents  fois  plus  grands  que  nous,  c'est-à-dire  mesurer  plus 
d'un  Icilomètre  de  hauteur.  En  poursuivant  ce  même  raisonnement  jKjur 
des  globes  encore  plus  petits  et  plus  légers,  on  arriverait  de  la  sorte  à 
créer  des  habitants  plus  grands  que  leur  propre  planète  ! 

De  telles  conclusions  sont  tout  simplement  monstrueuses,  et  elles 
nous  prouvent  que  ce  mode  de  raisonnement,  qui  tend  à  prendre 
l'organisme  humain  terrestre  comme  type  de  la  création  universelle, 
n'est  pas  plus  fort  que  celui  des  naturalistes  de  la  science  officielle 
qui,  il  y  a  quelques  années  encore,  interdisaient  à  la  nature  de  peu- 
pler le  fond  de  la  mer  par  la  raison  qu'ils  ne  comprenaient  pas  quelle 
constitution  spéciale  ces  êtres  devraient  avoir  pour  pouvoir  vivre  en 
ses  profondeurs,  et  ne  devinaient  pas  que  la  féconde  Nature  tient 
en  réserve  des  forces  inconnues. 

On  peut  concevoir  à  ce  propos  que  l'atmosphère  de  ces  satellites 
étant  extrêmement  rare  comme  conséquence  de  la  faiblesse  même 
de  la  pesanteur,  l'énergie  vitale  des  êtres  qui  pourraient  y  habiter 
doit  être  réduite  de  telle  sorte  que  leur  force  et  leur  activité  peuvent 
n'être  pas  supérieures  aux  nôtres,  malgré  leur  extrême  légèreté. 
Selon  toute  probabilité,  l'air  que  l'on  peut  y  respirer  doit  être 
incomparablement  plus  raréfié  que  celui  dans  lequel  nous  mourons 
lorsque  nous  dépassons  en  ballon  la  hauteur  de  8000  mètres. 

Bien  d'autres  considérations  se  présentent  encore  à  l'esprit  lorsque 
nous  examinons  les  conditions  d'habitabilité  de  tels  mondes;  mais 
il  serait  superflu  de  nous  y  étendre  davantage.  Remarquons,  par 
exemple,  que  des  batailles  comme  les  nôtres  seraient  fort  dilliciles 
entre  les  peuples,  attendu  que  les  projectiles  lancés  par  des  canons 
comme  les  nôtres  ne  retomberaient  jamais,  et  s'enfuieraient  dans  le 
ciel,  la  pesanteur  étant  incapable  de  les  retenir.  Tout  au  plus  pour- 
rait-on se  batailler  entre  les  deux  satellites  de  Mars  ou  enti-e  ces 
deux  globes  et  la  planète. 

Mais  c'est  assez  sur  ce  sujet.  Notre  voyage  sur  Mars  est  mainte- 
nant plein  d'une  assez  riche  moisson.  Les  conclusions  philosophiques 


LE  MONDE  DE  MARS 


de  nos  lecteurs  sont  depuis  longtemps  logiquement  déduites  par  eux 
des  nombreux  documents  exposés  dans  les  pages  qui  précèdent.  Leur 
conception  de  l'univers  est  en  harmonie  avec  la  réalité  scientifique, 


Fig.  m.  —  Système  du  monde  probablemeni  en  usage  chez  les  habitants  de  Mars  aux  temps  pnmiiiis. 

réalité  plus  grande  et  plus  belle  que  toutes  les  conceptions  imagi- 
naires de  l'illusion  primitive. 

Maintenant  que  nous  connaissons  le  monde  de  Mars  aussi  complè- 
tement que  le  permet  l'état  actuel  de  la  science,  nous  pouvons, 
avant  de  le  quitter,  nous  demander  comment  se  présente  le  spec- 
tacle de  l'univers  extérieur  vu  de  ce  sJjour. 


I.A   TERRE    Vl'F.    DE    MARS  201 

Et  d'abord,  sans  Ix-ancoup  do  frais  d'imiiuinatidu,  iimis  iumvons 
nous  représîMitor  la  fii^uro  que  les  haliitantri  de  Mars  devaient  suji- 
poser  à  l'univers  à  l'époque  qui  correspond  à  eellc  d'Aristote,  de 
Plojriiir'e  et  du  uKU'eu-àgi'  sur  la  Terre.  Oui  sail  luèim'  s'ils  ont  pu 
l'oniiue  nous  s'rdi'ver  aii-dessns  des  apparences  eL  constater  la  réa- 
lité du  uiouvenient  de  leur  planète  autour  du  Soleil?  C'est  proliaMe, 
puisque  sans  doute  ils  sont  plus  anciens  que  nous  sur  la  scène  du 
monde  et  par  conséquent  plus  avancés,  (juoiqu'il  en  soit,  ils  ont 
naturellement  commencé  par  croire  leur  planète  imiuoliile  au 
centre  du  monde,  par  s'imaginer  que  l'univers  entier  gravitait  autour 


Fig.  92.  —  Marche  de  la  Terre,  étoile  du  malin,  dans  le  ciel  des  habitanls  de  Ma 


d'eux,  et  par  se  considérer  comme  le  pivot  et  le  but  de  la  création. 
L'idée  d'un  être  suprême,  créateur  du  ciel  et  de  Mars,  et  l'idée 
corrélative  de  l'adorer  régnant  «  au  plus  haut  des  cieux  »,  sont  si 
naturelles  qu'elles  ont  dû  naître  dans  cette  humanité  comme  dans 
la  nôtre,  ainsi  que  ccdle  d'une  [)uissance  du  mal  et  des  enfers.  Pour 
eux,  évidemment,  leur  monde  à  eux  constituait  le  monde  entier, 
comme  aux  temps  de  Bouddha,  de  Moïse,  de  Josué,  de  Jésus-Christ, 
de  Mahomet  et  du  concile  de  Trente.  Ils  auront  classé  les  astres  dans  i^ 
l'ordre  de  leur  révolution  apparente  autour  d'eux,  d'abord  leur  pre- 
mière lune,  ensuite  leur  seconde,  au-delà,  Vénus,  la  Terre  et  le 
Soleil,  ou  peut-être,  comme  chez  les  Égyptiens,  le  Soleil  accompa- 
gné de  Vénus  et  de  la  Terre  \Mercure  n'y  est  pas  visible  à  l'uMI  nu  à 

TEnUES   DU   CIEL  SSO 


LA    TERRE   VUE    DE  MARS 


cause  de  son  voisinage  du  Soleil).  En  revanche,  plusieurs  d'entre  les  pe- 
tites planètes,  notamment  Vesta,  Junon,  Gérés,  Pallas,  Méduse,  Flore, 
Âriadne,  ^Ethra,  sont  visibles.  Jupiter,  Saturne  et  Uranus  (bien 
visible  pour  eux)  complètent  leur  système  du  monde,  encadré  dans 
le  ciel  des  étoiles  fixes  et  enveloppé  par  l'empyrée  ou  Séjour  des 
Bienheureux.  S'il  nous  était  jamais  donné  de  découvrir  quelque 
monument  de  la  littérature  de  Mars,  c'est  sans  doute  un  dessin  ana- 
logue à  celui  de  la  figure  91,  que  nous  rencontrerions  dans  la  pous- 
sière des  siècles  disparus.  Aujourd'hui  ils  doivent  savoir  que  leur 
planète  n'est  qu'une  fourmillière  comme  la  nôtre.  Qui  sait,  pour- 
tant! les  erreurs  ont  la  vie  dure  :  quand  le  temps  ne  les  détruit  pas, 
il  les  embaume. 

Sur  cette  planète  comme  sur  la  nôtre,  les  religions  ont  eu  pour 
base  l'astronomie,  car  la  métaphysique  elle-même  doit  être  fondée 
sur  la  physique  :  il  faut  une  base  aux  édifices,  quels  qu'ils  soient. 
Le  ciel  physique  a  tracé  le  cadre  du  ciel  métaphysique.  La  Terre  a 
d'abord  pris  place  avec  Jupiter,  Saturne  et  Vénus  parmi  les  divinités 
qui  semblaient  présider  aux  mouvements  des  choses  et  aux  desti- 
nées des  êtres.  Puis,  sans  doute,  une  religion  plus  idéale  aura  ima- 
giné des  esprits,  des  anges  et  des  saints,  trônant  dans  un  ciel  divin, 
au-delà  des  étoiles  fixes,  et  la  conception  de  la  vie  future  se  sera 
mise  en  harmonie  avec  l'épuration  des  idées.  Lorsque  la  science  eût 
démontré  aux  habitants  de  Mars  que  leur  planète  n'est  pas  fixe  au 
centre  de  l'univers,  qu'elle  n'a  pas  été  l'objet  d'aucun  privilège 
spécial  de  la  part  d'un  Créateur  qui  aurait  préféré  ce  globule  au 
reste  de  l'univers,  et  qu'elle  n'est,  comme  la  Terre  et  nos  com- 
pagnes, que  l'une  des  provinces  de  l'universelle  patrie,  alors  les 
religions  prétendues  révélées  ont  disparu,  comme  celles  de  la  Terre, 
à  la  lumière  du  soleil  levant,  les  esprits  éclairés  ont  contemplé  la 
création  dans  sa  vraie  grandeur,  et  la  philosophie  rationnelle  a  régné 
à  la  place  de  l'antique  erreur.  Ainsi,  sans  doute,  le  progrès  de  la 
pensée  a  suivi,  sur  Mars  comme  sur  la  Terre,  le  progrès  de  l'astro- 
nomie. 

Quel  est  l'aspect  de  l'univers,  vu  de  cette  station  voisine  ?  Les 
habitants  de  Mars  n'habitent  pas  plus  le  ciel  que  nous,  et  nous  l'ha- 
bitons comme  eux,  ni  plus  ni  moins.  Comment  voient-ils  la  Terre? 

Vu  de  Mars  et  de  ses  satellites,  le  ciel  étoile  est  le  même  que  celui 


LA   TERRE    VUE    DE   MARS 


qui  scinLille  sur  nos  têtes  :  les  mêmes  étoiles  y  attirent  le  regard  et 
la  pensée,  les  mêmes  constellations  y  dessinent  leurs  mystérieuses 
figures.  Mais  si  les  étoiles  sont  les  mêmes,  les  planètes  diffèrent, 
comme  nous  venons  de  le  voir.  Jupiter,  entr'autres,  est  magnifique 
pour  eux  :  il  leur  parait  une  fois  et  demie  plus  grand  qu'il  ne 
nous  paraît,  et  ses  satellites  doivent  y  être  facilement  visibles  à 
l'œil  nu.  Saturne  est  également  très  brillant  ;  leurs  deux  pe- 
tites lunes,  aux  phases  rapides  et  aux  éclipses  fréquentes,  ajoutent 
au  ciel  de  Mars  un  attrait  particulier.  Quelquefois,  le  soir,  on  admire 
après  le  coucher  du  soleil  une  étoile  lumineuse  qui  se  dégage  lente- 
ment des  rayons  solaires  pour  venir  régner  en  souveraine  dans  les 
cieux.  Cette  belle  planète,  qui  leur  offre  les  mêmes  aspects  que 
Vénus  nous  présente,  et  dont  la  douce  lumière  a  reçu  aussi,  sans 
doute,  bien  des  regards  d'admiration,  bien  des  confidences,  bien 
dos  serments  de  l'adolescent  amour,  cette  belle  planète  :  c'est  la 
Terre  où  nous  sommes.  Les  poètes  de  là-bas  la  chantent  comme 
une  divinité  propice  et  saluent  en  elle  un  séjour  de  paix,  de  science 
et  de  bonheur.  Les  astronomes  auront  découvert  nos  phases;  peut- 
être  auront-ils  mesuré  la  hauteur  de  nos  Alpes  et  de  nos  Cordillières  ; 
peut-être  connaissent-ils  exactement  notre  géographie  et  notre 
méléorologie;  peut-être  nous  font-ils  depuis  longtemps  des  signaux 
auxquels  ils  sonl  étonnés  que  nous  ne  sachions  pas  répondre;  peut- 
être  ont-ils  conclu  de  leur  long  examen  que  la  Terre  est  inhabitable, 
parce  qu'elle  ne  ressemble  pas  complètement  à  leur  monde,  et  décla- 
rent-ils que  leur  patrie  est  le  seul  séjour  organisé  pour  une  vie 
agréable,  idéale  et  intellectuelle....  Après  tout,  ils  ont  peut-être  rai- 
son, car  (entre  nous)  notre  humanité  prise  en  bloc  ne  prouve  pas 
encore  par  ses  actes  qu'elle  se  soit  élevée  au  rang  d'une  race  vérita- 
blement intellectuelle. 

La  plus  grande  élongation  de  la  Terre  pour  les  habitants  de  Mars 
arrive  lorsqu'elle  forme  un  angle  droit  avec  le  Soleil,  dans  le  voisi- 
nage de  son  aphélie,  Mars  étant  à  son  périhélie.  L'angle  formé  par 
cette  position  est  de  48°.  Nous  sommes  alors  pour  cette  planète 
une  étoile  brillante,  offrant  un  aspect  tout  à  fait  analogue  à  celui 
que  Vénus  nous  offre  à  nous-mêmes,  précédant  l'aurore  et  suivant 
le  crépuscule. 

Nos  lecteurs  ont  pu  remanruer  dés  les  premières  pages  de  cet  ou- 


LA   TF.r.RK    VVE    DK   MARS 


vniL'c  [[).  I.'!'  l'aspi'ct  dt"  1,1  Terre  Iirillaut  dans  le  ciel  de  Mars  cuumiG 
une  belle  étoile  suivant  le  coucher  du  soleil. 

Les  astronomes  de  cette  planète  peuvent  observer  h  Terre  |(anni 
les  constellations,  comme  ni  ms  observons  Vénus.  Ainsi,  par  exemple, 
les  Reçues  astro/iomà/aes  de  Mars  ayant  à  annoncer  à  leurs  lecteurs 
le  mouvement  de  la  planète  Terre  dans  le  ciel  pendant  l'année  1884, 
auront  pul)lié  la  figure  précédente  [fig.  92),  que  nous  avons  pu  du 
reste  calculer  nous-mêmes  sans  aller  sur  Mars.  En  ce  moment, 
(novembre  1883),  la  Terre  est  étoile  dit  soir;  elle  passera  derrière 
le  Sideil  le  4  février,  s'^  dégagera  ensuite  de  ses  rayons,  et  brillera. 


étoile  du  matin  à  partir  du  mois  de  mars.  Elle  suivra  alors  devant 
les  étoiles  la  route  tracée  sur  notre  petite  carte,  traversant  succes- 
sivement le  Bélier,  le  Taureau  et  les  Gémeaux;  nous  passerons  le 
10  avril  sous  les  Pléiades.  Notre  planète  arrivera  le  7  mai  à  sa  plus 
longue  élongation  occidentale  (37*37'),  et  elle  restera  étoile  du  matin 
jusqu'en  octobre;  le  l"  octobre,  elle  ne  se  lève  plus  que  1  heure 
20  minutes  avant  le  Soleil.  Quels  astronomes  nous  observent?  Quels 
noms  donnent-ils  à  notre  planète,  à  Orion,  à  Sirius,  qui  brillent  là 
comme  ici,  et  parmi  lesquels  nous  planons,  astre  du  ciel,  mystère 
de  l'infini! 

Ajoutons  encore  que  si  les  habitants  de  Mars  ont  inventé  des  ins- 
truments d'optique,  la  plus  petite  lunette  suffît  pour  faire  recon- 


LE  MONDE  DE  MARS 


naître  les  phases  de  la  Terre  et  montrer  notre  planète  sous  un  aspect 
analogue  à  celui  de  la  petite  figure  ci-dessus  (93). 

Voici  donc,  en  résumé,  le  tableau  des  connaissances  que  nous 
avons  acquises  sur  ce  monde  : 

ÉTAT    PARTICULIER    DU    MONDE    DE    MARS 

Durée  de  l'année Un  an  terrestre  et  332  jours. 

Durée  de  la  rotation 24  heures  37  minutes  23  secondes. 

Durée  du  jour  et  de  la  nuit 24 heures  39  minutes  35  secondes. 

Nombre  de  jours  dans  l'année.  .     668. 

Révolution  appar.  du  1"  satellite.     H  heures. 

Révolution  apparente  du  second.     5  jours  8  heures. 

Saisons Analogues  aux  nôtres,  mais  deux  fois  plus  longues. 

Climats Trois  zones  géographiques  comme  ici. 

Alniosphère Analogue  à  la  nôtre. 

Température  moyenne Peu  différente  de  la  nôtre.  .Même  météorologie. 

Densité  des  matériaux Plus  légère  qu'ici  =  0,092. 

Pesanteur Presque  3  fois  plus  faible  qu'ici  =  0,374. 

Dimensions  de  la  planète Plus  petite  que  la  Terre.  Diamètre  =  0,S40  =  68oO  ki- 
lomètres. 

Tour  du  monde  de  Mars 21  oOO  kilomètres  ou  5375  lieues. 

Géographie Continents  coupés  de  Méditerranées.  Plus  déterres 

que  de  mers. 

Météorologie Analogue  à  celle  de  l'atmosphère  terrestre. 

Vie Probablement  peu  différente  de  la  nôtre.  Habitants 

sans  doute  plus  légers,  plus  agiles,  et  vivant  plus 
longuement. 

Diamètre  du  Soleil Un  peu  plus  petit  que  vu  d'ici  =  21' 

Diamètre  de  la  première  lune.  .  .    6'. 

l'iamètre  de  la  seconde  lime  .  .        2'. 

Aspect  de  la  Terre Rrillante  étoile  du  matin  et  du  soir,  un  peu  plus 

petite  que  Vénus  nous  parait.  Disque  de  58". 

Telle  est  la  physiologie  générale  de  cette  planète  voisine. 
L'atmosphère  qui  l'environne,  les  eaux  qui  l'arrosent  et  la  ferti- 
lisent, les  rayons  de  soleil  qui  réchauffent  et  l'illuminent,  les  vents 
qui  la  parcourent  d'un  pôle  à  l'autre,  les  saisons  qui  la  transforment, 
sont  autant  d'éléments  pour  lui  construire  un  ordre  de  vie  analogue 
à  celui  dont  notre  propre  planète  est  gratifiée.  La  faiblesse  de  la 
pesanteur  à  sa  surface  a  dû  modifier  particulièrement  cet  ordre  de 
vie  en  l'appropriant  à  sa  condition  spéciale.  Ainsi,  désormais,  le 
globe  de  Mars  ne  doit  plus  se  présenter  à  nous  comme  im  bloc  de 
pierre  tournant  dans  l'espace  dans  la  fronde  de  l'attraction  solaire, 
comme  une  masse  inerte,  stérile  et  inanimée;  mais  nous  devons 


LE  MONDE   DE  MARS 


voir  en  lui  un  monde  vivant,  peuplé  d'êtres  voltigeant  dans 
son  atmosphère,  orné  de  paysages  analogues  à  ceux  qui  nous  char- 
ment dans  la  nature  terrestre...;  nouveau  monde  que  nul  Colomb 
n'atteindra,  mais  sur  lequel  cependant  toute  une  race  humaine 
habite  actuellement,  travaille,  pense  et  médite  comme  nous, 
sans  doute,  sur  les  grands  et  mystérieux  problèmes  de  l;i  Nature. 
Quels  qu'ils  soient,  ces  êtres  ne  sont  point  des  âmes  sans  corps 
ou  des  corps  sans  âmes,  des  êtres  surnaturels  ou  extra-naturels, 
sans  rapport  avec  les  organismes  que  nous  connaissons  sur  la 
Terre.  Nous  devons  voir  là  des  vivants  plus  ou  moins  diiïérents  de 
nous  par  la  forme,  mais  enfin  des  êtres  agissant,  pensant,  raison- 
nant comme  nous  le  faisons  ici.  Ils  vivent  en  société,  sont  groupés 
en  familles,  associés  en  nations,  ont  élevé  des  villes  et  conquis  les 
arts;  sans  doute  les  sens  de  la  vue  et  de  l'ouïe  n'y  offrent  pas  de 
différences  essentielles  (cependant  le  nerf  optique  doit  y  être  un 
peu  plus  sensible,  parce  que  l'intensité  de  la  lumière  y  est  un  peu 
moindre)  :  et  s'il  nous  arrivait  de  passer  un  jour  non  loin  de  leurs 
demeures,  peut-être  nous  arrêterions-nous  surpris  de  leur  archi- 
tecture, ou  charmés  par  l'écho  de  mélodieux  accords  nous  rappe- 
lant les  inspirations  musicales  de  nos  grands  maîtres.  Au  milieu 
des  variétés  inhérentes  aux  diversités  planétaires  et  des  métamor- 
phoses séculaires  des  mondes,  nous  devons  voir  le  même  flambeau 
vital  allumé  sur  toutes  les  terres. 

La  contemplation  de  ces  autres  mondes  produit  en  nous  une 
impression  offrant  certains  rapports  avec  celle  qui  résulte  de  la  con- 
templation des  villes  du  passé.  Ces  mondes  sont  éloignés  de  nous 
dans  l'espace  comme  ces  villes  sont  éloignées  de  nous  dans  le 
temps,  et  quoique  les  uns  comme  les  autres  puissent  nous  paraître 
étrangers,  quoique  Mars  ou  Vénus  soient  isolés  de  nous  comme 
Thèbes,  Memphis  ou  Ninive,  cependant  nous  nous  sentons  associés 
à  ces  peuples  lointains  par  une  secrète  et  douce  sympathie... 

Un  jour  d'automne,  par  une  de  ces  tièdes  après-midi  qui  semblent 
être  le  dernier  sourire  de  la  belle  saison  près  de  s'éteindre,  je  con- 
templais à  Rome,  du  sommet  des  ruines  du  Colisée,  les  monuments 
de  la  ville  chrétienne  étages  sur  les  collines,  et  les  ruines  de  l'an- 
tique capitals  du  monde  répandues  dans  la  plaine  champêtre.  C'est 


LE    MONDE  DE   MARS 


toujours  un  spectacle  émouvant  que  celui  de  voir  ce  gigantesque 
Colisée,  ce  forum,  ces  arcs  de  triomphe,  ces  colonnes,  ces  palais, 
ces  thermes,  ces  cirques,  ces  amphithéâtres,  autrefois  inondés  du 
Hiix  et  du  reflux  d'une  population  agitée,  bruyante,  empressée, 
aujourd'hui  déserts,  ruinés,  silencieux,  rongés  par  la  lèpre  du  lierre, 
isolés  au  milieu  de  terres  abandonnées  qui  sont  devenues  des 
champs,  des  pâturages  ou  des  friches.  Cet  étrange  panorama,  volup- 
tueusement éclairé  par  le  doux  ciel  d'Italie,  je  le  contemplais  en 
songeant  au  passé,  et  je  revoyais  la  Rome  des  Césars  en  ces  années 
de  prospérité  et  de  luxe  où  ses  moindres  fantaisies  étaient  les  oracles 
du  monde  ;  les  orateurs  plaidaient  dans  ce  forum,  la  foule  se  préci- 
pitait à  travers  ces  voies,  les  armures,  les  boucliers  et  les  casques 
resplendissaient  au  soleil,  les  chars  circulaient  acclamés  sous  ces 
arcs  de  triomphe,  et  parmi  ces  bosquets  jonchés  aujourd'hui  de 
fragments  de  marbre  rose,  on  voyait  courir,  légères,  les  folâtres 
reines  de  la  mode  et  du  plaisir. 

0  splendeurs  évanouies  d'une  gloire  qui  se  croyait  immortelle! 
Maintenant,  de  toutes  ces  antiques  grandeurs  il  ne  reste  que  de  la 
poussière,  et  déjà  même  ont  disparu  les  noms  et  les  souvenirs.  Le 
même  soleil  illumine  ces  collines,  cette  vallée,  ce  Tibre,  ce  forum, 
comme  il  les  éclairait  autrefois;  mais,  au  lieu  de  palpiter  en  teux 
étineelants  sur  le  mouvement  et  sur  la  vie,  ses  rayons  glissent 
aujourd'hui  comme  des  regards  mélancoliques  à  travers  les  ruines, 
les  broussailles  et  le  silence  de  la  mort. 

Assise  à  mes  côtés,  le  coude  appuyé  sur  l'un  des  gradins  de  la 
terrasse  supérieure  du  colossal  amphithéâtre,  ma  belle  et  gracieuse 
compagne  laissait  ses  yeux  brillants  errer  au  loin  sur  la  campagne 
romaine,  dans  l'attitude  de  contemplation  rêveuse  qui  la  domine 
lorsqu'elle  plane  avec  moi  dans  la  nacelle  de  l'aérostat  céleste. 
Souvent  nos  regards  se  rencontraient;  nous  n'avions  besoin  d'aucune 
parole  pour  sentir  que  nos  impressions  et  nos  pensées,  devant  ces 
ruines  du  vieux  monde,  vibraient  à  l'unisson,  comme  les  battements 
de  nos  cœurs. 

ce  Oui  !  me  dit-elle,  en  rompant  la  première  le  silence,  voilà 
pourtant  ce  qui  reste  de  la  gloire  la  plus  éclatante  qui  ait  jamais 
brillé  sur  la  Terre  !  voilà  ce  qu'on  ose  décorer  encore  aujourd'hui  du 
titre  de  Ville  éternelle!    Ville  éternelle/  le  voyageur  errant  ici  à 


LE   MONDE    DE  MARS 


son  tour  dans  quinze  ou  vinj^t  siècles  cherchera  les  ruines  de  Saint- 
Pierre  et  du  Vatican,  comme  nous  cherchons  en  ce  moment  celles 
des  temples  des  anciens  dieux  de  l'Olympe;  et  dans  les  siècles 
futurs  on  cherchera  la  place  où  Rome  aura  régné,  comme  on  cherche 
aujourd'hui  celle  de  Troie  ou  de  Babylone.  » 

—  a  Nations,  patries!  répondis-je;  croyances,  religions,  temples, 
palais,  tout  passe!  et  la  Terre  elle-même,  et  les  cieux...  Mais  la  vie, 
la  jeunesse,  l'amour,  ne  passent  pas... 

«  La  vie,  la  jeunesse,  l'amour,  continuai-je,  brillent  sur  tous  les 
mondes  et  répandent  leuïs  fleurs  dans  l'Univers  entier.  Tandis  que 
les  trônes  chancellent,  que  les  autels  s'écroulent,  que  les  volcans 
vomissent  leurs  entrailles,  que  des  continents  s'effondrent  et  que 
des  planètes  entières  tombent  dans  la  nuit  infinie,  le  feu  d'une 
jeunesse  éternelle  circule  toujours  à  travers  la  Nature!  Tant  que 
durera  l'humanité  terrestre,  la  femme  de  trente  ans  tiendra  le 
monde  sous  le  charme  de  sa  complète  beauté,  sans  jamais  vieillir 
d'une  année;  tant  qu'il  y  aura  des  astres  dans  l'infini,  l'amour 
'brillera  sur  chacun  d'eux,  plus  éblouissant  et  plus  ardent  qu'eux- 
mêmes.  Voilà  ce  qui  vivra  toujours,  toujours! 

a  Ce  feu  divin  brille  sur  Mars,  il  brille  sur  Vénus,  il  brille  sur 
Saturne;  la  Nature  elle-même  en  est  l'immortelle  vestale,  et  c'est 
la  seule  flamme  qui  ne  doive  jamais  s'éteindre.  Vie  universelle, 
vie  immense,  vie  prodigieuse  :  ses  effluves  embrasent  toutes  les 
sphères.  Tout  à  l'heure  le  spectacle  de  Rome  semblait  disposer  nos 
âmes  à  la  mélancolie  en  nous  montrant  les  ruines  envahissant  len- 
tement toutes  choses;  il  nous  semblait  môme,  en  entendant  les 
litanies  de  cette  procession  de  moines  qui  vient  de  s'agenouiller 
devant  ces  stations  de  calvaire  disséminées  dans  les  ruines,  que  leurs 
prières,  en  s'élevant  vers  le  ciel,  nous  y  découvraient  des  phalanges 
de  trépassés  :  rois,  papes,  pontifes,  vierges,  religieux,  martyrs, 
confesseurs,  rangés  là-haut  immobiles  pour  l'éternité...  Mais,  par 
une  autre  marche  de  raisonnement,  due  pourtant  à  la  contemplation 
de  ce  même  spectacle,  nous  arrivons  au  contraire  à  reconnaître  en 
ces  régions  de  l'éternité  :  la  vie  au  Lieu  de  la  mort,  —  l'activité 
au  lieu  de  la  catalepsie,  —  les  impressions  variées  de  l'existence 
humaine,  au  lieu  des  royaumes  paradisiaques  ou  inJernaux  de 
revenants  pétrifiés  dans  leurs  linceuls. 


...  ^atlon5,  (lalnes,  religions,  temples,  palais,  tout  passet,^ 
TERRES  DU  CIEL  27 


LES  TERRES   DU   CIEL 


«  Oui!  tout  ce  qui  vit  ici,  vit  aussi  ailleurs,  sous  mille  formes 
variées,  dans  les  intarissables  épanchements  de  roraanisme  uni- 
versel... 

«  Sur  ces  mondes,  comme  sur  le  nôtre,  il  y  a  des  cités  assises 
à  tous  les  étages  de  la  gloire  et  de  la  puissance;  là,  comme  ici,  il  y 
a  des  Rome,  des  Paris,  des  Londres,  des  autels  et  des  trônes,  des 
temples  et  des  palais,  des  richesses  et  des  misères,  des  splendeurs 
et  des  ruines.  Et  peut-être  que  du  haut  des  vestiges  séculaires  d'une 
antique  capitale,  il  y  a  en  ce  moment  sur  la  planète  Mars  un  couple 
amoureux  contemplant  les  témoignages  de  la  grandeur  et  de  la 
décadence  des  empires,  et  sentant  qu'à  travers  toutes  les  méta- 
morphoses du  temps  et  de  l'espace,  la  Vie  éternellement  jeune 
domine  dans  l'univers,  régnant  à  jamais  sur  tous  les  mondes,  et 
versant  une  jeunesse  sans  fin  par  les  rayons  d'or  de  tous  les  soleils 
de  l'infini!  » 


LIVRE   II 

NOTRE  JEUNE  SCEUR  LA  PLANÈTE  VENUS 
9 


LIVRE  II 

NOTRE  JEUNE  SCEUR  LA  PLANÈTE  VÉNUS 


CHAPITRE  PREMIER 

Traversée  de  Mars  à  Vénus.  —  L'étoile  du  soir.  —  Aspect  de  Vénus 
à  l'œil  nu.  —  Connaissances  des  anciens  sur  cette  planète. 

Nous  avons  commencé  notre  voyage  céleste  par  le  pays  vers 
lequel  les  investigations  télescopiques  orientaient  le  plus  sûrement 
nos  pas,  par  le  monde  que  sa  situation  dans  l'espace  expose  le  plus 
directement  à  nos  observations  et  à  nos  études,  par  notre  voisine 
la  planète  Mars.  Cette  planète  gravite,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  au  delà  de  l'orbite  de  notre  propre  patrie,  et  maintenant,  pour 
aller  visiter  Vénus,  nous  devons  revenir  sur  nos  pas,  nous  arrêter 
un   instant  sur   la  Terre,  et   nous  diriger  du   côté   du   Soleil  ('). 


(1)  Lanliqiu'  mvlholoj^ii'  no  iiiaïKniuit  pas  ircsprit,  et  si  nous  no  savion.s  qu'à  son 
époque  la  Terre  était  supposée  au  contre  ilu  monde,  nous  pourrions  croire  que  ce 
n'est  pas  sans  raison  qu'elle  a  donné  aux  deux  planètes  entre  lesquelles  nous  errons 
les  qualifications  qui  les  caractérisent.  Depuis  qu'elle  est  au  monde,  notre  étrange 
espèce  ne  i,'ravite-t-elle  pas,  eu  effet,  entre  Mars  et  Vénus:  ne  passe-t-elle  pas  une 
niKitiéde  son  temps  dans  les  batailles  et  l'autre  dans  les  guirlandes  de  Cypris?  La 
statistique  montre  que  depuis  la  guerre  de  Troie,  triomphe  inoubliable  de  la  belle 
Hélène,  l'humanité  n'est  pas  l'ucorc  restée  une  seule  année  sans  guerre.  Mars  détruit 
re  que  Vénus  produit,  et  réciproquement  Vénus  so  hâte  sans  trêve  de  combler  tous  les 
vides.  Singulière  planète!... 


I»K    M  Ali  S  A  VÉKt'S 


Replaçons,  en  effet,  sous  nos  yeux,  le  petit  plan  du  système  solaire 
relatif  aux  planètes  voisines  de  l'astre  ilhuninateur,  nous  Ynyuus 
que  la  Terre  gravitant  entre  Mars  et  \ènus,  après  avoir  visité 
Mars,  nous  devons  traverser  l'orbite  terrestre  pour  arriver  à  celle 
de  Vénus  :  Mars  circulant  à  la  distance  moyenne  de  56  millions  de 
lieues  et  la  Terre  à  37  millions,  Vénus  circule,  dans  une  orbite 
intérieure,  à  la  distance  moyenne  de  26  millions.  Elle  est  donc  plus 
proche  de  nous  que  le  monde  de  Mars;  mais  nous  la  connaissons 

^,^.s  et  Neptune.  ,^^^ 


Fig.  9G.  —  Plan  du  système  solaire  pour  les  planètes  voisines  du  Soleil. 


moins  bien  cà  certains  égards,  nos  études  sont  moins  avancées  en  ce 
qui  concerne  sa  géographie  et  sa  météorologie,  parce  que  nous  la 
voyons  moins  bien.  Il  suffit,  en  effet,  de  se  reporter  encore  à  ce 
même  petit  plan  pour  remarquer  que  lorsque  Vénus  se  trouve  à 
sou  minimum  de  distance,  à  son  plus  grand  rapprochement  pos- 
sible, c'est  lorsqu'elle  passe  entre  le  Soleil  et  la  Terre.  Mais, 
évidemment,  dans  ce  cas,  tout  son  hémisphère  éclairé  étant  tourné 
du  côté  du  Soleil,  nous  n'avons  de  notre  côté  que  son  hémisphère 
obscur,  et  par  conséquent  nous  ne  pouvons  rien  voir  de  sa  surface. 
Nous  ne  voyons  cette  surface  éclairée  par  le  Soleil  que  lorsque  la 
planète  forme  un  angle  plus  ou  moins  grand  avec  cet  astre  et  nous 


LA  PLANÈTE   VÉNUS 


et  se  trouve,  par  conséquent,  à  une  distance  sensiblement  supé- 
xrieLire  à  son  mouvement.  Pratiquement,  pour  observer  la  surface 
de  Vénus,  il  faut  que  sa  distance  soit  non  pas  de  1 1  millions  de 
lieues,  mais  de  14,  15  ou  davantage;  de  telle  sorte  qu'en  fait  elle 
n'est  pas  plus  proche  de  nous  que  son  émule  guerrière  lorsque 
ses  conditions  d'observations  peuvent  être  fertiles  en  bons  résultats, 
exception  faite  de  l'étude  spéciale  des  passages  de  Vénus  devant  le 
Soleil  et  de  celle  de  son  atmosphère. 

Nous  pouvons,  sans  métaphore,  la  qualifier  de  «  notre  jeune 
sœur  »,  car,  selon  la  théorie  cosmogonique  la  plus  probable,  les 
planètes  se  sont  détachées  de  la  nébuleuse  solaire  dans  l'ordre 
inverse  de  leurs  distances  au  Soleil,  les  plus  éloignées  étant  les  plus 
anciennes.  Vénus  est  donc  née  après  la  Terre,  et  Mercure  est  plus 
jeune  encore. 

Ainsi,  la  première  cité  céleste  que  nous  rencontrons  dans  notre 
voyage,  en  quittant  la  Terre  et  en  nous  dirigeant  vers  le  Soleil,  c'est 
la  ville  sidérale  consacrée  depuis  les  premiers  cages  du  monde  à  la 
blonde  déesse  de  la  beauté  et  de  l'amour.  Blanche  et  brillante  étoile 
du  soir,  allamée  la  première  après  le  coucher  de  l'astre-roi,  elle  a 
frappé  les  premiers  regards  qui  se  sont  élevés  vers  le  Ciel,  a  été 
la  confidente  des  cœurs  et  la  divinité  tutélaire  des  douces  espé- 
rances; et  si  les  premiers  autels  ont  été  élevés  au  Soleil,  dieu  du 
jour,  et  à  la  Lune,  divinité  de  la  nuit,  la  première  étoile  admirée 
et  adorée  a  été  la  douce  étoile  du  berger.  Ses  rayons  célestes  se 
sont  mariés  à  bien  des  regards  rêveurs,  et  l'éternelle  adolescence  de 
l'amour  a  voyagea  travers  le  monde  sous  sa  bénédiction  lointaine. 
Qui  ne  se  souvient  de  l'invocation  du  chantre  de  lioUa  à  la  belle 
planète  : 

Etoile  qui  descend  sur  la  verte  colline, 
Triste  larme  d'argent  du  manteau  de  la  nuit, 
Toi  que  regarde  au  loin  le  pâtre  qui  chemine 
Tandis  que  pas  à  pas  son  long  troupeau  le  suit. 
Étoile!  où  t'en  vas-tu  dans  cette  nuit  immense? 
Cherchcs-tu  sur  la  rive  un  lit  dans  les  roseaux? 
Ou  t'en  vas-tu,  si  belle  à  l'heure  du  silence, 
Tomber  comme  une  perle  au  sein  profond  des  eaux? 
Ah!  si  tu  dois  mourir,  bel  astre,  et  si  ta  tête 
Va  dans  la  vaste  mer  plonger  tes  blonds  cheveux, 
Avant  de  nous  quitter,  un  seul  instant  arrête  : 
Etoile  de  l'amour,  ne  descends  pas  des  cieux! 


VÉiNUS   VUE  A   L'OEIL    NU 


Mais  ne  nous  attardons  pas,  même  dans  les  sentiers  les  plus 
fleuris,  ot  observons  Vénus  en  astronomes. 

Nous  avons  vu  qu'elle  est  placée  entre  Mercure  et  nous,  puisque 
Mercure  est  la  première  et  la  Terre  la  troisième  des  provinces  de 
la  grande  république  solaire.  Tandis  que  Mercure  tourne  autour 
de  l'astre  du  jour  à  la  distance  de  14  300000  lieues,  et  notre  monde 
à  la  distance  de  37  000  000,  Vénus  gravite  à  la  distance  de  26  760  000 
lieues. 

C'est  pour  nous  l'astre  le  plus  brillant  du  ciel.  Son  orbite  étant 
inférieure  à  celle  de  la  Terre,  et  beaucoup  plus  petite  que  la  nôtre, 
Vénus  reste  toujours,  comme  Mercure,  dans  les  environs  du  Soleil, 
dont  elle  nous  réfléchit  la  lumière  avec  une  grande  vivacité 
d'éclat;  mais  elle  peut  s'éloigner  de  lui  beaucoup  au  delà  de  la 
plus  grande  élongation  de  Mercure.  Lorsqu'elle  se  trouve  dans  la 
moitié  de  son  orbite  qui  précède  le  Soleil,  elle  se  montre  le  matin 
à  l'orient,  avant  le  lever  de  l'astre  radieux,  le  précédant  plus  ou 
moins,  selon  sa  distance  angulaire,  tantôt  de  une  heure,  tantôt 
de  deux  heures,  tantôt  même  de  trois  heures.  Aussi  l'a-t-on,  dès 
une  haute  antiquité,  distinguée  sous  les  noms  d'étoile  du  matin, 
de  Lucifer.  —  Lorsqu'elle  se  trouve  dans  la  moitié  de  son  orbite 
qui  suit  le  Soleil,  elle  se  montre  le  soir  à  l'occident,  allumée  dans 
le  ci'èpuscule  avant  tous  les  autres  astres  du  firmament,  et  restant 
en  retard  sur  le  Soleil,  de  une,  deux  ou  même  trois  heures,  suivant 
sa  distance  angulaire  à  cet  astre.  C'est  ce  qui  l'a  fait  nommer 
aussi  étoile  du  soir,  Vesper,  et  qui  lui  a  donné  son  nom  plus 
populaire  encore  d'étoile  du  berger.  Parmi  les  anciennes  men- 
tions, remarquons  entr'autres  celle  du  grand  orateur  romain  : 
«  Stella  Veneris ,  quse  Lucifer  dicitur  cum  antegreditur 
Solem,    cum   subsequitur  autem  Hesperus  »  ('). 

Il  est  certain  que  c'est  la  plus  anciennement  connue  de  toutes 
les  planètes,  d'abord  parce  que  c'est  la  plus  brillante,  ensuite 
parce  que  c'est  la  plus  remarquable  par  ses  mouvements.  Comme 
elle  tourne  en  224  jours  autour  du  Soleil,  elle  ne  reste  pas 
deux  semaines  de  suite  à  la  même  place.  Dès  l'époquu  inconnue 
où    l'humanité    terrestre    commença    d'élever  les  yeux  au  ciel, 


(')  Cicéron,  De  naiurà  deorum,  lib.  II. 


l/ÊTOlLK    1  V   BEKGKll. 


TERRES    DU   CIEL. 


2â 


VÉNUS    DANS   L'ANTIQUITÉ 


et  chercha  les  moyens  de  se  former  une  mesure  du  temps,  de 
se  diriger  dans  ses  émigrations,  de  régler  ses  fôtes  patriarcales, 
elle  ne  put  s'empôcher  de  remarquer  avant  toute  autre  planète 
celle  qui  s'allumait  la  première  dans  les  cieux  et  paraissait 
l'avant-courrière  du  cortège  de  la  nuit.  C'était  la  plus  blanche 
et  la  plus  douce  des  étoiles  :  on  la  proclama  déesse  de  la  beauté 
et  de  l'amour.  Le  signe  9  sous  lequel  nous  la  représentons 
depuis  le  moyen  âge  paraît  symboliser  un  miroir.  (Cet  objet  n'est-il 
pas,  en  effet,  l'attribut  le  plus  caractéristique  de  la  femme?) 
Peut-être  aussi  est-ce  le  signe  de  la  vie,  l'attribut  de  la  fécondité, 
formé  par  la  réunion  primitive  d'un  trait  droit  et  d'un  petit  cercle  : 
dans  les  hiéroglyphes  égyptiens,  la  croix  ansée  est  le  symbole  de  la 
vie;  elle  désigne  le  Capricorne,  dans  les  signes  du  zodiaque,  et  il 
semble  que  l'une  des  divinités  qui  la  portent  à  la  main,  sur  le? 
monuments  égyptiens  de  l'époque  romaine  représente  la  planète 
Vénus  en  diverses  attitudes. 

Depuis  combien  de  milliers  d'années  Vénus  est-elle  connue? 
Nous  retrouvons  son  nom  et  son  culte  dans  toutes  les  langues 
anciennes.  Mais  il  a  fallu  une  longue  série  de  remarques  pour 
constater  que  l'étoile  du  matin  et  l'étoile  du  soir  ne  sont  qu'un 
seul  et  môme  astre,  dont  les  apparitions  sont  successives.  Il 
est  même  probable  que  dans  cette  œuvre  d'identification,  les 
apparitions  de  Mercure  ont  dû  nuire  et  retarder  la  découverte  de 
la  vérité.  Aussi  voyons-nous  qu'en  effet  les  cultes  et  les  attributs 
de  Mercure  et  Vénus  sont  parfois  confondus. 

Pythagore  paraît  être  le  premier  chez  les  Grecs  qui  ait  enseigné 
l'identité  de  Vénus  et  d'Hesperus,  identité  dont  il  avait  sans  doute 
puisé  la  connaissance  en  Orient. 

Elle  est  la  seule  planète  dont  Homère  ait  parlé;  il  la  désigne 
par  l'épithète  de  Callistos,  la  Belle  : 

Esnepoî,  S«  xàXXioxo;  tv  oùpavi})  «iTaTai  aiTiip. 
Vesper,  le  plus  bel  astre  étincelant  dans  le  Ciel  (') 

Dans  un  autre  chant  de  VIliade  ('),  Homère  parle  encore  de 


(«)  Iliade,  XXII,  318. 
(«)/6.,  XXIII,  226. 


VÉNUS    DANS    LANTIUL'ITÉ 


Vrnus  ((  rétoile  inatinale  »,  E^s^opo;,  (jui  auiioncc  l,i  lumière  aa 
monde  et  parait  suivie  de  l'Am'ore. 

Ou  lit  aussi  dans  la  Bible  ces  mots  qui  paraissent  se  i'ai)[>oil(n' 
à  Vénus  :  k  0  Luciler,  loi  qui  paraissais  si  brillant  au  [Kjiut  du 
jour!   »  ['] 

Chez  les  Égyptiens,  elle  èUiii  nommée  P-)ioi/(('i--/iani/,  le  dieu 
du  matin,  et  «  Vennou  hesiri  »,  l'oiseau  Vennou  d'Osiris.  Les 
hiéroglyphes  la  représentent  sous  la  forme  de  cet  oiseau,  et  aussi 
sous  celle  d'une  étoile  accompagnant  le  symbole  d'Osiris.  Nos  lec- 

Fig.  98.  —  Hiéroglyphe  égyptien  représenlanl  la  planète  Vénus  «  l'Oiseau  d'Osiris.  » 

teurs  trouveront  ici  l'un  de  ces  hiéroglyphes,  qui  est  bien  (;aractô- 
ristique. 

Chez  les  Indiens,  Vénus  était  appelée  Sukra,  c'est-à-dire 
l'éclatante,  Daitya-Guru,  la  souveraine  des  Titans.  Chez  les 
Babyloniens,  elle  portait  le  nom  d'Anadid,  mot  écrit  plus  tard 
Nana  dans  le  livre  des  Machabées  (^)  et  Nahit  dans  les  Actes  des 
martyrs.  On  l'appelait  Nahid  chez  les  Persans.  Chez  les  Arabes, 
elle  portait  le  nom  de  el  Zohra,  qualification  qui  appartient  à  la 
même  racine  que  l'hébreu  Zohar,  «  splendeur  du  ciel  ».  Dans  les 
livres  religieux  des  Sabéens,  elle  est  nommée  «  tlamme,  clialeur, 
esprit  ».  Sa  qualification  orientale  ordinaire  était  «  la  lumineuse  ». 
Il  y  a  bien  des  siècles  que  son  nom  a  été  donné  par  les  astronomes 
chaldéens  au  sixième  jour  de  la  semaine,  le  vendredi  :  Voifris 
dies. 

Phosphoros,  Lucifer;  Espéros,  Vesper;  Vénus,  Junon,  Isis,  sont 
les  noms  mythologiques  qui  la  désignaient  il  y  a  trente  siècles  et 
plus. 

Parmi  les  tablettes  assyriennes  brisées  dont  nous  avons  parlé  à 
propos  de  Mars  (p.  79)  et  dont  la  rédaction  orig-inale  remonte  au 
moins  au  XVIP  siècle  avant  notre  ère,  on  remarque  des  observa- 


(')  Isaie,  XIV,  12. 

(')  Liv.  I,  chap.  V,  13  l't  13 


VÉNUS    DANS    L'ANTIQUITE 


lions  (le  Vénus  faites  à  cette  époque  en  Babylonie,  et  notamment  le 
fragment  suivant: 

LA  PLANÈTE  VÉNUS  

ELLE  PASSA  A  TRAVERS 

LE  SOLEIL  

A    TRAVERS    LA  FACE    DU    SOLEIL. 

Il  serait  assurément  difficile  de  rétablir  aujourd'hui  les  mots 
absents.  Mais  la  dernière  ligne  surtout  semble  bien  indiquer  qu'il 
s'agit  de  l'observation  d'un  passage  de  Vénus  devant  le  Soleil, 
observé  en  Babylonie  il  y  a  plus  de  3500  ans.  —  Ces  passages 
peuvent  être  observés  à  l'œil  nu.  Mais  le  fait  seul  de  suivre  ainsi 
régulièrement  le  cours  d'une  planète,  même  en  ses  passages  devant 
le  Soleil,  dénote  une  organisation  astronomique  plus  avancée  qu'on 
ne  serait  porté  à  le  croire  pour  une  époque  aussi  reculée. 

Nous  possédons  aussi  une  ancienne  observation  datée.  Elle  est 
de  l'année  685  avant  notre  ère,  provient  aussi  des  astronomes 
babyloniens,  et  est  également  conservée  sur  les  tablettes  de  terre 
cuite  qui  sont  au  British  Muséum  (').La  voici: 

«  Le  25  du  mois  de  Thamuz,  Vénus  cessa  d'être  visible  à  l'ouest,  rest^ 
invisible  pendant  sept  jours,  et  le  2  du  mois  d'Ab  elle  reparut  à  l'orient 
—  Le  26  du  mois  d'Ellul,  Vénus  cessa  de  paraître  à  l'occident,  resta 
invisible  pendant  onze  jours,  et  le  7  du  deuxième  EUul  on  la  revit 
à  l'est.  » 

Ptblémée  nous  a  conservé  dans  V Almageste  plusieurs  observa- 
tions égyptiennes  de  la  môme  planète,  dont  la  plus  reculée  date 
du  17  Messcri  de  la  13'  année  du  règne  de  Ptolémée  Philadelphe, 
la  476°  année  de  l'ère  de  Nabonassar,  date  qui  correspond  au 
12  octobre  de  l'an  271  avant  notre  ère  :  c'est  une  conjonction  de 
Vénus  avec  une  étoile  de  la  Vierge,  avec  l'étoile  yj,  qu'elle  a  éclipsée. 

A  ces  époques  lointaines,  les  hommes  vivaient  beaucoup  plus 
que  nous  au  milieu  de  la  nature  et  suivaient  plus  attentivement 
les  grands  spectacles  que  nous  offrent  le  Ciel  et  la  Terre.  Aux 
observations  purement  scientifiques  s'ajoutaient  d'ailleurs  les 
déductions  singulières  qu'on  en  tirait  au  point  de  vue  astrologique 

(')  Voy.  Montly  Notices,  ]mn  18G0 


VÉNUS    DANS    L'ANTIQUITÉ 


fîUr  l'influence   des    aspects   célestes  dans  les  affaires  humaines. 

Les  Égyptiens  avaient  reconnu  que  Mercure  et  Vénus  tournent 
autour  du  Soleil,  système  qui,  développé,  conduisit  Copernic  à 
placer  l'astre  du  jour  au  centre  de  toutes  les  orbites  planétaires  ('). 

Combien  il  est  intéressant  pour  nous  de  retrouver  aujourd'hui 
les  antiques  vestiges  de  ces  usages  disparus  et  de  relire,  sur  les  pièces 
originales,  les  lignes  écrites  du  temps  de  Jésus-Christ,  de  Trajan  ou 
de  Marc-Aurèle  !  Les  langues  se  sont  éteintes,  les  idées  ont  changé, 
les  hommes  ont  disparu,  les  pays  ont  perdu  leurs  noms,  le  temps  a 
tout  emporté  dans  sa  marche;  mais  les  symboles  astronomiques  sont 
restés,  avec  la  pensée  de  nos  aïeux  incarnée  dans  ces  symboles.  A 
l'époque  dont  nous  parlons,  l'astrologie  régnait  en  souveraine  sur 
toute  la  contrée  arrosée  par  le  Nil;  les  applications  astronomiques 
étaient  mêlées  à  tous  les  usages  de  la  vie,  aux  naissances,  aux 
mariages,  aux  ensevelissements  et  aux  funérailles  ;  les  astrologues 
étaient  aussi  nombreux  que  les  prêtres  aujourd'hui,  et,  avec  bonne 
foi  également,  ils  interprétaient  les  apparences  célestes  qu'ils  avaient 
appris  à  commenter  dans  leur  éducation  au  séminaire.  On  a  retrouvé 
quelques-uns  de  leurs  petits  cahiers  sur  lesquels  ils  inscrivaient 
avec  soin  les  positions  des  planètes  dans  les  constellations  zodia- 
cales, afin  d'avoir  sous  la  main  ces  positions  pour  le  calcul  des 
horoscopes.  Un  savant  archéologue  allemand,  M.  Henri  Brugsch,  a 
eu,  sur  ce  point,  la  bonne  fortune  de  posséder  quatre  petites  tablettes 
de  bois  garnies  de  plâtre,  sur  lesquelles,  au  verso  comme  au  recto, 
sont  inscrits,  à  l'encre  noire  et  rouge,  des  tableaux  disposés  en 
colonnes.  Un  côté  de  la  bordure  de  ces  quatre  tablettes  est  percé 
en  trois  endroits  de  deux  trous,  ce  qui  fait  croire  que  dans  l'origine 


(')  S'il  fallait  on  croire  le  témoignage  de  l'antiquité,  la  planète  amoureuse  aurait  subi 
des  modifir;;  jo  i'^  extraordinaires.  Saint-Augustin  {Cité  de  Dieu,  liv.  XXI,  chap.  viit),  rap- 
porte, d'après  Varron,  qu'elle  aurait  changé  de  couleur,  de  grandeur,  de  ligure  et  de 
cours.  Ce  fait  serait  arrivé  du  temps  du  roi  Ogygès,  dont  le  déluge  asiatique  a  conservé 
le  nom,  vers  l'an  1796  avant  l'ère  chrétienne. 

Ce  récit  de  Varron  n'offre  pas  assez  de  garanties  pour  être  admis.  Si  le  souvenir  des 
peuples  a  vraiment  conservé  quelque  trace  d'un  événement  analogue,  il  n'est  pas  néces- 
saire d'attribuer  de  pareils  changements  à  la  planète  (ils  seraient  d'ailleurs  impossibles 
quant  au  changement  de  cours);  mais  on  peut  les  expliquer  en  admettant  qu'une 
comète  s'est  montrée  le  soir  au  couciiant  quelques  jours  après  que  Vénus  eut  disparu 
vers  sa  conjonction,  qu'on  l'a  prise  pour  Vénus  elle-même,  et  qu'on  a  attribué  à  ceU»»- 
c'  les  aspects  plus  ou  moins  bizarres  de  la  comète. 


VÉMS    DANS    1,  AMiyl m-; 


elles  étaient  liées  par  des  fils,  de  manière  à  former  une  sorte  de 
livre.  Ces  tablettes  ont  été  rapportées  d'Égyiite  par  un  touriste 
anglais,  M.  Henry  Stobart,  avec  une  collecliuii  d'oJtjets  d'art  qu'il 
recueillit  en  1854. 

Nous  reproduisons  par  ciiriosilé  liislori(pu'  l'une  de  ces  tablettes, 
de  grandeur  naturelle  (on  voit  que  l'écriture  en  était  très  fine).  Si 
quelques-uns  de  nos  lecteurs  s'intéressaient  à  la  lire,  ce  n'est  pas 


\) 


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S^  iv? 


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^  V  _r.'^^ "^  s.n>o  îsxj  ^^4?- 


5^-^_î^\J-  |-V'^ 


+--<  ^ 


i    -v^tAMA   I 


Fig.  99.  —  Un  maïuiscrit  de  dix-huit  siècles,  sur  les  positions  des  planètes. 

absolument  difficile,  grâce  aux  découvertes  de  Champollion  et  de 
Lepsius,  et  grâce  surtout  à  l'application  que  M.  Brugsch  en  a  conclue 
pour  ce  cas  spécial.  On  sait  que  la  lecture  se  fait  non  de  gauche  à 
droite,  comme  dans  notre  écriture,  mais  de  droite  à  gauche.  La 
première  ligne  de  la  colonne  I,  ainsi  écrite  :  ^>)  ^k  J  se  lit  Sewek 
(Mercure).   Pour  lire  les  lignes  suivantes,  considérer  d'abord  le 


VÉNUS    DANS    L'ANTIQUITÉ 


dernier  signe  vers  la  gauche.  Nous  avons,  en  descendant,  la  série  que 
voici  : 


.o. 


Ces  lignes  représentent  : 


etc. 

=  Le    Verseau. 

cf  Les  Poissons. 

•f  Le    Bélier. 

CZ  Le    Taureau. 

^  Les  Gémeaux. 

^  Le    Cancer 

V  Le    Lion. 

Maintenant,  les  signes  à  droite  des  précédents  sont  des  chiffres 
qui  désignent,  le  premier  le  jour  du  mois  et  le  second  le  mois  de 
l'année,  et  qui  se  lisent  ainsi,  à  partir  de  la  seconde  ligne  (la  première 
étant  occupée  par  le  nom  de  la  planète)  : 


i. 

La 

Vierge. 

.0. 

La 

Balance. 

>s 

Le 

Scorpion. 

— . 

Le 

Sagittaire. 

^ 

Le 

Capricorne. 

*- 

Le 

Sagittaire. 

* 

Le 

Capricorne. 

2"  ligne. 

3*  — 

4-  — 

5*  — 

6*  — 

7"  — 

8'  — 


Jours. 

Mois. 

1 

9 

1" 
2" 

9*  ligne 
10*    — 

29 

id. 

If    — 

19 

3' 

12"     — 

9 

4' 

13'     - 

20 

id. 

li«    — 

14 

5' 

15'     - 

Jours. 

Mois 

9 

6' 

15 

7- 

15 

id. 

27 

8' 

7 

10' 

21 

id. 

6 

ir 

Ainsi,  les  notes  inscrites  sur  ce  carnet  représentent  les  dates  de 
l'entrée  des  planètes  dans  les  constellations  zodiacales.  Nous  pour- 
rions donc  lire,  par  exemple,  les  premières  lignes  de  ce  petit  tableau 
dans  les  termes  suivants  : 

La  planète  Mercure  est  entrée  dans  La  Vierge  le  1"  jour  du  1"  mois  de  l'année. 

—  —  —      da-ns  La  Balance  le  9*  jour  du  2' mois  — 

—  —  —      dans  Le  Scorpion  le  29'  jour  du  même  mois. 

Etc.,  etc. 

De  quelle  année  s'agit-il?  Sur  ces  quatre  tablettes  doubles,  sur 


VENUS    DANS    L'ANlIQUITE 


ces  huit  pages,  il  y  a  29  années  d'inscrites  avec  les  positions  zodia- 
cales des  planètes,  de  l'an  VIII  à  l'an  XIX  d'un  règne,  et  de  l'an  I 
à  l'an  XVII  du  régne  suivant.  Les  notes  dont  il  s'agit  commencent 
1 1  ans  avant  la  mort  de  Trajan,  c'est-à-dire  l'an  GV  de  notre  ère, 
et  finissent  17  ans  après  cette  mort,  c'est-à-dire  l'an  CXXXIII. 
Voici  la  traduction  complète  de  cette  petite  tablette  : 


I 

li  PLiNÈT!  IKRCIIRI 


Jouri  Uols      Zodlugue 


I  1  Vierge. 
9  2  Balance. 
19  —  Scorpion. 
19  3  Sagittaire. 

i  Capricor. 

iO  —  Sagittaire. 

U  5  Capric. 

6  Verseau. 

■28  —  Poissons. 

5  7  Bélier. 

!7  8  Taureau. 

7  10  Gémeaux. 

II  —  Cancer. 

6  11  Lion. 


U  PliNÈIS  SiTDRNB 

1        1    Balance. 
1        2    Seorpioii. 


U  fmin  mm 

1        1    Lion. 
i     12    Vierge. 


U  PLiNiTE  liRS 

1        1  Vierge. 

12       »  Balance. 

27        2  Scorpion. 

4  Sagittaire. 

17       5  Capric. 

25       6  Verseau. 

3       8  Poissons. 

U       9  Bélier. 

2o      10  Taureau. 

Il      12  Gémeaux. 


II 

li  PUNÈIJ  TÉNUS 


1  1  Mon. 

16  —  Vierge. 

10  2  Balance. 

b  3  Scorpion. 

29  —  Capric. 

21  4  Verseau 

15  5  Poissons. 

9  6  Bélier. 

4  7  Taureau. 

28  -  Gémeaux. 

23  8  Cancer. 

18  9  Lion. 

13  10  Vierge. 

9  U  Balance. 

21  12 


U  PLANEII  MKKCgRS 

1  1  Lion. 

12  —  Vierge. 

2  2  Balance. 
21  —  Scorpion. 

13  3  Sagittaire. 
18  5  Capricor. 

5  6  Verseau. 

21  —  Poissons. 

10  7  Bélier. 

12  9  Taureau. 

—  Gémeaux. 

12  10  Cancer. 

4  11  Lion. 


LAN  XV 

U  PLlNiTS  SiTDRNS 
1        1    Scorpion. 


III 

U  PUNiTI  JUPITER 


Jours  Mois       Zodiaqui 


1        I     Vierge. 


U  !Umi  MARS 

1  1  Gémeaux. 

23  2  Cancer. 

24  4  Gémeaux. 

27  7  Cancer. 
21  9  Lion. 
12  11  Vierge 

28  12  Balance. 


U  PL&Nm  TENDS 

1  t     Balanco, 

23  —  Vierge. 

1  3  Balance. 

14  4  Scorpion. 

U  5  Sagittaire 

5  (6)  Capricor. 

30  —  Verseau. 

24  7  Poissons. 

19  8  Bélier. 
14  9  Taureau. 

8  10  Gémeaux. 

4  11  Cancer. 

26  —  Lion. 

20  12  Vierge. 


U  PL&NiTE  MERCURE 

1        1  Lion. 

8      —  Vierge. 

18      —  Balance. 

17        2  Scorpion. 

4  Sagittaire. 


IV 

U  FUtiÉIE  HERCURE 


Jours  Mois      Zodiaque 


4  Capric. 

5  Verseau. 

6  Poissons. 

8  Bélier. 

9  Taureau. 
-  Gémeaux, 
10  Cancer. 
12  Lion. 


L'AN  XVI 

U  PUtliTS  SiTURNE 

1  1  Scorpion. 
'■i  4  Sagittaire 
4        9    Scorpion. 


Il  PHNSTE  JUPITER 
4       1  Balance. 


H  PUMilE  MARS 

1  1  Balance. 

9  2  Scorpion. 

8  3  Sagittaire. 

27  4  Capric. 

4  6  Verseau. 

11  7  Poissons. 

22  8  Bélier. 

3  10  Taureau. 

19  11  Gémeaux. 


li  PUNÉTE  TÉ.fUS 

8        1  Balance. 

8       2  Scorpion. 

27      —  Sagittaire. 

3  Capric. 

4  Verseau. 

5  Poissons. 


U  FUNÈTI  TÉNUS 


Mois 


Zodlaqu< 


6  6  Bélier. 

1 l  7  Taureau. 

10  9  Bélier. 

2  10  Taureau. 

16  U  Gémeaux. 

2  12  Cancer. 


U  PUKÈTI  HERCURE 

3  1  Vierge. 

24  —  Balance. 

U  2  Scorpion. 

16  4  Sagittaire. 

3  5  Capric. 

20  —  Verseau. 

8  6  Poissons. 

8  7  Verseau. 
15  —  Poissons. 

9  8  Bélier. 
26  —  Taureau. 
12  9  Gémeaux. 

5  10  Cancer. 

U  12  Lion. 

30  —  Vierge. 


L'AN  XVII 

Li  PliNÈTE  SiTURNE 
21        1    Sagittaire. 


Li  PliNÈT!  JUPITER 

1  1  Balance. 

i  2  Scorpion. 

29  6  Sagittaire 

14  8  Scorpion. 


On  voit  parce  tableau  que  les  planètes  sont  inscrites  pour  chaque 


VÉNUS    DANS    L'ANTIQUITÉ 


année  dans  l'ordre  de  l'ancien  sysLcme  :  Saturne  —  Jupiter  — 
Mars — Vé/ius  —  Mercure.  Les  identifications  sont  bonnes,  car 
elles  correspondent  bien  aux  mouvements  apparents  :  pendant  ces 

27  années  (la  première  tablette  ne  donne  que  Mercure  pour 
l'an  VllI),  Saturne  n'a  fait  qu'un  seul  tour  du  zodiaque,  car  en 
l'an  IX  il  est  inscrit  dans  le  Sagittaire,  et  en  l'an  XVII  du  second 
règne  il  y  est  revenu;  Jupiter,  dans  le  Lion  l'an  IX,  y  revient  au 
bout  de  douze  ans.  Ces  mouvements  seuls  auraient  suffi  pour 
l'identification.  Mars  est  parfois  très  rétrograde.  Vénus  et  Mercure 
se  déplacent  dans  le  ciel  avec  rapidité.  Les  noms  égyptiens  des 
cinq  planètes  sont  respectivement  : 

Saturne  =  Hor-ka 

Jupiter  =  Hor-sat 

Mars  =  Hor-tos 

VÉNUS  =  Pnouter-ti 

Mercure  =  Sewek 

Les  trois  premières  commencent  par  le  même  nom  Hor  {Horus) 
et  sont  qualifiées  d'étoiles  du  Sud,  de  l'Ouest  et  de  l'Est.  Nous 
avons  déjà  vu  tout  à  l'heure  que  sur  plusieurs  monuments  pha- 
raoniques, Vénus  est  appelée  «  Venaou-hesiri  »,  l'oiseau  Vennou 
d'Osiris,  en  même  temps  que  «  Pnouter  ti  »,  le  dieu  du  matin. 

Quant  à  la  nature  et  à  l'usage  de  ce  carnet,  l'auteur  de  ces 
recherches,  M.  Brugsh,  en  a  conclu  que  ce  sont  là  des  observations 
astronomiques  et  non  des  calculs  faits  d'avance,  comme  dans  nos 
calendriers.  Nous  ne  pouvons  admettre  cette  conclusion.  On  n'ob- 
serve pas  l'entrée  d'une  planète  dans  un  signe  du  zodiaque,  par  la 
bonne  raison  que  les  limites  des  constellations  zodiacales  ne  sont 
pas  marquées  dans  le  ciel.  Tout  ce  qu'on  pourrait  observer,  ce  serait 
la  conjonction  des  planètes  avec  les  étoiles,  et  ce  n'en  est  pas  le  cas 
ici.  D'un  autre  côté,  quand  on  observe,  on  ne  peut  pas  suivre  l'ordre 
théorique  du  placement  des  planètes  dans  un  système.  En  troisième 
lieu,  la  forme  même  de  ce  petit  carnet  ne  rappelle  en  rien  un 
registre  d'observation.  Serait-ce  un  recueil  d'èphémérides  calculées 
d'avance?  Pas  davantage,  sans  doute,  car  on  ne  calcule  pas  d'avance 

28  années  d'èphémérides.   Et   pourquoi    les   aurait-un    calculées 

TERRES   DU   CIEL.  29 


VENl'S    DANS    l/AiNTMJlITE 


d'avance?  Ces  not(!s  ne  peuvent  pas  servir  à,  des  observations, 
puisque  les  positions  précises  n'y  sont  pas  indiquées. 

Ni>us  [)ensons  que  ce  uc,  pouvait  être  là  que  le  carnet  d'un  astro- 
logue, donnant  les  positions  zodiacales  passées  des  planètes,  pour 
servir  à  la  construction  des  horoscopes.  Il  aura  été  écrit  en  l'an 
GXXXIII  de  notre  ère.  Ces  positions  rétrospectives  étaient  indispen- 
sables, entre  autres,  pour  les  théines  astrologiques  que  l'on  plaçait 
souvent  dans  les  momies  et  qui  se  rapportaient  à  la  naissance  et  aux 
I)rincij)aux  actes  de  la  vie  des  morts. 

Dès  cette  époque,  les  planètes  avaient  les  domiciles  suivants  : 


Cancer 


Gomcaus 


Ta 


Bélier 


Poissons. 


Vei 


MERCURE 


yTlNUH 


MAR&. 


JUPITER 


? 


Liou 


V^iei-o-f 


^ 


M-j^-e. 


Balance 


Scorpion 


Satfi((au-c  HJ— ^ 


f|    .wrr/e.v/sJf^       C.tpiMcornc^ 


Le  Soleil  avait  son  domicile  dans  le  Lion  et  la  Liîne  dans  le 
Cancer.  En  inscrivant  ensuite  les  cinq  planètes  dans  l'ordre  de  leurs 
distances,  on  leur  donnait  respectivement  pour  domiciles  les  signes 
du  zodiaque  qui  leur  correspondaient  :  comme  on  le  voit,  chaque 
planète  avait  deux  domiciles.  Par  la  combinaison  des  influences 
imaginaires  attribuées  aux  planètes  avec  celles  des  constellations, 


VKMS    DANS    L'AMiimiTI-: 


on  croyait  pouvoir  calculer  los  destinées  individuelles  ot  même 
guérir   les    maladies.  Les  douze   signes  se  partageaient  le  corps 


Fig.  100.  —  Fragment  d'un  planispht-ie  du  ooiiiinentcinent  de  noire  ère  :  correspondance  astrologique 
dos  planètes  avec  les  signes  d»  zodiaque. 

humain  dans  tous  ses  détails.  L'histoire  nous  prouve  qu'il  y  avait 
des  prêtres  et  des  médecins  qui  pratiquaient  l'astrologie  de  très 
bonne  foi. 
.^  la  même  série  de  monuments  appartient  le  planisphère  de 


VÉNUS   DANS  L'HISTOIRE 


Bianehini,  i)aLliù  dans  l'Histoire  de  l'Académie  des  Sciences  de  1708 
et  qui  a  fait,  surtout  au  temps  de  Dupuis,  l'objet  d'un  grand 
nombre  de  dissertations  contradictoires.  Quel  que  mutilé  qu'il  soit, 
ce  planisphère  astronomique,  que  nous  reproduisons  ici  {fig.  100), 
est  encore,  par  un  heureux  hasard,  assez  complet  pour  pouvoir 
être  entièrement  restitué.  En  examinant  cette  figure,  on  remarque, 
en  effet,  au  centre,  la  Grande  Ourse  et  la  Petite  Ourse  enlacés  dans 
le  Dragon.  Autour  de  ce  cercle  central,  dans  un  premier  anneau, 
sont  gravés  12  animaux  qui  ne  sont  pas  les  signes  du  zodiaque,  à 
l'exception  du  Cancer  :  on  croit  reconnaître,  dans  ce  qui  n'est  pas 
mutilé,  un  chien,  un  crabe  (ou  le  Cancer),  un  serpent  et  un  loup  (') 
Sur  les  deux  cercles  suivants  sont,  doublés  l'un  au-dessus  de  l'autre, 
les  douze  signes  du  zodiaque.  Puis  on  rencontre  un  cercle  noir  caba- 
listique orné  de  caractères  grecs  et  latins  difficiles  à  déchiffrer. 
Extérieurement  à  cet  anneau  on  voit  une  large  zone  sur  laquelle 
sont  dessinées  trente-six  figures  de  décans,  de  style  égyptien  gré- 
cisé,  et  enfin,  comme  circonférence  extérieure,  les  têtes  des  pla- 
nètes, de  style  grec.  Les  planètes  restées  visibles  sont  :  Mars,  le 
Soleil,  Vénus,  Mercure,  la  Lune,  Saturne,  Jupiter  :  elles  sont  donc 
placées  dans  l'ordre  de  l'ancien  système  :  Saturne  —  Jupiter  — 
Mars — Le  Soleil  —  Vénus  —  Mercure  —  La  Lune.  Il  y  a  dans  ce 
planisphère  trois  influences  artistiques  bien  marquées  :  l'ensemble 
dérive  avec  évidence  de  l'astronomie  grecque,  et  les  tètes  des  pla- 
nètes sont  bien  de  style  grec;  la  tète  de  Jupiter  est  celle  d'un 
empereur  romain  couronné  de  lauriers;  trois  figures  au  moins  des 
personnages  sont  d'origine  égyptienne.  Il  est  donc  probable  que  ce 
monument  date  du  premier  ou  du  second  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne —  époque  où,  comme  chacun  le  sait  d'ailleurs,  cette  ère 
n'existait  pas  f). 

En  examinant  ces  vestiges  d'archéologie  astronomique,  nous 
renouons  dans  notre  espi'it  la  chaîne  en  apparence  interrompue  des 
siècles  passés,  nous  vivons  un  instant  de  la  vie  de  nos  aïeux,  et  la 


(')  On  peut  voir  dans  V Astronomie  populaire  un  zodiaque  chinois  qui  offre  certaines 
ressemblances  avec  cette  série  d'animaux  :  un  dragon  arrangé  comme  vestige  d'un 
crabe;  un  seupent;  un  cheval;  etc. 

(-)  L'ère  chrétienne  n'a  été  imaginée  que  550  ans  après  la  mort  de  Jésus  et  adoptée 
que  du  temps  de  Charlemagne. 


VÉNUS    DANS   L'HISTOlllE 


science  d'Urauie  nous  paraît  encore  plus  grande,  d'aiw.  part,  plus 


Uganda  est  sait  proxmms.  cwm  Solcin  aatecedit  mane  J>Mcifzi 
LjuasL  laceritjèrensicwrriqj.  cundernsecJLutur'^cspe.ri^IijèsGenLS 

sympatliique  d'autre  part,  parce  qu'elle  nmis  met  en  communication 
avec  les  savants,  les  artistes,  les  peuseiu's  (jui,  avant  nous,  vivaient 


VÉNUS  DANS  L'HISTOIRE 


comme  nous  le  faisons  aujourd'hui,  dans  la   contemplation  des 
beautés  et  des  réalités  de  l'univers. 

Avant  d'oublier  ce  fragment  de  planisphère,  remarquons  encore 
que  la  première  planète  de  chaque  section  donne  le  titre  des  jours 
consécutifs  de  la  semaine  : 

Mars         =  Mardi 

Mercure  =  Mercredi 

Jupiter    :^  Jeudi 
Etc.. 

C'est  évidemment  par  l'astrologie  que  les  noms  des  planètes  ont  été 
donnés  aux  jours  de  la  semaine,  et  peut-être  est-ce  là  l'origine  môme 
de  ces  jours,  comme  usage  astrologique.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  là 
une  explication  à  ajouter  à  celles  que  nous  avons  données  dans 
l'Astronomie  populaire  (p.  135),  et  peut-être  est-ce  la  meilleure. 

L'art  nous  a  transmis  ces  divers  souvenirs.  Dans  sa  galerie 
planétaire,  Raphaël  lui-même  a  pris  soin  de  bien  indiquer  les 
constellations  favorites  de  chacpie  planète.  On  peut  voir  sur  le 
dessin  reproduit  plus  haut  que  Vénus,  la  gracieuse  déesse,  avait 
pour  signes  privilégiés  le  Taureau  et  la  Balance;  cette  gravure  du 
dix-septième  siècle  mérite  d'être  placée  en  regard  de  celles  de  Mars 
et  du  Soleil,  précédemment  publiées. 

Mais  c'est  assez  nous  arrêter  au  vestibule  de  l'histoire.  Pénétrons 
dans  le  sanctuaire  de  l'observation  astronomique  et  faisons  con- 
naissance intime  avec  la  belle  planète.  Est-elle  aussi  ravissante 
qu'elle  le  parait?  Si  nous  l'habitions,  trouverions-nous  fondés  ces 
regrets  exprimés  par  le  poète  Moore  dans  les  Amours  des  Anges  : 

«  Oh  !  disait-elle,  pourquoi  mon  destin  ne  m'a-t-il  pas  fait  naître 
«  Esprit  de  cette  blanche  étoile,  habitant  sa  sphère  brillante, 
K  Pure  et  isolée  comme  les  anges,  sans  autre  emploi  que  de  prier, 
«  Et  d'allumer  mon  encensoir  au  Soleil  ? 

Le  séjour  de  l'astre  de  Vénus  est-il  véritablement  un  séjour 
enchanteur?  Ou  bien,  la  blanche  et  mystérieuse  étoile  du  soir 
ne  serait-elle  pas  plus  belle  de   loin  que  de  près? 

Examinons  sa  situation  dans  la  province  solaire,  et  rendons-nous 
compte  d'abord  de  son  mouvement  autour  du  foyer  central 


CHAPITRE   fl 

Mouvement  de  Vénus  autour  du  Soleil.  —  Phases.  —  Éclat. 
Lumière  cendrée. 

Lu  brillauto  planète,  l'étoile  du  malin  et  du  soir,  tourne  autour 
du  Soleil  en  une  révolution  de  224  jours  16  heures  49  minutes 
8  secondes,  dans  le  même  sens  que  la  Terre  elle-même.  Telle  est 
la  durée  do  son  année  et  la  première  base  de  son  calendrier.  Les 
années  sur  ce  monde  ne  durent  donc  environ  que  sept  mois  et 
demi.  Elles  sont,  comme  on  le  voit,  beaucoup  plus  courtes  que 
les  uôlics.  Dans  le  même  temps  que  nous  arrivons  à  l'âge  de  vingt 
ans  sur  notre  planète,  un  habitant  de  Vénus  a  déjà  dépassé  sa 
32'  année;  (juand  nous  comptons  40  ans,  il  en  compte  prés  de  65; 
quand  nous  comptons  cent  ans,  nos  voisins  en  comptent  162,  et 
ceux  d(î  Mercure  415!  Est-ce  un  bien,  est-ce  un  mal?  Au  point  de 
vue  bioliigiquc  connue  au  point  de  vue  du  progrés,  cette  rapidité 
constitue  assurément  un  désavantage. 

L'orbite  de  Vénus  autour  du  Soleil  n'est  pas  excentrique  comme 
celle  de  Mais,  mais  pr(\squc  circulaire  et  à  peine  elliptique  : 
l'excentricité  n'est  que  de  0,U07.  Si  l'on  représente  par  1000  la 
distance  de  la  Terre  au  Soleil,  la  distance  périhélie  de  Vénus  sera 
iu(li((uée  par  le  chiffre  718,  la  distance  aphélie  par  7.28,  et  la 
distance  moyenne  par  723.  Exprimés  en  lieues,  ces  nombres 
nous  donnent  : 


Distaiici!   pc'-rilu'-lii" 

—  inoyciHK' 

—  a|j|u'lic  . 


La  Terre  étant  1 

En  kilomètres. 

En  lieues. 

0,718 

100  .'tO:t  200 

26  .Ï75  800 

0.7-23 

107  001  000 

26  7oO  iOO 

0.T2S 

107  700  000 

26  '.12;;  000 

La  dillercnce  n'est  que  de  350  000  lieues  entre  le  périhélie  et 
l'aphélie.  Si  nous  calculons  le   développement  total  de  l'orbite, 


MdllVt.MENÏ    UE    VKNIS    AlïOlU    DU    SOI.tIL 


nous  tniuvitiis  (|ih'  s;i  lidiniiciir  est  ûr  KiS  luillioiis  de  lii'iios. 
l'iiis(|iif  la  pi;iii(''t('  Icri  i)urcuui-L  en  v'v*'!  jniirs,  clli.'  vuliiu,'  donc 
aiitnin-  (lu  Soleil  ù  raison  de  ToUUOU  lieues  pai'  joiu',  <iu  de  ;]i(3()(J 
luétfes  par  seconde.  Elle  court  un  peu  plus  vite  que  la  Terre, 
la  vitesse  des  planètes  sur  leurs  orbites  étant  d'autant  plus  grande 
((ue  ces  plauéfes  sont  plus  proches  de  l'astre  central. 

Xuus  pouvons  nous  représenter  la  relation  qui  existe  entre  l'orbite  de 
Vénus  et  celle  de  la  Terre.  Traçons  à  l'échelle  d'un  niiUiuiétre  pour  un 
million  de  lieues,  deux  courbes  dessinant  les  orbites  de  Vénus  et  de  la 
Terre.  L'ellipticité  de  l'orbite  de  Vénus  est  si  faible  qu'elle  n'est  pas  sensible 


Vlcdpja  j. 


Fig.  103.  —  Relations  entre  l'orbite  de  Vénus  et  celle  de  la  Ton 


à  cette  échelle,  mais  celle  de  la  Terre  est  sensible,  car  il  y  a  deux  millions 
de  lieues  (soit  2""")  de  différence  entre  la  distance  du  périhélie  ^h' jan- 
vier) et  celle  de  l'aphélie  (I"  juillet).  Le  plus  grand  écartemeut  que  Vénus 
puisse  former  avec  le  Soleil  arrive  lorsque  la  planète  se  trouve  à  angle 
droit  avec  lui  et  nous  :  cette  plus  grande  élongation  est  de  '(8°.  Aussi 
Vénus  peut-elle  retarder  le  soir  beaucoup  plus  que  Mercure  sur  le 
(uucher  du  soleil,  et  a-t-elle  été  connue  longtemps  avant  lui.  On  peut 
remanpier  en  même  temps  que  Vénus  passe  très  près  de  nous  au  moment 
oia  elle  coupe  la  ligne  qui  joint  le  Soleil  à  la  Terre. 


MOUVKMliNÏ    DE    VKMS    AirolK    i)V    SOLEIL 


La  combinaison  du  mouvement  de  Vénus  autour  du  Soleil,  en 
22i  jours,  avec  celui  de  la  Terre  en  365  jours,  fait  que  la  planète 
revient  au  môme  point  tous  les  584  jours;  c'est  ce  qu'on  nomme 
sa  révolution  synodique.  Le  plan  dans  lequel  Vénus  se  meut  ne 
coïncide  pas  avec  celui  de  l'orbite  terrestre  (sans  quoi  la  planète 
passerait  tous  les  584  jours  devant  le  Soleil),  mais  est  incliné  sur 
lui  de  3°  23'. 

Si  l'on  voulait   représenter  le  mouvement  apparent  de  Vénus 


Fig.  ini.  _  Mouvement  apparent  de  Vénus  par  rapport  à  la  Terre. 

par  rapport  à  la  Terre  supposée  fixe,  on  construirait  le  diagramme 
de  la  figure  104,  analogue  à  celui  que  nous  avons  construit  pour 
Mars,  et  sur  lequel  on  peut  se  rendre  compte  des  variations  de  dis- 
tances qui  s'opèrent  pendant  le  cycle  de  cette  période.  On  voit 
que  la  belle  planète  revient  à  sa  plus  grande  proximité  de  la  Terre 
aux  dates  suivantes  :  déceml»re  1882,  juin  1884,  janvier  188G,  etc. 
Si  l'on  conçoit  bien  le  mouvement  de  Vénus  dans  une  orbite  infé- 
rieure à  celle  de  la  Terre,  on  comprendra  par  ce  fait  mèm(>  ([u'elle 

TERRES  DU  CIEL.  30 


MOUVK.MENT  DE  VÉNUS  AUTOUR  DU  SOLEIL 


est  luur  il  luui'  étoile  du  matin  et  étoile  du  soir.  Ainsi,  elle  est 
passée  devant  le  Soleil,  le  6  décembre  1882,  après  avoir  été  étoile 
du  soir;  ;ï  partir  de  cette  date  elle  s'est  écartée  du  Soleil,  pour  devenir 
étoile  du  matin,  tourner  autour  de  lui  et  aller  passer  derrière  lui 
le  20  septembre  1883  :  c'est  ce  qu'on  appelle  sa  conjonction  supcV 
rieure.  A  partir  de  cette  date,  elle  s'écarte  de  nouveau  du  Soleil, 
devient  étoile  du  soir,  revient  vers  nous  et,  de  mois  en  mois,  lirille 
dans  le  ciel  du  crépuscule  pour  régner  en  souveraine  pendant  les 
soirées  d'avril,  mai  et  juin  1884.  Puis  elle  se  rapprochera  du  Soleil 
pour  passer  entre  la  Terre  et  lui  (mais  non  juste  devant  lui)  le  1 1  juil- 
let; c'est  sa  conjonction  inférieure,  qui  arrive  294  jours  après  la 
conjonction  supérieure.  La  plus  grande  élongation  peut  atteindre  48°, 
et  la  planète  peut  alors  se  coucher  après  le  Soleil,  ou  se  lever  avant 
lui  avec  une  différence  de  quatre  heures  et  demie.  Sur  ce  cycle  de 
584  jours  ou  de  19  mois  et  demi,  Vénus  est  invisible  en  moyenne 
pendant  quatre  mois  (un  mois  avant  et  après  chaque  conjonction),  et 
visible  pendant  sept  mois  comme  étoile  du  soir  ou  comme  étoile  du 
matin.  On  a  toujours,  à  peu  près,   la  répétition  du  cycle  suivant  • 


CYCLE  DU  MOUVEMENT  UE  VENUS 

Conjonction  inférieure  ....    6  décembre  188-2.  ,  \  Invisible. 

■'  71  jouis.)  . 

PI.  gr.  élongation  du  matin  .  15  février        1883.  !  290  jours.  \  Etoile  du  matin. 

Conjonction  supérieure  ...  20  septembre  1883.  \5S1  jours.     Invisible. 

PL  gr.  élongation  du  soir..    2  mai  1884  j      '       ~    ]291     —     1  Étoile  du  soir. 

Conjonction  inférieure .  ...   11  juillet  1884.'    ""      ~    ^  /  Invisible. 

Nos  pères  aimaient  personnifier  les  astres,  les  planètes,  les  objets 
divers  de  la  nature,  les  phénomènes  célestes,  et  nous  trouvons,  par 
exemple,  dans  les  ouvrages  du  XVIIP  siècle,  notamment  dans  V Atlas 
cœlestis  de  Doppelmayer  (Nuremberg,  1742),  une  représentation 
assez  curieuse  de  Vénus  gravitant  autour  du  Soleil  en  compagnie 
de  Mercure  et  de  la  Terre.  L'amour,  guidé  par  deux  colombes, 
dirige  Vénus,  et  la  Terre,  accompagnée  de  la  Lune,  est  emportée 
dans  une  calèche  aux  roues  géographiques.  Les  mouvements  sont 
judicieusement  représentés.  Les  artistes  ne  seront  sans  doute  pas 
fâchés  de  retrouver  ici  cette  ancienne  figure. 

Vénus  passe  de  temps  à  autre  juste  devant  le  Soleil,  et  alors 
elle  paraît  glisser  devant  lui   comme   un  petit  disque  noir.    Ces 


MdlVKMK.NT    DK    MiNlS    Al  II)  II!     lU 


passages  ont  une  grande  iniportaucc  ilans  les  niùLhodes  astrono- 
miques (')  parce  qu'ils  servent  à  nu'sun'r  lu  distance  du  Soleil,  buse 
de  notre  connaissance  de  la  consLruclion  de  l'univers.  Les  deriners 
ont  eu  lieu  le  8  décembre  1874  et  le  6  décembre  1882  :  là  planète 


>■>■  ili'  1.1  l.iini',  Wun-  it  MiTi-iirc.  tournant  autour  du  Soleil. 
(Figure  Uu  XVI 11'  siècle). 


a  suivi  sur  le  disque  solaire  les  routes  tracées  sur  notre  figure  lO't. 
Les  prochains  auront  lieu  le  7  juin  2004  et  le  5  juin  2012.  Ces 
passages  sont  régis  par  une  curieuse  périodicité  :  ils  reviennent 
aux  intervalles  de  :  8  ans;  113  ans  ^  +  8  ans  (ou  121  ans  ^); 
8  ans;  113  ans  i  —  8  ans  (ou  105  ans  {),  etc. 

Lorsqu'on  se  représente  l'orbite  de  Vénus  et  cell(.>  de  la  Terre 
tracées  autour  du  Soleil  comme  centre,  il  semble  que  Vénus  devrait 


(')  Ces  passages  de  Vénus  sont  obsen'ables  à  IVi>il  nu,  soit  au  lover  ou  au  coucher  du 
soleil,  soit  il  travers  le  hroiiillard,  soit  à  l'aide  de  verres  noircis,  comme  une  petite  tache 
noire  bien  ronde.  Or  les  Chinois  ont  observé  à  r<pil  nu  un  trrand  nombre  de  taches 


MOLVEME.NT    DE    VENLS    Al'TOLK    1)U    SOLEIL 


sp  montrer  devant  le  Soleil  toutes  les  fuid  qu'elle  passe  entre  lui 
et  nous.  Gomme  elle  ne  met  que  huit  mois  pour  accomplir  sa 
translation  autour  de  l'astre  radieux  et  que  la  Terre  emploie  une 
année  jioiu'  parcourir  la  sienne,  il  semble  que  ce  phénomène  ne 
devrait  pas  être  rare.  Tous  les  584  jours,  il  est  vrai,  la  belle  planète 
passe  entre  l'astre  radieux  et  nous,  mais  un  peu  au-dessus  ou 
nu  peu  au-dessous  du  disque  solaire,  de  sorte  qu'elle  ne  se  pro- 
jette point  sur  lui  et  reste  invisible.  Pour  que  la  planète  passe 
juste  devant  le  disque  solaire,  il  faut  que  les  centres  des  trois 
astres  :  Soleil,  Vénus  et  Terre,  se  placent  sur  une  même  ligne 
droite.  Or,  par  suite  de  la  disposition  des  orbites  des  deux  planètes, 
ce  fait  n'arrive  qu'aux  rares  intervalles  que  nous  venons  de 
signaler. 

De  même  que  Vénus  est  portée  par  son  mouvement  à  passer 
quelquefois  juste  devant  le  Soleil,  de  même,  parfois  et  plus 
souvent,  à  cause  du  mouvement  rapide  de  la  Lune,  elle  passe 
derrière  notre  satellite,  ou,  pour  mieux  dire,  la  Lune  passe  juste 


solaires,  notamment   depuis   l'an   301    de  notre  ère  jusqu'à  l'an    1205.  En   Europe, 

Conrad  Lycosthène  parle,  dans  son 
i<  Livre  des  prodiges  »,  d'un  pas- 
sage de  Mercure  observé  l'an  778 
de  notre  ère,  et  une  Histoire 
(le  la  vie  de  Charleniagne  si- 
i;nale  une  observation  faite  en 
mars  887  de  Mercure  vu  pendant 
liuit  jours  sur  le  Soleil.  Mercure 
doit  être  écarté,  puisque  ses  pas- 
sages ne  peuvent  pas  être  vus  à 
l'œil  nu  et  qu'il  n'y  avait  pas 
alors  de  lunettes  d'approche.  Res- 
tent les  taches  du  Soleil,  et  tel 
est  certainement  le  cas  de  la  der- 
nière observation  de  huit  jours. 
Reste  aussi  Vénus,  qui  peul  avoir 
été  vue  quelquefois  comme  tache 
solaire.  Avec  une  attention  suffi- 
sante cependant  on  ne  peut  pas 
confondre  ces  passages  avec  des 
taches  solaires,  car  celles-ci  ne 
sont  jamais  aussi  rondes  ni  aussi 

bien   définies.  Elles    se  présentent    sous   l'aspect   caractéristique   rappelé  ici.    Nous 

avons  signalé  plus  haut  une  observation  probable  d'un  passage  de  Venus,  qui  date 

de  dix-sept  siècles  avant  notre  ère. 


:t  des  taches  solaires. 


MOrVEMKNT  DE  VÉNUS  AUTOUR  DU  SOLEIL 


devant  elle  et  produit  une  occultation.  Ces  spectacles  sont  également 


lU".  —  Les  passages  de  Vénus  devanl  lo  Soleil  i 

fort  intéressants  à  observer.  Nous  signalerons  ici  l'observation  de 
ce  genre  que  nous  avons  faite  le  14  octobre  1874. 

Co  jour-là,  à  3  heuros  do  l'aprés-midi,  la  Lune  devait  occuller  Vénus; 
mais  la  lumière  éblouissante  du  ciel  et  les  nuées  blanches  (jui  occupaient 
le  sud  rendaient  l'observation  difficile.  La  Lune  n'était  qu'à  son  quatrième 
jour,  et  n'offrait  qu'un  mince  croissant  à  peine  visible  à  l'est  du  Soleil; 
Vénus  offrait  dans  la  lunette  un  croissant  du  même  ordre  que  celui  de  la 
Lune,  un  peu  plus  large  relativement,  très  visible  et  nettement  dessiné 
dans  le  cliamp  de  l'instrument.  L'observation  a  été  faite  avec  une  lunette 
de  108°""  d'ouverture,  munie  de  son  plus  faible  oculaire  (grossissant 
53  fois  seulement). 

Le  croissant  de  Vénus  était  très  pur,  et  sa  limite  intérieure  était  aussi 
nette  que  sa  limite  extérieure,  ce  qui  n'a  plus  eu  lieu  depuis.  La  Lune 
devait,  pendant  1  heure  14  minutes,  passer  devant  la  planète  et  lui  faire 
décrire  en  apparence  derrière  elle  la  corde  tracée  sur  notre  figure  108, 
Vénus  paraissant  se  mouvoir  de  droite  à  gauche,  ou  do  l'ouest  à  l'est, 
pénétrer  derrière  la  Lune  par  son  côté  obscur  et  en  sortir  par  son  côté 
éclairé.  Ici  l'image  est  renversée  telle  qu'elle  est  vue  dans  la  lunette 
astronomique. 

J'étais  occupé  à  examiner  ce  petit  croissant  de  Vénus,  lorsque  soudain 
je  le  vis  diminuer  par  son  arc  inférieur  ot  se  laisser  manger  graduellement 


MOUVEMliNT    DE    VKNLS    AUTOUR    DU     SOLKIL 


j)ur  K'  Ijord  ubscur  t'I  nbsulmnoit  inrinihlc  de  la  Liiiic  Mu  .siirprisu  fui  si 
gnindi.',  (iuoi(^ue  je  m'attendisse  à  cotte  disparition,  ijue  je  ne  sungeai  pas 
;ï  coni[)ter  les  secondes,  et  que  je  me  bornai  à  crier:  »  Elle  entre!  »  Les 
[)ersonnes  qui  se  trouvaient  à  mon  modeste  observatoire  et  ([ui  venaient 
d'admirer  Vénus  dans  le  ciel  étaient  des  plus  surprises  de  ne  l'y  plus 
trouver,  sans  pouvoir  apercevoir  le  corps  qui  l'ëclipsail,  car  le  ciel  parais- 
sait d'un  bleu  laiteux,  égal  en  intensité  des  deux  côtés  du  croissant 
lunaire. 
L'immersion  s'est  faite  sans  que  la  plus  légère  pénombre  ni  déforma- 


l'i^'.  108.  —  Occultation  do  Venus  iiar  la  Lune,  lu  II  octobre  1871  j 


tion  ait  décelé  l'indice  do  la  moindre  atinosplière  lunaire.  Le  disiiue  lunaire 
coupa  successivement  le  croissant  de  Vénus  dans  le  sens  indiqué. 
Au  dernier  moment  de  l'immersion,  on  ne  voyait  que  la  corne  supérieure 
du  croissant  :  sa  disparition  eut  lieu  à  3  heures  'i3  minutes  29  secondes, 
temps  moyen  de  Paris. 

A  4  heures  55  minutes  20  secondes,  Vénus  reparut  comme  un  point 
lumineux  sur  le  bord  occidental  du  pâle  croissant  lunaire  et  s'en  dégagea 
peu  à  peu.  La  sortie  dura  plus  d'une  minute.  Au  milieu  de  l'émersion, 
quand  la  corne  supérieure  du  croissant  commença  à  se  dégager,  on  vit 
comme  un  point  se  dessiner  sur  le  limbe  lunaire.  Ce  point  s'allongea 
et    s'arrondit.    Le    croissant   fut  enti(M-ement  dégagé    à   4   heures    56 


MOUVEMENT  DE  VENUS  AITOIK  DU  SOLEIL 


minutes  28  secondes.  La  constatation  des  moments  m'a  paru  plus  farile 
que  lors  du  passage  de  Mercure,  quoiqu'il  me  semble  difficile  toutelois 
d'en  être  sûr  à  moins  d'une  seconde  près. 

Ju.xtaposée  comme  elle  l'était  à  l'hémisphère  lunaire  éclairé,  on  pouvait 
facilement  comparer  la  lumière  de  Vénus  à  celle  de  la  Lune,  et  constater 
qu'elle  est  incomparablement  plus  blanche  et  plus  intense.  Cette  énorme 
différence  devint  surtout  très  sensible  le  soir,  vers  6  heures,  lorsqu'un 
put  voir  les  deux  astres  à  l'œil  nu. 

On  comprend  sans  peine  que  Vénus,  gravitant  comme  Mercure 
dans  une  orl)ite  intérieure  à  celle  de  la  Terre,  doit  tourner  vers 
nous  tantôt  son  hémisphère  éclairé  par  le  Soleil,  tantôt  son  hémi- 
sphère obscur,  tantôt  une  partie  de  l'un  et  de  l'autre,  et  par 
conséquent  présenter  comme  la  Lune  des  phases  correspondant 
aux  angles  qu'elle  forme  avec  le  Soleil  et  la  Terre.  Ces  phases 
sont  invisibles  à  l'œil  nu  (')  à  cause  de  la  petitesse  à  laquelle  se 
réduit  pour  nous  le  disque  de  la  planète.  Aussi  se  servait-on  de 
cette  absence  de  phases  visibles  pour  contester  la  vérité  du  système 
de  Copernic.  On  rapporte  même  que  Copernic  lui-même,  entendant 
cette  objection,  aurait  répondu  que  «  Dieu  se  réservait  peut-être 
de  les  révéler  un  jour  ».  Le  siècle  suivant,  la  lunette  d'approche 
les  montrait  à  Galilée. 

C'était  au  mois  de  septembre  lOKJ.  L'immortel  astronome,  qui 
venait  de  construire  de  ses  mains  le  premier  instrument  d'optique 
qui  ait  été  dirigé  vers  le  ciel  contemplait  le  soir  avec  extase  les 
merveilles  du  firmament,  agrandies  et  multipliées  par  ce  nouvel 
organe;  l'atmosphère  transparente  de  l'Italie  lui  permettait  de 
sonder  les  profondeurs  de  l'espace,  et  souvent  il  s'arrêtait,  comme 
il  nous  le  raconte  lui-même,  ébloui  et  fasciné.  Vénus,  la  belle 
planète  descendait  dans  les  foux  éteints  du  crépuscule  lorsqu'en 
dirigeant  sa  petite  lunette  vers  elle,  il  crut  reconnaître  une  phase 
rappelant  tout  à  fait  celles  de  la  Lune.  Malheureusement,  la 
brillante  planète  disparut,  et  le  ciel  se  couvrit  les  jours  suivants, 
sans  qu'il  ait  eu  le  temps  de  vérifier  sa  découverte.  Soucieux, 
toutefois,  d'en  conserver  la  priorité,  l'astronome  toscan   l'enferma 


(')  Sauf  pour  des  vues  exceptionnelles,  servies  par  des  circonstances  spéciales  (Voir 
plus  loin). 


240  LES    PHASES    DE    VENUS 

SOUS  un  anagrainnie  dont  lui  seul  avait  la  clef,  et  envoya  cet   ana- 
gramme à  Ki'iilcr.  Le  voici  : 

Ilu'c  iinniatiua  à  mejam  frustra  Icgmitiif,  o.  y. 

phrase  assez  obscure  qu'on  peut  traduire  par  : 

Ces  choses  non  mûries  ont  déjà  ('tt'  lues,  mais  en  vain,  par  moi. 

Il  reste  deux  lettres  superflues.  En  reprenant  toutes  ces  lettres, 
et  en  les  plaçant  dans  un  autre  ordre,  on  reconstruit  la  phrase 
suivante,  qui  est  la  véritable  : 

Cyntiiiœ  figuras  eniulalur  mater  Amorum. 

La  mère  des  Amours  est  l'émule  de  Diane  dans  ses  aspects. 

Remarque  curieuse,  ces  fameuses  phases  de  Vénus,  dont  l'anti- 
quité ne  s'est  pas  doutée,  à  l'objection  desquelles  Copernic  n'eut 
rien  à  répondre,  et  que  Galilée  prenait  tant  de  peine  à  cacher 
pour  se  garder  l'honneur  de  leur  découverte,  ces  phases  de  Vénus 
peuvent  être,  dans  des  circonstances  exceptionnelles,  visibles  à 
^'œil  nu.  Des  vues  particulières  peuvent  les  reconnaître.  Webb 
•ious  apprend  que  Théodore  Parker  les  a  remarquées,  en  Amérique, 
au  Chili,  lorsqu'il  n'était  âgé  que  de  douze  ans  et  ignorant  de  leur 
existence,  et  (ju'on  les  a  vues  en  Perse  on  se  servant  d'un  verre 
foncé.  Au  mois  de  mai  18G8,  on  les  a  distinguées,  et,  parait-il, 
sans  trop  de  diihcultés,  sous  l'atmosphère  si  rarement  limpide  de 
France  (')  :  plusieurs  personnes  en  ont  constaté  la  forme.  11  en  a 
été  de  même  à  l'Ile  de  la  Réunion  au  moi.s  de  juillet  1883  (-)  et, 
d'après  les  rapports  des  observateiu's,  ce  fait  n'y  est  pas  très  rare. 
C'est  là  néanmoins  une  preuve  visuelle  d'une  extrême  rareté. 

Nous  venons  de  voir  que  dans  les  conditions  de  grande  transpa- 
rence atmosphérique  le  croissant  de  Vénus  peut  être  distingué  à 
l'œil  nu.  C'est  dire  que  le  plus  modeste  instrument  sutlit,  en 
général,  pour  en  permettre  l'observation,  soit  au  crépuscule,  soit 
pendant  le  jour.  Lorsqu'on  a  observé  la  belle  planète  le  matin 
avant  le  lever  du  soleil,  on  peut  continuer  de  la  suivre  dans  une 
lunette  dont  le  champ  soit  assez  vaste  pour  la  retrouver  facilement 
si  les  vapeurs  du  matin  la  laissait  perdre,  et  dans  ces  conditions, 
il  est    facile   de    l'oljserver   en  plein   soleil.    Si   on   possède   un 

(>)  Voir  nos  Éludes  sia-  l'AsImnomie,  t.  III,  p.  17o. 

(')  Voir  la  Ileviie  mensuelle  L'AsIruiioinie,  octobre  1883. 


LES    l'HASKS    I)K    VKMS 


rquiUiirial  on  iiiic  liiiicfti'  iiuM'idienne,  c'est  encore  plus  facile. 
L'astronoiue  Ilawes  assiuv  ([u'on  peut  observer  la  planète  à  la 
conjonction  siipriiciire,  jusiprà  une  minute  seulement  du  bord  du 
soleil. 

Ces  phases  de  Vénus  sont  chaniiautes  à  observer,  même  à  l'aide 
du  plus  modeste!  instrument.  Pâle  sur  le  ciel  bleu,  cr.  Irixov 
crnissanl   semble   flntter  comme  un    rêve.    La  première  fois  qu'on 


Fig.  100.  —  Ori;rL>  des  phases  de  Vénus. 

!'(ilis(n've,  on  n(^  peut  se  dcfeudiT  de  l'idée  que  c'est  la  Lune  que 
l'on  a  sous  les  yeux.  Un  grossissement  de  50  fois  donne,  du  reste, 
au  croissant  de  Vénus  la  dimension  apparente  sous  laquelle  nous 
voyons  la  lune  à  l'œil  nu  ('). 

La  distance  de  Vénus  à  la  Terre  variant  considérablement  selon 
les  positions  qu'elle  occupe  sur  son  orbite,  son  diamètre  varie  dans 
la  même  proportion.  Lorsqu'elle  se  trouve  à  sa  plus  grande  distance 
de  la  Terre,  c'est-à-dire  derrière  le  Soleil,  elle  est  éloignée  de  nous 
de  toute  la  largeur  de  son  oibid',  plus  de  la  <listancc  de  son  orbite 

(')  Comme  t'tiuli'  de  la  planMc,  on  ne  pont  rioii  tin-r  di-s  observations  laites  lorsque 
le  soleil  est  assez  haut  sur  l'hori/.on.  l.";itniospliére  est  trop  brillamment  éelairée,  et  sim 
agitation  devient  trop  apparente,  pour  qu'un  astre,  mènie  aussi  lumineux  que  Vénus, 
puisse  être  observé  avec  fruit.  Il  est  vraiment  surprenant  que  de  pareilles  conditions 
aient  été'  recommandées  pour  ce  jjenre  de  travaux. 

La  période  du  temps  la  plus  favorable  s'étend  depuis  une  demi-heure  avant  jusqu'à 
une  demi-heure  après  li'  couchei-  du  soleil  :  c'est  à  ce  moment  que  les  im.iLtes  sont 
les  meilleures. 

TKcr.Ks  Dr  rMF.t.  îH 


I.KS    l'IlASKS    DE   VKNUS 


à  celle  de  la  Terre,  ce  qui  donne  64  millions  de  lieues  environ.  Son 
diamètre  n'est  alors  que  de  9",5.  Lorsqu'elle  se  trouve  à  sa  plus 
petite  distance,  c'est-à-dire  entre  le  Soleil  et  nous,  elle  n'est  plus 
éloignée  de  nous  que  de  10  millions  de  lieues,  et  son  diamètre 
s'élève  à  63".  Son  diamètre  varie  comme  sa  distance  entre  ces  deux 
limites.  C'est  comme  si  nous  disions  que  la  largeur  de  son  disque 
varie  pour  nous  depuis  9  millimètres  et  demi  jusqu'à  63.  La 
figure  précédente  fait  comprendre  au  premier  coup  d'oeil  la  cause 
de  ces  phases,  leur  ordre  et  leur  succession. 

Les  phases  de  Vénus  ne  s'accordent  pas  toujours  avec  le  calcul.  A 
l'époque  de  ses  plus  grandes  élongations,  le  disque  de  la  planète  de- 
vrait être  exactement  coupé  en  deux  comme  une  demi-lune.  Or,  au 
mois  d'août  1793,  Schrôter  trouva  le  terminateur  légèrement  con- 
cave, et  ce  n'est  que  huit  jours  plus  tard  qu'il  devint  rectiligne. 
Màdler  fit  une  observation  identique  en  1836,  et  arriva  à  la  con- 
clusion que  l'aspect  de  demi-lune  se  présente  six  jours  avant  ou 
après  l'époque  calculée,  suivant  la  direction  du  mouvement  de  la 
planète;  le  même  observateur  remarqua  une  différence  analogue 
dans  la  largeur  du  croissant.  En  1839,  le  P.  de  Vico,  directeur 
de  l'Observatoire  du  collège  romain,  constata  cette  même  différence, 
mais  pour  trois  jours  seulement.  Le  6  mars  1833,  Wehb  avait  fait 
la  même  remarque  à  l'aide  d'un  médiocre  instrument  et  sans 
savoir  que  d'autres  avaient  remarqué  cette  différence.  C'est  là 
une  anomalie  qu'il  n'est  pas  facile  d'expliquer,  quoique  les  mon- 
tagnes et  l'atmosphère  de  Vénus  doivent  jouer  le  principal  rôle 
dans  la  production  de  ce  phénomène.  Nous  y  reviendrons  plus  loin. 

La  lumière  de  Vénus  est  si  forte,  qu'il  arrive  parfois  qu'elle  porte 
ombre.  J'ai  un  soir  constaté  ce  fait  sans  m'y  attendre,  et  sans  y 
avoir  aucunement  songé.  Revenant  d'un  voyage  en  Italie,  au  prin- 
temps de  1873,  je  m'arrêtai  à  Vintimille,  où  le  train  d'Italie  passait 
vers  neuf  heures  du  soir.  C'était  le  23  mars.  Conduit  par  un  guide 
à  travers  la  ville  obscure,  je  m'aperçus  un  moment  que  trois  ombres 
nous  suivaient  à  notre  gauche  le  long  d'un  mur  de  jardin  près 
duquel  nous  marchions.  Fort  surpris  de  cette  ombre  produite  sans 
clair  de  lune  et  sans  réverbères,  je  la  fis  remarquer  à  mes  deux 
compagnons,  qui  la  reconnurent  aussi  bien  que  moi.  Elle  était  très 


LES    PHASES    DE    VÉINIÎS 


nottciiicnt  et  fortement  accusée.  Le  ciel  était  peuplé  d'étoiles 
brillantes.  Mais  il  n'y  avait  à  notre  droite  que  Vénus  comme  astre 
de  première  grandeur,  et  brillant  au  surplus  d'un  tel  éclat,  que  ses 
feux  paraissaient  plus  éclatants  à  eux  seuls  que  tous  ceux  du  firma- 
ment réunis.  Le  mur  était  d'un  blanc  sale  et  presque  gris;  s'il  eût 
été  blanc,  nos  ombres  eussent  été  beaucoup  plus  marquées  encore. 

Les  semaines  suivantes,  à  Nice,  je  renouvelai  l'expérience  sur  du 
papier;  l'ombre  des  doigts,  d'un  crayon,  d'un  objet  quelconque,  s'y 
dessinait  avec  la  plus  grande  netteté. 

Depuis,  j'ai  souvent  remarqué  le  même  fait,  et  chacun  peut  l'ob- 
server facilement,  surtout  en  en  étant  prévenu. 

A  quelle  phase  Vénus  est-elle  la  plus  brillante? 

Si  elle  n'avait  pas  de  phases,  si  elle  brillait  par  elle-même,  son 
plus  grand  éclat  arriverait  naturellement  à  l'époque  où  elle  se  trouve 
à  sa  plus  petite  distance.  Mais  comme  elle  ne  fait  que  réfléchir  la 
lumière  qu'elle  reçoit  du  Soleil,  il  est  facile  de  voir  que  lorsqu'elle 
passe  à  sa  plus  petite  distance  de  la  Terre,  entre  le  Soleil  et  nous, 
file  tourne  précisément  de  notre  côté  son  hémisphère  non  éclairé, 
de  sorte  qu'elle  cesse  d'être  même  visible  pendant  quelques  jours.  De 
plus,  alors,  elle  est  si  voisine  du  Soleil,  qu'on  ne  saurait  la  découvrir. 

La  phase  de  plus  grand  éclat  de  Vénus  arrive  à  l'endroit  où  sa 
digression  orientale  ou  occidentale  est  de  39"  j,  position  où  elle 
se  montre  dans  les  lunettes  avec  le  quart  de  son  disque  illuminé, 
comme  la  Lune  à  son  quatrième  jour.  La  planète  passe  par  cette 
position  69  jours  avant  et  après  sa  conjonction  inférieure.  Son  dia- 
mètre apparent  est  alors  do  40",  et  la  largeur  de  sa  partie  éclairée 
est  à  peine  de  10".  Ce  maximum  d'éclat  correspond  à  la  troisième  des 
phases  représentées  à  la  figure  suivante.  En  cette  position,  Vénus  est 
beaucoup  plus  proche  de  la  Terre  que  lorsqu'elle  est  à  sa  plus  grande 
distance  apparente  ou  à  son  élongation  orientale  et  occidentale. 
Mais  lorsqu'elle  s'approche  davantage  de  nous,  la  diminution  de 
largeur  de  son  croissant  fait  plus  que  contrebalancer  l'accroisse- 
ment de  lumière  du  à  sa  plus  grande  proximité.  D'un  autre  côté, 
lorsqu'elle  s'éloigne,  la  phase  augmente  de  largeur  et  devient 
bientôt  semblable  à  celle  de  la  lune  en  quadrature,  et  elle  s'accroît 
davantage  encore  à  mesure  que  la  planè!e  s'éloigne  de  nous.  Mais 
néanmoins  sa  grandeur  apparente  et  sa  lumière  diminuent  rapide- 


vKNis  vl:k  kn  plein  .midi 


iiu'iil.  llr  l'ait,  la  phase  qui  correspond  à  celli'  de  la  Lune  en  qua- 
drature, et  qui  se  présente  à  l'épocpie  des  plus  grandes  élongations, 
nous  envoi(!  environ  les  trois  ipiails  de  la  luniiére,  qui  marque 
l'épocpie  de  l'éclat  maximum.  Si  nous  pouvions  voir  la  planète 
lorsqu'(dle  arrive  à  sa  plus  grande  dislance  au  delà  du  Soleil,  et 
que  son  disque  est  circulaire,  son  éclat  serait  réduit  au  (juart  du 
maximum  signalé  plus  haut. 

Comme  contraste  avec  Vénus,  on  peut  remari|uer  (|ue  le  plus 
grand  éclat  de  Mercure  arrive  à  une  phase  bien  dillérente,  à  une 


l'ig.  ilil.  —  Gnindeui-  com|iarée  des  quatre  phases  principales  de  Vérms 

phase  qui  correspond  à  celle  de  la  Lune  le  lendemain  du  premier 
quartier,  lorsque  la  planète  arrive  dans  la  section  de  son  orbite  la 
plus  éloignée  de  la  Terre,  car  pour  Mercure  la  diminution  de 
lumière  due  au  décroissement  du  diamètre  apparent  du  disque, 
est  plus  que  compensé  par  l'accroissement  de  la  largeur  de  la 
phase.  Une  planète  qui  graviterait  à  la  distance  de  66  millious  de 
kilomètres  du  Soleil  donnerait  son  maximum  d'éclat  à  la  phase  de 
la  quadrature;  une  idanéte  plus  éloignée  donnerait  ce  maximum 
pour  une  phas(>  en  croissant,  comme  c'est  le  cas  de  Vénus,  et  une 
moins  éloignée  lors(pie  la  phase  surpasserait  la  quadrature,  comme 
il  arrive   pour  Mercure. 


Le  pejple  ila  Paris  prenanl  Venus  p;-ui-  •  réloik  de  bouujxuie  i 


\  KM  .s    \  11.    L.N    l"l.tl.N    Mllll 


Ce  plus  grand  éclat  doit  arriver  à  peu  prés  tous  les  huit  ans, 
parce  que  la  situation  de  Vénus  et  de  la  Terre  l'une  par  rapport  à 
l'autre  se  retrouve  à  peu  près  la  môme  après  cet  intervalle.  Mais  la 
saison,  l'état  du  ciel,  la  hauteur  de  la  planète  au-dessus  de  l'hori- 
zon, apportent  autant  de  causes  de  variations  dans  cette  visibilité. 
Lorsque  ces  diverses  circonstances  sont  réunies,  Vénus  est  visible 
en  plein  jour. 

Les  anciens  l'avaient  déjà  reinanpié.  Varron  rappurte  qu'Énée, 
dans  son  voyage  de  Troie  en  Italie,  apercevait  constamment  cette 
planète,  sa  patronne,  malgré  la  présence  du  Soleil. 

Les  années  398,  984,  lOOS,  1014,  1077,  1280,  1363,  171(3,  1750, 
1797,  1857,  sont  restées  remarquajjles  à  cet  égard. 

En  1716  et  en  1750,  il  y  eut  à  Paris  et  à  Londres  un  bruit  consi- 
dérable à  propos  de  cette  visibilité  de  la  planète  en  plein  jour:  on 
la  prenait  pour  une  étoile  nouvelle. 

En  1797,  le  général  Bonaparte,  se  rendant  au  palais  du  Luxem- 
bourg, fut  fort  étonné  de  voir  que  le  peuple  fixait  son  attention 
sur  le  ciel  au  lieu  de  le  regarder  lui-même.  Il  questionna  son  état- 
major,  et  apprit  que  les  curieux  voyaient  avec  surprise,  quoique 
ce  fût  en  plein  midi,  une  étoile  qu'ils  prenaient  pour  celle  du 
vainqueur  de  l'Italie  :  c'était  Vénus  elle-même  brillant  non  loin 
du  Soleil. 

En  1857,  au  mois  d'avril,  l'éclat  de  la  même  planète  traversa  de 
nouveau  la  lumière  du  jour,  et  les  vues  perçantes  pouvaient  la 
distinguer  en  plein  midi,  brillant  à  40  degrés  à  l'ouest  du  Soleil. 
On  s'arrêtait  à  Paris,  notamment  sur  la  place  de  la  Concorde,  où 
des  observateurs,  cx'oyant  avoir  affaire  à  une  comète,  ajoutaient 
même  qu'on  eu  distinguait  la  queue. 

On  a  remarqué  aussi  ce  brillant  éclat  en  mai  1868,  juin  187G  et 
février  1883  ('). 

Vénus  est  le  seul  astre  qui  puisse  être  vu  à  l'œil  nu  en  plein 
midi. 


(')  Au  mois  de  février  4883,  Vénus  s'est  montrée  admirablement  visible  pendant  le 
jour,  de  diverses  contrées  où  l'atmosphère  était  bien  pure.  Nous  signalerons,  parmi  les 
observations  qui  nous  ont  été  transmises,  celles  de  M.  folaché  et  des  membres  de  la 
Soc<éli  scif.iiUfique  Flammarion  do  laën  (Esp;iyne),  et  celles  de  M.  Du  Buisson,  à  l'île 
de  la  Réunion.  Remarque  assez  curieuse,  ces  deux  observations  ont  été  faites  le  même 


VK.NUS   VUE   EN   l'I.EI.N  MIDI 


Mais  le  soir  i>\\  Ir  in.iMii,  avi.iit  li'  coucher  ou  a[)rés  le  lever  du 
Soleil,  on  a  {[m'iiiiiefnis  apcrcii  .Iii[)ilcr,  Sirius,  (_!lanoi)us  d   Vi\l;;i. 

En  la  ciimparaiil  à  la  hunirrc  ilc  la  l'Ieine-Luni',  nn  trouve  i[ue 
la  clarté  que  imus  recevons  de  Vénus  esl  environ  lOOII  lois  plus 
faible. 

\  oici  niaiuLenaul  un  fait  d'observation  bien  ùnignuiliqu'^  eu 
lui-même  et  fort  ditBoile  à  exiili({uer. 

Tout  le  monde  a  pu  remanjuer  que  lorsque,  le  troisième  et  le 
quatrième  jour  di^  la  lunaison,  la  Lune  brille  dans  le  ciel  du  soir 
sous  la  forme  d'un  croissant  lumineux,  on  distingue  dans  l'intérieur 
du  croissant  le  corps  tout  entier  du  glolie  lunaire,  non  pas  lumi- 


Fig.  112.  —  Le  Soleil,  la  Lune  et  VOniis  vus  à  l'œil  nu,  le  4  février  1883. 

neux  comme  le  croissant,  mais  presque  aussi  obscur  que  le  ciel, 
et  teinté  d'une  faible  lumière  grise.  Il  en  est  de  même  lorsqu'avant 
la  nouvelle  Lune,  notre  satellite  lirille  le  matin  sous  la  forme  d'un 
croissant  opposé  à  celui   du    soir. 

Cette  lumière  secondaire,  noiimiée  hintirrr  ccii'lrrc,  u'appai- 
tient  pas  à  la  Lune  elle-même  :  elle  est  due  à  la  réllexinn  de  la 
lumière  île  la  Terre  éclairée.'  par  le  Soleil  :  c'est  le  rjeflet  d'un 
reflet. 

Or,  cette  liiniièiv  cendrée  a  été  vue  sur  Vénus  comme  sur  la 
Lune.  Oiniiiieiit  cela  peut-il  se  faire?  11  n'y  a  pas  auprès  de  Vénus 
un  astre   (pii   joue    [loiir  elle    le   n'ije  de  la  Terre    à  l'éganl  de  la 

jiMir.  il'  t  l'iM-icr.  ù  |)iii|Mis  (lu  passage  de  Vénus  tout  prés  de  la  Lune,  en  plein  midi. 
Tout  le  iiuimli',  unis  iLiil  nu.  pouviiit  lain-  cette  observation.  Xcuis  reproduisons  iei  le 
dessin  lait  en  Kspai^ne,  luonlraut  lu  posiliou  de  la  liiillaute  plaïu'-te.  ;i  •.•'  ii  droitiMle  la 
l.une  et  à  37'  du  Soleil,  à  11  lieure>  du  lualiii  (heure  de  laën).  Dans  une  lunette,  Vénus 
otTrait  l"as|ieet  rrprési'iili'  ti^uri"  II:!. 


LA    Ll.MlKKK    CKMlUKK    I)  F.    VE.MS 


Liiiio  l't  (|ni  iV-flrcliissL'  quelque  lumière  sur  son  hémisphère  non 
éclairé,  (jui'lle  peut  être  la  cause  de  cette  singularité?  Mais 
avant  de  sUccniier  des  explications,  l'important  est  de  savoir 
si  réellement  cette  lumière  secondaire  existe.  Comme  notre  hut 
dans  cet  oiivrayc  est  de  connaître  tons  les  détails  qui  intéressent 
chacun  des  inumles  de  notre  syst''Mne  sfijaire,   voyons  quelles  sont 


l.;t  Lune  vue  à  l'œil  nu 


Vénus  observée  ù  la  lunette  (-t  lé 


ISS3). 


les  ohservations  certaines  qui  ont  été  faites  sur  cette  clarté  mysté- 
rieuse. 

La  première  en  date  se  trouve  dans  la  Thôolorfw  astronomique  du 
recteur  anglais  Derham,  publiée  en  1715  et  traduite  en  français  en  l??',). 
On  y  lit  le  passage  suivant  :  «  Lorsque  la  planète  (Vénus)  paraît  sous  la 
forme  d'une  faux,  on  peut  voir  la  partie  obscure  de  son  globe,  à  l'aide 
d'une  lumière  d'une  couleur  terne  et  un  peu  rougeâtre.  » 

Dans  l'ordre  des  tliites,  la  seconde  observation  de  la  partie  uliscurc  de 
Vénus  appartient  à  André  Mayer:  la  voici:  «  Le  '20  octobre  1759,  à  midi 
45  minutes,  passage  au  méridien  de  la  corne  inférieure:  la  partie  lumi- 
neuse de  Vénus  était  très  mince,  cependant  le  disque  entier  apparut  de 
la  même  façon  que  la  portion  de  la  Lune  vue  à  l'aide  de  la  lumière 
réfléchie  sur  la  Terre.  » 

Ainsi  Mayer  observa  le  phénomène  pendant  le  jour,  au  moment  du 
passage  au  méridien,  et  à  l'aide  d'une  lunette  de  force  très  médiocre. 

En  180t).  Hardiua  vit  trois  fois  le  disque  entier  de  Vénus  à  des  époques 


LA    MIJIIÈRE   CENDRÉE   DE   VÉNUS 


OÙ,  par  l'éclairement  ordinaire,  il  auraiL  dû  n'en  apercevoir  qu'une  très 
petite  partie.  Le  24  janvier,  à  nuit  close,  la  lumière  exceptionnelle  se 
distinguait  de  celle  du  ciel  par  une  teinte  gris  cendré  très  faible,  et  dont 
le  contour  parfaitement  déterminé  paraissait  éclairé  par  le  soleil.  Le 
28  février,  la  lumière  de  la  région  obscure,  vue  dans  une  faible  lueur 
crépusculaire,  semblait  légèrement  rougeàtre.  Le  14  mars,  dans  un 
crépuscule  sensiblement  plus  fort,  Harding  fît  une  observation  analogue. 

Le  11  février  de  la  même  année,  sans  avoir  eu  connaissance  des 
observations  du  professeur  de  Gœttingue,  Schrœter  aperçut  aussi  à 
Lilienthal  la  partie  obscure  de  Vénus,  qui  dessinait  dans  le  ciel  une  lueur 
terne  et  mate.  Ultérieurement,  Gruithuisen,  de  Munich,  fit  une  obser- 
vati^on  analogue  à  celle  de  son  collègue  de  Lilienthal,  le  8  juin  182.5,  ù 
quatre  heures  du  matin. 

Pastorff  a  observé  deux  fois  cette  vague  clarté.  Guthrie  et  d'autres  l'ont 
notifiée  en  Ecosse  pendant  l'année  1842.  De  Vico  et  Palomba  déclarent 
l'avoir  vue  plusieurs  fois  à  Rome  en  1839. 

Voyons  les  observations  faites  en  ces  dernières  années  sur  ce 
même  sujet  ('). 

Le  14  janvier  1862,  M.  Berry,  oncle  de  l'astronome  anglais  Knott,  ne 
connaissant  pas  d'avance  cette  visibilité,  la  remarqua  en  observant  la 
planète  dans  un  petit  télescope  grégorien  de  4  pouces,  dont  l'oculaire 
grossissait  160  fois.  La  partie  oculaire  du  disque  était  parfaitement  visible 
et  comme  teintée  d'une  lumière  cendrée. 

Plusieurs  observateurs  ont  également  notifié  ce  phénomène  en  1862 
et  186.3. 

Le  5  février  1870,  M.  Langdon,  dont  nous  rapporterons  plus  loin  les 
observations  relatives  aux  taches  de  la  planète,  vit,  ainsi  que  plusieurs 
autres  personnes,  le  disque  entier  éclairé  par  la  lumière  cendrée. 

Le  capitaine  Noble,  dont  l'observatoire  est  situé  au  comté  de  Sussex 
(Angleterre),  l'observa  le  22  février  1870,  la  veille  du  jour  de  la  conjonc- 
tion. Le  croissant  ne  s'étendait  pas  tout  à  fait  jusqu'à  un  demi-cercle. 
En  diminuant  le  champ  de  la  lunette,  il  parvint  à  distinguer  tout  le  corps 
de  la  planète,  mais  sans  une  limite  nette  au  contour.  Le  ciel  n'était  pas 
très  pur. 

Le  25  septembre  1871,  à  Sti'asbourg,  l'astronome  allemand  Winnecke 
distingua  parfaitement  en  plein  jour,  comme  André  Méier  en  1759,  le 
corps  obscur  de  Vénus  éclairé  d'une  faible  lumière.  C'était  un  peu  avant 
midi.  L'atmosphère  était  extraordinairement  pure. 

Le  22  mars  1873,  à  6  heures  40  minutes  du  soir,  la  phosphorescence 

(')  Consulter  les  Monthly  Notices  of  the  Royal  Aslronomical  Society,  et  la  Revue 
mensuelle  L'Astronomie. 

TERRES   DU  CIEL.  3S 


I.A    LUMIÈRE   CENDKÉE    DE    VENUS 


du  disque  non  éclairé  était  parfaitement  visible,  dans  une  lunette 
achromatique  de  4  pouces  d'ouverture,  pour  M.  Elger,  dont  nous  rappor- 
terons plus  loin  aussi  les  observations  variées. 

Le  19  avril  1873,  le  corps  entier  de  la  planète  était  visible  dans  le 
télescope  à  miroir  à  verre   argenté  de  M.  Langdon. 

Pour  ma  part,  je  n'ai  vu  qu'une  fois  ce  même  aspect,  le  2  avril  187(3,  à 
l'aide  d'une  lunette  de  4  pouces,  et  encore  était-il  peu  prononcé.  Obser- 
vation faite  au  crépuscule. 

M.  ArcimisetM.  VanErtborn,  en  1876,  ont  observé  cette  lumière  pendant 
le  jour,  comme  Méier  l'avait  fait  en  1859,  ainsi  que  Winnecke  en  1871. 

Comment  ces  observations  peuvent-elles  s'expliquer? 

Cette  visibilité  de  la  portion  non  éclairée  du  disque  de  Vénus  est 
-in  problème  difficile  à  résoudre,  d'autant  plus  que  l'observation  de 
cette  lumière  cendrée  a  plutôt  été  faite  pendant  le  jour  ou  au  cré- 
puscule que  pendant  la  nuit  (').  Si  l'intérieur  du  disque  de  Vénus 
n'avait  été  vu  qu'à  l'époque  de  la  conjonction,  on  pourrait  fort 
Itien  attribuer  cette  visibilité  à  l'anneau  atmosphérique  qui 
entoure  la  planète  lorsqu'elle  est  proche  du  Soleil.  —  Nous  en 
reparlerons  plus  loin  à  propos  de  l'atmosphère  de  Vénus.  —  Mais 
il  n'en  est  pas  ainsi  pour  toutes  les  observations. 

Olbers,  dans  son  mémoire  sur  la  transparence  du  firmament, 
adopte  l'opinion  que  la  lumière  qui  nous  fait  voir  ce  disque  opaque 
provient  d'une  sorte  de  phosphorescence. 

Cette  même  opinion  avait  été  antérieurement  professée  par 
William  Herschel,  qui,  en  rappelant  dans  un  mémoire  de  1795, 
que  la  portion  de  Vénus  non  éclairée  par  le  Soleil  a  été  vue  par 
ditïérents  observateurs,  croit  ne  pouvoir  rendre  compte  de  l'existence 
du  phénomène  qu'en  l'attribuant  à  quelque  propriété  phospho- 
rique  de  l'atmosphère  de  la  planète. 

Arago  se  demandait  si  ce  rare  et  curieux  phénomène  ne  pourrait 
pas  être  expliqué  à  l'aide  d'une  certaine  lumière  cendrée  analogue 

(')  On  peut  signaler  à  ce  propos  une  curieuse  observation  faite  par  M'"°  Webb  le 
30  juin  1880,  à  7  heures  30  minutes  du  malin,  près  du  lac  Majeur.  La  Lune  était  alors 
en  son  dernier  quartier,  à  21  iieiires  et  demie  après  la  quadrature,  et  encore  à  une  grande 
liautcur  dans  U:  ciel,  mais  pile  dans  la  lumière  du  jour  :  l'observa t.rice  constata  avec 
étonnement  que  le  côté  non  éi'lairé  de  la  Lune  était  visible,  de  couieur  lilas  sur  le  fond 
bleu  du  ciel,  et  irrégulièrement  ombré,  plus  blanc  vers  le  sud-ouest,  comme  cela 
devait  être,  en  effet.  M"'  Webb  confirma  son  observation  à  l'aide  d'une  jumelle.  Pour- 
tant, ni  M.  Wclili,  ni  leur  domestique,  ne  purent  rien  distinguer. 


LA    I.UMII';i!K    CENDREE    DE    VÉ.MS 


a  cello  de  notre  Lune,  et  qui  aurait  sa  cause  dans  la  lumière  réflé- 
chie par  la  Terre  ou  par  Mercure  vers  la  planète.  Mais  ce  ne  serait 
pas  là  une  lumière  suffisante,  et  Arago  concluait  lui-même  que 
l'explication  est  difficile  à  donner.  «  Si  la  phosphorescence  était 
toujours  visible  dans  les  circonstances  favorables,  écrit-il,  on 
pourrait  certainement  l'admettre;  mais  elle  est  si  rarement  observée 
que  l'on  se  demande  comment  une  cause  occasionnelle  pourrait 
agir  ainsi  à  la  fois,  sur  toute  la  surface  d'une  planète  aussi  vaste 
que  la  nôtre.  De  plus,  une  telle  phosphorescence  devrait  être 
mieux  visible  la  nuit  que  le  jour.  Si  donc  le  phénomène  est  réel, 
pourquoi  n'est-il  pas  visible  lorsque  les  circonstances  sont  les 
plus  favorables?  On  serait  donc  porté  à  attribuer  cette  visibilité  à 
une  illusion  d'optique  ». 
Nous  pencherions  plutôt  vers  l'explication  suivante  : 
Chacun  a  pu  remarquer  que  pendant  la  nuit  étoilée  la  plus 
profonde  il  y  a  assez  de  lumière  diffuse  pour  que  l'on  distingue 
parfaitement  les  objets  de  la  campagne,  le  chemin  que  l'on  suit, 
et  surtout  les  objets  blancs,  particulièrement  la  neige. 

Or,  le  globe  de  Vénus  a  une  très  grande  intensité  de  réflexion  : 
il  est  très  blanc,  sans  doute  environné  de  nuages  à  surface  neigeuse. 
Ce  globe  si  blanc  ne  peut-il  réfléchir  vaguement  la  lumière  stellaire 
répandue  dans  l'espace,  tandis  que  l'espace  reste  absolument 
noir?  Ne  suffirait-il  pas  que  cette  clarté  fût  faiblement  accusée 
pour  que  l'œil  continuât  instinctivement  le  contour  du  croissant  et 
devinât  le  reste  du  globe,  qu'il  ne  distinguerait  pas  sans  cela?  Cette 
lumière  cendrée  ne  serait  visible  que  lorsque  ce  globe  serait  entiè- 
rement couvert.  Peut-être  ces  nuages  sont-ils  doués  d'une  certaine 
phosphorescence,  comme  les  nôtres  en  montrent  parfois,  notam- 
ment au  printemps.  Peut-être  aussi  assistons-nous  d'ici  à  des 
aurores  boréales  de  l'atmosphère  de  Vénus.  Les  nuages  si  blancs 
qui  entourent  constamment  la  planète,  leur  phosphorescence 
possible,  ou  des  aurores  boréales,  forment  un  ensemble  d'expli-  . 
cations  que  l'on  peut  accepter  provisoirement.  —  Peut-être  sera-ce 
ici  comme  en  politique,  où  c'est  le  provisoire  qui  reste 


'jovj'^rîînîav^^ 


CHAPITRE  III 

Dimensions.  —  Surface.  —  Volume.  —  Poids. 

Densité.  —  Rotation.  — Inclinaison  de  l'axe.  —  Jours  et  nuits.  —  Années. 

Saisons.  —  Climats.  —  Satellite. 

Cette  brillante  étoile  du  soir^  qui  verse  sa  douce  lumière  du  haut 
des  cieux,  est  loin  d'être  un  point  lumineux  comme  elle  le  paraît  à 
l'œil  nu.  La  distance  seule  qui  nous  en  sépare  produit  cette  exiguïté. 
En  réalité,  c'est  un  globe  énorme,  sur  lequel  nous  pourrions  mar- 
cher et  voyager  comme  sur  la  Terre.  L'imagination  pourra  en  faire 
le  tour,  et  le  mesurer  par  la  pensée,  si  nous  supposons  qu'un  Océan 
entoure  entièrement  la  planète  Vénus,  et  que  le  plus  rapide  de  nos 
navires  à  vapeur  soit  lancé  sur  ses  eaux  :  il  emploierait  plus  de  deux 
mois  à  en  faire  le  tour;  pendant  70  ou  80  jours  l'hélice  mordrait  les 
eaux,  et  les  ondes  du  sillage  bouillonneraient  à  la  poupe  du  navire 
dans  ce  voyage  de  circumnavigation,  avant  que  nous  eussions  ac- 
compli notre  traversée  autour  de  ce  vaste  globe,  qui  est  à  peine  infé- 
rieur à  celui  que  nous  habitons. 

Toutes  les  observations  et  tous  les  calculs  s'accordent  à  donner  à  la 
Terre  vue  du  Soleil  le  diamètre  de  17",72.  C'est  la  grandeur  angulaire 
d'une  bille  de  10  centimètres  de  largeur  placée  à  11 64  mètres  de  l'œil. 

Les  mesures  micrométriques  faites  depuis  plus  d'un  siècle  sur  la 
planète  Vénus,  corrigées  de  toutes  les  causes  possibles  d'erreur,  re- 
commencées et  vérifiées  de  toutes  les  façons,  nous  démontrent  que 
cette  planète  est  à  peu  près  de  mêmes  dimensions  que  la  Terre. 
Voici  les  nombres  obtenus  pour  exprimer  l'angle  qu'elle  sous-tend, 
vue  à  la  distance  qui  nous  sépare  du  Soleil,  distance  prise  pour  unité 


VÉNfS.  —  VOLUME.  SURFACE 


dans  les  mesures  interplanétaires.  William  Herschel  avait  trouvé 
18",7fl,  ce  qui  donnait  un  diamètre  un  peu  plus  grand  que  celui  de 
la  Terre.  M.  Main  avait  trouvé  un  diamètre  un  peu  moins  grand  que 
celui  d'Herschel,  mais  cependant  encore  plus  grand  que  celui  de  la 
Torro.  Longtemps  on  s'est  demandé  si  décidément  cette  planète  est 
plus  grosse  que  la  nôtre.  Dans  tous  les  cas,  la  différence  ne  pouvait 
être  bien  grande.  Les  dernières  mesures  sont  :  Stonc,  1865  (Obser- 
vatoire de  Greenwich)  :  16"/J4;  —  Powalky,  1871  (Passages  de  Vénus 
de  1761  et  1769)  :  16",92;  —  Tennant,  1875  (Passage  de  Vénus  de 
1874):  16",90;  — Hartwig,  1881  (Mesures  micrométriques)  :  17"55('). 

La  discussion  définitive  donne  l'avantage  au  globe  que  nous  liabi- 
tons.  Mais  notre  supériorité  sur  lui  n'est  que  de  quelques  centaines 
de  lieues  carrées;  encore  faudrait-il  savoir  si  les  trois  quarts  de  sa 
surface  sont  comme  ici,  rendus  inhabitables  par  l'envahissement  des 
eaux. 

Comme  dimensions,  Vénus  est  la  planète  qui  ressemblf  le  [dus  à 
la  Terre.  Son  diamètre  est  de  0,954  en  prenant  celui  de  la  Terre 
pour  unité,  c'est-à-dire  qu'il  est  de  1-2000  kilomètres;  sa  circonfé- 
rence mesure  par  conséquent  9500  lieues;  son  volume  est  égal  aux 
87  centièmes  du  volume  de  la  Terre  ;  sa  surface  dépasse  les  90  cen- 
tièmes, c'est-à-dire  qu'elle  est  presque  égale  à  celle  de  notre  planète. 
Aucun  autre  globe  du  système  ne  pourrait  offrir  une  telle  similitude 
avec  le  nôtre.  Jupiter,  par  exemple,  est  1230  fois  plus  volumineux  que 
la  Terre,  Saturne  675  fois,  Neptune  85  fois,  Uranus  75  fois  :  ce  sont  des 
colosses  auprès  de  nous.  Le  volume  de  Mars  au  contraire  n'est  que 
les  16  centièmes  de  celui  de  la  Terre,  et  le  volume  de  Mercure  les 


^')  Afin  que  nos  lecteurs  puissent  se  rendre  compte  de  la  nuinière  Ires  simple 
dailleurs,  dont  ces  mesures  sont  obtenues,  nous  dirons  que  le  micromètre  se  compose 
essentiellement  de  deux  fils  mobiles,  entre  lesquels  on  place  la  planète.  Ces  fils  sont 

montés  sur  deux  petites  plaques  qui  jilisspnt 
dans    un   cadre  à  l'aide    d'une  vis.  Les  fils 
peuvent  être  placés  juste  l'un  devant  l'autre, 
j    puis  s'écarter  à  volonté.  On  met  li'   bord  de 
la  planète  juste  tangent  au  fil  de  gaurlie,  par 
exemple,  puis  on  tourne  la  vis  de  droite  jus- 
qu'à ce  que  le  fil  de  droite  vienne  toucher 
le  bord  droit  de  la   planète.  Connue  on  a 
d'avance  la  valeur   ilu  tour  de  vis,   on  conclut  du  nombre  des  tours  faits  la 
;éométrique  du  diamètre  de  la  planète.   On  voit  combien   toutes  ces  mesures 


vnismc  du  mien 


calcul 
valeui 
sont  simples,  tout  en  étant  très  précises 


VÉNUS.  —  POIDS.    DENSITÉ 


5  centièmes.  Celui  de  la  Lune  n'est  que  la  49°  partie  du  volume  de  la 
Terre,  c'est-à-dire  un  peu  plus  du  tiers  de  celui  de  Mercure,  et  son 
diamètre  mesure  870  lieues.  Enfin  les  plus  grosses  des  minuscules 
planètes  qui  circulent  entre  Mars  et  Jupiter  ne  mesurent  qu'une  cen- 
taine de  lieues,  et  les  plus  petites  descendent  même  à  un  diamètre 
de  quelques  lieues  seulement.  On  voit  que  dans  toutes  ces  diversités, 
Yènus  peut  vraiment  être  nommée  la  sœur  jumelle  de  la  Terre. 

Tel  est  le  volume  de  notre  planète  voisine.  Quel  est  son  poids  ? 
Si  elle  avait  un  satellite  tournant  autour  d'elle,  nous  pourrions  faci- 
lement calculer  ce  poids,  comme  nous  l'avons  fait  plus  haut  pour 
Mars,  par  la  vitesse  de  son  mouvement.  Mais  nous  verrons  tout  à 
l'heure  que  les  observations  qu'on  a  cru  faire  de  ce  satellite  ne 
sont  rien  moins  que  concluantes. 

En  l'absence  de  ces  observations,  on  a  donc  dû  peser  le  globe  de 
Vénus  par  les  perturbations  que  son  attraction  fait  subir  à  ses  deux 
planètes  voisines,  la  Terre  et  Mercure  :  lorsque  Vénus  passe  entre 
le  Soleil  et  nous,  par  exemple,  elle  nous  tire  légèrement  vers  elle 
et  dérange  notre  globe  tout  entier,  comme  le  fait  la  Lune  qui,  au 
premier  quartier,  nous  tire  en  avant,  et  au  dernier  quartier,  nous 
retarde  comme  un  frein.  Merveilleuse  légèreté  des  mondes  !  la 
Terre  est  pareille  au  ballon  d'enfant  qui  flotte  dans  l'air  :  la  moindre 
influence  la  dérange  de  son  cours,  et  c'est  en  observant  minutieuse- 
ment ces  dérangements  qu'on  a  pu  faire  la  part  précise  de  Vénus 
dans  les  perturbations  apportées,  et  en  conclure  sa  puissance,  c'est- 
à-dire  son  poids.  La  masse  du  globe  de  Vénus  peut  se  déduire 
de  la  précession  des  équinoxes  comme  du  mouvement  de  Mercure. 

Les  calculs  s'accordent  à  prouver  que  cette  planète  pèse  moins 
que  la  nôtre.  En  représentant  par  le  chiffre  1000  la  masse  de  la 
Terre,  celle  de  Vénus  est  représentée  par  787.  La  connaissance  de 
son  volume  permet  d'en  conclure  la  densité  moyenne  des 
matériaux  qui  la  composent  :  elle  est  un  peu  plus  faible  que 
celle  de  notre  globe  (=  0,905).  Enfin  la  pesanteur  des  corps  est 
également  plus  faible  sur  cette  planète  que  sur  la  nôtre;  car  en 
désignant  par  1000  l'intensité  de  la  pesanteur  à  la  surface  de  la 
Terre,  cette  même  force  est  sur  Vénus  repi'ésentée  par  le  chilîre 
864.  —  Les  habitants  de  ce  monde  sont  un  peu  plus  légers  que  nous. 


VÉNUS.  —  POIDS.   DENSITÉ.  ROTATION 


En  résumé,  nous  voyons  que  Vénus  et  la  Terre  sont  deux  mondes 
remarquablement  rapprochés  par  leurs  éléments  astronomiques 
comme  par  leur  position  dans  le  système  solaire.  En  est-il  de  même 
des  conditions  physiologiques? 

Et  d'abord,  cette  planète  tourne-t-elle  sur  elle-même  comme 
la  nôtre?  Possède-t-elle  comme  la  nôtre  des  alternatives  de  jours 
et  de  nuits  qui  rappellent  de  près  ou  de  loin  ce  qui  se  passe  chez 
nous?  Oui,  malgré  les  doutes  que  l'on  a  émis  sur  les  résultats 
obtenus,  nous  pouvons  considérer  comme  très  probable,  sinon 
comme  tout  à  fait  certain,  que  ce  monde  voisin  tourne  sur  son 
axe  en  23  heures  21  minutes  22  secondes.  La  durée  du  jour  et  de 
la  nuit  réunis  y  est  donc  à  peu  près  la  même  qu'ici  .  la  différence 
n'est  que  de  34  minutes  en  moins. 

Pour  les  régions  équatoriales  de  Vénus,  comme  pour  celles  de  la 
Terre,  le  jour  est  pendant  toute  l'année  égal  à  la  nuit;  sa  durée  y  est 
constamment  de  11  heures  40  minutes.  Mais,  sous  toutes  les  autres 
latitudes,  cette  durée  varie  considérablement  suivant  les  saisons, 
comme  chez  nous,  et  plus  encore.  Nous  en  verrons  les  détails  en 
nous  occupant  de  l'intensité  des  saisons  et  des  climats  de  cette 
planète. 

Gassini  est  le  premier  qui,  étant  parvenu  à  remarquer  quelques 
taches  sur  son  disque,  en  suivit  le  mouvement,  et  conclut  à  l'exis- 
tence d'une  rotation,  que  ses  mesures,  commentées  par  son  fils, 
portaient  à  23  heures  15  minutes.  Ces  observations  datent  de  plus  de 
deux  siècles,  de  1666.  Elles  ont  été  faites  en  Italie,  avant  que 
Louis  XIV  eût  appelé  cet  astronome  à  la  direction  de  l'Observatoire 
de  Paris,  qui  venait  d'être  fondé.  On  trouvera  les  principales  à  la 
figure  suivante,  d'après  l'ouvrage  du  fils  de  Gassini  :  les  dessins  de 
1666  et  1667  sont  de  Gassini;  les  deux  de  1728  sont  une  reproduc- 
tion de  ceux  de  Bianchini,  que  l'on  trouvera  plus  loin,  au  chapitre 
de  la  Géographie  de  Vénus. 

Soixante  ans  plus  tard,  en  1726,  Bianchini,  autre  astronome  ita- 
lien, trouvait  24  jours  8  heures  pour  cette  même  durée  de  rota- 
tioT?  Cette  énorme  différence  provenait  de  ce  qu'il  avait  observé  la 
mère  tache  revenue  à  une  position  identique  après  une  période  de 
25  rotations  entières,  ce  qui  donne,  par  la  division,  23''  22°"  pour  la 
durée  de  chacune  d'elles,  nombre  très  voisin  de  celui  de  Gassini. 


VÉNUS.  —  ROTATION.  DURÉE  DU  JOUR 


A  la  fin  du  siècle  dernier,  l'astronome  allemand  Schrœter  trouva 
par  ses  comitaraisons  â.S  heures  -21  minutes  f^  seciuidcs. 


Fu/iirr  cico'    Cac/ics  J^  l'cnu^-. 


ltJi>UilciatU 
elevc  cU6''^ 


Fig.  116.  —  Oh^iM-valion  des  taches  et  de  In  rotation  de  Vénus.  (Cassini,  IClM-lUin  et  Uianchini,  17-iti.) 


La  période  a  été  définitivement  déterminée  en  1841,  grâce  à  une 


\  KM  ^.  —  l;  (ITA  I  ION.    1)1  llKK    II  r    Joli; 


belle  série  d'oliservations  organisées  sous  le  ciel  ordinairement  très 
pur  de  Rome  par  le  P.  de  Vico,  et  fixé  à 

23  heures   21   mi  nu  les  22  secondes. 
Ces  observations   étant  liées  à  la  géographie  de  Vénus,  on  en 
trouvera  le  détail  au  chapitre  qui  concerne  ce  sujet.  C'est,  comme 
nous    l'avdus  vu  pour  Mars,  jiar  le  déplacement  des  taches  obser- 
vées sur  la  i)lanéle,  que   cette  durée  de  rotation   a  été  déterminée 


^^iM 


i'i^'    117     -  In.'Salitrs  oll- 


l;i  phijiMc  Vrniis. 


et  aussi  par  le  retour  de  certaines  échancrures  reconnues  le  long 
du  croissant.  Notre  figure  117  donne  une  idée  de  ces  diverses 
inégalités  observées  au  croissant,  à  la  quadrature,  après  la  quadra- 
ture et  vers  la  ennjonction   supérieure. 

Ajoutons  que  cette  rotation  diurne  de  la  planète  a  produit  sur  ce 
gl<)l)(;  le  même  elîet  que  la  rotation  de  la  Terre  a  produit  sur  le 
nôtre;  elle  l'a  légèrement  aplati  aux  deux  extrémités  de  l'axe  et, 
légèrement  gonflé  à  l'équateur.   Mesuré  par  M.  Tennant  pendant  ^ 
le  passage  de   1874,  cet  aplatissement  polaire  a  été  évalué  à  ~U. 


Trr.tiES  DU  ciEi. 


:t:t 


VÉNUS. —  ROTATION.  DURÉE  DU  JOUR 


Cette  valeur  est  un  peu  supérieure  à  celle  de  l'aplatissement 
terrestre,  qui  est  de  tj-k- 

L'année  de  cette  planète  se  composant  de  224  jours  terrestres,  en 
compte  231  des  siens  propres  :  231  jours  sidéraux,  ou  rotations. 
Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer  à  propos  de  Mars, 
il  y  a  dans  l'année  un  jour  solaire  de  moins  que  de  jours  sidéraux. 
L'année  des  habitants  de  Vénus  compte  donc,  en  définitive, 
230  jou7's  solaires  ou  civils;  le  jour  solaire  y  est  de  23  heures 
27  minutes  6  secondes  :  telle  est  la  durée  du  jour  et  de  la  nuit 
réunis.  Les  saisons  n'y  durent  chacune  que  56  de  ces  jours. 

Ces  saisons  sont  beaucoup  plus  marquées  que  les  nôtres,  car  Taxe 
de  rotation  de  la  planète  est  certainement  beaucoup  plus  incliné 
que  celui  de  la  Terre  :  au  lieu  d'être  de  23° -3,  l'inclinaison  de  l'équa- 
teur  sur  le  plan  de  l'orbite  paraît  être  de  55°.  Il  en  résulte  une 
complication  extrême  dans  la  distribution  de  la  température  et  des 
climats  à  la  surface  de  cette  planète.  (Les  anciennes  observations  de 
Bianchini  avaient  indiqué  75°  pour  ce  dernier  angle;  mais  les 
mesures  modernes  de  Vico  l'estiment  avec  une  très  haute  pro- 
babilité à  55°.)  Les  saisons  de  Vénus  sont  plus  intenses  que  les 
nôtres. 

Les  régions  polaires  de  ce  globe  doivent  s'étendre  jusqu'à  35  de- 
grés de  son  équateur,  de  même  que  les  régions  tropicales  doivent 
aussi  s'étendre  jusqu'à  35  degrés  des  pôles,  de  sorte  que  deux 
zones,  beaucoup  plus  larges  que  nos  zones  tempérées,  empiètent 
constamment  l'une  sur  l'autre,  appartenant  à  la  fois  aux  climats 
polaires  et  aux  climats  tropicaux.  Laquelle  de  ces  zones  est  la 
mieux  appropriée  au  séjour  de  la  vie? 

Tout  habitant  des  régions  voisines  de  l'un  et  l'autre  pôle  est 
exposé  à  supporter  tour  à  tour  les  plus  grands  extrêmes  de  chaud 
et  de  froid.  Pendant  l'été,  le  soleil  tourne  continuellement  autour 
du  pôle,  s'élevant  en  spirale  et  brillant  avec  une  intensité  de  cha- 
leur et  de  lumière  presque  deux  fois  plus  élevée  que  celle  qu'il  nous 
envoie.  Seulement  pendant  un  temps  très  court,  en  automne  et  au 
printemps,  il  se  lève  et  se  couche  pour  ces  régions.  Un  jour  de  prin- 
temps ou  d'automne,  comme  un  de  nos  jours  en  ces  saisons,  dure 
environ  douze  heures,  mais  le  soleil  ne  s'élève  à  midi  vers  ces  dates 
qu'à  quelques  degrés  au-dessus  de  l'horizon.  Cette  diminution  de 


VEiNib.  — INCLINAISON  DE   L'AXE.   SAISONS 


la  durée  du  jour  est  le  signal  avant-coureur  d'un  hiver  teirihle  qui 
va  régner  pendant  trois  mois,  et  dont  le  froid  sera  beaucoup  plus 
intense  et  beaucoup  plus  dur  que  la  longue  nuit  d'hiver  de  nos 
propres  régions  polaires  :  car  dans  nos  contrées  circumpolaires,  le 
soleil  s'approche  de  l'i  orizon  [(tus  les  jours  à  l'heuro  (pii  corres- 
pond à  midi,  sans  s'éL  ver  au-ilessus  et  sans  se  mnnlror,  il  est  vrai, 
mais  cependant  en  envoyant  une  certaine  lumière  et  une  certaine 
chaleur  dont  l'influence  sr  f.iit  sentir;  tandis  que  pendant  In  plus 


Fit;    lis. 


liicl-iKusun  de  l'axo  de  rotation  de  Venus  comparée  à  celle  de  la  Terre. 


grande  partie  de  la  longue  nuit  des  régions  polaires  de  Vénus,  il 
n'approche  pas  du  tout  de  l'horizon  et  reste  considérablement  au- 
dessous.  A  moins  donc  que  le  ciel  polaire  de  Vénus  ne  soit  illuminé 
par  des  aurores  boréales,  une  obscurité  absolue  doit  s'étendre  sur 
cet  hiver  glacial  et  en  augmenter  encore  la  profondeur.  Il  est  cer- 
tain qu'aucune  de  nos  races  humaines  ne  pourrait  ainsi  supporter 
les  alternatives  de  ces  froids  noirs  et  de  ces  chaleurs  tropicales  qui 
s'y  succèdent  tous  les  quatre  mois. 

Les  régions  équatoriales  sont- elles  plus  favorisées? 

Là  il  y  a  deux  étés  chaque  année,  qui  correspondent  au  prin- 
temps et  à  l'automne  des  régions  polaires.  En  ces  saisons,  le  soleil 
s'élève  chaque  jour  presque  au  zénith,  et  la  température  y  dépasse 
celle  ([ui  existe  dans  nos  régions  tropicales.  Mais  entre  ces  saisons 
l'astre  du  jour  passe  alternativement  au  nord  et  au  sud  de  l'équateur. 


LES   SAISONS   SUR   VÉNUS 


A  l'époque  qui  correspond  à  l'été,  un  habitant  placé  sur  la  limite  de 
la  zone  équatoriale  voit  ce  flambeau  tourner  au-dessus  de  l'horizon 
pendan!  ,'3  heures  un  quart,  et  se  coucher  pendant  quelques  mi- 
nutes seulement  sans  nuit,  car  la  forte  réfraction  de  l'atmosphère 
de  Vénus  relève  cet  astre  presque  à  l'horizon.  A  l'époque  oppo- 
sée, en  hiver,  il  ne  se  lève  que  pour  quelques  minutes  et  reste 
constamment  couché.  Cette  situation  nous  donne  la  curieuse  et  ori- 
ginale succession  de  saisons  que  voici  : 

A  l'équinoxe  de  printemps,  un  été  beaucoup  plus  chaud  que  nos 
chaleurs  tropicales;  56  jours  plus  tard,  au  solstice  d'été,  un  temps 
analogue  au  printemps  de  nos  régions  tempérées,  avec  cette  diffé- 
rence que  la  nuit  y  est  très  courte;  encore  56  jours  plus  tard,  un 
second  été  aussi  ardent  que  le  premier,  qui  arrive  à  l'équinoxe 
d'automne;  enfin,  au  solstice  d'hiver,  les  jours  sont  plus  courts  et 
le  froid  non  moins  intense  peut-être  que  vers  notre  cercle  polaire. 
Ces  variations  sont  pittoresques;  mais  pour  qu'elles  soient  subies 
sans  détriment,  il  faut  que  les  êtres  vivants  y  soient  organisés  au- 
trement que  nous.  Enfin  les  larges  zones  qui  s'étendent  entre  les 
deux  précédentes,  et  qui  sont  tout  à  la  fois  tropicales  et  polaires,  ont 
des  climats  intermédiaires  entre  les  deux  limites  que  nous  venons 
de  considérer.  Qu'on  habite  prés  des  régions  équatoriales  ou  des 
régions  polaires,  on  a  donc  à  subir  de  très  fortes  alternatives  de  cha- 
leur et  de  froid,  de  sécheresse  et  de  pluie,  de  vents  et  d'orages. 

Si  nous  prenons  la  Terre  pour  point  de  comparaison,  le  soleil  ar- 
rive l'été  jusqu'au-dessus  de  Syène  en  Egypte,  ou  de  Cuba  en  Amé- 
rique. Pour  Vénus,  l'obliquité  est  telle,  que  l'été  le  soleil  atteint  des 
latitudes  plus  élevées  que  celles  de  Belgique  ou  même  de  Hollande  : 
55  degrés.  Il  en  résulte  que  les  deux  pôles,  soumis  tour  à  tour  à  un 
soleil  presque  vertical  et  qui  ne  se  couche  pas  (et  cela  à  moins 
de  quatre  mois  de  distance,  puisque  l'année  de  cette  planète  n'est 
pas  de  huit  mois),  ne  peuvent  laisser  la  neige  et  la  glace  s'accu- 
muler. La  fonte  des  neiges  y  arrive  vite,  et  le  printemps  passe 
comme  un  rêve.  Il  n'y  a  point  de  zone  tempérée  ;  la  zone  torride 
et  la  zone  glaciale  empiètent  l'une  sur  l'autre,  et  régnent  tour  à 
tour  sur  les  régions  qui  chez  nous  composent  les  deux  zones  tem- 
pérées. De  là  des  agitations  d'atmosphère  constamment  entretenues, 
et  d'ailleurs  tout  à  fait  confox'mes  à  ce  que  l'observation  nous  ap- 


LES  SAISONS  SUR  VÉNUS 


prend  sur  la  difficile  visibilité  des  continents  de  Vénus  à  travers  le 
voile  de  son  atmosphère,  incessamment  tourmentée  par  les  varia- 
tions rapides  de  la  hauteur  du  soleil,  et  par  les  transports  d'air  et 
d'humidité  dus  à  l'influence  des  flèches  ardentes  du  brillant 
Apollon. 

Il  résulte  donc  de  toutes  ces  circonstances  des  saisons  et  des  cli- 
mats plus  violents  et  plus  variés  que  les  nôtres.  Les  agitations  des 
vents,  des  pluies  et  des  orages  doivent  surpasser  tout  ce  que  nous 
voyons  et  ressentons  ici.  Les  saisons  de  cette  planète  ne  ressem- 
blent point  à  celles  de  la  Terre  et  de  Mars  ;  son  atmosphère  et  ses 
mers  subissent  une  continuelle  évaporation  et  une  continuelle  pré- 
cipitation de  pluies  torrentielles,  et  son  ciel  est  couvert  de  nuages 
qui  ne  laissent  que  rarement  apercevoir  le  sol  géographique  de  la 
planète.  Ces  nuages,  du  reste,  étendant  presque  constamment  leur 
voile  sous  la  lumière  solaire,  ont  pour  résultat  d'abaisser  la  tempé- 
rature moyenne  du  monde  de  Vénus,  de  telle  sorte  qu'elle  doit 
être  sans  doute  peu  difîérente  de  celle  de  la  Terre. 

Remarquons  ici  la  puissance  des  symboles  mathématiques,  et 
combien  est  vraie  cette  assertion  de  Pythagore,  que  «  les  nombres 
régissent  le  monde  » .  Un  cosmographe  s'épuisera  à  énumérer  tout 
ce  que  les  saisons  de  la  Terre  ou  de  Mars  offrent  de  particulier;  il 
montrera  les  deux  régions  polaires  de  ces  planètes  tour  à  tour  ren- 
dues à  la  végétation  et  à  la  vie;  il  dira  la  longueur  des  jours  pour 
chaque  climat.  Le  mathématicien  n'a  besoin,  pour  énoncer  tous  ces 
faits,  que  d'un  seul  nombre.  Ainsi,  quand  à  côté  du  nom  de  la  troi- 
sième planète,  la  Terre,  il  a  inscrit  l'angle  23*27',  tout  est  dans  ce 
nombre  :  saisons,  climats,  longueurs  de  jours,  aspects  célestes, 
végétation,  vie  animale,  sans  compter  bien  d'autres  influences  que 
le  génie  de  l'homme  n'a  point  encore  découvertes.  Les  chiffres  ont 
leur  réelle  éloquence.  Seulement,  il  faut  savoir  les  lire;  ce  qui  est 
beaucoup  plus  simple  qu'on  ne  le  croit  en  général. 

Ainsi,  en  résumé,  au  point  de  vue  des  saisons  et  des  climats,  la 
planète  Vénus  est  dans  une  situation  moins  agréable  que  la  nôtre  : 
c'est  la  plus  grande  différence  qui  distingue  les  deux  mondes,  car, 
nous  l'avons  vu,  son  volume,  sa  densité,  la  pesanteur  à  sa  surface, 
la  durée  du  jour  et  de  la  nuit,  y  sont  à  peu  près  les  mêmes  que 
chez  nous. 


LE  SATELLITE  DE  VÉNUS 


•  Nous  parlions  tout  à  l'heure  d'observations  problématiques  faites 
sur  le  satellite  de  Vénus.  —  Vénus  a-t-elle  un  saiellite  ? 

—  Elle  en  aurait  plutôt  deux  qu'un,  répondaient  au  temps  de 
la  régence  les  astronomes  qui  se  souvenaient  de  leur  mythologie. 

—  Elle  n'en  a  probablement  aucun,  répondons-nous  aujourd'hui. 
Il  faut  avouer  néanmoins  que  cette  non-existence  du  satellite  de 
Vénus  n'est  pas  tout  à  fait  prouvée,  et  que  le  sujet  reste  assez 
perplexe.  Nous  résumerons  ici  l'ensemble  des  observations  ('). 

Fontana,  l'un  des  plus  habiles  astronomes  de  son  époque,  en  annonça 
la  découverte  faite  par  kii  le  15  novembre  1645. 

Quoique  l'observation  de  Fontana  fût  précise  et  certaine,  les  astro- 
nomes, pendant  vingt-sept  ans,  cherchèrent  sans  résultat  le  petit  astre 
qui,  le  15  novembre  1645,  s'était  montré  tout  auprès  et  au-dessus  de 
Vénus.  Dominique  Gassini,  dont  l'habileté  et  la  circonspection  n'ont  pas 
besoin  d'être  rappelées,  aperçut,  en  1672,  un  point  lumineux  d'un  dia- 
mètre apparent  égal  au  quart  environ  de  celui  de  Vénus  et  distant  de  la 
planète  d'un  diamètre  seulement  de  celle-ci.  Les  astronomes,  encou- 
ragés par  l'annonce  de  Gassini,  cherchèrent  sans  doute  à  renouveler  l'ob- 
servation; leurs  efforts  furent  inutiles,  et  c'est  quatorze  années  plus  tard 
seulement,  le  27  août  1686,  que  Gassini  retrouva  un  point  lumineux 
analogue  au  précédent,  égal  en  diamètre  au  quart  de  Vénus,  et  situé, 
comme  distance,  aux  trois  cinquièmes  environ  de  ce  diamètre. 

Un  demi-siècle  s'écoula,  après  cette  observation  de  Gassini,  sans  qu'au- 
cun astronome  signale  le  compagnon  de  Vénus.  Le  3  novembre  1740, 
Schort  aperçut,  à  10'  environ  de  la  planète,  un  astre  d'un  diamètre  un  peu 
inférieur  au  tiers  de  celle-ci,  et  qui  semblait  l'accompagner  dans  le  ciel. 
L'observation  ne  put  être  renouvelée  les  jours  suivants. 

Après  l'observation  de  Schort,  nous  en  trouvons  une  d'André  Meier  à 
Greifswalde  en  1759;  quatre  de  Montaigne  à  Limoges,  le  3,  le  7  et  le 
Il  mai  1761  ;  sept,  enfin,  de  Ro<lkier  et  de  Horrebow,  à  Copenhague,  et 
de  Montbarron,  à  Auxerre,  les  3,  4,  10,  11,  15,  28  et  29  mars  1764. 

Les  astronomes  que  nous  venons  de  citer,  sans  être  de  premier  ordre, 
sont  dignes  de  confiance.  Schort  était,  en  même  temps  qu'excellent  obser- 
vateur, le  plus  habile  opticien  de  son  temps  ;  on  lui  doit  d'excellentes 
déterminations  micrométriques  de  Jupiter  et  la  mesure  de  son  aplatisse- 
ment. Très  habitué  à  l'emploi  des  instruments  qu'il  construisait  lui-même, 
il  est  difficile  de  le  supposer  dupe  d'une  illusion. 


{*)  Voir  l'article  de  M.  Joseph   Bertrand,  secrétaire  perpétuel    de  rAcadémie  des 
sciences,  dans  la  Revue  mensuelle  VAatronomie  (août  1882), 


LE   SATKLMTK   DE   VÉNUS 


Montaigne  découvrit  deux  comètes,  en  1772  et  en  1774;  observateur 
zélé  du  ciel,  il  avait  l'iiabitude  des  instruments. 

Horrebow,  élevé  dans  l'Observatoire  de  Copenhague,  dont  son  père, 
avant  lui,  était  le  directeur,  alaissé  la  réputation  d'un  astronome  conscien- 
cieux et  habile. 

M.  Schorr,  dans  son  récent  ouvrage  .illcniand  sur  «  le  satellite  de 
Vénus  »,  assure  (jue  André  Meier  a  prouvé  sa  capacité  par  plusieurs  bons 
travaux;  mais  il  n'en  cite  aucun,  et  ce  nom  ne  ligure  pas  dans  la  biblio- 
graphie astronomique  de  Lalande.  Rodkier  et  Montbarron,  enfin,  ont  été 
de  simples  amateurs  de  la  science  astronomique,  mais  leurs  observations 
acquièrent  un  grand  prix  par  leur  accord  avec  celles  d'Horrebow,  qui  sont 
à  peu  près  simultanées. 

On  s'est  demandé  si  ces  apparitions  singulières  ne  devaient  pas  être 
attribuées  au  passage  d'Uranus,  alors  inconnu  des  astronomes,  dans  le 
voisinage  de  Vénus.  Le  docteur  Koch,  de  Dantzig,  qui  a  laissé  d'excellents 
travaux  d'astronomie  stellaire,  a  trouvé  qu'Uranus,  le  4  mars  1764,  jour 
de  l'observation  de  Rodkier,  était  distant  de  Vénus  de  16'i  seulement.  La 
tentative  de  Koch  pouvait  être  renouvelée  pour  les  nombreuses  petites 
planètes  découvertes  depuis  un  quart  de  siècle,  et  si,  pour  chaque  appari- 
tion signalée,  l'une  d'elles  était  trouvée  dans  le  voisinage  de  Vénus,  le 
problème  semblerait  complètement  résolu.  La  recherche  est  facile,  quoique 
d'une  e.xécution  uu  peu  longue;  plusieurs  jeunes  astronomes  pourraient 
utilement  se  la  partager. 

Le  Père  Hell  a  cru,  en  1757,  apercevoir  près  de  Vénus  un  point  brillant 
dans  le  ciel;  mais  un  e.xamen  plus  attentif  lui  en  fit  découvrir  l'origine 
dans  la  lumière  réfléchie  par  son  œil  même  et  renvoyée  de  nouveau  par 
l'oculaire  du  télescope  ;  un  déplacement  de  l'image  accompagnait  en  effet 
chaque  mouveuieut  de  son  œil  :  l'astre  supposé  un  instant  n'avait  donc 
aucune  réalité.  Schort  et  Gassini  ne  mentionnent  pas,  il  est  vrai,  l'épreuve 
du  déplacement  de  l'œil  faite  par  le  Père  Hell,  mais  il  est  difficile  d'ad- 
mettre que  d'aussi  habiles  observateurs  aient  pu,  pendant  plus  d'une 
heure,  se  laisser  prendre  à  une  illusion  aussi  grossière. 

Le  Père  Hell,  tout  en  signalant  la  cause  possible,  suivant  lui,  des  obser- 
vations prétendues  du  satellite,  engageait  cependant,  en  1761,  tous  les 
observateurs  du  [lassage  de  Vénus  à  chercher  soigneusement  la  trace  du 
satellite  sur  le  disque  solaire.  L'insuccès  des  recherches  le  confirma  dans 
son  soupçon,  et  il  le  communiqua  à  Lacaille  en  le  priant  de  garder  sa 
lettre  pour  lui  seul;  mais,  en  176'2,  après  la  mort  de  Lacaille,  il  reçut 
d'une  main  inconnue  la  traduction  en  langue  française  de  sa  propre  lettre, 
accompagnée  d'une  réfutation  de  Montaigne.  Il  publia  idors,  dans  les 
Éphémérides  de  Vienne  pour  1766,  une  dissertation  Dr  satpUitc  Venens), 
dans  laquelle  il  s'efforça  d'expliquer  toutes  les  apparitions  par  des  illusions 
d'optique. 


LE   SATtLLlTIi    DE   VÉNUS 


Le  passage  de  Vénus,  eu  1769,  n'ayant  montré  le  prétendu  satellite  à 
aucun  observateur,  les  astronomes  paraissaient  adopter  l'interprétation 
i.Ui  Père  llell,  lorsque  Lambert,  reprenant  la  question  et  acceptant  comme 
exactes  les  observations  de  17(34,  en  déduisit  la  position  et  la  grandeur  de 
l'orbite  à  cette  époque,  renseignement  précieux  qui  aurait  dû  stimuler  de 
nouvelles  recherches.  Les  calculs  de  Lambert,  quoique  reposant  sur  des 
observations  douteuses,  sont  complets  el  précis. 

L'existence  de  ce  satellite  était  alors  considérée  comme  si  vraisem- 
blable, que  le  roi  Frédéric  II,  de  Prusse,  fort  enthousiasmé  des  philoso- 
phes français ,  proposa  de  lui  donner  le  nom  de  dAlembert.  L'illustre 
géomètre  s'en  défendit  fort  par  une  lettre  spirituelle  où  l'on  remarque  le 
remerciment  suivant  :  «  Votre  Majesté  me  fait  trop  d'honneur  de  vouloir 
baptiser  en  mon  nom  cette  nouvelle  planète.  Je  ne  suis  ni  assez  grand 
pour  devenir  au  ciel  le  satellite  de  Vénus,  ni  assez  bien  portant  pour  l'être 
sur  la  Terre;  et  je  me  trouve  fort  bien  du  peu  de  place  ([ue  je  tiens  en  ce 
bas  monde  pour  en  ambitionner  une  au  firmament.  » 

L'astronome  Lambert  appliqua  particulièrement  ses  calculs  à  l'époque 
de  l'observation  deCassini,  de  Schort  et  deFontana.  La  théorie  lui  montra 
<iue,  pendant  les  passages  de  1761  et  1769,  le  satellite  n'a  pu  paraître  sur 
le  disque  solaire,  étant  au-dessus  en  1761  et  au-dessous  en  1769.  Il  peut 
arriver,  au  contraire,  que  le  satellite  se  projette  sur  le  Soleil  quand  la 
planète  reste  en  dehors.  Le  8  juin  1753,  par  exemple,  si  les  tables  de 
Lambert  sont  exactes,  l'orbite  du  satellite  coupait  le  disque  solaire  ;  mais 
hi  position  occupée  ne  le  plaçait  pasdans  la  partie  commune.  Le  l"juinl777, 
Lambert  annonçait  un  passage  du  satellite  sur  le  Soleil  non  seulement 
jiossible,  mais  réel,  et,  s'il  ne  se  produit  pas,  dit-il,  les  tables  auront  besoin 
de  fortes  corrections.  «  J'annonce  ce  passage,  ajoute-t-il,  tout  au  moins 
comme  possible.  Les  astronomes  qui  observent  souvent  le  disque  du  Soleil 
trouveront  sans  doute  qu'il  y  a  convenance  à  choisir  ce  jour,  dans  l'espoir 
d'y  trouver  une  observation  plus  fructueuse  et  plus  agréable  que  de  cou- 
tume. » 

Cet  appel  ne  donna  aucun  résultat. 

L'excentricité  de  l'orbite  calculée  par  Lambert  est  de  0,195,  un  peu 
moindre  que  celle  de  Mercure.  L'inclinaison  de  l'orbite  sur  celle  de  la 
planète,  64°,  dépasse  de  bien  loin  toutes  les  inchnaisons  connues. 

La  plus  grande  distance  de  Vénus  au  satellite  sous-tendrait  un  angle 
de  19'  à  la  distance  qui  sépare  la  Terre  du  Soleil,  et  l'on  pourrait,  par  con- 
séquent, lorsque  Vénus  se  rapproche  de  nous  le  plus  possible,  si  laposi- 
.  ion  du  satellite  est  favorable,  l'apercevoir  à  une  distance  de  42'.  Une  des 
observations  de  Montaigne  le  place  à  25'. 

La  dimension  du  satellite  et  celle  de  la  planète  seraient  à  peu  près  dans 
le  mémo  rapport  que  celui  de  la  Lune  à  la  Terre.  On  sait,  en  eflet,  que  le 
diamètre  de  Vénus  est  presque  égal  à  celui  de  la  Terre,  et  que  celui  de  la 


1.E   SATICLI-ITE   DK   VIÎ.MS 


Lune  est  de  0,27,  comparé  au  iliamèlre  de  notre  planète  ;  celui  du  satellite 
de  Vénus  serait  de  0,28. 

L'insuccès  du  l"juin  1777  découragea  sans  doute  les  astronomes;  on 
n'a  plus  revu  ni  cherché  le  salelUle  de  Vénus,  et  les  traités  d'Astronomie 
n'en  font  mention  que  pour  prémunir  les  ohservateurs  contre  une  illusion 
semblahle  à  celle  du  Père  Hcll. 

Ajoutons  qu'on  n'en  a  pas  trouvé  traces  pendant  les  deux  derniers  pas- 
sages de  Vénus  devant  le  Soleil,  en  1874  et  1882. 

Telles  sont  les  observations  et  les  discussions  suggérées.  La  sincé- 
rité des  astronomes  en  général,  et  en  particulier  celle  de  Fontana, 


Fi.ï  ll:i  —  niiscrvaliuM  |)rol)ir-inatir|iiu  ilu  >atellilf  de  V.-iius   iCassini,  1G72.) 

Schort,  Cassini,  Horrebuw  et  Montaigne,  ne  saurait  être  révoquée 
en  doute.  Nous  restons  en  face  de  trois  explications  possibles. 

La  première  est  que  le  satellite  existerait  réellement,  mais  serait 
très  petit  et  ne  pourrait  être  oljservé  qu'en  des  circonstances  rares, 
à  des  époques  d'élongations  exceptionnelles.  Ce  n'est  pas  probable. 
La  seconde  explication  est  celle  des  fausses  images  f)  qui  se  ju-d- 


(',1  Un  jour,  le  30  mars  1881,  M.  Dcnninj;,  obsenant  Vénus,  remarqua  que  deux 
croissants  étaient  visibles  dans  le  cbanip  de  la  lunette  :  lim  larire  et  pi\ie,  presque  au 
rentre  du  rhamp.  et  l'autre  petit  et  lirillant,  un  peu  à  l'ouest  du  premier:  ce  dernier 
était  la  \éritaMc  iniap'  de  la  phiiii'lr  lis  deux  emissants  étaient  tournés  du  même  côté 
et  leur  phase  était  la  même  :  luu  semblait  la  repniduetion  exacte  de  lautre.  M.  Dennins" 
estima  que  le  diamètre  du  plus  petit  était  à  peu  près  le  ;  ilii  diamètre  de  l'autre.  Il  lit 
tourner  l'oculaire  sans  produire  aucun  déplacement  dans  la  position  relative  des  deux. 
TtnnES  1)1'  eiEi.  n'i 


LE  SATELLITE   DE  VÉNUS 


duisent  dans  les  instruments,  provenant  soit  de  la  réflexion  de  l'œil 
dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  soit  d'un  ajustement  défectueux  dans 
les  lentilles  de  l'oculaire  et  de  certains  effets  d'optique  dus  au  jeu 
des  rayons  lumineux  dans  l'instrument  lui-même.  La  troisième 
explication  consiste  à  considérer  ces  observations  comme  celles  de 
petites  planètes  qui  seraient  passées  au  delà  de  Vénus  et  se  seraient 
trouvées  fortuitement  sur  le  même  rayon  visuel.  Ces  deux  dernières 
hypothèses  sont  les  plus  vraisemblables  et  peuvent  s'appliquer  l'une 
(!t  l'autre  à  ces  observations  énigmatiques. 


images,  guis  il  le  retira.  Regardant  alors  dans  l'intérieur  du  tube,  il  découvrit  l'explica- 
tion du  phénomène.  Les  rayons  du  Soleil  entrant  par  l'ouverture  principale  de  la 
lunette  venaient  tomber  en  partie  sur  le  petit  tul»;  mobile  qui  porte  l'oculaire  et  y  for- 
maient du  côté  de  l'Ouest  un  petit  croissant  brillant,  lequel,  faiblement  réfléchi  et  ren- 
versé par  l'oculaire,  devenait  l'origine  de  l'image. 

Dans  le  grand  équatorial  de  Washington  (l'un  des  meilleurs  qui  existent),  l'un  des 
oculaires  a  constamment  montré  à  M.  Newcumb  un  petit  satellite  à  coté  d'Uranus  et  de 
Neptune,  lorsque  l'image  de  la  planète  était  anivee  juste  au  centre  du  champ  ;  mais  ce 
satellite  disparaissait  aussitôt  qu'on  remuait  la  lunette.  ' 

L'explication  est  fort  simple  et  rend  compte  des  apparitions  du  .satellite  àc  Vénus; 
pourtant  il  est  difficile  de  penser  que  l'origine  de  pareilles  illusions  aient  pu  échappera 
des  observations  soigneuses. 


.Mouvement  de  Vénus  auluui-  du  suleil  et  inclinaison  de  l'axe  de  rotation 


CHAPITRE  IV 


Géographie  de  Vénus. 
Topographie. 


Continents. 
Montagnes. 


Mers. 


La  l'urinsKr  et  la  persévérance  des  astronomes  am])itieux  de 
srniter  les  mystères  du  véritable  ciel  sont  parvenues  à  lever  un  coin 
du  voile  nuageu.x  de  l'atmosphère  de  Vénus  et  à  reconnaître  les  plus 
importantes  variétés  de  nuances  de  son  sol.  La  première  obser- 
vation de  ces  taches  date  de  plus  de  deu.K  siècles  :  elle  est  due  au 
jireiiiier  directeur  de  l'Ohservatoin»  de  Paris,  à  Jean  Dominifpie  Cas- 
sini,  avant  son  arrivée  en  France.  11  déctjuvrit  une  tache  lirillante  le 
14  octohre  16()(j  et  en  observa  une  seconde  h?  28  avril  I(j(j7.  Celle-c-i 
montra  un  déplacement  sensible  pendant  la  durée  d(;s  observations, 
un  nouveau  déplacement  le  iendemam,  et  encore  un  le  surlende- 
main. Les  observations  des  9,  10  et  13  mai,  des  5  et  6  juin  IGtJT, 
confirmèrent  ce  mouvement,  et  l'observateur  en  conclut  la  durée  de 
rotation  que  nous  avons  signalé(>  plus  haut. 

Sous  ce  même  ciel  d'Italie,  Bianchini  parait  av(jir  été,  en  172()-27, 
tout  particulièrement  favorisé,  soit  [tar  la  pureté  accidentelle  du 
ciel  ou  par  la  puissance  de  sa  lunette,  soit  à  raison  d'autres  circon- 
stances inconnues.  A  l'aide  d'une  colossale  lunette  de  150  palmes,  ou 
de  ?•'.)  mètres  environ  de  loniçueur,  eet  observateur  aperçut,  vers  le 
milieu  de  la  planète,  sept  taches  qu'il  qualifia  de  mers,  counuu- 
ni([uant  entre  elles  par  des  détroits  et  offrant  huit  promontoires  dis- 
tincts. 11  en  dessina  les  figures  et  leur  assigna  le  nom  d'un  roi  de 
Portugal,  Jean  Y,  son  bienfaiteur,  et  les  noms  des  navigateurs  les 


GÉOGRAPHIE  DE  VÉNUS 


plus  célèbres  par  leurs  voyages,  auxquels  il  ajouta  ceux  de  Galilée  et 
de  Cassini.  Bianchini  a  cru  ces  taches  assez  invariables  et  assez  sùre- 


rjit  VL  Ali 
JP/nijiTj.  rr  (LÂt,iri,/.T  m  ^/jficOi '-Vanfru-  rt/:-r-vaC-.r^ 
tvr  </«•  .7   CFehfuiu-if  aJ  y  QM.xj-tti  MBCCXXVI 
jfftrr  arce^.riim^m  Vfj-tp^fù^iun  ait  So/lt    Synaau/n. 


l'ig,   1-21.  -  Dessins  (li>  la  jilanéte  Vénus  faits  en  1726-1727, 
Jiai'  liianchiui,  à  l'aide  d'une  lunette  de  30  mètres. 


ment  observées  pour  dessiner  lui-même  nn  planisphère  géocra- 
pliique  de  la  planète.  Nous  reproduisons  ici  [fig.  It?l  et  l-?-2)  les  deux- 
planches  sur  lesquelles  il  a  dessiné  vingt  de  ses  observations,  en 


C.KOORAI'HIE    DE  VENUS 


numérotant  les  taches  grises  qu'il  considère  comme  des  mers,  et 
[fig.  123),  le  globe  de  Vénus  dont  il  a  dessiné  lui-même  les  fuseaux. 


in  rniintttna  (t/^partttone  ax  0.  s '^^au.  aet  1 1  /unii  ly^LS 
rtinVcs^rana  elan^atian€  a  Scie  ex  j  fui  ad^  Septemhru  i 
et  rurjits  tn  matuàna  ^ULiœne  7  /iLnuaj-u   n  Q.V 
SPuiu-r  excBoreuj  dtiu^  -, 


Fif.  1-ii   —  Dessins  do   lu   pV.mhw  Vénus  fiiils  en    ITiG-lïîï, 
par  Bianchini,  à  l'aide  d'une  lunette  de  M  mètres. 


En  coupant  ces  fuseaux,  et  en  les  collant  sur  un  globe  de  81  milli- 
mètres de  diamètre,  on  construirait  le  globe  géograpliique  de  V.-nus 
préparé  par  l'astronome  italien.  Ses  mers  portent  les  noms  respec- 


CÈOCUAl'IllL    bK    VENUS 


tifs  de  :  I,  Jean  V;  —  II,  l'Infant  Henry;  —  III,  le  Roi  Eramanacl; 
—  IV,  le  Prince  Constantin;  —  V,  Colomb;  —  VI,  Vespuce;  —  VII, 
Galilée;  —  la  mer  boréale  ou  de  Marco  Polo;  —  la  mer  australe  ou 
de  Magellan.  —  Sur  le  frontispice  de  son  ouvrage  [fig.  124),  on 
voit  Uranie  tenant  à  la  main  un  petit  système  solaire  dans  lequel 
le  cœur  du  roi  tient  la  place  du  Soleil  (les  courtisans  ne  connais- 
sent pas  de  limites),  tandis  qu'un  amour  à  genoux  offre  au  roi  un 
globe  géographique  de  Vénus,  fort  élégant  d'ailleurs. 

Malheureusement,  depuis  plus  d'un  siècle  et  demi  que  ces 
observations  ont  été  faites,  elles  n'ont  pas  été  perfectionnées, 
comme  on  aurait  pu  s'y  attendre,  par  les  progrés  de  la  science.  Au- 
cun instrument  moderne  n'a  montré  ces  taches  aussi  nettement  que 
Bianchini  les  a  vues,  et,  soit  que  plusieurs  d'entre  elles  varient,  soit 
que  l'atmosphère  de  Vénus  ait  été  au  temps  de  cet  astronome  plus 
transparente  que  de  nos  jours,  les  taches  sombres  de  cette  planète 
toujours  éblouissante  ne  se  sont  jamais  montrées  que  vagues  et 
incertaines.  Le  planisphère  de  Bianchini  ne  peut  être  considéré  que 
comme  un  premier  rudiment  de  la  géographie  de  Vénus.  Nous  ne 
devons  mettre  en  doute  ni  la  bonne  foi  ni  l'habileté  de  cet  astro- 
nome, d'autant  plus  que  ces  taches  ont  été  revues  en  Italie  même; 
mais  elles  sont  loin  d'avoir  la  précision  et  la  sûreté  de  celles  qui 
constituent  la  géographie  de  Mars. 

D'après  ces  dessins,  les  taches  grises  considérées  comme  des  mers 
se  prolongeraient  le  long  de  l'équateur  de  Vénus  et  formeraient  trois 
océans,  dont  l'un  serait  presque  circulaire  et  dont  les  deux  autres 
seraient  divisés  en  trois  parties  à  peu  près  égales.  On  remarque 
de  plus  deux  taches  grises  allongées,  dont  l'une  occupe  tout  le  pôle 
nord  (inférieur),  et  dont  l'autre  dessine  un  demi-cercle  autour  du 
pôle  sud.  Les  taches  sombres,  en  effet,  doivent  être  des  mers,  parce 
que  comme  nous  l'avons  constaté  à  propos  de  Mars,  Ueaif  absorbe 
plus  la  lumière  que  les  terres  et  la  réfléchit  moins. 

A  la  fin  du  siècle  dernier,  Schrôter  fit  plusieurs  dessins  du  disque 
de  Vénus;  mais  les  taches  qui  s'y  trouvent  ne  rappellent  que  de  loin 
celles  de  Cassini  et  de  Bianchini. 

Il  est  remarquable  que  Dominique  Cassini  n'ait  jamais  réussi  à 
apercevoir  à  travers  l'atmosphère  de  Paris  aucune  trace  des  taches 
qu'il  avait  observées  en  Italie. 


GÉOGRAPHIE   DK   VÉNUS 


En  1837,  Gruithuisen  fît  un  certain  nombre  d'observations,  et 
Sfhuinacber  remarqua  spécialement  une  tache  sombre  qui  était 
bien  visible  pendant  le  crépuscule  et  qui  une  demi-heure  après  se 
perdait  dans  l'éclat  de  la  planète;  il  en  écrivit  au  P.  de  Vico,  direc- 
teur de  l'Observatoire  du  Collège  romain,  en  le  priant  de  profiter 
de  la  pureté  du  ciel  d'Italie  pour  vérifier  les  observations  de  Bian- 
chini.  L'astronome  romain  se  servit  d'une  excellente  lunette  de 
Cauchoix,  de  158°"°,  armée  de  grossissements  portés  parfois  jus- 
qu'à 1128,  et  observa  surtout  pendant  le  jour,  attendu  que  pendant 
la  nuit  la  vivacité  de  l'éclat  de  la  planète  interdit  à  peu  près 
toute  observation.  Six  observateurs  se  mirent  à  l'œuvre  pendant 
rannée  1839;  leurs  observations  sont  nombreuses,  et  l'on  en  jugera, 
si  nous  remarquons  que  l'un  des  assistants,  Palomba,  ne  fît  pas 
moins  de  11800  mesures,  dont  10000  furent  employées  pour  la 
détermination  de  la  rotation.  Sur  ces  six  observateurs,  ceux  qui  dis- 
tinguaient le  mieux  les  taches,  étaient  ceux  qui  avaient  le  plus  de 
difficulté  à  découvrir  les  petits  compagnons  des  étoiles  doubles; 
c'est  là  un  fait  assez  curieux,  qui  s'expliquera  peut-être,  si  l'on 
réfléchit  qu'un  œil  très  sensible,  qui  découvrirait  les  taches  immé- 
diatement, serait  plus  facilement  ébloui  par  la  lumière  d'une  étoile 
brillante,  et  n'apercevrait  pas  un  petit  point  lumineux  dans  son 
voisinage.  Les  observateurs  romains  confirmèrent  les  assertions  de 
Bianchini,  et  retrouvèrent  ses  taches,  à  l'exception  d'une  petite. 
Leurs  dessins  de  la  planète  s'élèvent  au  chiffre  de  145;  nous  en 
reproduisons  ici  quatre  (fig.  125)  qui,  en  effet,  rappellent  bien  les 
mers  circulaires  de  Bianchini.  Dans  son  excellent  recueil  Celestial 
objects  for  common  télescopes,  M.  Webb  assure  que  quoiqu'un 
très  grand  nombre  d'observateurs  n'aient  pu  parvenir  à  distin- 
guer aucune  de  ces  taches,  cependant  elles  ont  été  revues,  sans 
être  pour  cela  identifiées,  par  MM.  Delarue,  Huygens,  Worthington, 
Seabroke,  Terby,  Denning,  Safarik  et  Van  Ertborn.  With  et 
Browning  ont  remarqué  des  taches  blanches  comme  les  neiges  de 
Mars.  «  Que  ne  pouvons-nous  voir  ces  détails  plus  facilement, 
s'écrie  à  ce  propos  M.  Webb,  quel  intérêt  n'y  aurait-il  pas  à  mieux 
connaître  cette  charmante  planète,  surtout  lorsqu'on  pense  que 
c'est  la  seule  de  tout  le  système  dont  le  volume  soit  presque  exac- 
tement égal  à  celui  de  la  Terre.  » 


TEI'.nES   DU    CIEL 


F.uuwspici.- di>  II.   vr.ge  de  BùD^'hini. 

PRÉSENTATION    DD     SL08E    DE    7ÉNDS    AB    ROI    JE*M    T 


35 


CEOCRAI'llIK    KK    VKNLS 


Lu  vLsiliilitr  des  tiichcs  do  Vriiiis  dépend  surtout  de  l'état  de 
l'atmosphère  terrestres  l't  l'ommt^  la  surface  de  cette  planète  est 
très  lirilhuitc,  il  faut  ({u'iuie  certaine  lumière  l'environne  pour 
que  ces  taclu's  sdiiMit  distiiirU's.  On  l(,'s  a  observées  à  Rome  dans 
'une  p(^tite  liinctli!  de  ;*  pdaccs  sculcnicnt.  Ou  les  a  vues  en 
Angb^torre  daas  iiu  ancien  Li''l('sci)p(>  {rr/lrc/o/')  grossissant  200  fois, 
le  2.S  janvier  1730,  à  travers  les  lueurs  rouges  d'une  aurore  boréale, 
beaucoup  plus  nettement  ([ue  lorsque  le  ciel  n'était  pas  éclairé. 
(^luanl  à  moi,  je  n'ai  jamais  pu  les  distinguer  que  pendant  le  jour 
et  cela  deux  fois  seulement  :  en  juillet  1871,  dans  le  grand  équatorial 


12j.  —  Aspects  géographiques  de  la  planète  Vénus  [Uà  Vico.  18391. 


de  l'Observatoire  de  Paris,  et,  quelques  jours  après,  dans  nn  téles- 
cope Foucault  de  20  centimètres. 

L'atmosphère  de  Vénus  est,  d'ailleurs,  si  souvent  couverte  de 
nuages,  que  ces  taches  sont  très  rarement  visibles;  plusieurs 
astronomes  très  habiles  ne  sont  jamais  parvenus  à  rien  distinguer 
sur  cette  planète.  L'astronome  anglais  Dawes,  dont  la  vue  était  si 
perçante,  n'a  jamais  pu  rien  y  découvrir,  et  William  Herschel  n'est 
parvenu,  après  bien  des  recherches,  (ju'à  constater  une  légère 
supériorité  d'éclat  sur  les  bords  du  disque  comparés  au  cercle 
intérieur. 

On  a  remarqué  que  les  télescopes  sont  préférables  aux  lunettes 
pour  l'observation  de  Vénus,  et  depuis  que  le  procédé  Foucault 
a  permis  de  construin^  facilement  des  télescopes  en  verre  argenté. 


CKOr.  n  AI'IIIK    \)K    VKM'S  27a 

l'oljsrrviiljuii  (le  l;i,  |ilaiu''ti'  .i  rir  licaïu'oiip  plus  ravnris(''('  et  [ilus 
IVéquonto;  aussi  pussrddiis-iiuiis,  depuis  uue  dizaine  (ranni''Os 
surtout,  un  très  beau  choix  de  dessins  de  cette  planète,  moins 
détaillés  certainement  (pie  ceux  de  Mars  et  même  que  ceux  de 
.lupiter,  mais  enliu  déjà  safisiaisants  pour  notre  instruction, 
l'iusieurs  de  nos  collègues  d'où  Ire-Manche,  entre  aulres,  se  sont 
livrés  à  {]{'<•  (jbservations  continues  et  persévérantes,  dont  nous 
somni(!S  heureux  de  signaler  ici  les  principaux  résultats: 

Le   l'''  mai    1871.   M.   Langdon,   astronome   anglais,  étant  [larvenu  à 
diminuer  l'éclat  de  Venus  à  l'aide  d'un  diaphragme  de  carton  noirci  jilacé 


WÊÊBB^^^B^ÊÊÊÊ^^^^^^Ê 


Fig   I2G.  —  Aspects  géographiques  de  lu  pUuièle  Vi 


[1.  Cassiui,  ItiUO.  —  i.  S  et  l.  Larigdoii,  IS7I. 


dans  l'oculaire,  réussit  à  distinguer  ces  taches.  La  phase  était  celle  de  la 
Lune  le  lendemain  du  premier  ([uartier.  Il  aperçut  d'abord  très  distincte- 
ment une  tache  oblongue,  s'étendant  parallèlement  au  bord,  courbée 
comme  lui,  traversant  une  partie  du  disque  et  se  terminant  en  pointe  à 
ses  deux  extrémités.  A  l'est  de  cette  tache  oblongue,  on  en  remaniuait 
une  autre  plus  large  qui  semblait  la  rejoindre.  Cet  aspect  fut  observé  ot 
dessiné  pendant  une  demi-heure.  Nous  en  avons  reproduit  le  dessin 
ci-dessus  i/if/.  12G  .  Il  est  fort  intéressant  de  le  comparer  au  dessin  n"  I, 
</iii  a  clé  fait  par  Cassinl  /e  14  octobre  IG66,  à  deux  cent  cinq  ans  d'in- 
tervalle. La  similitude  des  formes  est  curieuse. 

Le  0  mai  suivant,  plusieurs  taches  se  voyaient  à  la  surface  de  la 
planète,  notamment  une  longue  ligne  droite,  sombre,  traversant  le 
disque,  et  une  espèce  de  golfe  s'étendant  jusqu'au  centre. 

Le  13  mai,  à  7  heures  .30  minutes  du  soir,  on  remarquait  une  tache 
sombre,  en  forme  de  poire,  commençant  du  coté  du  bord  occidental  et 


CÉOCRAI'IIIE   DE   VEM'S 


s'étondant  jusqu'aux  deux  tiers  du  dis([uo;  cette  tache  était  moins  fuiicée 
que  celle  du  1"  et  du  (j,  mais  beaucoup  plus  large. 

Le  28  juillet,  à  8  heures  du  soir,  on  voyait  cinq  taches  sombres 
dentelant  le  cercle  terminateur  de  l'hémisphère  éclairé,  et  non  loin  de 
là  une  autre,  pkis  longue  et  ovale.  Ce  qu'il  y  avait  de  plus  remarquable 
ce  soir-là,  c'est  (jue  la  corne  australe  (supérieure)  du  croissant  était 
arrondie,  tandis  (jue  la  corne  boréale  était  [)ointue  et  finissait  [)ar  un 
angle  aigu. 

Le  25  octobre,  à  8  heures  10  minutes  (hi  malin,  observation  faite  en 
plein  jour.  Dans  cette  circonstance,  on  put  mieux  que  jamais  constater 
la  nature  dentelée  du  cercle  terminateur,  dont  l'inégalité  était  évidente, 


Fig.  1"27.  —  Asppcts  géographiques  do  lu  plani'tf  Vi'iin 
(Dessins  de  M   Denning.  1881  ) 


mais  ce  qu'il  avait  de  plus  étrange,  c'est  que  la  corne  boréale  était  courbée 
dans  la  direction  du  centre  de  la  planète  :  son  aspect  était  le  même  que  si 
une  entaille  avait  été  enlevée  dans  l'intérieur  et  comme  si  une  tranche 
avait  été  coupée  à  l'extérieur.  Cette  singulière  pointe  est  du  reste  très 
visible  (intentionnellement  exagérée)  sur  la  figure. 

Le  2  janvier  1873,  à  \  heures  de  l'après-midi,  un  autre  astronome 
anglais,  M.  Elger,  observant  la  planète,  remartjua  une  tache  très  nette 
qui  s'étendait  du  limbe  boréal  jusqu'au  centre. 

Le  même  jour,  M.  Langdon  observait  la  planète,  et  remarquait  aussi 
cette  tache  sombre  demi-circulaire,  qui  s'étendait  jusqu'au  centre;  le 
disque  illuminé  était  lui-même  singulièrement  dentelé. 

Le  20  février,  vers  3  heures  de  l'après-midi,   la  corne  australe  était 


r.Éor.RAl'llIK    DK   VKNUS 


277 


plus  longue  et  plus  pointue  (pe  la  boréale;  celle-ci  était  évidemment 
tronquée\(i  même  jour,  à  6  heures  et  demie,  la  planète  présentait  deux 
taches  très  visibles:  une  longue  bande  sombre  coneentriiiue  avec  le 
bord,  et  une  tache  isolée  située  près  du  centre. 

Le  23  février,  à -5  heures,  on  voyait  une  tache  faible  et  très  distincte. 
La  corne  boréale  était  /ronr/uée. 

Le  27  février,  de  3  à  4  heures,  on  ne  distinguait  aucun  vestige  de 
taches;  mais,  à  7  heures,  on  put  dessiner  une  tache  irrégulière  fort  bien 
définie.  Les  deux  cornes  étaient  aiguës,  mais  l'australe  se  projetait  plus 
loin. 

Le  28  février,  à  G  heures  'i7  minutes,  un  oliserva  non  loin  du   iinrd  de 


l-i».  —  .\spccls  géogrupluqucs  du  lu  iJUiièli;  Viiius. 
(Dessins  de  M.  Deniiing,  1881  ) 


la  planète  une  tache  tout  à  fait  semblable  de  forme  à  celle  (ju'on  avait 
vue  le  soir  précédent.  Trois  petites  taches  blanches  se  montraient  près 
du  cercle  terminateur.  Les  deux  cornes  étaient  très  affilées  et  l'australe 
se  prolongeait  au  delà  du  demi-cercle. 

Le  17  avril,  à  8  heures  du  soir,  on  remarquait  deux  taches  très  brillantes 
sur  le  croissant  de  Vénus  :  l'une  au  milieu,  et  l'autre,  vers  la  corne 
orientale,  près  du  cercle  terminateur.  Ces  taches  blanches  faisaient  l'effet 
de  deux  gouttes  de  rosée,  et  elles  brillaient  d'une  lumière  si  blanche,  que 
la  région  du  croissant  lumineux  qui  les  entourait  paraissait  sombre  par 
contraste. 

En  I87C),  nous  souuues  parvenus,  mes  amis  MM.  Paul  et  Prosper  Henry, 
astronomes  de  l'Observatoire  de  Paris,  et  moi,  à  distinguer  une  traînée 


cF.or.nAriiiF.  hk  venus 


lé'ïèrement  foncée  le  long  du  bord  intérieur  du  croissant,  et  de  rares 
échancrures,  mais  sans  ([uo  jamais  la  tache  allongée  ait  offert  un  carac- 
tère d'authenticité  incontestable. 

De  mars  à  juillet  1881,  MM.  Niesten  et  Stuyvacrt  ont  fait  uneL 
série  de  beaux  dessins  du  croissant  de  Vénus  à  l'aide  du  nouvell 
équatorial  de  0'°,S&  de  l'Observatoire  de  Bruxelles.  Leurs  dessins  des 
30  mars,  4  avril  et  30  juin  offrent  une  frappante  analogie  avec 
ceux    de   Gruythuisen,  surtout  en  ce  qui    concerne    les    taches 
polaires. 

La  même  année,  M.  Denning,  astronome  à  Bristol,  entreprit  une 
série  d'observations  suivies,  dans  le  but  de  retrouver  les  détails 
délicats  signalés  par  les  anciens  astronomes.  (Télescope  de 
10 -j  pouces  =  0"',2&;  grossissement  =  -400  fuis.)  Nous  résumons 
ici  les  principales  observations  de  notre  éminent  collègue. 

22  mars  1881,  de  5  heures  à  7  heures.  —  Les  cornes  sont  remarquable- 
ment brillantes,  ainsi  que  la  l'égion  qui  avoisine  le  limbe  occidental  ;  la 
partie  intérieure  est  plus  sombre.  L'espèce  de  bouillonnement  que 
présente  la  surface  de  la  planète,  surtout  quand  l'air  est  agité,  donne 
naturellement  au  bord  cette  apparence  dentelée  et  au  disque  entier 
cet  aspect  granulé  qu'ont  noté  plusieurs  observateurs. 

26  mars,  de  6'  30""  à  T*"  15°".  —  Images  moins  nettes  que  l'observation 
précédente,  où  la  vision  était  presque  parfaite.  Le  disque  présente  une 
apparence  granulée  avec  des  espaces  gris  et  des  veines  ou  stries  lumi- 
neuses; mais  cet  aspect  est  vraisemblablement  dû  aux  tremblements  de 
l'image.  Les  cornes,  très  brillantes  et  très  efQlées,  s'étendaient  consi- 
dérablement au  delà  du  demi-cercle,  très  différentes  en  cela  des  cornes 
du  croissant  lunaire;  mais  on  ne  doit  pas  s'attendre  à  voir  deux  corps 
aussi  différents  dans  leur  constitution  physique  présenter  des  apparences 
absolument  semblables. 

La  réfraction  atmosphérique  autour  d'une  planète  enveloppée  d'une 
couche  dense  et  profonde  de  gaz  doit  nécessairement  diffuser  la  lumière 
du  Soleil  sur  une  vaste  étendue.  Vénus  doit  réfléchir  cette  clarté  au  delà 
de  la  moitié  de  sa  surface,  et  telle  est,  sans  doute,  la  cause  du  prolonge- 
ment anormal  des  cornes,  qui  a  été  si  souvent  remarqué,  ainsi  que  de 
la  possibilité  d'apercevoir  la  circonférence  entière  de  la  planète  aux 
époques  voisines  des  conjonctions  inférieures. 

28  mars,  de  6  à  7  heures.  —  On  remarque  une  petite  région  brillante 
tout  près  de  la  corne  boréale,  ainsi  qu'une  tache  un  peu  foncée  s'éten- 
dant  depuis  le  bord  intérieur  jusqu'au  bord  occidental,  dans  l'hémisphère 
austral.  Il  y  a  aussi  dans  l'hémisphère  boréal,  une  ombre  grise  qui  court  le 


GÉOOKAI'IIIE    DE    VÉNUS 


long  du  bord  intérieur.  Les   images  sont  splendides  avec  un  grossis- 
:sement  do  400  fois. 

30  niiu'ri,  de  6'' 30'"  à  7  heures.  —  La  tache  brillante  est  encore 
visible  près  de  la  corne  du  nord,  ainsi  que  la  région  obscure  et 
diffuse  dans  l'hémisphère  sud.  La  forme  réelle  du  bord  intérieur  est 
évidemment  ondulée.  Elle  présentait  une  entaille  obscure  près  de  la 
corne  nord,  dans  le  voisinage  de  la  tache  brillante  dont  il  est  ques- 
tion plus  haut.  Celte  enlaille  est  extrêmement  petite  et  ressemble  à  un 
cratère. 

31  mars,  de  6'"  15°  à  ô'  4.5°".  —  L'aspect  de  Vénus  est  à  peu  près  sem- 
blable à  celui  des  soirées  précédentes  ;  mais  les  taches  semblent  s'être 
légèrement  déplacées  vers  l'Occident.  La  tache  brillante  et  l'échancrure 
qui  avoisinent  la  corne  boréale  sont  toujours  visibles,  quoique  la  pre- 
mière ne  soit  pas  aussi  distincte  que  la  veille.  Les  images  sont  bonnes 
avec  des  grossissements  de  200  et  290  fois,  très  belles  avec  un  gros- 
sissement de  400  fois. 

5  avril,  de  6  heures  à  6''  30'".  —  Le  croissant  devient  évidemment  plus 
étroit.  Il  y  a  une  ombre  faible  sur  l'hémisphère  nord,  et,  près  de  la  corne 
boréale,  une  échancrure  qui  paraît  très  nette,  quoiqu'elle  paraisse  plus 
éloignée  de  la  corne  que  le  30  ou  le  31  mars;  ce  n'est  peut-être  pas  la 
même.  On  soupçonne  sur  le  disque  la  présence  de  régions  obscures  et 
lumineuses,  et  sur  le  bord  intérieur  l'c.Kistence  de  petites  taches  bril- 
lantes. A  plusieurs  reprises,  on  en  remarque  une  entre  la  corne  boréale 
et  le  milieu  du  bord  :  elle  apparaît  comme  une  boucle  allongée,  parlant 
du  contour  obscur  de  l'hémisphère  non  éclairé.  Les  deu.x  cornes  sont 
très  brillantes  :  leur  lumière  est  véritablement  éclatante  quand  on  la  com- 
pare à  celle  des  régions  voisines  du  bord  extérieur,  lesquelles  sont  invaria- 
blement beaucoup  plus  sombres.  Il  est  très  difficile  de  se  prononcer  d'une 
manière  positive  sur  l'aspect  granulé  du  disque  de  la  planète  et  sur  la  pré- 
sence d'objets  semblables  à  des  cratères  le  long  du  bord  intérieur.  L'ex- 
trême petitesse  de  ces  détails  et  l'instabilité  de  l'image  constamment 
agitée  par  les  ondulations  de  l'atmosphère  sont  deux  causes  qui  doivent 
commander  une  extrême  réserve.  On  ne  peut  jamais  voir  la  surface 
de  la  planète  complètement  dégagée  de  ces  bouillonnemenls  ou  trem- 
blements produits  par  le  passage  continuel  des  vagues  aériennes;  d'aussi 
minuscules  images,  constamment  influencées  par  des  courants  d'air 
chargé  d'humidité  sont  peu  distinctes  et  peu  certaines. 

Eq  résumé,  il  résulte  des  observations  précédentes  qu'il  y  a  cer- 
tainement sur  le  disque  de  Vénus  des  taches  sombres  et  des  régioni 
claires,  ainsi  que  des  points  brillants  qui  se  présentent  de  temps  en 
temps  prés  des  cornes.  Ces  derniers  sont  très  lumineux. 


CÉOCRAPHIE   DE   VENDS 


Les  dessins  do  M.  Denning,  et  notamment  ceux  des  30  et  31  mars, 
mettent  en  évidence  le  t'ait  que  les  positions  des  taches,  examinées 
à  la  même  heure  pendant  plusieurs  nuits  consécutives,  révèlent  un 
léger  mouvement  vers  l'Occident,  qui  confirme  approximati- 
vement la  durée  de  23  heures  21  minutes.  L'axe  est  certainement 
très  incliné,  car  la  direction  du  mouvement  des  taches  par  rapport 
à  la  lipne  des  cornes  est  du  sud-sud-est  au  nord-nord-ouest. 

Un  observateur  qui  noterait  le  mouvement  apparent  des  taches, 
d'une  soirée  à  l'autre,  en  les  observant  chaque  soir  environ  dix- 
neuf  minutes  plus  tard  que  la  veille,  trouverait  certainement  une 
durée  de  rotation  fort  voisine  de  celle  qu'a  conclue  Bianchini.  S'il 
observait  tous  les  soirs  exactement  à  la  même  heure,  il  trouverait 
une  rotation  de  trente-six  jours  environ,  tandis  que  pendant  trente- 
six  jours  la  planète  aurait  accompli  en  réalité  trente-sept  rotations 
complètes.  Mais  si  les  taches  sont  suivies  d'heure  en  heure  pen- 
dant la  même  soirée,  on  s'aperçoit  bien  vite  que  le  mouvement 
est  de  beaucoup  plus  rapide.  Il  ne  faut  pas  cependant  se  dissimuler 
que  l'on  éprouve  de  réelles  difficultés  à  suivre  ainsi,  pendant  une 
assez  longue  période  de  temps,  ces  taches  si  délicates.  Quoiipi'ii  en 
soit,  l'observation  de  Vénus  pourrait  et  devrait  être  continuée  régu- 
lièrement par  quelques  astronomes  amateurs. 

Ces  diverses  séries  d'observations  soigneuses  nous  montrent  qu'il 
y  a  sur  la  planète  Vénus  des  taches  permanentes  et  des  taches 
passagères,  fort  difficiles  à  distinguer  les  unes  des  autres.  Nous 
pouvons  être  assurés,  toutefois,  que  les  points  brillants  qui  vien- 
nent échancrer  le  bord  de  l'hémisphère  éclairé  sont  des  chaînes  de 
montagnes  très  élevées.  Il  est  certain  aussi  que  l'hémisphère  bO' 
réal  est  plus  tnontagneux  que  r hémisphère  austral,  puisque  le 
croissant  boréal  est  presque  toujours  plus  irrégulier  et  plus  tronqué 
.que  le  croissant  austral  (cela  se  voit  surtout  sur  la  figure  du  2J  oc- 
ftobre  1871).  Les  grandes  taches  sombres  observées  à  plusieurs  re- 
I  prises  depuis  plus  de  deux  siècles  doivent  représenter  des  mers, 
et  les  grandes  taches  blanches  des  continents.  Mais  il  se  forme  en 
outre  dans  l'atmosphère  de  Vénus,  assez  souvent  (et  probablement 
même  tous  les  jours,  comme  sur  la  Terre),  des  nuages  et  d'im- 
menses régions  nuageuses  très  étendues,  qui  sont  visibles  d'ici  sous 
la  forme  de  taches  brillantes  variées.  Nous  pouvons  même  con- 


1  Ol'Ocr.AIMIIK.    MO  mai;  NES 


dure,  d'après  l'éclat  tout  particulier  de  la  planète  et  d'après  les 
difficultés  des  observations,  que  l'état  ordinaire  de  son  atmosphère 
est  d'être  couverte  de  nuages;  de  sorte  qu'en  général  nous  ne 
voyons  que  la  surface  extérieure  formée  par  ces  nuages  et  non  i)as, 
comme  sur  la  Lune  ou  sur  Mars,  le  sol  lui-même. 

Telles   sont   nos    connaissances  actuelles  sur  la   géographie  du 


H'J.  —  Irri'gukirili's  observées  sur  le  contour  intérieur  des  phases  de  Vénus, 
Madier.   1833  et  1$3C). 


monde  de  Vénus.  L'examen  de  ses  conditions  d'habitabilité  nous 
amène  maintenant  à  l'étude  de  sa  topographie. 


Les  premières  observations  attentives  ont  montré  à  sa  surface  des 
irrégularités  considérables  pour  son  volume,  formées  par  d'im- 
menses et  hautes  chaînes  de  montagnes,  bien  supérieures  à  nos 
Andes  et  à  nos  Cordillères.  Mais  il  a  fallu  les  soins  les  jiliis  minu- 
tieux pour  s'assurer  de  ces  particularités,  et  surtout  pour  en  me- 
surer la  valeur. 

La  principale  difficulté  d'une  observation  précise  de  la  surface  de 
Vénus  vue  au  télescope  vient  de  la  lumière  excessive  qu'elle  nous 
envoie,  quoiqu'elle  ne  fasse  que  refléter  hi  liuuière  qu'elle  reçoit  du 

TEnitES  DU   CIEL  îîC 


T  0  l' O  (;  lï  A  l>  Il  l  E     .\1(  I  N  TA(;  N  E  S 


Suk'il.  Cette  éclatante  lumière  est  bien  supérieure  à  celle  que  nous 
recevons  de  Jupiter,  et  au  télescope,  comme  à  l'util  nu,  elle  est 
incomparablement  plus  blancbe.  La  valeur  intrinsèque  de  cette 
réflexion  est  prodigieuse.  Pour  le  bien  concevoir,  supposons  que  le 
soleii  de  midi  darde  perpendiculairement  ses  rayons  sur  le  flanc 
d'une  montagne,  et  que  cette  surface  soit  couverte  de  sable  blanc: 
l'éblouissante  lumière  qui  nous  serait  ainsi  réflécbie  n'égalerait 
même  pas  la  moitié  de  celle  que  Vénus  nous  renvoie. 

L'astronome  ZoUner  a  calculé  que  la  planète  Mars  nous  réfléchit 
un  peu  plus  de  lumière  solaire  que  si  sa  surface  était  recouverte 
de  sable  blanc.  Supposons  qu'il  èn_soit  de  même  de  Vénus.  Comme 
elle  est  plus  proche  du  Soleil,  et  qu'elle  reçoit  à  surface  égale  deux 
fois  plus  de  lumière  que  la  Terre,  son  disque  doit  paraître  plus  de 
deux  fois  plus  brillant  que  du  sable  blanc  illuminé  de  face.  La 
distance  n'est  pour  rien  dans  la  proportion;  elle  peut  diminuer 
l'éclat  des  objets  vus  à  travers  une  atmosphère  plus  ou  moins  opa- 
que, mais  elle  ne  l'atténue  pas  à  travers  le  vide. 

Ce  grand  éclat  de  Vénus  apporte  un  singulier  obstacle  à  la  netteté 
des  détails  de  sa  surface,  qui  éblouit  l'œil,  même  en  réduisant 
l'ouverture  des  lunettes  et  en  diminuant  la  lumière.  Mais  quoique 
cette  planète  soit  si  difficile  à  observer,  il  y  a  cependant  une  circon- 
stance de  son  mouvement  qui  met  en  évidence  le  relief  géologique 
de  sa  surface  :  ce  sont  ses  phases,  analogues  à  celles  de  la  Lune, 
comme  nous  l'avons  vu.  Lorsqu'elle  arrive  entre  le  Soleil  et  nous, 
elle  nous  apparaît  sous  la  forme  d'un  croissant  de  grande  dimen- 
sion. Nous  ne  voyons  malheureusement  pas  sa  partie  centrale,  dont 
l'observation  serait  alors  si  utile;  mais  son  bord  illuminé  dessine 
pour  nous  les  irrégularités  de  sa  surface,  et  nous  permet  d'es- 
sayer sur  elle  l'observation  que  nous  avons  faite  depuis  longtemps 
sur  la  Lune,  c'est-à-dire  de  mesurer  la  hauteur  de  ses  mon- 
tagnes. 

Sur  la  Terre,  sur  la  Lune,  sur  Vénus,  sur  un  globe  quelconque 
éclairé  par  le  Soleil,  le  cercle  intérieur  qui  limite  une  phase,  la 
ligne  qui  borde  le  croissant  éclairé,  dessine  la  région  sur  laquelle  le 
soleil  se  lève  ou  se  couche.  Les  sommets  des  montagnes  sont  illu- 
minés au  lever  du  soleil  avant  la  plaine  qui  s'étend  à  leur  pied,  et  le 
contraire  a  lieu  au  coucher  du  soleil.  C'est  ce  qui  rend  si  remar- 


VÉNUS. —  TOPOGRAPHIE.   MONTAGNES 


(funlilo  la  VTic  triescopique  dos  paysages  lunairrs  le,  long  des  iripri-^ 
diens  situés  à  la  limite  do  rillumination  solaire.  Aux  environs  du' 
premier  quartier  notamment,  le  bord  intérieur  de  la  Lune  est  frangé 
d'échanorures  nettes  et  profondes  causées  par  les  aspérités  du  ter- 
rain, qui  produisent  l'effet  d'une  admirable  dentelle,  lorsque  le 
grossissement  qu'on  emploie  pour  les  observer  n'est  pas  assez  fort 
pour  en  révéler  la  véritable  nature.  En  réalité,  un  des  plus  beaux 
spectacles  de  l'astronomie  pratique  et  en  même  temps  un  des  plus 
faciles  à  se  procurer,  c'est  sans  contredit  de  diriger  une  lunette  sur 
l'astre  argenté  de  la  nuit  dans  les  beaux  soirs  qui  précèdent  le  premier 
quartier  :  l'œil  émerveillé  voit  se  détacher  dans  le  ciel  un  croissant 
d'argent  fluide,  dont  la  contemplation  élève  notre  pensée  bien  au- 
dessus  des  choses  ordinaires  de  la  vie  terrestre.  Une  telle  heure 
d'étude  est,  ne  craignons  pas  de  l'avouer,  tout  simplement  déli- 
cieuse. 

Nos  lecteurs  savent  que  c'est  en  mesurant  la  distance  qui  sépare 
le  sommet  ainsi  éclairé  d'un  pic  lunaire  de  la  limite  de  l'ombre, 
que  les  astronomes  ont  pu  calculer  la  hauteur  précise  de  toutes  les 
montagnes  de  la  Lune. 

Des  phénomènes  analogues  sont  présentés  par  la  planète  Vénus, 
seulement  sa  grande  distance  les  rend  difficiles  à  observer;  tandis 
que  nous  avons  pu  mesurer  les  hauteurs  de  toutes  les  mdulagucs  de 
la  Lune  à  quelques  mètres  près,  nous  n'avons  encore  pu  distinguer 
que  les  hauts  plateaux  qui  hérissent  le  sol  de  la  planète,  comme 
l'Himalaya,  les  Andes,  les  Alpes,  le  font  sur  la  Terre,  mais  dans  des 
proportions  plus  considérables  encore.  Si  le  globe  de  Vénus  était 
parfaitement  uni,  la  limite  entre  l'hémisphère  éclairé  et  l'hèi ai- 
sphère  obscur  serait  toujours  nette  et  uniforme;  ces  montagnos  la 
rendent  au  contraire  fort  irrégulière. 

Dés  l'année  1700,  Laliiro,  astronome  français,  observant  Vénus 
pendant  le  jour,  près  do  sa  conjonction  inférieure,  aperçut  sur  la 
partie  intérieure  du  croissant  des  inégalités  qui  ne  pouvaient  être 
produites  que  par  des  montagnes  plus  hautes  que  celles  de  la  Lune. 
La  lunette  dont  il  se  servait  avait  5"',20  de  distance  focale  et  grossis- 
sait 90  fois. 

Dans  la  première  moitié  du  siècle  dernier,  le  pasteur  anglais 
Derham,  auteur  de  la  «  Théolo£!;i«  astronomique  »,  fît  remarquer 


V  r:  M' s.  —  r  0 1'  I m;  K  A l' Il  1 K.  >i  0  .N  r  a  c  n  k  s 


aussi  qu'on  (ilisf'i-vniit  1p  ornissant  do  Yôniis  dans  le  télescope  de 
Huygciis,  il  avait  vu  des  sinuosités  et  des  inégalités  analogues  à 
celles  que  nous  observons  dans  le  croissant  lunaire. 

L'astronomie  est  redevable  à  Scbrôter  d'une  excellente  série 
d'observations  faites  ;ï  la  fin  du  siècle  dernier.  En  portant  son  atten- 
tion sur  la  partie  du  croissant  voisine  des  cornes,  il  les  vit  quelque- 
fois tronquées,  et  même,  le  28  décembre  1789,  le  31  janvier  1790  et 
le  27  février  1793,  il  aperçut  prés  de  la  corne  méridionale  un  point 
lumineux  tout  à  fait  isolé,  séparé  du  reste  du  croissant  par  un 
espace  obscur.  Ces  irrégularités  variaient  de  forme  précisément 
comme  elles  doivent  le  faire,  suivant  l'inclinaison  des  rayons  so- 
laires et  le  relief  du  sol.  Ici  une  plaine  ou  une  mer,  plus  loin  un 
haut  plateau  qui  s'interpose  comme  un  pont  entre  la  lumière  et 
l'ombre;  ici  des  vallées,  là  des  pics  montagneux  découpant  une  bor- 
dure variée  à  la  limite  de  l'hémisphère  éclairé.  Plusieurs  des  effets 
observés  par  Schrôter  furent  si  remarquables,  qu'ils  lui  firent  tout 
de  suite  conclure  que  les  chaînes  de  montagnes  de  Vénus  doivent 
être  beaucoup  plus  élevées  que  celles  de  la  Terre. 

Ces  irrégularités  lui  avaient  paru  assez  marquées  et  assez  évi- 
dentes pour  permettre  d'en  conclure  la  durée  de  la  rotation,  qu'il 
trouva  de  23  heures  21  minutes  8  secondes.  Il  alla  même  jusqu'à 
évaluer  la  hauteur  de  ces  montagnes  et  à  leur  attribuer  une  élé- 
vation de  43  kilomètres,  conclusion  très  incertaine  d'ailleurs.  "Wil- 
liam Herschel  attaqua  ces  découvertes  dans  les  «  Transactions  philo- 
sophiques »  de  1793;  mais  Schrôter  réfuta  cette  attaque  dans  le 
volume  de  1795. 

Pendant  les  anné  "s  1833  et  1836,  les  astronomes  Béer  et  Mâdler 
se  sont  occupés  spécialement  du  même  sujet,  et  ont  vérifié  que 
les  courbes  qui  bordent  le  croissant  intérieur  de  la  planète  n'ont 
pas  exactement  la  configuration  mathématique  qu'indique  la 
théorie.  Ils  ont  dessiné  une  série  de  figures,  dont  nous  avons  repro- 
duit plus  haut  {fig.  129)  les  huit  principales  d'après  leurs  dessins 
originaux.  Sans  entrer  dans  les  détails  d'observations  et  de  dates  de 
ces  huit  phases,  qu'il  nous  suffise  de  prier  le  lecteur  de  considérer 
attentivement  les  lignes  intérieures  des  croissants  :  on  remarque 
une  différence  essentielle  entre  ces  lignes  intérieures  et  la  courbe 
extérieure.  Tandis  que  celle-ci  est  toujours  ronde  et  nette,  l'autre 


VENUS.  — TOPOGRAPHIE.   MONÏAONliS 


est  irrégalière,  et  ses  échancrures,  faibles  en  apparence,  fortes  si  on 
les  analyse  avec  soin,  en  tenant  compte  de  leurs  proportions  relati- 
vement au  diamètre  de  la  planète,  prouvent  irréfutablement  le 
relief  géologique  du  sol  de  Vénus  et  l'importance  de  ce  relief. 

De  ces  observations  ils  n'ont  pas  essayé  do  déduire  une  période 
de  rotation  à  cause  de  l'incertitude  des  taches  et  des  échancrures 
observées.  Cependant  la  comparaison  de  ces  aspects  les  ont  con- 
duits à  regarder  la  période  de  Cassini  comme  probable,  et  malgré 
les  incertitudes,  ils  n'en  considèrent  pas  moins  comme  incon- 
testables les  échancrures  observées.  «  Nous  accordons  volontiers, 
écrivent-ils  dans  leurs  Fragments  sur  les  corps  célestes  (Paris, 
1840),  qu'il  puisse  exister  certaines  illusions  d'optique  dans  les 
déterminations  de  la  forme  des  cornes  et  de  la  figure  elliptique  de  la 
phase  de  Vénus,  qui  ne  reposent  que  sur  des  appréciations  ;  mais 
que  l'on  soit  en  droit  d'envisager  sans  autre  motif  une  série  entière 
de  semblables  observations  comme  des  erreurs  réelles,  c'est  ce  que 
nous  regardons  comme  impossible.  Surtout  les  variations  remar- 
quées dans  la  corne  australe  ne  peuvent  point  du  tout  être  causées 
uniquement  par  l'atmosphère  ou  le  télescope,  car  dans  ce  cas  elles 
auraient  dû  aussi  se  présenter  de  la  même  manière  dans  la  corne 
boréale.  » 

A  propos  de  la  différence  signalée  plus  haut  entre  la  phase  cal- 
culée et  la  phase  observée,  ils  ajoutent  : 

Lorsqu'on  cvaiiiioe,  même  à  l'œil  nu,  que  la  lune  croissante  ou  décrois- 
sante, surtout  pendant  le  jour,  la  largeur  de  la  partie  visible,  prise  per- 
pendiculairement à  la  ligne  qui  joint  les  cornes,  apparaît  sensiblement 
diminuée,  et  l'on  remarque  une  concavité  très  prononcée  dans  la  limite 
de  la  lumière,  lorsque  l'astre  est  déjà  réellement  dans  sa  quadrature.  Les 
grandes  ombres  noires  des  hautes  montagnes  de  la  lune  entre  lesquelles 
on  ne  peut  apercevoir  près  de  la  limite  de  la  lumière  que  de  petites  éten- 
dues peu  nombreuses,  et  pour  la  plupart  très  éclairées,  produisent  une 
impression  générale  tout  à  fait  semblable  à  celle  que  produit  le  fond 
obscur  du  ciel,  et  ce  n'est  qu'au  moyen  du  télescope  qu'on  peut  les  distin- 
guer l'une  de  l'autre.  Si  maintenant,  par  un  grossissement  encore  appli- 
cable, Vénus  est  placée  pour  nous  à  peu  près  dans  le  même  rapport 
optique  que  la  Lune  vue  à  l'aul  nu,  et  si  sa  surface  est  ainsi  couvert*  de 
montagnes,  le  phénomène  devra  se  présenter  tel  que  nous  l'avons 
observé. 


V K m: S.  —  T (» p (ici; a p h i e.  m u n tag n li- 


Si  ces  montagnes  étaient  proportiomiellement  -àWAsi  liau! es  que  celles 
de  la  Lune,  et  si  elles  atteignaient,  par  conséquent,  sur  Vénus  un 
maximum  de  5  à  G  lieues,  la  limite  de  la  lumière  devrait  se  montrer  iné- 
gale et  dentelée,  comme  celle  de  la  lune  à  i  œil  nu.  Quelques  observa- 
teurs priHendent  avoir  constaté  et  mesuré  ces  échancrureo  ;  mais  nous 
pouvons  assurer  que  tout  en  les  ayant  remarqués  nous  n'avons  pu  pren- 
dre aucune  mesure  certaine.  Gonpme  en  outre  l'état  de  ralmos[)lière,  la 
réfraction,  etc.,  peuvent  avoir  et  ont  très  probablement  en  etlet  une 
grande  part  à  cette  variation  dans  les  limites  de  la  lumière,  il  serait 
inutile  de  vouloir  tirer  quelque  déduction  sur  la  hauteur  précise  des 
montagnes  de  Vénus  ('). 

Bocr  et  Miidler  ont  observé  une  courbure  singulière  de  la  corne 
méridionale  correspondant  avec  une  dépression  déjà  remarquée 
par  Sclirôter.  Le  même  fait  a  été  vérifié  par  divers  observateurs, 
notamment  par  Flaugergues  et  Valz,  en  France,  et  par  Breen  à  Gara- 
bridge.  Mais  les  plus  curieuses  observations  sur  ce  point,  comme 
sur  l'examen  général  de  la  planète,  ont  été  faites  en  1841,  à  Rome, 
par  le  P.  de  Vico  et  ses  assistants.  Parmi  leurs  descriptions, 
on  remarque,  en  effet,  celle  A'une  vallée  entourée  de  mon- 
tagnes, ressemblant  beaucoup  aux  types  des  cratères  lunaires,  et 
mesurant  4",5  de  diamètre.  Le  croissant  était  étroit,  et  près  de 
la  corne  boréale  ils  aperçurent  d'abord  une  tache  noire  oblongue 
qui  se  borda  ensuite  d'une  forte  lumière,  puis  empiéta  de  la  moitié 
de  sou  anneau  sur  l'hémisphère  obscur,  et  linit  par  former  une 
ècbancrure  noire  entre  deux  projections  brillantes,  oITrant  l'aspect 
d'une  corne  à  triple  pointe.  En  1857,  le  P.  Secclii,  au  même 
observatoire,  à  l'aide  de   son  équatorial  de    9   pouces,  étudia  le 


(')  Lps  mûmes  observateurs  ajoutent: 

Vénus  et  !a  Terre  peuvent  être  regardées  comme  ayant  un  diamètre  à  peu  près 
égal.  Or,  l'ombre  qu'une  montagne  haute  de  8000  mètres  répand  sur  la  Terre,  lorsqu'elle 
se  projette  sur  une  surface  tout  à  fait  plane  et  qu'elle  atteint  jusqu'à  la  limite  de  la 
lumière,  couvre  2', 50'  de  l'équateur  et  est  aperçue  sous  un  angle  de  0",594,  lorsque  le 
demi-diamètre  de  la  planète  apparaît  à  une  grandeur  de  12",  ce  qui  est  justement 
le  cas  dans  les  quadratures  de  Vénus;  et   pour  une  montagne  dont  la  hauteur  sera 

,   80(10     .  0",;>'.)i 

de  mètres,  la  grandeur  de  l'ombre  sera  environ  =     , .   Donc,  pour  expliquer 

la  (liuiinution  de  largeur  de  la  partie  visililc,  comme  nous  l'avons  trouvée  plus 
haut,  rien  ne  nous  engage  à  donner  à  Vi'nus  de  pins  hautes  montagnes  ipi'à  la 
Terre. 


V  É  N  r  s.  —  T  l>  1'  0  C.  r,  A  P  II  1  E.    MON  TAC.  N  K  S 


croissant  Idi-sipi'il  ii'.ivait  oncoi'c  que  Û",4  de  largeur,  et  constata 
qu'il  prés(MitaiL  iiuc  (l(''pressiou  diminuant  encore  sa  largeur. 

La  poiuli'  auslnilc  du  croissant  de  Vénus  a  été  vue  énioussée  par 
plusieiu's  observateurs,  nolamment  par  Gruithuisen  en  1847.  II 
en  est  de  nièuie  des  dentelures,  qui  ont  été  remarquées  par  un 
grand  umuliri'  d'aslrimomes.  Nous  reproduisons  ici  deux  dessins  de 
Gruilluiiscu,  (pu  munirent  (exagérées  sans  doute)  les  écliancrures 
du  Ijdi'd  el,  les  taches  polaires. 

Eu  lS7(i,  le  liai'nu  Van  Ei'HtDrii  a  o])sei'vé  plusieurs  fuis   un  point 


Ki;;.  loO.  —  A^pocl^  léloscopiqucs  du  lu  pluut'le  Véuus,  par  Oiuilli 


brillant  détaché  de  la  corne  australe.  La  même  année,  M.  Aiciiuis, 
à  Cadix,  a  signalé  une  échancrure  dans  la  même  région.  Du  reste, 
cette  échancrure  de  la  corne  australe  peut  être  observée  assez  fré- 
quemment, et  elle  est  parfois  si  évidente  que  des  personnes  qui 
n'ont  pas  l'habitude  des  observations  la  remarquent  immédiate- 
ment, l'autre  corne  du  croissant,  beaucoup  plus  unie,  servant  de 
comparaison  inévitalde.  Quant  à  la  hauteur  de  ces  irrégularités, 
évaluée  par  Schrôter  à  43 000  métrés,  il  faudrait  de  nouvelles 
mesures,  concordantes  et  précises,  pour  la  certifier. 

Ces  observations  ont  été  maintes  fois  répétées  et  confirmées  en 
ces  dernières  années.  Ces  irrégularités  du  sol  se  manifestent  plus 
facilement  et  plus  fréquemment  que  les  taches  dues  aux  continents 
et  aux  mers,  même  en  écartant  les  ondulations  optiques  produites 
par  les  vagues  de  l'air.  En  l<S7G,  l'u  itarticulier,  époque  où  la  planète 


V É N U s .  —  T( 1 1' 0 (; It  A l' H  1  K.    M 0 N TAC  N  K S 


s'est  présentée  en  d'excellentes  cunditions  d'observation,  je  n'ai  pu 
parvi'nir,  pour  ma  part,  à  distinguer  aucune  tache  sur  son  croissant, 
à  l'aide  d'un  très  bon  télescope  de  2U  centimètres  de  diamètre 
armé  d'un  grossissement  de  40U  fois,  tandis  que  j'ai  plusieurs  fois 
remarqué  les  irrégularités  dont  il  vient  d'être  question,  et  l'atlai- 
blissement  de  lumière  sur  le  contour  intérieur,  du  à  l'atmosphère 
de  Vénus.  11  en  a  été  de  même  pour  les  observateurs  des  équato- 
riaux  de  l'Observatoire  de  Paris,  et  pour  ceux  du  puissant  télescbpe 
de  80  centimètres  de  l'Observatoire  de  Toulouse. 

En  I8(S[,  M.  Niesten  a  fait  à  l'Observatoire  de  Bruxelles  les  quatre 


«81.  1"  juillet.  4  juillet.  Uju.llet. 

Fig.  131.  —  Aspocis  lélescopiques  de  la  plunùte  Vénus.  Dessins  de  M.  Niestfii 


dessins  que  nous  reproduisons  ici  (/?//.  llil)  et  qui  montrent  liien 
ces  ècliancrures  caractéristiques.  Dans  les  figures  du  30  juin  et  du 
14  juillet,  le  pointillé  indique  la  tache  blanche  polaire. 

Les  mesures  prises  sur  ces  irrégularités  s'accordent  pour  [irouver 
que  le  monde  de  Vénus,  quoique  de  mêmes  dimensions  que  le 
nôtre,  possède  des  montagnes  beaucoup  plus  élevées.  Ce  n'est  pas 
dépasser  les  limites  de  la  vraisemblance  d'imaginer  (|u'un  observa- 
teur placé  dans  l'hémisphère  austral  de  la  planète,  à  l'heure  du 
lever  du  soleil,  aurait  devant  les  yeux,  non  pas  une  plaine  indéfinie, 
analogue  aux  steppes  de  la  mer  Caspienne  ou  même  siin[)Iement  à 
celles  de  la  Beauce  ou  de  la  Champagne,  mais  apercevrait  au  loin 
d'abruptes  chaînes  de  montagnes,  produits  des  soulèvements  an- 
tiipies  (le  la  planète,  dominant  les  campagnes  comme  des  géants 


Le«  montagnes  <le  Vénus,  au   levrr  du  soleil. 
TERRES  DU  CIEL  ST 


MONTAGNES    I)F.    VENUS 


restés  debout  devant  l'histoire  de  la  nature.  Les  nuages  qui  ceignent 
leurs  fronts,  et  dont  l'éclatante  blancheur  envoie  ses  reflets  jusqu'ici, 
doivent  donner  à  ces  panoramas  un  aspect  plus  grandiose  encore 
que  celui  de  nos  Alpes  au  soleil  levant,  d'autant  plus  que  la  lumière 
y  est  plus  intense  et  que,  sans  doute,  les  forces  volcaniques  n'étant 
pas  éteintes  sur  cette  terre  plus  jeune  que  la  nôtre,  de  récentes  com- 
motions doivent  laisser  voir  leurs  profondes  et  vives  déchirures,  si 
môme  toutes  ces  cimes  ne  sont  pas  autant  de  cratères  aux  panaches 
enflammés. 

Ainsi,  déji'i  nous  avons  vu  que  Vénus  est  un  globe  opaque  comme 
la  Terre,  sans  lumière  propre,  éclairé  par  le  Soleil,  offrant  diverses 
phases  suivant  sa  position,  possédant  un  volume  et  un  poids  peu 
différents  de  ceux  de  notre  globe,  ayant  des  années  de  224  jours 
et  des  journées  un  peu  plus  courtes  que  les  nôtres;  montrant  enfin 
que  sa  surface  est  diversifiée,  comme  celle  de  notre  planète,  par 
des  montagnes  et  des  vallées,  des  hauteurs  et  des  plaines  analogues 
à  celles  qui  forment  la  base  de  nos  sympathiques  paysages  ter- 
restres. Allons  un  peu  plus  loin  encore  dans  l'étude  de  ce  monde 
voisin,  et  occupons-nous  maintenant  de  son  atmosphère.  Quels 
renseignements  l'observation  nous  fournit-elle  sur  ce  sujet  si 
important? 


CHAPITRE  V 


L'atmosphère  de  Vénus. 


Jusqu'en  ces  dernières  années,  on  pouvait  douton-  de  l'existence 
de  l'atmosphère  de  Vénus;  mais  aujourd'hui  nous  avons  en  mains 
les  preuves  irrécusables  de  la  similitude  complète  de  ce  monde 
avec  le  nôtre  :  non  seulement  nous  savons  que  cette  atmosphère 
existe,  mais  encore  nous  avons  mesuré  son  épaisseur,  sa  densité, 
et  même  sa  constitution  diiiuiiiue  et  physique. 

Les  premières  prohabilités  en  avaient  été  données  au  siècle 
dernier  par  les  observations  du  passage  de  la  planète  devant  le 
Suli'il  iMi  I7(jl  et  I7()'.);  maison  pouvait  attribuer  les  effets  observés 
à  di'^  ilhisioiis  d'optique.  A  la  fin  du  siècle  dernier,  Schrôter 
remarqua  sur  l'une  des  phases  de  ce  globe,  le  long  du  bord  éclairé, 
une  faible  lumière  paraissant  dénoter  un  effet  crépusculaire.  Les 
dessins  du  même  observateur  montrent  des  bandes  sombres 
traversant  le  disque  et  dues  évidemment  à  l'existence  d'une 
atmosphère.  Ces  mêmes  bandes  ont  été  vues  depuis,  notamment 
par  lord  Rosse,  De  la  Rue  et  Buffham.  Une  autre  preuve  peu 
contestal)le  de  l'atmosphère  de  Vénus  avait  été  donnée  par  l'allon- 
gement du  croissant  dans  .^a  longueur  comme  dans  sa  largeur, 
allongement  proihiit  par  la  kimière  du  Soleil  éclairant  soit  une 
atmosphère,  soit  des  nuages;  —  ce  qui  revient  au  même,  car 
il  n'y  a  pas  de  nuages  sans  atmosphère. 

Parmi  les  astronomes  qui  ont  examiné  cette  belle  planète  avec 
attention,  il  n'en  est  aucun  qui  n'ait  remarqué  combien  la  partie 


i.'Aï.MdM'iii.Ki;   m:  vkms 


(lu  croisrfaut  extérieure  ou  tournée  du  côté  du  Soleil  est  plus 
brillante  que  la  courbe  elli[itiiiuc  intérieure  (|ui  numjue  la  ligue 
de  séparation  d'ombre  et  de  lumière.  Cet  uiïaiblissement  prouve 
l'existence  de  l'atmospliére  de  Vénus.  Les  rayons  venus  du  Soleil 
qui  sont  réflécbis  sur  le  sol  de  la  planète  tormant  le  bord  circulaire 
(lu  croissant  ont  traversé  en  effet  une  moindre  épaisseur  d'atmo- 
spliére  que  ceux  qui  arrivent  sur  des  parties  plus  nu  moins 
voisines  du  cercle  terminateur.  Un  se  rendra  conqite  de  cet  effet  à 
l'inspection  du  petit  dessin  ci-dessous. 

Le  bord   intérieur  du  croissant   de   Vénus   montrant  u;:e   y.ijue 
prise,    une   pi''nr>m]ire.    prodni^"   par    ce   t'ait  que    le    loni:-    de  ce 

niériilieu  le  Soleil  n'éclaire  pas 
le  sul  de  la  planète,  mais  seu- 
lement l'atmospbère,  comme  il 
arrive  ici  au  lever  et  au  couclier 
du  soleil,  nous  pouvons  en  con- 
clure que  nous  apercevons  d'ici  b's 
crépuscules  du  ynondede  Vénus, 
l'aube  et  le  déclin  du  jour. 

On  pourrait  objecter  que  le  dé- 
croissement  de  lumière  observé 
entre  le  contour  extérieur  du  crois- 
sant et  le  contour  intérieur  i)eut 
être  causé  par  la  largeur  du  dia- 
mètre du  Soleil,  suivant  qu'il  est 
plus  ou  moins  élevé  au-dessus  de  l'horizon  de  la  zone  où  se 
montre  la  pénombre.  La  géométrie  répond  catégoriquement  à 
cette  supposition.  Le  Soleil,  étant  plus  grand  que  Vénus,  éclaire 
un  peu  plus  d'un  hémisphère  de  cette  planète;  la  ligne  passant  par 
les  deux  cornes  ne  doit  pas  être  un  diamètre  de  l'astre,  mais  bien 
une  corde  située  un  peu  au  delà  du  centre.  Le  diamètre  du  Soleil, 
vu  de  Vénus,  est  de  44'.  Il  en  résulte  que  vers  la  ligne  de  séparation 
d'ombre  et  de  lumière,  il  y  a  des  parties  du  sol  éclairées  seulement 
par  une  portion  presque  insensible  de  cet  astre,  tandis  que  d'autres 
parties  reçoivent  les  rayons  émanés  du  disque  entier.  Mais,  tout 
compte  fait,  sur  le  globe  de  Vénus,  les  premiers  de  ces  points,  ceux 
qui  sont  à  peine  éclairés,  ne  doivent  paraître  distants  des  points 


CroissaLl  de  Vénus,  moiiliaiU  l'effet  du  crépuscule. 


L'ATMOSPHÈRK    DE     VEMS 


que  le  Soleil  éclaire  entièrement  que  d'un  tiers  de  seconde  environ  : 
c'est  imperceptible.  L'amplitude  angulaire  dans  laquelle  s'opère 
ie  décroissement  d'intensité  observé  est  bien  autrement  considé- 
rable. 

La  discussion  des  observations  prouve  que  cette  pénombre  ne 
peut  être  -causée  que  par  une  atmosplière  entourant  le  globe  de 
Vénus,  et  peu  différente  de  la  nôtre  comme  épaisseur,  —  plutôt 
plus  élevée  que  moins. 

D'autre  part,  la  ligue  qui  partage  ces  deux  portions,  et  qui  doit 
être  droite  au  moment  de  la  quadrature  n'arrive  pas,  en  générai^ 
aux  dates  calculées  :  il  y  a  souvent  une  différence,  d'un  côté  ou  de 
l'autre,  de  trois  ou  quatre  jours  avec  la  date  indiquée  par  le  calcul. 
Ces  deux  faits  doivent  avoir  pour  cause  l'atmospbère  de  Vénus  et 
les  nuages  qui  flottent  dans  les  hautes  régions  de  cette  atmosphère. 

Ces  premières  mesures  rudimentaires  étaient  faites,  quand  la 
merveilleuse  découverte  de  l'analyse  spectrale  fut  donnée  à  la 
science.  Les  astronomes  s'empressèrent  de  l'appliquer,  et  ce  n'est 
pas  sans  un  sentiment  de  grande  satisfaction  que  nous  avons 
appris  C)  que  c'est  après  avoir  lu  notre  ouvrage  sur  «  la  Pluralité 
des  mondes  habités  »  que  M.  Huygens  commença,  en  Angle- 
terre, cette  importante  étude  des  atmosphères  planétaires.  Lf^^ 
premières  recherches  de-  cet  habile  astronome  donaèrent  les 
résultats  suivants  (1866)  : 

«  (Juoique  le  spectre  de  Vénus  soit  brillant,  et  que  l'on  y  voie  très  bien 
les  raies  de  Fràunhofer.je  n'aipu  y  découvrir  aucune  raie  additionnelle 
révélant  la  présence  d'une  atmosolière.  L'absence  de  ces  raies  peut  être 
due  à  ce  que  la  lumière  est  probablement  rétléchie  non  par  la  surface  de 
ce  globe,  mais  par  des  nuages  situés  aune  certaine  hauteur.  La  lumière 
qui  nous  parviendrait  aixsi  par  réflexion  sur  les  nuages  n'aurait  pas  été 
exposée  à  '"îction  absorbante  des  coucbes  plus  denses  de  Talmosphere  de 
la  planèlt 

Ces  premiers  résultats  n'avançaient  pas  beaucoup  la  question. 
M.  Huygens,  ayant  recommencé  ces  expériences  en  diverses  condi- 
tions, finit  par  découvrir  dans  ce  spectre  des  raies  s'ajoutaut  a 
celles  du  spectre  solaire. 

{'J  Voir  le  Cosmos,  année  1807. 


LATMOSPIIÉKE    DE    VÉNUS 


Depuis ,  les  observations  de  Vogel  ont  confirmé  l'existence  de  ces 
raies,  analogues  aux  raies  d'absorption  de  l'atmosphère  terrestre. 

«  Les  modifications  apportées  par  l'atmospiière  de  Vénus  au  spectre 
solaire  sont  très  faibles,  dit-il;  il  faut  en  conclure  que  les  rayons  solaires, 
qui  nous  sont  renvoyés  par  cette  planète,  sont  réfléchis  pour  la  plupart 
à  la  surface  de  la  couche  de  nuages  qui  l'enveloppe,  sans  pénétrer  dans 
l'intérieur.  Cependant,  il  y  a  des  raies  particulières,  parmi  lesquelles  on 
reconnaît  celles  de  la  vapeur  d'eau.  On  peut  donc  admettre  comme  très 
probable  que  l'atmosphère  de  Vénus  renferme  de  l'eau,  cet  élément  si 
indispensable  à  la  vie.  » 

Telles  sont  les  propres  expressions  de  l'astronome  allemand. 
En  Italie,  le  P.  Secchi  avait  trouvé  de  son  côté  les  lignes  suivantes 
dans  le  spectre  de  la  planète  : 

RAIES    d'absorption     DANS     LE     SPECTRE    DE     LATMOSPHÈUE    DE    VÉNUS 

k  dans  le  rouge 1,72  b'  dans  le  vert a, 09 

»      —  —        2,16  X      —    le  bleu 5,62 

C      —    l'orangé 2,50  F      —        —       6,27 

D'     —    le  jaune 3,22  G      —    le  violet 7,98 

S       —  —        3,31  H      —        —  9,40 

E     —  —        4,S3  w     —        —  10,00 

'  .-i  dernière  colonne  de  ce  petit  tableau  indique  la  position 
ây:à  i.^jL':i  '^n  parties  du  micromètre  employé  pour  les  mesurer. 
La  conclusion  a  été  que  la  vapeur  d.eau  agit  dans  l'atmosphère 
de  Vénus  pour  absorber  la  lumière  reçue  du  Soleil. 

De  plus,  M.  Respighi,  directeur  de  l'Observatoire  du  Capitole 
à  Rome,  y  a  trouvé  les  raies  de  l'azote. 

M.  Huygens  a  repris,  en  1879,  l'analyse  spectrale  des  planètes 
Vénus,  Mars  et  Jupiter,  et  y  a  retrouvé  les  raies  atmosphériques  que 
l'on  voit  dans  le  spectre  de  l'atmosphère  terrestre.  En  même  temps 
il  a  examiné  au  spectroscope  différentes  régions  de  la  surface 
lunaire,  et  toujours  le  résultat  a  été  négatif  quant  à  l'existence 
d'une  atmosphère. 

Ainsi  :  1°  la  planète  Vénus  est  certainement  entourée  d'une 
atmosphère  ;  2°  cette  atmosphère  est  aussi  épaisse  ou  plus  épaisse 
que  celle  que  nous  respirons  ;  3°  elle  est  formée  d'un  gaz  qui  paraît 
analogue  au  mélange  qui  forme  notre  air  :^  4"  elle  est  parsemée  de 
nuages,  en  très  grand  nombre. 


L'ATMOSPHÈKE    DE     VÉNUS 


Mais  continuons  notre  étude  :  on  doit  aux  derniers  passages  de 
Vénus  devant  le  Soleil  des  documents  plus  nouveaux  et  plus  pré- 
cieux encore. 

Comme  nous  l'avions  prévu,  les  expéditions  envoyées  pour 
l'observation  de  cet  important  phénomène  céleste  ont  trouvé,  en 
dehors  du  but  spécial  de  leur  mission ,  des  résultats  étrangers  à  ce 
but  et  tout  à  fait  inattendus.  Parmi  ces  résultats,  l'un  des  plus 
importants  et  des  plus  intéressants,  est  sans  contredit  la  vérification 
de  l'existence  de  l'atmosphère  de  Vénus,  sa  mesure  définitive  et  son 
analyse  chimique. 

La  première  relation  des  observateurs  du  passage  de  Vénus,  du 
8  décembre  1874,  qui  ait  eu  pour  objet  l'atmosphère  de  cette 
planète,  est  celle  de  l'astronome  Tacchini,  de  l'Observatoire  de 
Palcrme,  chef  de  la  mission  italienne  envoyée  à  Muddapur  (Bengale). 
Dans  une  lettre  écrite,  le  lendemain  môme  du  passage,  au  Ministre 
de  l'instruction  publique  d'Italie,  et  publiée  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  des  spectroscopistes  italiens,  le  savant  observateur  exposait 
le  fait  dans  les  termes  suivants  : 

«  Avant  l'heure  à  laquelle  Vénus  allait  sortir  du  Soleil,  par  un  ciel  très 
pur,  j'ai  examiné  le  spectre  solaire  dans  le  voisinage  de  la  magnifique 
bandé  obscure  formée  par  Vénus.  Ce  spectre  se  présentait  partout  à  l'état 
normal,  à  l'exception  de  deux  positions,  dans  lesquelles,  après  le  passage 
de  la  bande  de  la  planète,  on  voyait  un  léger  obscurcissement  en  deux 
points  du  rouge  correspondant  aux  lignes  d'absoption  de  notre  atmosphère  : 
le  phénomène  parait  donc  dû  à  la  présence  de  P atmosphère  de  Vénus, 
probahlemeyit  de  même  nature  que  la  nôtre  (').  » 

Spécialement  versés  dans  l'étude  de  l'analyse  spectrale  du  Soleil, 
et  habitués  depuis  plusieurs  années  à  faire  journellement  cette  ana- 
lyse, les  astronomes  italiens  avaient  surtout  pour  but  d'appliquer  le 
spectroscope  à  l'observation  du  passage  de  Vénus.  Dans  cette  obser- 
vation, ils  ont  inopinément  non  pas  vu  dans  une  lunette,  ik.ùs 
constaté   au   spectroscope   l'existence    de   l'atmosphère  de  cette 

(')  «  Prima  del  terzo  contatto  »  dit-il,  «  in  un  intervallo  di  cielo  purissimo,  esaminai 
lo  spettro  del  Sole  in  vicinanza  délia  mac;nifica  banda  oscura  di  Venere,  e  trovai  che  in 
tutto  rcstava  normale  ail'  infuori  di  due  posizioni,  nelle  quali  dopo  passata  la  banda 
délia  pianota,  si  vedeva  ancora  un  leggicro  offuscamento  in  due  punti  del  rosâo,  che  cor- 
rispiindano  aile  bande  nere  della  nostra  atmosfera  :  il  fcnomeno  dunque  sembrerebbe 
dovuto  alla  presenza  deU'atmosfera  di  Venere,  probabilmente  del  génère  della  nostra.  » 


L'ATMOSl'HÈtiK    I)  K    VÉNCS 


planète  voisine,  et  une  analogie  chimique  avec  celle  que  nous  res- 
pirons. La  figure  suivante  représente  le  passage  du  disque  noir  de 
Vénus  derrière  la  fente  du  spectroscope  et  donne  une  idée  de  la 
méthode  employée  pour  surprendre  la  présence  de  la  plus  mince 
atmosphère  sur  le  hord  de  la  planète. 

Pendant  que  cette  remarque  se  faisait  au  Bengale,  on  ohsorvait 
au  Japon,  à  mille  lieues  de  là,  et  dans  l'Indo-C.hine,  un  fait  hien 
différent  du  précédent,  mais  qui   le    conlinue    singulièrement.   A 


Fig.  135.  —  Expérience  spectroscopique  pendant  le  passage  de  Vénus  devant  le  .Soleil. 


Saigon,  les  astronomes  de  la  mission  française  n'ohservaient  pas  au 
spectroscope,  mais  dans  des  lunettes  ordinaires.  Or  voici  ce  que  nous 
remarquons  dans  la  relation  du  chef  de  l'expédition,  M.  Héraud  : 
C'est  qu'on  n'y  a  pas  constaté  de  la  môme  façon-  l'action  de  l'atmos- 
phère de  Vénus  sur  la  lumière  solaire  ;  mais  qu'on  l'a  vue  elle- 
même,  cette  atmosphère,  directement  et  dans  une  circonstance 
également  inattendue.  On  lit  en  effet  dans  la  relation  envoyée  à 
l'Académie  : 

«  A  21  h.  17  min.,  la  planète  étant  déjà  entrée  de  plus  des  deux  tiers 
sur  le  disque  solaire,  je  remarque  que  la  partie  extérieure  non  encore  en- 
trée sur  le  Soleil  est  nettement  indiquée  par  vui  filet  lumineux  pâle,  qui, 
réuni  aux  franges  de  l'image  intérieure,  forme  un  cercle  parfait.  Ne  m'at- 
tendant  pas  à  ce  phénomène,  je  ne  puis  noter  l'instant  précis  de  son  ap- 
parition... » 


L'ATMOSPHERE    DE    Vp.MIS 


Quel  était  ce  filet  lumineux  environnant  la  planète  et  dessinant 
sur  le  ciel,  à  côté  du  Soleil,  la  partie  de  la  planète  entrée  ?  C'était 
l'atmosphère  de  Vénus  elle-même  éclairée  par  le  Soleil  et  réfractant 
vers  nous  la  lumière  de  l'astre  du  jour.  C'est  la  seule  explication 
possible  du  phénomène. 

Le  fait  était  signalé  également  à  Saigon,  par  un  autre  observateur, 
M.  Bonifay,  dont  voici  la  relation  : 

«  A  21  h.  17  min.,  le  contour  de  Vénus  extérieur  au  disque  solaire 
s'illumine  légèrement,  à  commencer  par  le  bas  de  l'image,  qui  reste 
constamment  plus  visible  que  le  haut.  La  circonférence  planétaire  parait 
ainsi  complétée  d'une  manière  très  visible  sur  le  ciel  par  cet  arc  lumi- 
neux, qui  semble  la  continuer  exactement.  Cet  effet  subsiste  quand  la 
planète  avance.  Quand  le  moment  du  contact  approche,  on  continue  à 
voir  le  bord  de  la  planète,  qui  reste  légèrement  lumineuse...  » 

Remarque  curieuse,  ce  phénomène  de  l'illumination  du  contour 
de  Vénus  ne  s'est  pas  reproduit  à  la  sortie  de  la  planète.  Les  deux 
observateurs  précédents,  croyant  le  voir  se  renouveler,  le  cher- 
chèrent en  vain.  A  quelle  cause  cette  différence  est-elle  due?  L'at- 
mosphère de  Vénus  n'était-elle  pas  également  transparente  sur  le 
méridien  oriental  et  sur  le  méridien  occidental?  Était-elle  pure 
dans  le  premier  cas  (réfraction  visible)  et  chargée  de  nuages  dans 
le  second  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  telles  sont  les  observations  directes  de  ce  fait 
inattendu.  Mais  ce  n'est  pas  tout.  Pendant  que  les  astronomes 
italiens  installés  au  Bengale  et  les  astronomes  français  installés  au 
Japon  confirmaient  ainsi  l'existence  de  l'atmosphère  de  Vénus,  une 
constatation  analogue  était  faite  en  Egypte  par  les  astronomes  an- 
glais. A  Luxor,  entre  autres,  l'amiral  Ommanney,  le  colonel  Camp- 
bell et  Madame  Campbell,  avaient  chacun  leur  télescope.  Je  citerai 
ici  le  passage  du  rapport  de  l'amiral  qui  concerne  le  sujet  qui  nous 
occupe,  rapport  publié  par  la  Sociâté  royale  astronomique  do 
Londres  : 

«  Au  moment  où  la  planète  eût  entamé  le  boni  du  Soleil  pour  sortir,  un 
phénomène  remarquable  se  présenta.  La  portion  du  disque  de  Vénus  qui 
était  sortie  du  disque  solaire  s'illumina  d'une  bordure  blanche,  et  resta 
visible  et  très  lumineuse  sur  tout  le  coutour  de  Véuus,  jusqu'au  moment 

TERRES   DD  CIEL  38 


l/AïMOSl'HÈltl!;    I>F.    VÉNUS 


OÙ  la  moitié  de  la  pianote  fut  sortie.  Alors  la  lumière  diminua,  et  elle 
dispai'ut  environ  sept  minutes  avant  le  dernier  contact  externe  ^'j.  » 

Ainsi,  dans  ce  cas,  l'observation  a  été  faite,  non  avant  l'entrée, 
comme  à  Saïgon,  mais  après  la  sortie.  L'entrée  était  du  reste  invi- 
sible en  Egypte.  Pourquoi  l'illumination  de  l'atmosphère  de  Vénus 
par  le  Soleil,  vue  à  la  sortie  par  les  astronomes  de  Luxor,  n'a-t-elle 
pas  été  vue  par  ceux  de  Saigon  ?  La  cause  est  peut-être  non  astro- 
nomique, mais  terrestre,  et  peut  tenir  à  l'état  de  notre  atmosphère 
à  Saigon  à  l'heure  de  la  sortie. 

En  outre  de  ces  quatre  observations  différentes  sur  l'atmosphère 
de  Vénus,  on  trouve  une  cinquième  remarque  un  peu  moins  directe, 
dans  un  rapport  postérieur,  dans  celui  de  M.  Jarissen,  établi  à  Na- 
gasaki (Japon).  Lorsque  la  planète  arriva  en  contact  avec  le  Soleil, 
l'image  de  Vénus  se  montra  très  ronde,  bien  terminée,  et  la  marche 
relative  du  disque  de  la  planète  par  rapport  au  disque  solaire 
s'exécuta  géométriquement.  Mais  il  s'écoula  un  temps  assez  long 
entre  le  moment  où  le  disque  de  Vénus  paraissait  tangent  intérieu- 
rement au  disque  solaire  et  celui  de  l'apparition  du  filet  lumineux 
qui  apparaît  au  moment  où  Vénus,  étant  tout  à  fait  entrée,  quitte 
le  bord  du  Soleil  pour  traverser  l'astre.  «  Il  y  a  là,  écrivait  M.  Jans- 
sen  (Académie  des  sciences,  8  février  1875),  une  anomalie  apparente 
qui,  pour  moi,  tient  à  la  prése?ice  de  Vatmosphère  de  la  2)la- 
nète.  » 

Une  photographie  prise  au  moment  même  où  le  contact  paraissait 
géométrique  montre  qu'en  réalité  le  contact  réel  n'avait  pas  encore 
lieu  en  ce  moment.  Le  fait  est  facile  à  expliquer,  si  l'on  suppose 
que  les  couches  inférieures  de  l'atmosphère  de  Vénus  étaient  plus 
ou  moins  chargées  de  brouillards  ou  de  nuages  formant  écran.  Dans 
une  atmosphère  pure  même,  la  réfraction  seule  peut  produire  des 
différences  analogues. 

L'atmosphère  de  Vénus  a  été  également  vue  par  M.  Mouchez, 

(')  «  Immediatcly  after  the  internai  contact  for  egress,  a  remarkable  phenomenon 
presented  itseir:that  portion  of  Venus  wliich  liad  emerged  from  the  Suns's  linib  became 
illuminated  with  a  wliite  border,  which  liglit  continued  on  the  edge  of  the  cusp  of  Venus 
with  greal  clearncss,  until  the  time  when  a  half  of  the  planet  liad  crossed  the  Sun's 
limb  ;  then'the  light  diminished  and  disappeared  about  seven  minutes  before  the  last 
cxfernal  contact.  « 


L'ATMOSl'IlEIil';   UK   VENUS 


chef  de  la  mission  française  de  l'île  Saint-Paul.  (Nous  suivons 
dans  cet  exposé  l'ordre  chronologique  des  documents  reçus  ; 
celui-ci  a  été  publié  dans  les  Comptes  rendus  du  15  mars  1875.  j 

«  Un  quart  d'heure  après  le  premier  contact,  quand  la  moitié  de  la  pla- 
nète était  encore  hors  du  Soleil,  ou  aperçut  subitement  tout  le  disque 
entier  de  Vénus,  dessiné  par  une  pâle  auréole,  plus  brillante  dans  le  voi- 
sinage du  Soleil  qu'au  sommet  de  la  planètu. 

«  A  mesure  que  Vénus  entra  sur  le  disque  solaire,  les  deux  parties 
extrêmes  plus  visibles  de  l'auréole  tendirent  à  se  réunir  en  enveloppant 
d'une  plus  vive  lumière  le  segment  encore  extérieur  de  la  planète,  et  cette 
réunion  anticipée  des  cornes  par  un  arc  de  cercle  lumineux  fut  rendue 
plus  complète  encore  par  un  petit  rebord  très  brillant  de  lumière  termi- 
nant l'auréole  sur  le  disque  de  Vénus. 

«  Pendant  presque  toute  la  durée  du  passage,  la  planète  a  paru  d'un 
noir  très  foncé  et  un  peu  violette,  tandis  qu'une  auréole  d'un  jaune  très 
pâle  l'entourait  sur  le  disque  du  Soleil.  » 

Le  même  fait  de  la  visibilité  de  Vénus  en  dehors  du  Soleil  s'est, 
produit  pour  les  astronomes  installés  à  "Windsor  (Nouvelle-Galles 
du  Sud).  On  trouve  en  effet  dans  les  Astronomische  Nachrichten 
du  4  mars  1875,  n»  2027  (Schreihen  des  Herrn  J.  Tebbutt  an  den 
Herausgeber),  un  passage  caractéristique  dont  voici  la  traduction  : 

«  Aucune  partie  de  la  planète  n'a  pu  être  découverte  avant  l'entrée, 
en  dirigeant  le  télescope  vers  le  point  oii  elle  devait  se  trouver  dix  mi- 
nutes avant  ce*momeut.  L'observation  fut  très  précise.  Mais  lorsque  la 
planète  fut  entrée  de  moitié  sur  le  disque  solaire,  la  moitié  encore  exté- 
rieure au  Soleil  se  dessina  par  une  courbe  de  lumière  grise,  de  moins 
d'une  seconde  d'arc  d'épaisseur.  Ce  halo  s'accrut  graduellement,  tant  en 
largeur  qu'en  éclat,  jusqu'à  ce  que  le  bord  extérieur  de  Vénus  fût  arrivé 
en  contact  avec  celui  du  Soleil.  Cependant  la  planète  projetée  sur  le 
disque  solaire  ne  parut  entourée  d'aucun  halo  ni  d'aucune  pénombre.  On 
ne  put  découvrir  sur  elle  aucun  point  lumineux,  ni  aucune  apparence  de 
satellite.  » 

Cette  illumination  de  l'atmosphère  de  Vénus  a  été  également 
visible  à  la  sortie.  En  voici  les  détails  : 

h.  m.  s. 
A  3.53. la    Vénus  arrive  en  contact  avec  le  bord  du  Soleil. 
3.35.38    On  aperçoit  le  bord  sorl'i  /aiblemenl  éclairé. 
3.i)9.lj8    La  partie  boréale  du  limbe  de  Vénus  sortie  du  Soleil  est  très  lumineuse ,  la 

parliez  australe  l'est  moins. 
4.  y.is     L'eclaireuient  boréal  est  encore  visible,  l'austral  ne  l'est  plus. 


300 


L'ATMOSl'IlliKE    DE    Y  KM' S 


4.11.38     Li'  ilisiiiif  (le  Vl'iiiis  est  absolimieiit  iiivisililc  fii  dehors  ilu  Soleil,  sur  le  fond 

noir  du  ciel. 
4.22.43    Dernier  contact  de  la  planète  avec  le  Soleil. 

A  Pékin,  l'astronome  amiTicain  Watson  a  observé  ce  même  phé- 
nomène de  l'anneau  atmosphérique  entourant  la  planète  sur  tout 
son  C(jntour  extérieur  au  Soleil. 

De  Svdney,  AustraUe,  M.  Russel  envoyait,  de  son  côté,  la  relation 

suivante  : 

On  a  vu  apparaître,  aussitôt  après  l'entrée  de  Vénus,  un  mince  anneau 
de  lumière  dessinant  la  circonférence  de  la  planète^  autour  de  la  partie  du 
disque  qui  n'était  pas  eiicori'  cnin'c  sur  le  Soleil.  Tous  les  oliservateurs 


ilj  Vénus  (.Nice,  B  dÙLt'mbre  ISS-.V. 


l'estimèrent  d'environ  une  seconde  de  large.  Plusieurs  plaques  pholo- 
grapiiiques  montrent  une  mince  ligne  d'argent  bordant  la  planète. 

Dans  cet  anneau  de  lumière,  on  remarque  un  élargissement,  une  sorte 
détache,  qui  se  trouve  vers  la  place  du  pôle  de  la  planète.  Un  assistant 
qui  regardait  le  passage,  et  qui  n'avait  pas  remarqué  l'anneau,  avait  re- 
marqué celte  tache  lumineuse  vers  le  pôle.  Les  meilleurs  dessins  de  cet 
élargissement  de  l'anneau  lumineux  ont  été  faits  à  une  station  élevée 
de  2"20Û  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  à  l'aide  d'un  équatorial  de 
(juatre  pouces  et  demi  et  dans  une  atmosphère  si  claire,  que  le  bord  du 
Soleil  était  d'une  netteté  parfaite. 

On  constate  sur  ces  photographies  australiennes  que  la  partie  du  disque 
de  Vénus  qui  était  visible  hors  du  Soleil,  devait  cette  visibilité  à  l'anneau 
de  lumière  dont  elle  était  entourée,  et  non  pas  à  un  contraste  qui  aiu-ait 
existé  entre  cette  partie  du  disque  et  le  ciel  environnant.  Cet  anneau  ^ 
était  certainement  causé  par  la  réfraction  des  rayons  solaires  à  travers 
l'atmosphère  de  Vénus.  La  région  plus  brillante  remarquée  près  du  pôle 
de  la  planète  est  particulièrement  intéressante,  d'autant  plus  qu'elle  a 
été  observée  par  divers  observateurs  tout  à  fait  indépendants  les  uns  des 


1.  ATM  KSI- Il  Kl;  K    lit    VKM'.S 


autres.  Elle  suggère  la  conclusiou  (jaci  ratinos[)hère  de  Vénus  jxjssèdc 
une  puissance  de  réfraction  plus  grande  dans  ces  froides  régions  po- 
laires, produisant  une  plus  grande  extension  du  crépuscule  visible  pour 
nous  alors  sous  la  forme  d'une  ligne  brillante. 

Lors  du  dernier  passage  de  Vénus  (6  décembre  188-2j  tous  les 
observateurs  se  sont  accordés  pour  décrire  l'apparition  de  cette 
auréole  atmosphérique.  On  sait  que  ce  passage  était  astronomi- 
quement  visibl(>  de  la  France,  de  l'Italie,  de  l'Espagne,  de  l'Angle- 


Fig.  137.  —  L'miréolo  :itniospli.rii|ue  de  Vùiius  tOi'géres,  C  décembre  ISSi). 


terre,  de  la  Belgique,  de  l'Allemagne,  de  l'Algérie,  et  surtout  de 
l'autre  hémisphère  (Améri(|ue  du  Sud,  États-Unis,  etc.)  ;  nous 
disons  «  astronomiquement  )>,  car  «  météorologiquement  »  la  visi- 
bilité dépend  de  l'état  de  notre  atmosphère,  et,  en  France,  par 
exemple,  le  ciel  a  été  presque  partout  couvert  d'une  épaisse  couche 
de  nuages.  A  Paris,  il  nous  a  été  impossible  de  distinguer  même  la 
place  du  soleil,  et,  pour  compléter  notre  désappointement,  cette 
capricieuse  atmosphèn;  s'est  ironiquement  éclaircie  aussitôt  après  le 
coucher  du  Soleil  :  dés  5  heures  30  minutes,  on  pouvait  voir  briller  au 
ciel  Jupiter,  Saturne,  les  Pléiades  et  la  plupart  des  constellations! 
Quoique  le  ciel  fut  à  peu  près  couvert  cette  journée-là  sur  la 
France  entière,  l'Angleterre,  la  Belgique,  l'Allemagne,  l'Autriche, 
l'Italie  et  l'Espagne,  d'heureuses  éclaircies  ont  pu  permettre  à  quel- 


L'ATMOSl'HÈIiE   BE    VÉNUS 


ques  fervents  de  constater  la  présence  de  Vénus  sur  le  Soleil,  et 
d'assister  à  ce  rarissime  spectacle,  qui  ne  se  renouvellera  plus 
maintenant  qu'en  l'an  2004  (le  8  juin,  de  5  heures  à  il  heures  du 
matin). 

A  Nice,  M.  Paul  Garnier  pouvait  observer  le  phénomène  à  l'aide 
d'une  petite  lunette  de  95  millimètres  d'ouverture  et  dessiner  les 
trois  phases  reproduites  ici  :  l'arc  lumineux  est  évidemment  dû  à 
l'atmosphère  de  Vénus. 

A  Orléans,  et  dans  presque  tout  l'Orléanais,  tout  le  monde  a  pu 
observer  le  phénomène,  grâce  à  une  éclaircie  fort  étendue,  A  Or- 
gères,  le  docteur  Lescarbault  a  suivi  le  passage  depuis  2  heures 
9  minutes  jusqu'à  3  heures  12  minutes,  à  l'aide  de  sa  lunette  de 
5  pouces  (135°""),  armée  d'un  grossissant  de  250.  «  Le  bord  du  Soleil 
était  très  ondulant,  nous  écrivait-il  le  soir  même.  Lorsque  Vénus 
fut  avancée  d'un  peu  moins  de  son  diamètre,  son  bord  projeté 
sur  le  Soleil  parut  faiblement  frangé,  sur  le  contour  de  l'arc 
engagé,  d'une  auréole  large  de  quelques  secondes.  Quand  les 
trois  quarts  du  diamètre  furent  engagés  sur  le  disque  solaire,  la 
frange  lumineuse,  d'un  jaune  grisâtre,  faisait  le  tour  complet  du 
cercle  noir  {fig.  137),  même  sur  le  contour  extérieur  au  Soleil, 
où  elle  était  encore  plus  lumineuse.  Ce  phénomène  persista  jus- 
qu'à l'entrée  complète.  Je  l'attribue  comme  vous  à  l'atmosphère 
de  Vénus.  » 

A  Rome,  MM.  Tacchini  et  Millosevich,  favorisés  par  une  heureuse 
éclaircie,  ont  obtenu  d'excellentes  observations.  M.  Tacchini  est 
parvenu  à  voir  arriver  la  planète  en  dehoi-s  du'  Soleil,  sur  les 
pointes  aiguës  des  flammes  chromosphériques  de  l'astre  radieux. 
Peu  après  le  premier  contact,  M.  Millosevich  s'aperçut  le  premier 
de  l'atmosphère  de  Vénus.  A  l'aide  du  spectroscope,  les  observateurs 
ont  constaté  l'absorption  produite  dans  le  spectre  solaire  par  cette 
atmosphère. 

A  Palerme,  M.  Gacciatore  a  vu  l'auréole  de  Vénus  en  dehors  du 
disque  solaire  au  moment  de  l'entrée,  et,  pendant  le  passage, 
M.  Ricco  a  observé,  au  spectroscope,  que  cette  atmosphère  donnait 
naissance  a  une  faible  raie  d'absorption  situ^pe  près  de  la  raie  B  du 
spectre  solaire,  et  même  à  une  seconde  raie  plus  faible,  située  prés 
de  la  ïwinQ,  G. 


L'ATMOSPHÊUE  DE   VENUS 


En  Angleterre,  MM.  Denning,  à  Bristol,  Dreyer,  à  Armagh,  ont 
observé,  en  dehors  du  Soleil,  la  même  auréole  lumineuse. 

Les  diverses  missions  françaises  envoyées  au  loin  pour  les  mesures 
de  la  parallaxe  solaire  ont  décrit  le  même  phénomène  (').  Leurs 
descriptions  sont  toutes  indépendantes  les  unes  des  autres,  et  néan- 
moins d'une  concordance  remarquable.  Après  les  avoir  réunies  et 
comparées,  le  doute  n'est  plus  possible  sur  l'existence  de  cette  atmo- 
sphère, n'y  eut-il  que  ces  seules  observations  pour  la  démontrer. 

Les  estimations  sur  l'épaisseur  ne  sont  pas  concordantes.  D'ailleurs 
cette  épaisseur  n'était  pas  la  même  partout,  et,  de  plus,  elle  a  varié 
pendant  la  durée  de  l'entrée  du  disque  de  Vénus  sur  le  Soleil. 
M.  Tisserand  l'a  estimée  entre  0"5  et  V'O;  M.  Bouquet  de  la  Grye 
à  0"6,  et  M.  d'Abbadie  à  2"  à  sa  plus  grande  épaisseur. 

Les  observations  s'accordent  sur  le  fait  que  l'auréole  a  été  beau- 
coup plus  marquée  pendant  l'entrée  que  pendant  la  sortie.  L'atmos- 
phère de  Vénus  était-elle  plus  pure  sur  son  bord  oriental  que  sur 
son  bord  occidental,  ou  peut-être  les  observateurs  n'ont-ils  pas 
observé  plus  minutieusement  à  l'entrée  qu'à  la  sortie? 

M.  Langley,  directeur  de  l'Observatoire  d'Allegheny  (Pensylvanie), 
a  fait  les  curieuses  observations  suivantes  : 

Lorsque  la  planète  fut  entrée  de  presque  la  moitié  de  son  diamètre  sur 
le  disque  solaire,  on  put  apercevoir  un  contour  extérieur  tracé  par  une 
légère  auréole  lumineuse.  De  plus,  on  remarqua  une  traînée  de  lumière 
s'allongeant  sur  une  longueur  de  près  de  30°  de  la  circonférence  de  la 
planète  et  s'étendant  dans  l'intérieur  de  son  disque  depuis  sa  périphérie 
jusque  vers  un  quart  de  rayon.  Cette  lumière  a  été  vue  par  moi  à  travers 
le  grand  équatorial.  Muni  d'un  oculaire  polarisant,  dont  le  pouvoir  gros- 
sissant était  de  244,  j'ai  estimé  son  angle  de  position  à  17S". 

Dans  le  même  temps,  mou  assistant,  M.  Keeler,  observant  avec  une 
lunette  de  2  1/4  pouces  seulement  d'ouverture  et  un  grossissement  de 
70  fois,  aperçut  la  même  lumière  et  estima  sa  position  à  168°.  L'angle  de 
position  de  la  planète  elle-même  sur  le  disque  solaire  était  approxima- 
tivement de  147°;  il  en  résulte  que  cette  lumière  énigmatique  se  trouvait 
au  bout  d'une  ligne  menée  du  centre  du  Soleil  au  centre  de  Vénus. 

A  l'Observatoire  de  Milan,  le  deuxième  contact  de  l'entrée  a  pu 
être  observé,  à  travers  une  éclaircie,  par  MM.  Schiaparelli,  Coloria 

(')  Pour  les  détails,  voy.  notre  Revue  mensuelle  d'Astronomie  populaire,  K°  du 
1"  octobre  1883. 


I/ATMOSPIICUE   DD    VENVS 


et  Rajua,  qui  estimèrent  l'instant  de  ce  contact  à  "2  heures  57  mi- 
nutes "24  secondes  ;  2  heures  57  minutes  23  secondes,  et  2  heures 
57  minutes  21  secondes  5  respectivement.  Les  deux  premiers  obser- 
vateurs aperçurent  tout  autour  du  disque  de  Vénus,  à  partir  du 
moment  où  elle  fut  à  moitié  entrée  sur  le  Soleil,  une  auréole  lumi- 
neuse, parfaitement  nette  contre  la  planète,  mais  nébuleuse  sur  son 
contour  extérieur,  M.  Schiaparelli  attribue  aussi  cette  lueur  à  la  ré- 
fraction de  la  lumière  solaire  dans  l'atmosphère  de  Vénus. 

M.  Birmingham  a  observé  le  passage  à  Millbrook,  Tuam  (Angleterre). 


Vénus  (Allegheny,  G  décembre  ISSi). 


Lorsque  la  planète  fut  entrée  de  moitié  sur  le  disque  solaire,  il 
aperçut  une  faible  ligne  courbe,  lumineuse  sur  le  bord  sud-est  exté- 
rieur au  Soleil.  Cette  ligne  ne  tarda  pas  à  s'allonger  et  à  compléter  la 
périphérie  de  la  planète.  Il  semble  qu'au  commencement  de  l'obser- 
vation, le  point  du  contour  de  la  planète  où  la  lumière  était  la  plus 
vive  indiquait  une  atmosphère  très  pure  et  une  très  grande  réfraction 
en  cette  contrée  de  la  planète.  L'auréole  disparut  aussitôt  que  la  pla- 
nète fut  complètement  entrée  sur  le  Soleil;  mais  le  tour  de  la  pla- 
nète paraissait  beaucoup  plus  sombre  que  la  partie  centrale,  laquelle 
était  absolument  noire. 

M.  H.-C.  Vng(-1,  à  l'Observatoire  de  Potsdam,  a  fait  des  observa- 
tions qui  offrent  un  intérêt  particulier  au  point  de  xue  de  l'atmo- 


L'ATMOSPHÈRE   DE    VKNIS 


sjtlu'TO  de  la  planète.  Le  professeur  Vo;.fol  nliservaif  avec  un  ivfrac- 
teur  de  presque  30  centimè- 
tres d'ouverture  et  un  grossis- 
sement de  170  fois.  ASMO^S, 
la  partie  du  disque  non  encore 
entrée  sur  le  Soleil  (environ  90" 
de  la  périphérie  de  Vénus)  pa- 
rut bordée  d'un  mince  filet 
lumineux;  le  disque  même  de 
le  planète  était  parfaitement 
noir.  A  3''  11™  6',  cette  lumi- 
nosité fut  notée  comme  étant 
«  très  intense  ».  Cette  lueur 
était  plus  accentuée  à  l'inté- 
rieur et  pouvait  avoir  de  I'' 
à  l"  5  de  largeur;  elle  se  dé- 
gradait vers  l'extérieur  tout 
en  étant  également  distribuée 
autour  de  la  circonférence  de 
Vénus. 

La  figm-e  ci-dessus  rcprodui. 
les  dessins  très  précis  et  ti'è 
minutieu.x  de  M.  Vogel.  Sur 
les  trois  premiers,  l'atmos- 
phère de  la  planète  se  montre 
comme  un  arc  vaporeux  ii'- 
fractant  la  lumière  solaire; 
sur  le  quatrième,  la  planète 
est  complètement  entrée  e[ 
l'on  ne  distingue  plus  aucun 
phénomène  atmosphérique. 

Ces  observations  sont  trop 
nombreuses  et  trop  précises 
pour  ne  pas  être  prises  en 
haute  considération.  Nous 
pouvons  même  dire  qu'au  point  de  vue  de  l'astronomie  physique, 
elles  sont  plus  intéressantes  que  celles  de  la  parallaxe  solaire,  qui 

TElilîK.S  DU  riEr.  «Ijl 


Kig.  loti.  —  I.'iiiirûolc  atmosphcrique  deVùuus 
(Postdam,  6  décembre  t88i). 


L'ATMOSPHÈRE    DE  VÉNUS 


n'ont  apporté  aucun  document  nouveau  à  la  connaissance  que  nous 
en  avions  déjà  pai*  les  autres  méthodes.  Elles  nous  permettent 
d'affirmer  d'une  manière  absolue  l'existence  de  V atmosphère  de 
Vénus.  Son  épaisseur  moyenne  paraît  être  de  1"  (').  De  plus,  pen- 
dant ces  doux  passages  devant  le  Soleil,  cette  épaisseur  a  été  vue 
plus  grande  dans  une  région  qui  paraît  correspondre  avec  cellc^ 
des  pôles  de  la  planète,  où  la  lumière  crépusculaire  serait  plus 
étendue.  Ce  sont  là  de  précieux  documents  pour  notre  connaissance 
de  ce  monde  voisin. 

En  voici  un  plus  important  encore  :  c'est  l'observation  faite  en 
Amérique,  par  le  professeur  G.  S.  Lyman,  de  Vénus  sous  la  forme 
d'un  anneau  lumineux. 

Déjà  au  moment  de  la  conjonction  inférieure  de  Vénus  en  1866, 
l'auteur  était  parvenu  à  voir  la  planète  sous  la  forme  d'un  anneau 
lumineux  très  mince  :  il  avait  suivi  attentivement  et  de  jour  en  jour 
son  croissant  à  mesure  qu'elle  s'était  approchée  du  Soleil,  et  avait 
constaté  que  les  deux  extrémités  de  ce  croissant  s'étaient  allongées 
et  étendues  graduellement  au  delà  d'un  demi-cercle,  puis  avaient 
atteint  trois  quarts  de  cercle,  et  avaient  fini  par  se  rencontrer  et 
former  un  anneau  lumineux. 

Aucune  occasion  ne  s'était  présentée  pour  répéter  ces  observa- 
tions, jusqu'au  passage  de  Vénus  du  8  décembre  1874.  A  cette 
époque,  la  planète  étant  de  nouveau  à  une  très  grande  proximité  du 
Soleil,  l'auteur  a  réussi  à  découvrir  l'anneau  argenté  délicat  qui  en- 
veloppait son  disque,  même  lorsque  la  planète  n'était  éloignée  du 
bord  du  Soleil  que  d'un  demi-diamètre  de  celui-ci.  C'était  à  4  heures 
du  soir,  ou  un  peu  moins  de  cinq  heures  avant  le  commencement  du 
passage.  La  partie  de  l'anneau  la  plus  proche  du  Soleil  était  la  plus 
brillante.  Sur  le  côté  opposé,  le  filet  de  lumière  était  plus  terne  et 
d'une  teinte  légèrement  jaunâtre.  Sur  le  bord,  au  nord  de  la  pla- 
nète, à  60  ou  80  degrés  du  point  opposé  au  Soleil,  l'anneau  dans  un 
petit  espace  était  plus  faible  et  en  apparence  plus  étroit  qu'ail- 
leurs. Une  apparition  semblable,  mais  plus  marquée,  avait  été 
observée  sur  le  même  limbe  en  1866. 


(1)  La  plani'te  mesurant  alors  62"    à  63",  l'épaisseur  de  cette   atmosphère    serait 
d'environ  ^  du  diamètre  de  la  planète,  c'est-à-dire  de  194  kilomètres,  plus  ou  moins 


L'ATMOSPHÈRE    DE    VÉNIS 


Le  surlonilemain  du  passage  (10  décembre),  le  croissant  de  Vénus 
s'ôtendail  à  plus  des  trois  quarts  d'un  cercle  :  ou  le  voyait  avec  une 
netteté  parfaite  dans  l'équatorial.  Ce  jour-là  et  les  deux  suivants,  des 
mesures  ont  été  prises  au  micromètre  pour  déterminer  l'étendue 
des  cornes,  et  la  réfraction  horizontale  de  l'atmosphère  qui  la  pro- 
duit. Voici  les  résultats  précis  de  ces  observations.  Chacun  d'eux 


8  décembre.  10  décembre.  11  décembre, 

Fig.  MO.  —  Vénus  vue  sous  la  forme  d'un  anneau  lumineux. 


est  la  moyenne  du  nombre  des  mesures  séparées  indiqué  dans  la 
dernière  colonne  : 


Dates. 

h.  m. 

Distances 

des 

centres  de  la  Terre 

et  de  Vénus. 

Etendue 

du 
croissant. 

Réfraction 
horizontale 

de 
l'atmosphère. 

Nombre 

des 

observât. 

des  cornes 

S  tltVcmbre  ; 

i     .3.  0 

soir. 

0°  30',fi 

360° 

10         — 

11.30 

matin 

2'  31 '.7 

aTO»  28' 

40',  6 

4 

Il          — 

10.16 

— 

4"    2'.4 

233"  lo' 

43'.0 

f, 

11          — 

2.40 

soir. 

4°  20'.4 

231°  16' 

4;r.:-i 

ir. 

12         — 

2.45 

— 

.S»  58',3 

2i;;°  21' 
Movcnno 

42'.9 
:         44'..T 

22 

Ces  observations  donnent  une  moyenne  de  44',o  pour  la  réfraction  liorizonfale  de 
ratmosphèrc  de  Venus.  Les  observations  de  l'auteur,  en  1866,  avaient  donné  4o',3. 

Les  premières  recherches  de  ce  genre  ont  été  ftiites  par  Schrôler. 
Le  1-2  août  1790,  il  trouva  les  cornes  prolongées  au  delà  de 
leur  limite  géométrique,  en  un  léger  rayon  de  lumière,  mani- 
festant aiiisi  l'existence  d'une  illumination  atmosphérique  et  prou- 
vant l'existence  de  crépuscules  analogues  aux  nôtres,  proliable- 
ment  plus  longs  et  indiquant  une  atmosphère  plus  donne.  En  1S49, 


L'AÏ.MOSl'Uir.E    DE    VÉNUS 


Madler  trouva  ces  pointes  du  croissant  allongées  jusqu'à  200°  et 
mèrae  jusqu'à  240",  ce  qui  indiquait  une  refraction  environ  -j-  plus 
forte  que  celle  de  notre  atmosphère  :  il  avait  conclu  43', 7  poui 
cette  réfraction  à  l'horizon.  En  1857,  Secchi  évalua  l'épaisseur  du 
crépuscule  à  19°^. 

En  appliquant  aux  mesures  de  M.  Lyman  la  correction  du 
supplément  de  l'angle,  on  trouve  que  la  réfraction  horizontale 
de  l'atmosphère  de  Vénus  doit  être  élevée  au  chiffre  de  54'.  Celle  de 
l'atmosphère  terrestre  étant  de  33',  il  en  résulte  qu'en  désignant 
par  1000  la  densité  de  notre  atmosphère,  celle  de  l'atmosphère  de 
Vénus,  à  la  surface  de  cette  planète,  serait  représentée  par  le 
norribre  1890. 

En  Angleterre,  M.  Noble  a  fait  la  môme  observation  que  M.  Lyman  : 
il  a  vu  le  disque  entier  de  Vénus  entouré  d'un  anneau  lumineux. 

U atmosphère  de  Vénus  est  donc  presque  deux  fois  plus  dense 
que  la  nôtre.  La  réfraction  de  l'atmosphère  qui,  pour  nous,  élève 
le  disque  du  Soleil  au-dessus  de  l'horizon,  tandis  qu'il  est  encore 
au-dessous,  et  qui  élève  tous  les  astres  au-dessus  de  leur  position 
réelle,  est  encore  plus  grande  sur  Vénus  qu'ici,  et  y  allonge  un  peu 
plus  la  durée  du  jour. 

L'air  que  l'on  respire  sur  ce  monde  n'est  pas  très  différent,  physi- 
quement et  chimiquement,  de  celui  que  nous  respirons.  11  est  de 
plus  imprégné,  comme  le  nôtre,  de  vapeur  d'eau,  et  les  variations 
de  température  y  produisent  des  nuages,  des  courants  atmosphé- 
riques, des  venls,  des  pluies,  en  un  mot,  un  régime  météorologique 
offrant  de  grandes  analogies  avec  le  nôtre. 


CmPITUE  M 

Les  habitants  de  Vénus.  —  Conditions  de  la  vie  sur  ce  globe. 

Analogies   entre  cette  planète   et   la   nôtre. 

Le  ciel  et  la  Terre  vus  de  Vénus. 


La  planète  Vénus  présente,  comme  nous  venons  de  le  voir,  les  plus 
frappants  caractères  de  ressemblance  >avec  celle  que  nous  habituns. 
Mêmes  dimensions  à  peu  près;  même  poids,  même  densité;  menu- 
pesanteur  à  la  surface;  môme  durée  du  jour  et  de  la  nuit;  mèi:;;' 
atmosphère;  mêmes  nuages,  mêmes  pluies;  années,  saisons,  relief 
géologique,  n'y  manifestent  pas  non  plus  de  différences  capitales  : 
en  un  mot,  Vénus  offre  plus  de  ressemblance  avec  la  Terre  que  nul 
autre  monde  de  la  famille  solaire.  On  ne  pourrait  choisir  dans  tout 
le  système  aucun  couple  de  planètes  aussi  rapprochées.  Uranus  et 
Neptune  se  ressemblent  à  plusieurs  égards,  mais  diffèrent  considéra- 
blement d'autre  part.  Jupiter  et  Saturne  sont  certainement  les  deux 
frères  géants  de  la  famille  solaire,  de  même  que  les  petits  mondes  do 
Mars  et  Mercure  offrent  entre  eux  de  grandes  analogies;  mais  nous 
rie  pourrions  trouver  entre  ces  mondes  associés  les  points  nombreux 
de  similitude  qui  caractérisent  Vénus  et  la  Terre,  et  il  y  aura:*;,  au 
contraire,  entre  eux,  plus  de  différences  réelles  que  de  véritables 
similitudes.  11  no  manque  à  Vénus  qu'un  satellite  pour  ressembler 
tout  à  fait  au  monde  que  nous  habitons;  et  si  (comme  on  a  cru 
l'observer  quelquefois)  elle  avait  vraiment  un  com-^iagnon  dans  sa 
marche  céleste,  Vénus  et  la  Terre  seraient  sans  doute  les  deux 
mondes  les  plus  semblables  de  l'univers  tout  entier. 

Vénus  est-oUo  dniic  une  ferre  tnut  ;i  fait  identique  à  celle  que 


1. 1;  .s  H  A 1!  I  r  A  N  1  s  II  i;  \  i;  n  c  s 


nous  habitons,  avec  les  mêmes  paysages,  les  mêmes  mers,  les 
mêmes  rivages,  la  même  nature,  les  mêmes  plantes,  les  mêmes 
animaux,  la  même  humanité? —  Non;  car  si  nous  abordons  sur 
cette  planète,  nous  trouvons  certaines  différences  essentielles,  prin- 
cipalenuîut  dans  la  météorologi(;. 

Ce  qui  nous  frappe  tout  d'abord,  c'est  la  grandeur  et  la  chaleur  du 
Soleil.  Le  soleil  du  ciel  de  Vénus  a  en  effet  un  diamètre  un  tiers  plus 
large  que  le  nôtre,  et  sa  surface  apparente,  à  laquelle  correspond  sa 
valeur  calorifique  et  lumineuse,  est  plus  grande  que  celle  du  nôtre 


l'ig.  II"-'.  —  Grandeur  comparée  liii  Soloil  vu  ilc  Vûnus  et  vu  de  la  Terre. 

(Écbtllo  :  l"""  =  1) 

dans  la  proportion  de  seize  à  neuf.  Un  tel  soleil,  comparé  au 
nôtre,  brûlerait  ses  régions  équatoriales,  si  elles  étaient  revêtues 
de  la  môme  vie  que  les  nôtres.  Mais  ses  régions  tempérées  ne 
jouissent- elles  pas  d'un  climat  analogue  à  celui  de  nos  régions  tro- 
picales ?  et  ses  zones  polaires  ne  correspondent-elles  pas  à  nos  zones 
tempérées  et  ne  sont-elles  pas  le  séjour  des  races  les  plus  actives  et 
les  plus  entreprenantes  de  l'humanité  de  cette  planète  ? 

Il  pourrait  en  être  ainsi,  en  effet,  si  les  saisons  de  Vénus  avaient 
la  mémo  intensité  que  les  nôtres,  c'est-à-dire  si  son  axe  de  rotation 
était  incliné  comme  le  nôtre  sur  le  plan  dans  lequel  elle  se  meut. 
Mais  nous  avons  vu  que  l'inclinaison  est  Itien  plus  forte  et  que  les 
saisons  y  sont  beaucoup  plus  disparates . 

La  zone  f( irride  s"étond  jusqu'à  la  zone  glaciale  et  même  au  delà. 


Li:s    11  Ai;  i  TA  .NT. s   DK    VE.MIH 


et  réciproquement  la  zone  glaciale  s'étend  jusqu'à  la  zone  torride,  et 
empiète  même  sur  elle  de  telle  sorte  qu'il  ne  reste  plus  de  place  pour 
la  zone  tempérée.  Il  n'y  a  donc  sur  Vénus  aucun  climat  tempéré, 
mais  toutes  ses  latitudes  sont,  tour  à  tour,  tropicales  et  arctiques. 

Or,  sous  les  tropiques,  le  soleil  darde,  deux  fois  par  an,  ses  rayons 
perpendiculairement  au-dessus  de  la  tête,  tandis  que,  dans  les  régions 
arctiques,  il  y  a  des  jours  où  l'astre  lumineux  ne  se  lève  pas  du  tout 
et  des  jours  où  il  ne  se  couche  pas  davantage.  Quelles  ne  doivent  donc 
pas  être  les  vicissitudes  de  contrées  qui  sont,  tour  à  tour,  arctiques  et 
tropicales?  A  une  certaine  époque  de  l'année,  le  soleil  reste  plusieurs 
jours  sans  se  lever;  à  une  autre  époque,  il  reste  plusieurs  jours  sans 
se  coucher,  et,  entre  ces  deux  saisons,  il  plane  verticalement  au- 
dessus  de  la  tète.  Le  contraste  entre  la  température  glaciale  de  la 
saison  privée  du  soleil  et  les  feux  ardents  de  celle  où  le  soleil  de 
Vénus,  deux  fois  plus  étendu  et  plus  chaud  que  le  nôtre,  verse 
du  haut  des  cieux  sa  hrùlante  chaleur,  ne  constitue  certainement 
pas  une  perspective  bien  agréable.  On  ne  sait  vraiment  quelle  est 
'la  région  de  Vénus  la  moins  désagréable  à  habiter,  et  il  n'y  a 
presque  pas  plus  d'avantages  cà  élire  domicile  vers  l'équateur  plutôt 
que  vers  les  pôles. 

Cependant,  les  recherches  géographiques  qui  ont  été  faites  à  son 
égard  s'accordant  suffisamment  pour  nous  apprendre  que  ses  mers 
s'étendent  principalement  le  long  de  l'équateur,  et  que  ce  sont  plutôt 
(les  méditerranées  que  de  vastes  océans,  les  extrêmes  de  chaleur  et 
de  troid  sont  tempérés  par  l'influence  de  ces  eaux,  et  nous  pouvons 
penser  que  ses  régions  les  plus  favorisées  sont  les  rivages  de  ces  mers 
intérieures.  On  peut  admettre  sans  témérité  que  s'il  y  a  là  des  peuples 
civilisés,  c'est  en  ces  contrées  que  vivent  les  nations  les  plus  floris- 
santes de  la  planète.  Ces  mers  ont  des  marées  plus  faibles  que  les 
nôtres,  causées  par  l'attraction  seule  du  Soleil,  et  leurs  vagues  sont 
agitées  comme  les  nôtres  par  la  brise....  Les  effets  de  lumière  et 
d'ombre  qu'on  y  admire,  les  colorations  de  nuages  au  coucher  du  soleil, 
les  brises  ondoyantes  du  soir,  les  plaintes  du  vent  dans  les  bois,  les 
murmures  des  ruisseaux,  enfln  les  mille  bruits  de  la  vie,  doiveni  y 
développer  des  panoramas,  des  situations,  des  scènes  offrant  d'intimes 
harmonies  avec  les  paysages  terrestres  et  maritimes  de  notre  planète. 

L'atmosphère,  l'eau  existent  là  comme  ici.  D'après  ce  que  nous 


LES   HABITANTS   DE  VENUS 


avons  vu  plus  haut  sur  Jcs  saisons  rapides  et  violentes  de  cette 
planète,  nous  pouvons  penser  que  les  agitations  des  vents,  des 
pluies  et  des  orages  doivent  surpasser  tout  ce  que  nous  voyons  et 
ressentons  ici ,  et  que  son  atmosphère  et  ses  mers  doivent  subir  une 
continuelle  évaporation  et  une  continuelle  précipitation  de  pluies 
torrentielles,  hypothèse  confirmée  par  sa  lumière,  due  sans  doute 
à  la  réflexion  de  ses  nuages  supérieurs  et  par  la  multiplicité  de  ces 
nuages  eux-mêmes.  A  en  juger  par  nos  propres  impressions,  nous 
nous  plairions  beaucoup  moins  dans  ces  pays-là  que  dans  les  nôtres, 
et  il  est  même  fort  probable  que  notre  organisation  physique, 
tout  élastique  et  toute  complaisante  qu'elle  soit,  ne  pourrait  pas 
s'acclimater  à  de  pareilles  variations  de  température.  Mais  il  ne 
faudrait  pas  en  conclure  pour  cela  que  ce  monde  fût  inhabitable 
et  inhabité.  On  peut  même  supposer,  sans  exagération,  que  ses 
locataires  naturels,  organisés  pour  vivre  dans  leur  milieu,  s'y 
trouvent  à  leur  aise  comme  le  poisson  dans  l'eau,  et  jugent  que  notre 
Terre  est  trop  monotone  et  trop  froide  pour  servir  de  séjour  à  des 
êtres  actifs  et  intelligents. 

Ah!  la  nature  nous  apprend  bien  à  ne  pas  fonder  nos  jugements 
sur  des  impressions  superficielles  et  à  ne  pas  nous  hâter  de  con- 
damner un  monde  parce  qu'il  ne  possède  pas  identiquement  les 
conditions  d'habitabilité  qui  caractérisent  le  nôtre.  La  vie  paraît 
être  le  but  inéluctable,  la  loi  absolue  de  la  création,  et  l'antique 
commandement  de  Jéhovah  qui  flotte  comme  un  ordre  perpétuel 
dans  les  légendes  bibliques  du  paradis  terrestre  :  «  Croissez  et  mul- 
tipliez! »  représente  bien  réellement  la  raison  d'être  de  l'existence 
des  choses.  Que  ceux  qui  doutent  de  l'universalité  de  la  vie  et  qui 
craignent  une  abstention  quelconque  des  forces  vitales  de  la  nature 
prennent  un  microscope  et  regardent  une  poussière  fossile  de  diato- 
mées, une  aile  de  papillon,  une  rondelle  de  plante,  un  fragment  de 
langue  de  limaçon,  une  goutte  d'eau,  un  rien  perdu  dans  les  soli- 
tudes oubliées,  et  devant  le  spectacle  merveilleux,  éblouissant,  fan- 
tastique, de  l'infiniment  petit,  ils  sentiront  que  partout  l'atome  se 
marie  à  l'atome,  que  partout  le  travail  moléculaire  unit  et  féconde, 
que  l'inorganique  et  l'organique  ne  sont  pas  séparés,  et  que  la  vie  se 
multiplie  sous  mille  formes  dans  une  énergie  sans  fin.  Certes,  rela- 
tivement à  leurs  impressions  personnelles,  les  êtres  variés  qui  vivent 


...La  population  d'une  goulle  deau  représenie  loui  uo  monde. 
TERFIES  DU  CIEX  40 


LES    IIAlilTANTS    DE    VÉNUS 


dans  une  goutte  d'eau;  qui  s'y  cherchent,  s'y  fuient,  s'y  désirent, 
s'y  combattent;  qui  naissent,  agissent  et  meurent  dans  leur  élément; 
ces  êtres  sont,  relativeme^it  à  leurs  facultés,  non  moins  émus  que 
nos  soldats  lancés  sur  un  champ  de  bataille,  qui  se  précipitent  les 
uns  sur  les  autres  sans  se  connaître,  en  se  frappant  mutuellement, 
d'aprôs  la  seule  couleur  des  uniformes.  La  population  d'une  goutte 
d'eau  représente  tout  un  monde. 

Et  l'on  aura  beau  supposer  que  les  conditions  de  la  vie  sur  le  globe 
de  Vénus  étant  plus  grossières  que  les  nôtres,  selon  toute  apparence, 
ses  liabitants  doivent  être  sensiblement  moins  intelligents  que  nous; 
avons-nous  le  droit  d'être  bien  fiers?  Nous  ne  sommes  assurément 
pas  fort  élevés  dans  la  hiérarchie  de  la  raison  ('). 


(')  Les  habilants  de  la  planète  terrestre  sont  encore  dans  un  tel  état  d'ineptie,  d'inin- 
telligence, de  stupidité,  que  l'on  voit,  dans  les  pays  les  plus  civilisés,  les  journaux  quo- 
tidiens rapporter,  naïvement,  sans  discussion  et  comme  une  chose  toute  naturelle,  les 
arrangements  diplomatiq  es  que  les  chefs  d'Etat  font  entre  eux,  les  alliances  contre  nn 
ennemi  supposé,  les  prép  ,  atifs  de  guerres.  Les  peuples  permettent  à  leurs  chefs  de 
disposer  d'eux  comme  d'un  bétail,  de  les  conduire  à  la  boucherie,  de  les  réduire  en 
hécatombes,  sans  paraître  se  douter  que  la  vie  de  chaque  individu  est  une  propriété 
personnelle  et  que  c'est  une  action  criminelle,  de  la  part  d'un  homme  quelconque, 
d'assassiner  cent  mille  êtres  humains  dans  le  but  de  recevoir  le  titre  de  prince  ou  d'af- 
fermir une  dynastie.  Les  habitants  de  cette  singulière  planète  ont  été  élevés  dans  l'idée 
qu'il  y  a  des  nations,  des  frontières,  des  drapeaux;  ils  ont  un  si  faible  sentiment  de 
l'humanité,  que  ce  sentiment  s'efface  entièrement,  dans  chaque  peuple,  devant  celui 
de  la  patrie,  et  qu'ils  reçoivent,  non  pas  avec  résignation,  mais  avec  joie,  avec  bonheur, 
avec  délire,  les  excitations  puériles  de  vanités  nationales  susceptibles  de  préparer  une 
guerre  prochaine.  C'est  là  l'état  normal  de  l'humanité  terrestre,  il  n'y  a  pas  à  s'en 
prendre  aux  princes,  aux  rois,  aux  empereurs;  ni  aux  députés,  aux  états-majors  ou 
aux  généraux  :  c'est  le  plaisir  du  peuple  de  se  faire  tuer.  La  race  humaine  n'a  absolu- 
ment que  ce  qu'elle  mérite,  et  nous  ne  devrions  même  pas  nous  en  étonner.  Mais 
comment  ne  pas  le  regretter  pour  elle,  au  point  de  vue  de  la  raison  et  du  bon  sens? 

Ces  réflexions  s'appliquent  surtout,  parmi  les  nations  européennes,  à  la  nation  alle- 
mande, qui  est  encore  absolument  barbare  à  ce  point  de  vue.  Ses  citoyens  sont  encore 
des  esclaves  sous  le  joug  de  la  discipline  militaire.  Et  c'est  là,  malheureusement, 
tristement,  ce  qui  constitue  la  force  intrinsèque  d'un  peuple.  Tout  peuple  dont  les 
citoyens  arrivent  au  sentiment  de  la  dignité  humaine,  cesse  de  posséder  les  qualités 
intellectuellement  négatives  et  matériellement  brutales  qui  font  les  bons  soldats  :  parle 
fait  même  île  son  progrès  moral,  il  devient  pacifique  et  est  destiné  à  se  laisser  dominer 
par  le  plus  batailleur.  La  force  prime  le  droit.  Tel  est  l'état  de  notre  humanité.  Nous 
n'avons  donc  pas  le  droit  d'être  fiers. 

Il  est  bien  vrai  que  si  les  esprits  qui  pensent  voulaient  s'entendre,  celte  situation 

changerait,  car,  individuellement,  nul  ne  désire  la  guerre.  Kais  la  majorité  turbulente 

ne  tient  ni  à  penser,  ni  à  être  raisonnable.  Et  puis,  il  y  a  des  engrenages  politiques  qui 

foni  vivre  toute  une  légion  de  parasites. 

Au  moment  où  nous   corrigeons  cette  épreuve  (octobre   18S3),  nous    recevons  les 


LES   HABITANTS   DE    VENUS 


La  race  supérieure  qui  tient  daus  cette  planète  les  rênes  de  l'intel- 
ligence, et  au  sein  de  laquelle  s'est  incarnée  l'âme  raisonnable, 
diffère  probablement  de  forme  avec  la  nôtre,  car  elle  descend  zoolo- 
giquement  des  espèces  animales  qui  l'ont  précédée  sur  ce  monde,  et 
elle  en  a  gardé  la  forme  organique  générale.  Toutefois,  comme 
l'intensité  de  la  pesanteur  est  la  même  sur  Vénus  que  sur  la  Terre, 
et  comme  la  respiration  y  a  joué  aussi  le  principal  rôle,  l'espèce 
humaine  de  cette  planète  peut  moins  différer  de  la  nôtre  que  celle 
qui  habite  Mars,  celle-ci  devant  être  douée  d'un  mode  de  locomotion 
tout  différent  de  celui  que  nous  possédons  ici-bas.  C'est  le  climat 
surtout  qui  est  différent.  Mais  déjà  sur  la  Terre  nous  avons  de  si 
étonnantes  différences  de  climats,  que  si  les  voyages  ne  nous  avaient 
pas  appris  que  certaines  régions,  soit  tropicales,  soit  polaires,  sont 
habitées,  nous  n'imaginerions  point  qu'elles  le  fussent.  Supposons 
qu'on  nous  annonce  qu'il  y  a  sur  notre  planète  des  contrées  où  le 
Soleil  reste  invisible  pendant  des  mois  entiers  et  sur  lesquelles  il 
brille  ensuite  également  pendant  plusieurs  mois,  et  que  la  tempéra- 
ture de  ces  contrées  est  si  froide,  qu'au  milieu  de  leur  été  on  y  en- 
dure un  froid  encore  plus  glacial  que  celui  que  nous  subissons  dans 
nos  hivers,  nous  ne  supposerions  point  assurément  que  des  familles 
humaines  puissent  habiter  là,  et  s'y  trouver  mieux  à  l'aise  que  lors- 
qu'on les  transporte  dans  nos  régions  tempérées.  Le  même  réiison- 
nement  pourrait  être  appliqué  au  séjour  des  peuplades  qui  habitent 

rapports  relatifs  aux  grandes  manœuvres.  Chaque  pays  vient  de  s'exercer  à  faire  la 
guerre,  et,  dans  cet  exercice,  a  invité  des  représentants  militaires  des  pays  voisins  (qui 
viennent  là  dans  le  seul  but  d'espionner  les  forces  dont  la  nation  dispose,  de  prendre 
des  notes  sur  les  corps,  les  armes  et  les  manœuvres,  et  de  les  envoyer  à.  leurs  gouver- 
nements). C'est  ainsi  que  les  officiers  allemands  désignés  par  l'empereur  d'Allemagne 
ont  été  invités  par  le  gouvernement  de  la  République  française  à  examiner  njtre  situa- 
lion  militaire,  avec  la  mission  logique  d'en  découvrir  les  côtés  faibles.  En  Buurgogne, 
aux  lieux  mêmes  de  nos  défaites  de  1870,  les  officiers  prussiens  étaient  groupés 
derrière  nos  lignes  de  tirailleurs  et  écrivaient  leurs  rapports.  Cet  échange  de  prorédés 
est  fait  par  toutes  les  nations  dites  civilisées,  et  on  l'estime  comme  galanterie,  comme 
témoignage  de  qualités  chevaleresques.  Cela  rappelle  le  commencement  de  la  bataille 
de  Fontenoy  :  «  Messieurs  les  Anglais,  tirez  les  premiers  !  »  et  la  déchargé  qui  s'ensuivit 
abattant  des  centaines  d'hommes.  —  Pour  un  esprit  raisonnable  et  indépendant,  il  n'y 
a  là  ni  chevalerie,  ni  diplomatie,  il  y  a  simplenie:it  sottise,  ineptie,  barbarie,  anima- 
lité. L'humanité  terrestre  n'a  pas  le  sens  commun,  et  nous  oserions  imaginer  que  les 
habitants  de  Vénus  en  eussent  encore  moins  que  nous,  parce  que  leurs  saisojis  sont 
grossières!  Mais  les  saisons  de  Vénus  sont  moins  grossières  que  nos  sentiments  et  nos 
absurdités. 


SIS  LES    HABITANTS    UE    VÉNUS 


la  zone  torride,  et  qui  ne  peuvent  que  dillicilem(Mit  aussi  s'accli- 
mater sous  nos  latitudes. 

Que  sorait-ce  si  nous  considérions  la  diversité  des  espèces  ani- 
males? Quoique  toute  la  vie  terrestre  soit  organisée  sur  le  même 
mode  et  par  les  mêmes  forces,  cependant  nous  trouvons  une  variété 
si  grande  entre  les  espèces  vivantes,  qu'elles  se  développent  sur  une 
échelle  de  prés  de  100  degrés  de  température.  11  ne  nous  reste  donc 
qu'un  effort  bien  léger  à  faire  pour  concevoir  l'état  de  la  vie  à  la 
surface  de  la  planète  voisine  que  nous  venons  d'étudier. 

Fontenelle  avait  imaginé  Vénus  peuplée  de  Philémons  et  de 
Baucis,  sans  cesse  rajeunis  par  les  flèches  magiques  d'Apollon, 
vifs,  remuants,  pleins  de  feu,  pétillants  d'esprit,  —  «  toujours 
amoureux,  continuait  la  marquise,  faisant  des  vers,  aimant  la 
musique,  inventant  tous  les  jours  des  fêtes,  des  danses  et  des 
tournois.  » 

C'était  suivre  les  inspirations  de  la  tradition  ancienne.  Déjà,  dans 
son  Iter  extaticum  céleste,  le  bon  Père  Athanase  Kircher,  qui  ne 
permet  pas  aux  astres  d'être  habités  par  des  hommes,  parce  que  ce 
serait  contraire  à  la  doctrine  du  péché  d'Adam  et  de  la  rédemption, 
rencontre  néanmoins  dans  Vénus  des  anges  des  deux  sexes  d'une 
inqualifiable  beauté  : 

Des  parfums  de  musc  et  d'ambre  y  caressent  l'odorat;  les  végétaux 
semblent  des  édifices  de  pierres  précieuses,  une  immense  variété  de 
couleurs  les  décore,  et  les  rayons  du  soleil,  en  s'y  reflétant,  en  aug- 
mentent encore  la  magnificence  par  leurs  jeux  infinis.  Mais  l'homme 
cherche,  cherche  une  créature  vivante  et  n'en  trouve  pas  :  la  nature 
inanimée  répond  seule  à  ses  regards...  Cependant,  voici  que  d'une  colline 
de  cristal  sort  un  chœur  de  jeunes  gens  d'une  beauté  incomparable;. 
essayer  de  décrire  leurs  perfections  serait  un  dessein  inutile,  nulle  parole 
humaine  ne  serait  capable  de  dépeindre  une  telle  élégance.  Ils  sont  vêtus 
de  robes  blanches  où  les  rayons  du  soleil  font  naître  de  tendres  nuances- 
et  de  chatoyantes  couleurs;  ils  descendent  de  la  colhne  :  les  uns  tiennent 
des  cymbales  et  des  cythares,  et  des  flots  d'harmonie  s'élèvent  dans  les 
airs;  les  autres  portent  d'admirables  corbeilles  de  fleurs  oii  les  roses  et 
les  lis,  les  hyacinthes  et  les  narcisses  se  marient  et  s'harmonisent... 

A  la  vue  d'un  pareil  spectacle,  captivé  sous  le  triple  charme  des 
parfums,  de  la  musique  et  de  la  beauté,  le  voyageur  s'apprête  à 


Les  liabi:ants  de  Venus  imagiius  pui  Uciuaidiu  de  SuiolCicrra. 


LES    HABITANTS   DE    VENUS 


saluer  les  illustres  représentants  de  la  race  humaine  en  ce  Monrle 
splendide;  mais  son  génie  Gosmiel  l'arrête  en  lui  ftiisant  com- 
prendre que  ces  êtres  n'appartiennent  pas  à  la  faniilb^  des  homnifs. 
La  Terre  est  l'habitacle  de  l'homme;  ici,  ce  sont  des  anges,  dos  • 
ministres  du  Très-Haut  préposés  à  la  garde  du  monde  de  Vénus,  ce 
sont  eux  qui  le  guident  dans  sa  route  à  travers,  le  monde  des 
espaces,  afin  d'accomplir  les  dessins  de  la  nature.  Puis  le  génie 
expose  comment  lesdits  anges  versent  sur  la  Terre  l'influx  propice 
de  la  planète  de  Vénus,  grâce  auquel  les  êtres  qui  naissent  sous 
cette  bonne  étoile  deviennent  beaux,  gracieux  et  doués  d'un  excel- 
lent caractère. 

La  conversation  se  continue  ensuite  en  discutant  si  le  vin  fourni 
par  les  vignes  de  Vénus  serait,  comme  celui  des  vignes  de  la  Terre, 
susceptible  d'être  changé  en  Dieu  par  le  mystère  de  l'eucliaristie. 
Le  Père  conclut  en  faveur  de  l'affirmative. 

Plus  tard  Swedenborg,  qui  se  disait  en  correspondance  avec  les  habi- 
tants des  planètes,  assure  que  nos  voisins  de  Vénus  sont  à  peu  près 
organisés  comme  nous  et  même  presque  vêtus  de  la  même  façon. 

Dans  ses  Harmonies  de  la  Nature,  Bernardin  de  Saint-Pierre 
a  fait  une  peinture  véritablement  fort  poétique  de  la  planète  qui 
nous  occupe.  Pour  lui,  Vénus  serait  une  terre  tropicale  analogue  à 
Vile  de  France  qu'il  a  si  merveilleusement  décrite  dans  Paul  et 
Virginie.  Écoutons-le  un  instant  : 

«  Vénus,  dil-il,  doit  être  parsemée  d'iles  qui  portent  chacune  des  pies 
cinq  ou  six  fois  plus  élevés  que  celui  de  Téuéritfe.  Les  cascades  brillantes 
qui  en  découlent  arrosent  leurs  flancs  couverts  de  verdure  et  viennent 
les  rafraîchir.  Ses  mers  doivent  offrir  à  la  fois  le  plus  magnifique  et  le  plus 
délicieux  des  spectacles.  Supposez  les  glaciers  de  la  Suisse,  avec  leurs 
torrents,  leurs  lacs,  leurs  prairies  et  leurs  sapins,  au  sein  de  la  mer  du 
Sud:  joignez  à  leurs  flancs  les  collines  du  bord  de  la  Loire  couronnées  de 
vignes  et  de  toutes  sortes  d'arbres  fruitiers;  ajoutez  à  leurs  bases  les 
rivages  des  Moluques  plantés  de  bocages  où  sont  suspendues  les  bananes, 
les  muscades,  les  girofles,  dont  les  doux  parfums  sont  transportés  par  les 
vents;  les  colibris,  les  brillants  oiseaux  de  Java,  les  tourterelles  qui  y  font 
leurs  nids  et  dont  les  champs  et  les  doux  murmures  sont  répétés  par  les 
échos.  Figurez- vous  leurs  grèves  ombragées  de  cocotiers,  parsemées 
d'huitres  perlières  et  d'ambre  gris;  les  madrépores  de  l'océan  Indien,  les 
coraux  de  la  Méditerranée,  croissant  par  un  été  perpétuel,  à  la  hauteur 
.  des  plus  grands  arbres,  au  sein  des  mers  qui  les  baignent,  mariant  leurs 


LES    HABITANTS    DE    VÉNUS 


couleurs  écarlatcs  et  pui'purin(\s  ;ï  la  verdure  des  palmiers,  et  enfin  des 
courants  d'eau  transparente  qui  reflètent  ces  montagnes,  ces  forêts, 
ces  oiseaux,  et  vont  et  viennent  d'île  en  lie,  vous  n'aurez  ({trnne 
faible  idée  de  ces  paysages  de  Vénus!  Le  pôle  doit  jouir  d'une  teni[HM'a- 
ture  beaucoup  plus  agréable  que  celle  de  nos  plus  doux  printemps. 
Quoique  les  nuits  de  cette  planète  ne  soient  point  éclairées  par  des  lunes, 
Mercure  par  son  éclat  et  son  voisinage,  et  la  Terre  par  sa  grandeur,  lui 
tiennent  lieu  de  deux  lunes.  Ses  habitants,  d'une  taille  semblable  à  la 
nôtre,  puisqu'ils  habitent  une  planète  de  même  diamètre,  mais  sous  une 
zone  céleste  plus  fortunée,  doivent  donner  tout  leur  temps  aux  amours. 
Les  uns,  faisant  paître  des  troupeaux  sur  les  croupes  des  montagnes, 
mènent  la  vie  des  bergers;  les  autres,  sur  les  rivages  de  leurs  îles 
fécondes,  se  livrent  à  la  danse,  aux  festins,  s'égayent  par  des  chansons 
ou  se  disputent  des  prix  à  la  nage,  comme  les  heureux  insulaires  de  Taïti.  » 

Mais  l'examen  télescopique  nous  éloigne  de  ces  deseriiitions 
imaginaires.  L'admiration  que  nous  ressentons  d'ici  pour  cette 
blanche  étoile  du  soir,  et  qui  s'est  traduite  dans  tous  les  âges  par 
les  noms  les  plus  gracieux  dont  cette  planète  a  été  décorée,  n'est 
causée  que  par  son  aspect  lointain  et  par  le  radieux  éclat  dont  elle 
brille  avant  toutes  les  autres  beautés  du  ciel.  Elle  a  toujours  été, 
comme  la  Lune,  la  compagne  et  la  confidente  des  rêveries  du  soir; 
mais  c'est  là  un  aspect  trompeur.  Nous  avons  vu  que  la  Terre  produit 
le  même  effet  aux  habitants  de  Mars,  et  que,  selon  toute  probabilité, 
nous  avons  reçu  là  des  noms  analogues  à  ceux  dont  nous  avons 
gratifié  Vénus;  et  pourtant,  en  réalité,  notre  pauvre  petit  globe 
couvert  de  batailles,  de  ruines  et  de  misères,  n'est  pas  absolument 
un  séjour  angélique  ou  charmant. 

Loin  de  jouir  des  délices  d'un  printemps  perpétuel  et  de  vivre 
dans  un  véritable  Éden,  ces  frères  d'une  autre  patrie  ont  à  subir 
comme  nous,  et  plus  que  nous,  les  alternatives  de  l'hiver  et  de 
l'été  dans  leurs  plus  rudes  contrastes.  La  différence  physiologique 
entre  les  deux  planètes  ne  doit  pas  être  considérable,  et  quoiqu'il 
puisse  exister  là  comme  ici  certaines  latitudes  privilégiées,  l'en- 
semble de  la  sphère  est  soumis  à  un  régime  assez  rude.  L'atmo- 
sphère épaisse  qui  l'environne,  les  nuages  fréquents  qui  la  par- 
sèment, les  courants  atmosphériques  qui  la  sillonnent,  les  vents 
et  les  pluies,  les  neiges  et  les  brouillards,  les  météores,  les 
tempêtes,  les  orage?,  les  phénomènes  aériens,  depuis  les  magni- 


LES    HABITANTS    DE    VÉNUS 


fîcences  des  levers  de  s(jl('ils  jusqu'aux  suaves  coloralions  do 
rarc-cn-ciel,  tous  ces  mouvements,'  toute  cette  vie,  reproduisent 
sur  ce  monde  un  ensemble  de  choses  peu  différent  de  ce  que 
nous  contemplons  autour  de  nous.  En  effet,  les  nuages  que  nous 
ol)servons  dans  son  atmosphère  ne  peuvent  provenir  que  de  l'éva- 
poration  de  ses  océans;  et  d'autre  part  l'existence  de  ces  mers  est 
démontrée  par  l'observation,  et  par  le  relief  géologique  si  accentué 
da  sol  de  la  planète.  Ce  relief  a  produit,  comme  ici,  des  montagnes 
et  des  vallées,  des  plateaux  et  des  pleines,  des  paysages  variés  où 
se  joue  la  lumière  du  soleil  aux  différentes  heures  du  jour,  des 
campagnes  qui  s'endorment  le  soir  après  le  coucher  de  l'astre  royal, 
des  lacs  qui  réfféchissent  pendant  la  nuit  les  étoiles  scintillantes  du 
firmament.  Peut-être  ne  serions-nous  pas  très  dépaysés  en  arrivant 
devant  un  paysage  de  Vénus.  Et  pourtant,  selon  toute  probabilité, 
c'est  un  monde  plus  sauvage,  plus  chaud,  plus  changeant  et  plus 
primitif  que  le  nôtre. 

Les  premières  combinaisons  organiques  du  carbone,  en  ouvrant, 
par  la  formation  des  premiers  tissus  végétaux  et  animaux,  la  série 
des  espèces  vivantes  dont  le  lent  et  progressif  développement  a 
constitué  la  vie  terrestre  tout  entière,  ont  dû  commencer  dans  les 
eaux  fécondes  de  la  planète  Yénus  un  travail  analogue  à  celui  qui  a 
été  accompli  au  fond  des  océans  terrestres  de  la  période  primaire,  et 
les  éléments  vitaux  (composition  chimique,  densité,  pesanteur, 
lumière,  chaleur,  durée  du  jour,  saisons,  etc.)  n'étant  pas  sensible- 
ment différents  de  leur  état  terrestre,  les  espèces  ont  du  se  dévelop- 
per à  peu  près  suivant  la  môme  série  que  chez  nous,  et  peut-être  les 
formes  anatomiques  végétales,  animales  et  humaines  y  présentent- 
elles  les  mêmes  types  essentiels  que  les  nôtres. 

L'humanité  qui  règne  sur  le  monde  de  Vénus  doit  donc  offrir  les 
plus  grandes  ressemblances  physiques  avec  la  nôtre,  et  probable- 
ment aussi  les  plus  grandes  ressemblances  morales.  On  peut  penser 
néanmoins  que  Vénus  étant  née  après  la  Terre,  son  humanité  est 
plus  récente  que  la  nôtre.  Ses  peuples  en  sont-ils  encore  à  l'âge  de 
pierre  ?  Toutes  conjectures  à  cet  égard  seraient  évidemment  super- 
flues, les  successions  paléontologiques  ayant  pu  suivre  une  autre 
voie  sur  cette  planète  que  sur  la  nôtre.  D'un  autre  côté,  ce  n'est  pas 
sous  les  plus  doux  climats  que  rhun:?.uité  est  la  plus  active,  et  si  le 


...ivul-are  ne  serions-nous  pas  très  dqiav.s.s  en  arrivant  dcvam  uu  |la^^a,,•,   .,i  \,,iu.. 
TERRES  Di:  CIEL 


41 


LES    HABITANTS   DE    VÉNUS 


monde  de  Vénus  était  aussi  charmant  que  le  dépeignait  plus  liaut 
un  pinceau  trop  poétique,  peut-être  serait-il  endormi  dans  la  mol- 
lesse inactive,  comme  le  sont  les  peuples  qui  habitent  les  régions 
chaudes,  calmes  et  monotones.  C'est  un  monde  plus  varié  et  sans 
doute  plus  passionné  que  le  nôtre. 

En  définitive,  la  meilleure  conclusion  à  tirer  des  considérations 
précédentes,  c'est  que  la  vie  doit  être  sur  Vénus  peu  différente 
de  ce  qu'elle  est  ici,  taudis  que  sur  Mercure  elle  doit  en  ditïérer 
davantage.  Les  humains  peuvent  y  offrir  avec  nous  une  grande  res- 
semblance organique. 

Toute  proposition  relative  à  la  manière  d'être  des  habitants  des 
autres  planètes  paraît  téméraire  aux  esprits  qui  ne  s'écartent  point 
dans  leur  marche  paisible  des  lisières  de  la  timidité  classique.  Si  par 
exemple  nous  émettions  l'idée  que  les  habitants  de  Vénus  volent 
dans  leur  atmosphère,  et  (i;;e  pour  éviter  le  rude  contraste  de  leur 
hiver  avec  leur  été,  ils  émiyrent  en  automne  d'un  hémisphère  à 
l'autre  et  reviennent  au  printemps,  cette  proposition,  qui  n'est  en 
elle-même  ni  absurde  ni  choquante,  leur  paraîtrait  fantastique  et 
insensée.  Pourquoi  ?  Parce  que  ces  esprits  léthargiques  n'ont  même 
pas  l'attention  d'observer  ce  qui  se  passe  autour  d'eux  sur  la  Terre 
même.  Chaque  automne  nos  oiseaux  abandonnent  nos  contrées  bo- 
réales pour  se  diriger,  guidés  par  un  instinct  merveilleux,  vers  les 
régions  du  soleil  où  les  fruits  sont  toujours  mûrs  et  les  fleurs  tou- 
jours épanouies,  et  ces  chantres  ailés  de  nos  bois  reviennent  vers 
leurs  anciens  nids  à  l'heure  où  le  joyeux  printemps  se  réveille  sous 
nos  latitudes  que  l'hiver  avait  endormies.  Cette  merveille  de  l'émi- 
gration des  oiseaux  se  renouvelle  chaque  année  sous  nos  yeux  sans 
nous  fi-apper,  et  lorsque  la  première  hirondelle  trace  dans  le  ciel 
d'avril  son  rapide  et  doux  sillage,  nous  la  voyons  revenir  à  son  toit 
et  voleter  autour  de  son  habitation  dernière  sans  nous  demander  en 
quel  heureux  pays  et  près  de  quelles  familles  humaines  elle  a  habité 
pendant  son  absence  de  nos  climats. 

Aussi,  lorsque  nous  supposons  que  dans  tel  ou  tel  monde  diffé- 
rent du  nôtre  l'espèce  humaine  pourrait  être  douée  simplement 
du  même  privilège,  on  parait  tomber  des  nues  en  entendant 
formuler  cette  supposition  pourtant  si  naturelle,  et  l'on  ne 
songe  même  pas  que  ce  privilège  est  accordé    sur  notre  propre 


LES   HABITANTS  DE   VENUS 


planète  à  des  êtres  qui,  dans  l'ordre  intellectuel,  sont  inférieurs 
à  nous. 

Ce  monde  flottant  dans  los  mêmes  régions  célestes  que  nous,  les 
nuits  étoilées  y  sont  les  mêmes  que  les  nôtres  :  les  constellations  y 
présentent  les  mêmes  dispositions  et  le  même  cours,  comme  déjà 
nous  l'avons  remarqué  pour  Mars.  Les  planètes  aussi  offrent 
en  général  les  mêmes  aspects,  à  l'exception  de  deux,  qui  y  sont  par- 
ticulièrement brillantes  :  la  Terre  d'une  part,  et  Mercure  d'autre  part.. 

Pour  les  habitants  de  Vénus,  Mercure  et  la  Terre  sont  deux  magni- 
fiques étoiles.  Non  seulement  le  premier  paraît  beaucoup  plus  écla- 
tant qu'à  nous-mêmes,  mais  il  est  pour  eux  la  plus  brillante  étoile 
du  matin  et  du  soir  qu'on  puisse  imaginer  ;  il  s'éloigne  dans  ses  plus 
grandes  élongations  jusqu'à  38  degrés  du  Soleil,  un  peu  moins  que 
Vénus  ne  le  fait  à  notre  égard.  Pour  nous,  nous  brillons  dans 
leur  ciel  pendant  toute  la  nuit  avec  un  éclat  beaucoup  plus  lumi- 
neux que  celui  dont  Vénus  nous  gratifie,  car  l'éclat  maximum  delà 
Terre  arrive  lorsque  celle-ci  est  à  sa  distance  minimum  et  est  éclai- 
rée en  plein  par  le  Soleil  :  le  diamètre  de  notre  globe  vu  de  Vénus 
est  alors  de  65". 

Comme  nous  l'avons  fait  pour  Mars,  nous  avons  essayé  de  repré- 
senter par  un  dessin  l'aspect  de  la  Terre  vue  du  monde  de  Vénus,  à 
minuit.  Notre  planète  brille  alors  au  sein  de  la  nuit  silencieuse 
comme  le  plus  splendide  des  astres  du  firmament,  surpassant  ea 
éclat  Sirius  lui-même.  Sur  ce  dessin  (p.  329)  on  peut  se  rendre 
compte  de  l'aspect  stellaire  de  notre  planète  perdue  au  milieu  des 
étoiles  :  elle  brille  dans  la  constellation  du  Scorpion,  non  loin  d'Anta- 
rès.  Mais  elle  n'est  pas  fixe;  elle  marche,  au  contraire,  avec  rapidité 
dans  le  ciel  de  Vénus.  Pendant  l'année  1884,  par  exemple,  elle  suit 
la  route  tracée  figure  146  (').  C'est  ainsi  que  les  astronomes  de  Vénus 
nous  observent.  Devinent-ils  qu'un  si  petit  point  est  pour  ses  habitants 
le  prétexte  de  tant  de  tourments?  S'imaginent-ils  que  le  but  priri' 


('}  M.  Viinont,  fondatour  de  la  Société  scientifique  Flammarion  d'.\rgentan,  a  bien 
voulu,  sur  notre  demande,  construire  ces  intéressantes  petites  cartes  de  la  marche  de 
la  Terre  daus  le  ciel  de  Mars,  de  Vénus  et  de  Mercure.  Nous  sommes  heureux  de  lui  ea 
témoigner  publiquement  ici  nos  remerciements,  et  de  lui  adresser  nos  sincères  félici- 
tations pour  le  zelc  qu'il  déploie  à  aider  sous  toutes  ses  formes  la  popularisation  de 
la  plus  belle  et  de  la  plus  utile  des  sciences. 


LES  IlAlîlTANTS  DE  VENTS 


cipal  de  la  majeure  partie  de  ces  indigènes  est  d'entasser  pendant 
soixante  ou  quatre-vingts  ans  des  pièces  de  monnaie  et  des  valeurs 
en  banque  destinées  à...  leurs  héritiers? 

La  TerrS  vue  de  Vénus  est  certainement  un  des  plus  beaux  spec- 
tacles que  l'on  puisse  contempler  dans  le  système  solaire  tout  entier; 
elle  surpasse  en  éclat  l'étoile  la  plus  brillante,  et  offrirait  à  une  vue 
de  même  valeur  que  la  nôtre  urt  disque  parfaitement  appréciable. 
Ce  disque  doit  changer  de  couleur  av(^i:'  ia  rotation  de  notre  globe 


Fig.  liG.  —  Marche  de  la  planète  Terre  dans  le  ciel  des  habitants  de  Vénus. 


sur  son  axe,  et  paraître  vert,  bleu,  jaune  ou  blanc,  suivant  que  sa 
région  centrale  est  occupée  par  les  continents  verdoyants,  par  la 
mer,  par  des  déserts  ou  par  des  nuages.  Les  habitants  de  Vénus 
peuvent  ainsi  avoir  remarqué,  à  l'œil  nu,  la  rotation  de  notre  globe 
en  une  période  peu  différente  de  celle  de  leur  propre  monde.  En 
même  temps  la  Lune  doit  être  visible  comme  un  petit  point  brillant 
accompagnant  l'astre-Terre  dans  sa  marche  céleste,  et  tournant  au- 
tour d'elle  en  vingt-sept  jours,  mais  presque  Invariable  dans  sa 
blancheur.  La  distance  apparente  qui  la  sépare  de  la  Terre  à 
l'époque  de  leur  plus  grande  visibilité  est  un  peu  plus  grande  que 
le  diamètre  apparent  de  notre  satellite  tel  que  nous  le  voyons.  La 
lumière  envoyée  alors  par  ce  couple  céleste  est  très  intense,  car  elle 
s'élève  presque  aux  cinq  centièmes  de  celle  que  nous  recevons  de 


LES  HAlîITANTS  DE  VEM'S 


la  pleine  Luue.  Ces  voisins  du  ciel  ont,  de  plus,  sur  nous  l'avantage 
de  voir  «  l'autre  côté  de  la  Lune  »  que  nous  n'avons  jamais  vu,  et 
que  nous  ne  verrons  jamais  de  notre  planète. 

Notre  figure  l-iT  donne  une  idée  de  cet  aspect  de  la  Terre  vue  de 
Vénus  lorsqu'elle  se  présente  à  elle  sous  une  phase  analogue  à  celle 
que  Mars  nous  présente  aux  époques  de  ses  plus  fortes  distances 
angulaires.  Nous  supposons  l'observateur  muni  d'une  petite  lunette 
d'approche,  comme  nous  l'avons  fait  lorsque  nous  nous  sommes 
occupés  de  l'aspect  astronomique  de  la  Terre  vue  de  Mars.  Sans 


1  .^.  ij 


doute  les  astronomes  vénusiens  ont-ils  déjà  pu  construire  une  carte 
très  exacte  de  notre  planète,  y  compris  les  pôles  et  les  régions 
encore  inconnues  de  nous-mêmes.  Peut-être  ont-ils  enregistra  nos 
hivers  les  plus  rigoureux  par  l'abondance  des  neiges,  nos  inondations 
les  plus  étendues,  les  marées  du  mont  Saint-Michel,  et  même  quel- 
ques-uns de  nos  grands  travaux  de  l'isthme  de  Suez. 

Les  habitants  de  Vénus  ont  dû  naturellement  se  croire  au  centre 
du  monde.  Pour  eux,  le  globe  qu'ils  illustrent  a  été  considéré  comme 
fixe  au  milieu  du  système,  et  leur  Ptolémée  a  fait  tourner  le  ciel 
autour  d'eux:  le  Soleil  et  Mercure  en  •2-24  jours,  la  Terre  et  la  Lune 
en  365  jours,  et  les  planètes  suivantes  selon  leur  ordre.  Il  i-st  bien 


LES    HAlilïANTS  DE  VENUS 


pn)l);il)l(!  aussi  iju'ils  auront  considéré  la  circoniV'i'cuco  extérieure 
tic  luaivcrs  L'oiiiine  la  base  de  l'empyrée  et  du  séjour  des  bien- 
heureux. En  résumé,  c'est  sans  doute  sous  la  turnie  ci-dessous 
(lig.  l-'i8)  que  les  traités  de  cosmographie  en  usage  dans  les  lycées 
et  les  séminaires  de  la  planète  ont  longtemps  représenté  la  construc- 
tion de  l'univers  pour  l'instruction  de  leurs  jeunes  élèves. 


Eig.  118.  —  Système  du  monde  pvobal.lcmejit  .ni  iis 
aux  temps  priiiiilifs 


chez  les  habitants  de  Vénus 


Toutefois,  ils  ont  pu  arriver  plus  rapidement  que  nous  à  la  con- 
naissance du  véritable  système  du  monde,  puisqu'ils  en  ont  une 
miniature  permanente  dans  le  couple  que  la  Terre  (>t  la  Lune 
fornu'ut  povu-  eux  au  ciel,  et  dans  le  mouvement  mensuel  do  Phœbé 
autour  de  Cybéle.  —  Sous  quels  noms  mythologi(]ues  nous 
désignent-ils? 

Eu  tt-rminant  le  livre  consacré  à  Vénus,  récapitulons  les  eondi- 


LES   HABITANTS    DE  VENUS 


tions  astronomiques,  climatologiquos  et  physiologiques  de  cette 
planète  voisine,  —  la  plus  proche  de  la  nôtre,  et  certainement  celle 
qui,  avec  Mars,  lui  ressemble  \o  plus. 

ÉTAT    PARTlCCLIf.R    DU    MONDE  DE  VÉNUS. 

Durée  de  l'annco 224  jours  torrostres,  ou  environ  7  mois  et  lo  jours. 

Durée  de  la  rotation 

Durée  du  jour  et  delà  nuit.  .  .    23  heures  21  minutes  22  secondes. 
Nombre  de  jours  dans  l'année.    231. 

Saisons Plus  prononcées  que  celles  de  la  Terre. 

Atmosphère Composée  des  mêmes  gaz  que  la  nôtre,  mais  presque 

deux  fois  plus  dense. 

Température  moyenne Paraît  analogue  à  la  nôtre. 

Densité  des  matériaux Un  peu  moindre  qu'ici  =  0,903. 

Pesanteur  à  la  surface Un  peu  moindre  qu'ici  =  0,864. 

Dimensions  de  la  planète A  peu    près  égales  à  celles  de  la  Terre  ;  diamètre 

=0,954,  ou  3000  lieues. 
Tour  du  monde  de  Vénus.  .  .  .     9300  lieues. 

Géographie Les  mers  s'étendent  principalement  vers  l'équateur. 

Orographie Montagnes  plus  élevées  que  les  nôtres. 

Diamètre  du  Soleil Un  tiers  plus  large  que  d'ici  =  43'. 

Diamètre  maximum  de  la  Terre.     6S".  Visible  à  l'œil  nu  dans  le  ciel  de  Vénus  comme 

une  étoile  de  première  grandeur  très  lumineuse. 

Pendant  que  notre  pensée  anxieuse  cherche  à  soulever  un  coin 
du  voile,  pendant  que  nos  âmes  ardentes  s'envolent  vers  le  premier 
rayon  de  jour,  ouvert  sur  l'infini  et  se  demandent  comment  sont  or- 
ganisés ces  êtres  habitant  Vénus,  nos  voisins  de  traversée,  comment 
ils  pensent,  comment  ils  nous  voient  dans  leur  ciel  ;  sans  doute,  à 
cette  heure,  il  y  a  là  aussi  des  âmes  pensives  qui  se  demandent  pré- 
cisément de  leur  côté  quels  êtres  habitent  notre  planète,  et  devisent 
entre  elles,  comme  nous  le  faisons  en  ce  moment  entre  nous,  pour 
deviner  si  notre  organisation  corporelle  ressemble  à  la  leur,  si  nous 
jouissons  de  la  faculté  de  penser,  si  nous  connaissons  rastrouoniie, 
et  si  nous  les  voyons  aussi  dans  notre  ciel. 

Des  liens  mystérieux  relient  entre  eux  les  différents  mondes  de 
l'espace.  La  douce  mais  irrésistible  loi  d'attraction  les  enlace  de  ses 
chaînes  magnétiques,  et  chacun  d'eux  reste  sous  l'influence  cons- 
tante de  cette  grande  harmonie.  A  deux  cents  millions  de  lieues  de 
distance,  la  Terre  ressent  l'attraction  de  Jupiter,  et  s'incline  vers  lui 
dans  sa  marche  céleste  ;  à  plus  d'un  milliard  de  lieues,  Neptune 
reste  subjugué  par  la  puissance  du  Suleil;  à  trente  et  quarante  mil- 


LES  HABITANTS  DE  VENUS 


liards  de  lieues,  de  faibles  comètes  sont  saisies  par  cet  irrésistible 
aimant  et  tombent  échevelées  dans  ses  serres;  à  des  trillions  de 
lieues,  les  étoiles  se  soutiennent  entre  elles  au  sein  du  vide  im- 
mense. En  même  temps  que  cette  souveraine  force  d'attraction 
exerce  son  empire  d'un  monde  à  l'autre,  et  que  le  cours  de  l'Uni- 
vers est  irrésistiblement  mené  par  l'Harmonie,  la  lumière  à  sort 
tour  tisse  les  fils  délicats  de  sa  toile  gigantesque  étendue  à  travers 
les  cieux,  mettant  ainsi  tous  les  astres  en  communication  mutuelle, 
comme  sur  un  réseau  télégraphique  occupant  l'Univers  entier,  et 
inscrivant  l'histoire  de  tous  les  mondes  sur  des  archives  impéris- 
sables (').  Les  mondes  se  sentent  ainsi  à  travers  la  nuit  par  l'attrac- 
tion, se  voient  par  la  lumière,  se  contemplent,  se  connaissent  et 
fraternisent.  Mais  pensez-vous  que  ce  soient  là  les  seuls  liens  qui 
solidarisent  entre  elles  les  différentes  provinces  de  la  création? 
Est-ce  que  les  palpitations  vitales  qui  vibrent  à  travers  l'es- 
pace ne  disent  rien  de  plus  à  votre  esprit?  Est-ce  que  cette  unité 
visible  dans  l'organisation  de  l'Univers  n'est  pas  le  témoignage  exté- 
rieur d'une  unité  invisible,  reliant  entre  elles  toutes  les  humanités 
et  toutes  les  âmes  de  l'infini  ? 

Il  y  a  quelques  semaines,  par  une  tiède  soirée  d'août,  je  contem- 
plais l'Océan  immense  après  l'heure  sublime  du  coucher  du  soleil 
au  sein  des  flots  endormis.  Pas  un  souffle  d'air  ne  traversait  l'at- 
mosphère échauffée;  pas  un  bruit  ne  se  faisait  entendre,  hormisla 
plainte  éternelle  de  la  vague  qui  s'avance  et  se  retire;  pas  une  feuille- 
ne  s'agitait  sur  les  tiges  des  dernières  plantes  qui  xégètent  sur  le  ri- 
vage sablonneux  et  désert  :  c'était  un  grand  silence  et  un  grand 
recueillement,  car  il  n'y  avait  d'autre  mouvement  apparent  dans  la 
Nature  que  celui  des  eaux  attirées  par  la  Lune.  Elles  s'avançaient 
comme  de  vastes  nappes  de  mercure  qui  auraient  mesuré  plusieurs 
centaines  de  mètres  d'étendue,  se  retiraient,  se  superposaient  et  se 
fondaient  l'une  dans  l'autre.  Depuis  que  le  dernier  segment  rouge 
du  Soleil  s'était  enfoncé  dans  la  nappe  liquide,  les  nuées  légères 
éparses  dans  les  hauteurs  glacées  de  l'air,  au-dessus  du  couchant, 
s'étaient  empourprées  comme  une  moire  écarlate  éblouissante,  et  la 
mer  s'était  colorée  à  l'occident  des  nuances  chatoyantes  d'un  feu 

(•)  Voy.  notre  ouvrage  Récits  de  l'Infini,  Lumen,  histoire  d'une  ;ime. 


1. 1  TiTi'i',  vu.i  (io  Vénus,  brille  dans  le  ciel  comme  une  étoile  Ue  première  gramlcur 
TEKRES   DU    CIEL  ^2 


LA    NATUBE 


liquide,  tandis  que  sur  le  reste  de  sa  surface  elle  continuait  de  réflé- 
chir doucement  le  ciel  bleu  dans  sesflota  verts. 

Et  comme  la  nuit  tombait,  Jupiter  s'alluma  dans  le  ciel,  perçant 
l'atmosphère  de  ses  feux  orangés.  Une  lunette  de  moyenne  puis- 
sance eût  suffi  pour  admirer  ses  quatre  satellites  gravitant  autour  de 
lui.  L'eau  que  les  vagues  laissent  sur  la  plage  unie  à  chacun  de  leur 
retrait  en  faisait  un  miroir  tel,  que  le  ciel  s'en  réfléchissait  avec 
toutes  ses  nuances,  et  que  Jupiter  lui-même  scintillait  sur  le  sable 
comme  un  feu  d'or  allumé  près  de  la  liquide  bordure. 

Puis  ce  fut  le  tour  d'Arcturus,  brillante  étoile  avant-cuurrière  de 
l'armée  de  la  nuit.  Véga,  Altaïr,  parurent  bientôt  ;  puis  les  trois 
premières  étoiles  du  char  du  Septentrion,  puis  les  sept;  puis  Saturne 
à  l'orient,  et  successivement  toutes  les  constellations,  rayonnantes 
ce  soir-là,  dans  leur  céleste  splendeur;  diamants  de  toutes  grosseurs 
et  de  tout  éclat,  pierreries  scintillantes  apparaissant  lentement  l'une 
après  l'autre,  et  peu  à  peu  constellant  le  ciel  entier  de  leurs  feux 
multipliés.  La  Voie  lactée  elle-même  s'étendait  le  long  de  la  voûte 
étoilée  comme  un  fleuve  de  lait  parsemé  d'îles,  et  son  intensité 
était  si  frappante,  qu'elle  se  réfléchissait  elle-même,  avec  toutes  les 
étoiles,  dans  la  mer  calme  comme  dans  un  lac  et  sur  la  plage  de 
sable  mouillé  par  la  dernière  nappe  retirée. 

A  chaque  moment  une  étoile  filante  glissait  eu  silence  dans  les 
hauteurs  azurées,  laissant  sur  son  sillage  une  traînée  lumineuse  qui 
s'éteignait  lentement.  Messagères  des  autres  régions  de  l'espace, 
elles  apportaient  et  abandonnaient  dans  notre  atmosphère  de  la  sub- 
stance céleste  venue  des  autres  univers,  formant  ainsi  une  autre 
sorte  de  communication  entre  notre  monde  et  ses  frères  de  l'Infini. 

Parfois  la  voix  grandiose  de  l'Océan  se  taisait,  et  la  Nature  parais- 
sait suspendre  son  cours  pour  écouter  le  sublime  silence  des  cieux. 
Mais  les  vagues  reparaissaient  ici  et  là,  s'approchaient  l'une  de  l'autre 
comme  d'ondoyantes  caresses,  se  cherchaient  ou  se  fuyaient  tour  à 
tour,  et  par  leurs  jeux  ramenaient  le  bruit  grandissant  des  ondes, 
des  lames  et  des  flots  qui  retombaient  en  cascades  sur  les  vagues 
dominées.  Des  lueurs  phosphorescentes,  d'abord  rares  et  pâles,  puis 
fréquentes  et  brillantes,  et  aussitôt  immenses  et  étincelantes  comme 
de  la  poussière  d'étincelles,  couraient  en  frissonnant  sur  la  crête  des 
vagues  et  projetaient  leurs  feux  sur  la  mer,  comme  pour  accroître 


LA    NATLKE 


le  reflet  des  étoiles  et  pour  reprorluire  en  bas  une  image  des  splen 
deurs  qui  scintillaient  dans  les  hauteurs  étoilées... 

Ah  !  combien  on  sentait  alors  la  parenté  de  la  Terre  avec  le  Ciel  ! 
Combien  la  voix  de  l'Infini  parlait  éloquemment  a'u  fond  de  la 
conscience,  et  combien  cette  immense  harmonie  était  facilement 
recueillie  dans  l'âme  contemplative!... 

On  sentait  que  l'univers  n'est  pas  un  morne  désert  au  sein 
duquel  flottent  des  pierres,  ni  un  tableau  noir  sur  lequel  courent 
des  chiffres  plus  ou  moins  brillants:  on  sentait  l'univers  vivant! 
De  chaque  soleil  rayonnant  dans  l'éther,  s'élancent  sans  cesse  les 
vibrations  lumineuses  multipliées  qui  vont  illuminer  et  échauffer 
les  mondes  de  leurs  fécondes  effluves;  et  chaque  monde  dans 
chaque  système  gravite  autour  de  son  foyer,  tourne  sur  son  axe, 
présente  tour  à  tour  ses  divers  méridiens  à  la  lumière,  forme  le 
jour  et  la  nuit,  les  saisons  et  les  années,  reçoit  la  force  émanée  de 
son  soleil,  et  la  transforme  en  manifestations  vitales,  qui  diffèrent 
d'un  monde  à  l'autre  suivant  l'intensité  et  la  combinaison  des  élé- 
ments de  la  vie  sur  chaque  sphère.  C'est  en  ces  heures  de  contem- 
plation que  l'on  comprend  que  la  science  astronomique  complète, 
la  science  intégrale,  consiste  non  pas  seulement  dans  la  connaissance 
des  grandeurs,  des  distances,  des  mouvements  et  des  masses,  mais 
encore  et  surtout  dans  l'étude  de  la  constitution  physique  des 
astres,  et  en  définitive  dans  celle  des  conditions  de  la  vie  à  leur 
surface. 

Oui,  tel  est  le  véritable  but  philosophique  de  l'Astronomie. 
L'existence  de  la  vie  universelle  et  éternelle  dans  l'Infini  constitue 
en  réalité  la  synthèse  capitale  et  le  but  définitif  de  toute  science. 
Qu'est-ce  que  l'Astronomie  en  elle-même  à  côté  de  ce  but?  Qu'est- 
ce  que  le  sujet  de  toutes  les  autres  sciences?  Qu'est-ce  que 
l'histoire  de  France,  l'histoire  d'Angleterre,  l'histoire  d'Italie, 
d'Espagne  ou  d'Allemagne?  qu'est-ce  que  l'histoire  de  l'Europe, 
qu'est-ce  que  l'histoire  de  la  Terre  entière  devant  la  Pluralité  des 
mondes?  —  C'est  l'histoire  d'une  fourmilière  comparée  à  l'histoire 
d'un  continent;  c'est  l'histoire  d'une  seule  famille  comparée  à  celle 
de  la  race  humaine  tout  entière? 

Oui,  nous  vous  comprenons,  ô  mondes  suspendus  dans  l'éther, 
dont  la  lumière  et  l'attraction  se  font  sentir  jusqu'il  nous  !  Oui,  nous 


LA     NATUIIE 


VOUS  voyons  d'ici  par  la  pensée,  luimanités  nos  sœurs,  qui  avez 
dressé  vos  tentes  sur  ces  terres  célestes  analogues  à  la  nôtre!  0  toi, 
colossal  Jupiter,  qui  brilles  là-haut  d'un  si  splendide  éclat;  toi  qui 
t'élèves  en  ce  moment  au-dessus  de  l'horizon,  pâle  Saturne  enve- 
loppé d'énigmes;  et  toi,  blanche  Vénus,  belle  étoile  du  soir;  je  vous 
salue,  ô  planètes  nos  compagnes!  car  vous  accomplissez  à  côté  de 
nous,  dans  l'espace,  la  destinée  que  la  Terre  accomplit  en  son  cé- 
leste sillage!  Il  a  fallu  l'aveuglement  volontaire  de  l'esprit  humain 
sur  notre  infortunée  planète,  il  a  fallu  les  ténèbres  de  l'erreur,  de 
l'ambition  et  du  mensonge,  pour  que  l'on  ait  cessé  d'aimer  la  Na- 
ture e(  de  contempler  le  véritable  Giel,  et  (pie  l'on  ait  inventé  à  côté 
de  vous,  dans  le  vide,  des  paradis  imaginaires  où  la  divine  et  éter- 
nelle Nature  est  oubliée  pour  des  ombres  et  des  fictions  extra-natu- 
relles. Mais  la  science  vous  a  désormais  saisies  pour  ne  plus  vous 
laisser  obscurcir,  et  c'est  en  vous  que  nous  voyons  à  jamais  la  con- 
tinuation de  la  vie  terrestre,  l'universalisation  de  cette  harmonie, 
dont  un  chant  seulement  se  fait  entendre  ici-bas.  Tout  le  reste  n'est 
qu'illusion.  La  Vie,  pauvre  hameau  sur  ce  petit  globe,  devient  cilé 
dans  vos  vastes  provinces,  nation  dans  l'ensemble  du  système  pla- 
nétaire, et  elle  s'entend,  couronnement  de  la  matière,  au  sein  des 
régions  profondes  de  l'infini  et  de  l'éternité.  Non,  vous  ne  nous  êtes 
point  étrangères,  ô  nos  sœurs  de  traversée  !  une  même  destinée  nous 
emporte  tous;  et  devant  cette  destinée,  tous  les  dogmes  intolérants 
au  nom  desquels  le  fer,  le  sang  et  le  feu  ont  si  souvent  désolé  l'hu- 
manité, toutes  les  prétentions  des  pontifes,  toutes  les  promesses 
faites  dans  tous  les  âges  et  dans  toutes  les  contrées  par  de  pauvres 
mortels  déguisés  sous  mille  costumes  divers,  toutes  les  craintes 
de  l'aveugle  ignorance,  toutes  les  pusillanimités  de  l'oypocrisie,  en 
un  mot  toutes  les  erreurs  séculaires  de  religions  aussi  puériles 
qu'audacieuses  s'évanouissent  enfumée.  Oui,  c'est  toi,  c'est  toi  seule 
que  nous  aimons,  ô  divine  et  éternelle  Nature!  c'est  toi  seule  ijui 
est  vraie,  toi  seule  qu'il  faut  entendre,  toi  seule  qui  nous  régit  el 
nous  emporte,  en  nous  berçant  dans  ton  attraction  caressante, 
mais  inexorable;  car  nous  sommes  tous,  savants  ou  ignorants, 
pontifes  ou  troupeaux,  des  atomes  flottant  au  sein  de  ton  rayon- 
nement immense  comme  de  la  poussière  dans  un  rayon  de  soleil!... 
et  c'est  ta  parole  sacrée  qui  est  la  vraie,  l'unique  révélation  de  Dieu. 


LIVRE   III 

LA  PLANÈTE  MERCURE 


LIVRE   III 

LA    PLANÈTE    MERCURE 


CIIAl'ITRE  PREMIER 

Aspect  de  Mercure  à  l'œil  nu.  —  Son  mouvement  autour  du  Soleil. 
Connaissances  des  anciens  sur  cette  planète. 

En  quittiinl  la  planète  Vùnns  ponr  continuer  notre  voyage  céleste, 
la  première  et,  du  reste,  la  seule  planète  que  nous  rencontrons  av:;i.t 
d'arriver  au  Soleil,  est,  comme  chacun  de  nos  lecteurs  le  saitùèjji, 
la  planète  Mercure. 

Peut-être  existe-il  entre  elle  et  le  Soleil  un  ou  plusieurs  cor]  s 
célestes,  très  petits,  et  invisibles  d'ici;  peut-être  la  minuscule  planète 
déjà  nommée  Vulcain  et  vue  un  jour  par  mon  excellent  ami  le  doc- 
teur Lescarbault  existe-t-elle  réellement,  quoique  le  même  jour  Liais 
observant  le  Soleil  au  Brésil  nous  assure  qu'il  n'a  rien  remarqué,  et 
quoique  nul  astronome,  môme  en  la  cherchant  exprès,  ne  soit  par- 
venu à  la  retrouver  depuis;  mais  nous  ne  pouvons  parler  dans  co 
livre  que  des  astres  que  nous  connaissons,  et  dont  l'existence  au 
moins  est  certaine. 

Mercure  est  donc  la  seule  planète  que  nous  connaissions  dans  le 
voisinage  lumineux  et  brùlanl  de  l'astre  du  jour.  Ellr  L-ravite  .-^ur 


I.  A    l>I,ANf;TK    .MKKc.i-i;i; 


une  orbite  tracée  à  la  distance  moyenne  de  57  250000  kilora.  ou 
l 'i  .iOOOOO  lieueri.  Nous  disons  distance  moyenne,  car  cette  orbite 
est  loin  d'ôtro  cii'culaire;  elle  est  au  contraire  fort  elliptique  et 
très  allongée,  de  toile  sorte  qu'à  son  périhélie,  la  planète  se 
rapproche  jusqu'à  11375  000  lieuos,  tandis  qu'à  son  aphélie, 
elle  s'en  éloigne  jusqu'à  17  250000  :  la  différence  est  de  six  mil- 
lions de  lieues.  Comme  l'intervalle  entre  le  périhélie  et  l'aphélie 
n'est  (jiic  (le  six  semaines,  on  voit  que  la  planète  consacrée 
au    dieu  du   commerce  et  des  voleurs  passe  rapidement  par  de 


T>i>it;iOCc.  . 


«at   3CmSJ<"" 


Fig.  151.  —  Les  orbites  de  Mercure,  Vénus  et  la  Terre. 
Échelle  :  1"""  =  1  million  de  lieues. 

curieuses  alternatives  de  lumière  et  de  chaleur.  Si  Ton  représente 
par  1 000  la  distance  moyenne  de  la  Terre,  celle  de  Mercure  sera 
représentée  par  387,  sa  distance  aphélie  par  467,  et  sa  distance  pé- 
rihélie par  307.  L'excentricité  («)  ou  l'allongement  de  l'ellipse  est  de 
0,205  :  c'est  la  plus  allongée  des  orbites  planétaires. 


(')  Rappelons  qu'on  nomme  excentricité  la  distance  du  centre  de  l'ellipse  au  foyer, 
en  fonction  du  demi-grand  axe.  Ainsi,  dans  le  cercle,  l'excentricité  est  0,  puisque  le 
centre  et  le  foyer  ne  font  qu'un.  Si  l'excentricité  est  0,2  c'est  que  la  distance  du  centre 
(C,  fig.  152)  de  l'ellipse  au  foyer  S  est  égale  aux  deux  dixièmes  du  demi-grand  axe  CA 
ou  CP. 


LA    l'LA.NÈTL   .MKliC.l  Ki: 


Lii  plaiirtc  n'emploie  que  88  jours  pour  parcourir  cette  orbite, 
dont  le  prriniètre  mesure  8î)  millions  de  lieues.  Elle  vogue  dans  le 
ciel  avec  une  vitesse  de  'ili  811  mètres  par  seconde,  plus  d'un  million 
de  lieues  par  jour. 

La  révolution,  ou  Vannée  précise  c'  cette  planète,  est  de  87  jours 
23  heures  15  minutes  46  secondes. 

Le  petit  plan  tracé  ci-dessus  (//"//.  151)  ..nrésente,  ;i  réchellc  de 
1  millimètre  pour  1  million  de  lieues,  les  orbites  de  Mercure,  de 
Vénus  et  de  la  Terre,  se  suivant  concentriquenient  autour  du  Soleil, 
aux  distances  respectives  de  14,  26  et  37  millions  de  lieues.  On  voit 
que  ces  deux  terres  du  ciel  gravitent  dans  la  même  région  de  l'espace 
que  nous  et  sont,  par  leur  situation  et  par  leur  proximité,  véritable- 
ment sœurs  de  celle  sur  laquelle 
se  joue  en  ce  moment  le  jeu  de 
nos  destinées. 

A  cause  de  son  rapprochement 
du  Soleil,  Mercure  n'est  visible 
pour  nous,  habitants  de  la  Terre, 
que  le  soir  ou  le  matin,  jamais  au 
milieu  de  la  nuit,  et  toujours  dans 
le  crépuscule.  Cet  astre  ne  peut  ja- 
mais s'éloigner  pour  nous  à  plus  de 
28  degrés  et  demi  du  Soleil,  ni  le 
précéder  à  son  lever  ou  le  suivre  à  son  coucher  de  plus  de  deux 
heures  environ  (le  maximum  s'élève  parfois  à  2''  ih"'  jiour  la  latitude 
de  Paris).  Il  n'est  donc  jamais  visible  au  milieu  de  la  nuit,  mais 
seulement  à  l'aurore  ou  au  crépuscule,  ou,  au  maximum,  d(Hix 
heures  environ  avant  ou  après  le  coucher  du  soleil.  On  aura  une 
idée  exacte  de  la  plus  grande  élongation  qu'il  peut  offrir,  en  exami- 
nant la  petite  figure  précédente,  tracée  également  à  l'échelle  de 

1  millimètre  pour  1  million  de  lieues.  Lorsque  Mercure  est  à  son 
périhélie  (P)  il  est  de  deux  fois  la   distance  ("S,  ou   de    deux  fois 

2  930000  lieues  plus  près  du  centre  du  Soleil  que  lorscpi'il  est  à  sr»n 
aphélie  (A).  Il  est  sensible  que  le  plus  grand  angle  que  la  planète 
puisse  faire  avec  le  Soleil  relativement  à  la  Terre  arrive  lorsque 
Mercure  étant  vers  son  aphélie,  la  Terre  peut  se  trouver  foniicr 
un  angle  droit  avec  lui  et  le  Soleil,  et  être  elle-même  vers  son 

TERRES    DU   CIEL.  43 


Fig.  15Î.—  Relation  entre  l'orbite  de  Mercure 
et  celle  de  la  Terre. 


LA    l'LANLïE    MEUCLRE 


pt'""';-'.lc;  :  alors  la  distance  angulaire  de  Mercure  au  Soleil  atteint 
zS  degrés  et  demi. 

Si  le  lecteur  veut  bien  supposer  que  Mercure  roule  autour  du 
Soleil  dans  le  sens  indiqué  par  la  flèche,  il  remarquera  que  sa 
distance  à  la  Terre  varie  considérablement  selon  sa  position.  Son 
diamètre  apparent  varie  dans  la  même  proportion  :  à  sa  distance 
maximum,  il  descend  à  4",5;  à  sa  distance  minimum,  il  s'élève 
à  12",9.  C'est  comme  si  nous  disions  que  la  largeur  de  son  disque 
varie  pour  nous  depuis  4  millimètres  et  demi  jusqu'il  presque 
13  millimètres. 

Si  Mercure  tournait  autour  du  Soleil  dans  le  même  plan  que  la 
Terre,  il  passerait  exactement  devant  son  disque  toutes  les  fois  qu  il 
passe  entre  lui  et  nous,  c'est-à-dire  à  peu  près  tous  les  ans,  dans  un 
intervalle  de  temps  combiné  entre  les  88  jours  de  sa  révolution  et 
les  365  jours  de  la  révolution  de  la  Terre,  aux  points  nommés  ses 
conjoiiclions  inférieures.  Mais  le  plan  dans  lequel  il  se  meut  ne 
coïncide  pas  avec  celui  de  l'orbite  terrestre  :  il  est  incliné  de  7  degrés. 
Il  en  résulte  qu'ordinairement  la  planète  passe  à  sa  conjonction  in- 
férieure, non  juste  devant  le  Soleil,  mais  au-dessus  ou  au-dessous, 
et  par  conséquent  reste  invisible. 

Toutefois,  elle  passe  de  temps  en  temps  juste  devant  le  Soleil,  et 
même  beaucoup  plus  fréquemment  que  Vénus,  car  ses  passages 
reviennent  à  des  intervalles  irréguliers  de  13,  7,  10  et  3  ans.  Voici 
leurs  dates  pendant  trois  siècles  : 


DIX-HUITIÈME  SIÈCLE 

DIX 

-NEUVIÈME  SIÈCLE 

VINGTIÈBE  SIÈCLE 

1707. 

.  .       6  mai. 

1802.  .   . 

9 

novembre. 

1710. 

.  .      6  novembre. 

1813.  .  . 

12 

novembre. 

1907. 

.  .  .     12  novembre 

1723. 

.  .      9  novembre. 

1822.  .  . 

S 

novembre. 

1914. 

.  .  .      6  novembre 

1736. 

.  .     H  novembre. 

1832.  .   . 

5 

mai. 

1924. 

.  .  .      7  mai. 

1740. 

.  .      2  mai. 

183o.  .  . 

7 

novembre. 

1927. 

.  .  .      8  novembre 

1743. 

.  .      5  novembre. 

ISia.  .  . 

8 

mai. 

1937. 

.  .  .     10  mai. 

1753. 

.  .       6  mai. 

1S48.  .  . 

9 

novembre. 

1940. 

.  .  .     12  novembre 

1756. 

.  .      6  novembre. 

1861.  .   . 

12 

novembre. 

1953. 

.  .  .     13  novembre 

1769. 

.  .  .      9  novembre. 

1868.  .  . 

5 

novembre. 

1960. 

.  .  .       6  novembre 

1776. 

.  .  .      2  novembre. 

1878.  .  . 

6 

mai. 

1970. 

.  .  .      9 'mai. 

1782. 

.  .  .     12  novembre. 

1881.  .   . 

7 

no\embre. 

1973. 

.  .  .       9  novembre 

1786. 

.  .  .      ■!•  mai. 

18ÏI1.  .  . 

10 

mai. 

19811. 

.  .  .     12  novembre 

1780. 

.  .  .      0  novcmiirc. 

189i.  .   . 

10 

novembre. 

1999. 

.  .  .    24  novembre 

1799. 

.  .         7  mai. 

I.A   PLANICTK   MF.nr.UUK 


339 


La  figure  suivante  montre  chacun  des  passages  de  notre  sicch; 
dans  sa  forme  et  dans  sa  grandeur.  Le  grand  cercle  représiuite  le 
disque  du  Soleil,  et  les  lignes  qui  le  traversent  indiquoni,  les  mutes 
suivies  par  la  planète  devant  lui. 

On  voit  que  la  longueur  comme  l'inclinaison  de  ces  routes  difrèrnit 
considérablement  d'un  passage  à  l'autre.  La  j)lanète  entre  t(jiijiiur.s 
à  gauche,  par  l'est,  pour  sortira  droite,  par  l'ouest.  A  travers  cette 
complication  apparente,  on  peut  néanmoins  facilement  remarquer 
un  (inlre  réel  :  tuus  les  passages  qui  arrivent  au  mois  de  mai  sont 


Fiï.  VSi.  —  Passages  de  Mercure  devant  le  Soleil  pendant  le  XIX'  siècle. 


parallèles  imtre  eux;   tous   ceux   qui   arrivent  en  novembre   sont 
également  parallèles  entre  eux. 

Le  passage  du  5  novembre  1868  a  été  visible  à  Paris,  au  lever  du 
Soleil.  C'était  là  un  spectacle  fort  intéressant  et  assez  rare;  aussi 
les  astronomes  étaient-ils  à  leurs  lunettes  au  moment  calculé  pour 
l'apparition  du  phénomène.  J'ai  pu  observer  et  dessiner  avec  exac- 
titude ce  petit  événement  astronomique,  fait  assez  rare  en  lui- 
même,  car  il  n'est  pas  visible  chaque  fois  à  Paris.  Voici  un  résumé 
de  cette  observation  : 

Ce  jour-là,  raliuosphèro  était  loin  d'être  favorable  à  l'astronomie.  Entré 
pendant  la  nuit,  à  ô  heures  3't  minutes  du  matin,  sur  le  Soleil,  Mereuro 


LA   l'LVNÊTE   MERCURE 


avait  déjà  accompli  près  de  la  moitié  de  sa  course  au  lever  de  l'astre 
radieux.  Astre  radieux!  c'était  une  métaphore  en  ce  temps  de  brumaire. 
Des  wCages  épais  étendaient  dans  l'atmosphère  leur  vuile  lugubre  et  im- 
pénétrable. L'œil  le  plus  attentif  ne  pouvait  découvrir  la  moindre éclaircie 
dans  le  ciel  entier. 

Pendant  plus  d'une  heure  et  demie  l'atmosphère  garda  son  épais  rideau 
désespérant,  qui  flottait  sous  le  souille  humide  d'un  vent  d'ouest.  Pour 
condjlc  de  malheur,  ce  n'était  pas  seulement  une  simple  couche  de  nuages 
qui  pesait  ainsi  sur  la  tète  inquiète  de  l'observateur,  mais  deux  immenses  : 
la  plus  haute  formée  de  cirri  blancs  disséminés  en  forme  de  larges  ba- 
layures, la  plus  basse  formée  de  cumili-strati  sombres. 

Arago  avait  bien  raison  de  dire,  dans  sa  notice  sur  Sylvain  Bailly,  que 
l'astronomie    est    un    dur  métier,  et  que  nos    con- 
naissances actuelles  ne  sont  dues  qu'à  une  série 
étonnante    d'efforts  persévérants  est    di: 
tigable  patience,  et  j'ai   pu  constater  un 
fois  de  plus  pour  ma  part  que  l'attente 
en  plein  air  des  conditions  de  l'obser 
vation  d'un  phénomène  céleste  est  un 
peu  plus  rude  que  la  description  de 
ce  phénomène  devant  la  cheminée 
d'un  salon.  Mais,  il  faut  tout  dire, 
on  est  si  heureux  au  moment  oii 
l'on  a  le  privilège  de  contempler 
ces  merveilles,  que  soudain,  toute 
fatigue  oubliée,  les  murmures  sur 
notre  triste  Terre  (si  peu  faite  pour 
l'astronomie)  cessent  comme  par 

enchantement.  Ainsi,  le  voyageur  arrive  au  sommet  des  Alpes  oublie 
tout  à  coup,  dans  l'admiration  du  spectacle,  les  durs  sentiers  l't  les 
précipices  de  l'ascension. 

Ce  n'est  qu'après  sept  grands  quarts  d'heure  d'une  attente  constante, 
durant  laquelle  l'œil  perplexe  épie,  de  seconde  en  seconde,  sans  percer 
les  nuages  mobiles,  que  le  Soleil  lit  enfin  son  apparition  dans  une  belle 
éclaircie.  La  planète  était  là,  se  détachant  en  noir  non  loin  du  bord  occi- 
dental vers  lequel  elle  approchait  lentement. 

A  première  vue,  on  aurait  pu  facilement  prendre  pour  Mercure  une 
tache  pres(iue  ronde  ijui  planait  dans  la  région  opposée  du  discpie.  Cette 
tache  était  en  effet  de  dimension  égale  à  la  projection  de  la  planète;  mais, 
en  l'examinant  attentivement,  on  ne  tardait  pas  à  découvrir  autour  d'elle 
une  pénombre,  et  dans  son  noyau  des  formes  irrégulières. 

La  planète  Mercure  était  exactement  ronde,  et  je  n'ai  pu  rc^connaitre 
aucune  trace  d'a[)latissement  à  ses  pèles,  même  en  employant  de  forts 


—  Quart  nord-ouest  du  Soloil 
le  suivie  par  Mercure  devant  le  Soleil. 


LA    PLANÈTE   MKKCUUE 


341 


grossissements.    Elle  était  bcuuroup    plux  noin;    i[uc    les    taches    so- 
laires. 

A  partir  de  8  heures   'i5  minutes,  h;  ciel,  rapidement  éclairci,  garda 
toute  sa  pureté  jusqu'au  delà  de  la  lin  du  phénomène. 

C'est  vers  9  heures  9  minutes  30  secondes  (jue  la  planète  arriva  en 
contact  interne  avec  le  limhe  lumineu.x  du  Soleil  et  commença  sa  sortie. 
Je  n'ai  point  donné  cet  instant  comme  rigoureusement  déterminé,  et  sur- 
tout je  me  suis  bien  gardé  d'inscrire  des  di.xièmes  de  seconde  ;  car  l'obser- 
vation soigneuse  de  ce  phénomène  m'a  convaincu  qu'il  est  absolument 
impossible  d'être  sur  de  l'instant  précis  du  contact,  à  moins  de  plusieurs 
secondes  près.  L'esprit  hésite  pendant  longtemps,  avant  d'être  bien  assuré 
([ue  le  disque  solaire  est  entamé.  Huant  au  dernier  contact,  ou  à  la  sortie 
(îéfinitivc  de  la  planète  au  bord  échancré  du  Soleil,  ce  moment  est  plus 
difficile  à  décider  encore.  C'est  vers  9  heures  1 1  minutes  50  secondes 
([ue  la  planète  cessa  d'échancrer  le  limbe  solaire;  cL  parut  tout  à  fait 
sortie.  J'ai  tracé  </ig.  154)  comme  une  corde  traversant  la  région 
nord-ouest  du  disque  solaire,  la  route  suivie 
par  Mercure  pendant  son  passage,  avec  les 
circonstances  principales  de  l'observation. 
L'image  est  renversée,  comme  dans  toutes  les 
observations  faites  à  la  lunette  astronomique, 
et  le  Soleil  est  incliné,  comme  il  l'est  à  son 
lover  relativement  à  la  verticale  sud-nord  et 
midi. 

Tandis  qui;  Mercure  sortait  du  disque  bril- 
lant du  Soleil,  pendant  "2  minutes  et  20  se- 
condes, le  bord  solaire  parut  échancré  comme 
une  balle.  L'échancrure  devint  bientôt  demi- 
circulaire,  puis  diminua  de  plus  en  plus.   La 

ligure   J55  montre  cette   échancrure   produite    [)ar   la   planète    sur  le 
bord    du    disque   solaire. 


Fig.  \.y>. 
Mercure  sortant  du  disque  solaire. 


Le  passage  du  6  mai  1878  eût  été  également  visible  à  Paris,  si  des 
nuages  n'étaient  venus  interposer  leur  voile  dans  notre  atmosphère 
inconstante  :  on  a  pu  l'étudier  en  Belgique  et  en  Angleterre.  Celui  du 
7  novembre  1881  n'était  pas  visible  en  France;  m.ais  on  l'a  soigneu- 
sement observé  en  Australie.  Ceux  de  1891  et  1894  seront  visibles 
en  France,  le  premier  au  lever,  le  second  au  coucher  du  Soleil. 

L'année  de  Mercure  est  de  87  jours  et  97  centièmes  de  jour, 
ou  2  mois  t?7  jours  23  heures  15  minutes  et  46  secondes.  C'est 
muins  de   tmis  de   nos  mois.   Les  lialiitants  de  cette  planète   ont. 


LA   PLA>:£TE    MEUCUUE 


donc  leur  vie  mosurôe  par  des  années  quatre  fois  plus  rapides 
que  les  nôtres.  Un  centenaire  de  Mercure  n'a  vécu  que  vingt- 
quatre  de  nos  années  ;  autrement  dit,  un  «jeune  homme  »  de  vingt- 
quatre  ans  est  un  ■  -ntenaire  de  Mercure  et  une  «  jeune  fille  »  de  vingt 
ans  doit  y  être  bisaïeule.  Si  la  biologie  y  est  réglée  comme  en  notre 
monde,  les  impressions  doivent  y  être  plus  rapides  et  plus  vives,  les 
actes  vitaux  doivent  s'y  accomplir  avec  une  grande  célérité  ;  on  y  de- 
vient adolescent  dans  un  intervalle  de  cinq  ans  terrestres,  mûr  en 
douze  ans,  vieillard  en  vingt  années  de  notre  calendrier. 

11  résulte  de  cette  circulation  si  rapide  que  Mercure  est  constam- 
ment en  voyage,  et  ne  reste  pas  immobile  un  seul  instant  dans 
l'année,  tandis  que  Saturne,  par  exemple,  nous  paraît  endormi 
dans  la  même  constellation  pendant  des  mois  entiers.  Ainsi,  il 
atteint  sa  plus  grande  élongation  du  soir,  le  4  janvier  1884, 
retardant  de  1  heure  38  minutes  sur  le  Soleil,  passera  entre  cet 
astre  et  nous  (mais  non  juste  devant  le  Soleil)  le  20  janvier, 
deviendra  étoile  du  matin  et  atteindra  sa  plus  grande  élongation  le 
13  février,  passera  derrière  le  Soleil  le  29  mars,  redeviendra  étoile 
du  soir  et  atteindra  de  nouveau  son  plus  grand  éloignement  angu- 
laire du  Soleil  le  25  avril,  et  ainsi  de  suite,  revenant  aux  mêmes 
positions  tous  les  quatre  mois  environ  et  passant  trois  fois  par 
an  à  sa  plus  grande  proximité  de  la  Terre,  avec  une  agilité  qui 
lui  a  fait  mettre  des  ailes  aux  pieds  par  l'antique  mythologie 
et  qui  lui  adonné  les  attributs  et  le  culte  de  messager  des  dieux. 
En  comparant  notre  figure  156  à  celles  de  Vénus  (p.  233),  et  de 
Mars  (p.  87),  on  jugera  au  premier  coup  d'œil  des  différences 
qui  caractérisent  les  mouvements  apparents  de  ces  trois  planètes. 

Cette  rapidité  du  mouvement  de  gerçure  autour  du  Soleil,  jointe 
à  sa  proximité  de  l'astre  radieux,  fait  que  pour  nous  cette  planète 
semble  se  balancer,  comme  Vénus,  à  l'est  et  à  l'ouest  du  Soleil,  mais 
en  périodes  plus  courtes  et  plus  rapides.  Nos  pères  aimaient  se  re- 
présenter ces  mouvements  planétaires  sous  une  forme  pittoresque, 
et  il  faut  avouer  que  ces  modes  de  représentation  étaient  bien  faits 
pour  parler  aux  yeux  et  animaient  d'une  certaine  vie  les  aspects  que 
la  géométrie  pure  laisse  toujours  froids  et  indifférents.  Jetez,  par 
exemple,  un  coup  d'œil  sur  notre  figure  157,  fac-similé  d'un  dessin 
du  XVllI"  siècle,  représentant  les  élongations  de  Mercure  et  de  Vénus, 


IX   PLANÈÏK    MKr.CUKE 


de  part  et  d'autre  du  Soleil  ;  ne  semlde-t-il  pas  qu'on  assiste  à  un  jeu 

charmant  dont  Apollon,  Mercure  et  Vénus  sont  les  héros  volontaires? 

Vénus  tient  dans  sa  main  un  cœur  emhrasé  et  Mercure  un  caducée. 

Une  figure  du  XVIP  siècle  {fig.  158)  traduit  la  mènie  impression 


Fig.  156.  —  Mouvement  do  Mercure  par  rapport  fi  la  Terre. 


sous  une  forme  non  moins  ingénieuse.  Ces  sinuosités  significatives 
donnent  bien  une  idée  du  mouvement  de  Mercure. 

La  planète  Mercure  fait  partie  des  cinq  planètes  connues  de  toute 
antiquité  ;  mais  elle  a  été  sans  doute  la  dernière  découverte  et  iden- 
tifiée. Nous  avons  publié  plus  haut  (p.  222),  un  manuscrit  égyptien 
de  dix-huit  siècles,  qui  commence  précisément  par  cette  planète 
(^Sewek).  La  plus  ancienne  mesure  astronomique  qui  soit  arrivée 
jusqu'à  nous  date  de  265  ans  avant  notre  ère,  de  l'an  494  de  l'ère  de 
Nabonassar,  soixante  ans  après  la  mort  d'Alexandre  le  conquérant. 
Le  19  du  mois  égyptien  Thoth,  jour  correspondant  au  15  novembre, 
les  astronomes  observèrent  la  planète  passant  près  des  étoiles  {3  et  o 


LA    l'I.A.NKTK   MKKCl  lit 


(lu  Si'di'pinii.  Nous  possédons  aussi  sur  McTcure  des  observations 
ehinoisos,  d(jnt  la  plus  ancienne  appartient  à  l'année  1 18  avant  notre 
ère  :  le  9  juin  de  cette  année,  on  l'observa  prés  de  l'amas  d'étoiles 
de  la  constellation  du  Cancer  nommé  Prœsepe  ou  la  Crèche.  Pour 
reconnaître  que  c'est  le  même  astre  qui  apparaît  tantôt  h;  matin, 
précédant  le  Soleil,  tantôt  le  soir  suivant  son  coucher,  il  a  fallu 


Fig-  157.  —  Les  éloiigations  de  Mercure  ot  Je  Vénus  de  part  et  d'autre  du  Soleil. 
(Figure  du  XVI 11'  siècle). 


une  longue  suite  d'observations,  et  dans  un  climat  favorable,  soit 
en  Chaldée,  soit  en  Egypte.  Cependant  elle  a  été  identifiée  à 
une  époque  très  ancienne  :  nous  avons  vu  plus  haut,  à  propos 
de  Mars  et  de  Yénus,  que  les  astronomes  chaldéens  (Accadiens) 
l'observaient  à  Ninive  au  vingtième  siècle  avant  notre  ère,  ainsi 
que  Vénus,  Mars,  Jupiter  et  Saturne  ;  il  y  a  bien  des  siècles  que 
son  nom  a  été  donné  à  l'un  des  jours  de  la  semaine  (le  mercredi  : 
Mereurii  dies). 

Aux  temjis  des  premières  observations,  on  avait  cru  à  l'existence 
de  deux  planètes  différentes,  l'une  du  matin,  l'autre  du  soir,  et  l'on 


I.A    PLANÈTE   MKIîCUliK 


avait  nommé  séparcmcuL  cliacaiu!  d'elles.  C'étaient  Set  et  Horus 
chez  les  Égyptiens,  Boudha  et  Rauhineya  chez  les  Indiens,  Apullon 
et  Mercure  chez  les  Grecs.  Ces  dieux  sont  restés  distincts  dans  le.-? 


Fig.  l'oS.  —  Image  des  sinuositiîs  du  mouvement  de  Mercure. 
(Figure  du  XVll'  siècle). 


mythologies,  quoique  l'Astronomie  ait  depuis  plus  de  quatre  mille 
ans  reconnu  leur  identité.  Les  religions  ne  suivent  que  de  loin  les 
progrès  des  sciences. 

TKnr.ES   DU   CIEL 


-54 


SfC 


I. A    PLANÈTE    MERCUKE 


Outre  les  noms  mythologiques  des  planètes,  que  nous  ont  con- 
servés Platon,  Aristote  et  Diodore  de  Sicile,  il  y  a  eu  aussi  des  épi- 
tliètes  en  rapport  avec  liîs  aspects  de  ces  astres  :  ainsi  Mercure  fut 
nommé  Stilbôn,  «  l'éclatant  ».  Quant  à  son  nom  sanscrit  très  ancien, 
«  Boudha  »,  il  a  la  môme  racine  que  celui  du  législateur  Bouddha  : 
budh,  qui  signifie  savoir.  Le  mot  saxon  Wuotan  (Odin)  a  la  même 
étymologie  et  désigne  aussi  le  dieu  du  mercredi  :  Wodawes-dag  en 


Fig.  159.  —  Pierre  fcTavée,  de  IVpoque  romaine,  portant  les  planètes  et  ics  signes  du  zodiaque. 

vieux  saxon,  Budha-wâra  en  indien.  Mercure  est  resté  d'ailleurs  le 
dieu  du  savoir,  entre  autres  celui  de  la  médecine,  et  le  signe  ^  par  le- 
quel on  le  représente  depuis  le  moyen  âge  rappelle  le  caducée.  Ainsi 
l'ohservation  du  ciel  est  liée  à  l'origine  môme  des  langues,  des  reli- 
gions et  des  histoires. 

Sur  une  pierre  gravée  datant  de  l'époque  romaine  (très  bel  onyx 
qui  appartenait  au  siècle  dernier  à  la  collection  de  la  maison  d'Or- 
léans et  à  son  musée  du  Palais-Royal  et  qui  a  été  achetée  par  Cathe- 


LA    IM.ANftTK    MK.P,  nillE 


rino  II  de  Russie),  on  voit,  gravées  en  fort  bon  style,  les  planètes 
suivant  l'ordre  ancien  :  La  Lune  —  Mercure  —  Vénus  —  le  Soleil  — 
Mars  —  Jupiter  —  Saturne  —  dans  un  cercle  intérieur  à  celui  des 
signes  du  zodiaque.  Au  centre,  le  dieu  Pan  avec  sa  flûte,  modéra- 
teur du  mouvement  et  de  l'harmonie  des  sphères.  Le  revers  de  cette 
pierre  porte  une  tête  de  Méduse.  C'est  là  un  monument  astrono- 
mique qui  mérite  d'être  conservé.  Mercure  est  conduit  par  deux 


(le  la  iiiênic  pierre. 


coqs  et  armé  du  caducée.  On  y  reconnaît  aussi  l'épée  de  Mars,  la 
foudre  de  Jupiter  et  la  faux  de  Saturne. 

Mercure  avait  pour  domiciles  astrologiques  la  Vierge  et  les  Gé- 
meaux. Dans  sa  magnifuiue  galerie  planétaire,  dont  nous  avons 
déjà  donné  des  spécimens,  sur  Mars  et  sur  Vénus,  Raphaël  a  re- 
présenté le  messager  des  dieux  armé  du  caducée  et  se  préparant  à 
prendre  son  vol  pour  aller  transmettre  aux  mortels  les  ordres  de  la 
cour  céleste.  Ces  représentations,  fort  révérées  autrefois  (Socrate  a 
bu  la  ciguë  pour  avoir  mis  en  ddute  leur  valeur),  sont  aujourd'hui 


LA    l'LANP.TE    MEUClîllF. 


pour  nous  de  rarohéologio,  comme  le  seront  pour  nos  descendants 

Fis.  IBI. 


Q^yiôrGuriiiS 

(Juief^H/cfierem.  ctJ-Ainarfi  apparet.CDomus  cfus  prinapaus 
^hpjo , minus  pnncipalis  Çrcmuit. 

l'ascension  de  Jésus  dans  un  ciel  qui  n'existe  pas,  ou  sa  descente  aux 
enfers  dans  des  régions  souterraines  qui  n'existent  pas  davantage. 


CHAPITRE  II 


Rotation  de  Mercure  sur  lui-même. 

Durée  du  jour  et  de  la  nuit  sur  ce  monde.  —  Nombres  de  jours 

dans  son  année.  —  Calendrier  de  Mercure.  —  Phases.  —  Irrégularités. 

Montagnes.  —  Volume.  —  Densité.  —  Pesanteur. 


Ce  n'est  que  depuis  rinvention  des  lunettes  d'approche  que  la 
constitution  physique  des  planètes  a  pu  être  étudiée,  et  ce  n'est  ({ue 
depuis  la  fin  du  siècle  dernier  qu'on  a  pu  parvenir  à  distinixuer 
quelques  détails  sur  le  disque  de  Mercure,  si  difficile  à  voir.  La 
question  de  savoir  si  ce  glohe  est  doué  d'un  mouvement  de  rotation 
sur  lui-même  a  tout  d'abord  attiré  l'attention  des  astronomes. 

L'orbite  de  ^Mercure  étant  intérieure  à  celle  de  la  Terre,  ce  monde 
se  trouve  tantôt  entre  nous  et  le  Soleil,  tantôt  de  l'autre  côté  du 
Soleil  par  rapport  à  nous,  tantôt  à  angle  droit,  etc.  11  en  résulte  des 
phases  analogues  à  celles  de  la  Lune.  Lorsqu'il  est  entre  le  Soleil  et 
la  Terre,  position  nommée  sa  conjonction  inférieure,  nous  ne  pou- 
vons le  voir  dans  le  ciel,  puisque  c'est  alors  son  hémisphère  obscur 
qui  est  tourné  vers  nous.  (Il  ne  brille,  comme  la  Lune,  et  comme 
toutes  les  planètes,  que  par  la  lumière  qu'il  reçoit  du  Soleil  et  qu'il 
réfléchit  dans  l'espace.)  Lorsqu'il  fait  un  angle  léger  avec  le  Soleil, 
avant  et  après  sa  conjonction,  nous  A-oyons  un  peu  de  son  hémis- 
phère éclairé,  et  un  croissant  très  délié  se  dessine  dans  la  lunette. 
Lorsqu'il  se  trouve  à  angle  droit,  il  ressemble  au  premier  ou  au 
dernier  quartier  de  la  Lune,  etc.  On  ne  le  voit  jamais  parfaitement 
rond   au  télescope,  parce  qu'aux   époques  où  il   nous  montrerait 


outièrcnu'iit  son  lirriiisphèro  éclairé,  il  se  trouve  derrière  le  Soleil, 
i[in  l'éclipsé. 

Les  phases  de  Merciu-e  ont  été  vues  pour  la  première  fois  par 
ITortensius,  vers  1630.  Galilée  avait  essayé  de  les  reconnaître  avec 
les  instruments  primitifs  dont  il  faisait  usage,  mais  comme  on  peut 
le  lire  dans  son  troisième  Dialogue,  il  ne  parvint  pas  à  en  constater 
l'existence. 

Comme  celles  de  Vénus,  ces  phases  ne  correspondent  pas  avec 
précision  aux  phases  calculées.  On  a  trouvé  plusieurs  fois  la  largeur 
du  croissant  inférieure  à  ce  qu'elle  aurait  dû  être  d'après  la  position 
de  la  planète  et  l'éclairement  du  Soleil.  Le  29  septembre  1832, 


Fig.  1C3.  —  Les  phases  de  Meifure. 

entre  autres,  Màdler,  observant  une  conjonction  de  Mercure  avec 
Saturne,  remarqua  que  la  largeur  de  la  phase  était  de  \,-2o  au  lieu 
de  1,45  (le  rayon  du  disque  étant  pris  pour  unité). 

Si  la  planète  était  sans  aspérités  sensibles,  son  croissant  serait 
toujours  terminé  par  deux  cornes  également  aiguës,  formées  par  la 
limite  régulière  de  rhémisphère  éclairé  par  le  Soleil  ;  mais  on 
remarque,  en  certaines  circonstances,  que  l'une  des  cornes,  la 
méridionale,  s'émousse  assez  fortement,  et  présente  une  véritable 
troncature.  Ce  fait  a  conduit  à  admettre  que,  près  de  cette  corne 
méridionale,  il  existe  un  plateau  montagneux  très  élevé  qui  arrête 
la  lumière  du  Soleil  et  l'empêche  d'aller  jusqu'au  point  auquel  la 
corne  aiguë  s'étendrait  sans  cette  proéminence. 

Observé  dès  1801  par  Schrôter,  à  Lilienthal,  cet  émoussement  de 
la  corne  australe  du  croissant  a  été  revu  entr'autres  par  MM.  Noble 
et  Burton,  en  1864,  et  par  M.  Franks  en  1877. 


La  réapparitiou  régulière  de  ce  plu-nomèno  ilo  troncature  montre 
en  même  temps  le  mouvement  de  rotation  de  la  planète  et  le 
retour  de  la  montagne  au  bord  du  disque.  La  comparaison  des 
moments  où  elle  se  manifeste  a  conduit,  en  1801,  Schrôtor 
k  la  conséquence  que  cette  rotation  s'effectue  en  24  heures 
0  minutes  30  secondes.  En  1810,  Bessol,  d'après  cinq  observations 
de  Schrôter  faites  pendant  une  période  de  14  mois,  a  trouvé 
•^i  heures  0  minutes  53  secondes,  et  en  1816,  Schrôter  reprenant 
ui-même  les  calculs  de  Bessel  et  les  comparant  aux  siens,  a  trouvé 
24  heures  0  minutes  50  secondes.  C'est  cette  dernière  valeur  que 
nous  adopterons,  sans  la  considérer  tou-r 
tefois  comme  aussi  certaine  que  celles  de. 
Mars  et  de  Vénus,  et  en  en  désirant  la 
vérification. 

Le  nombre  de  jours  solaires  de  l'année 
mercurienne  est  de  86  et  deux  tiers 
(86,637),  et  chacun  de  ces  jours  est  de 
24  heures  21  minutes.  Les  habitants  de 
Mercure  ont  dû,  en  formant  leur  calen- 
drier, faire  deux  années  bissextiles  de 
87  jours  sur  trois,  et  une  de  86  jours. 

Nous  verrons  plus  loin,  en  examinant 
le  mouvement  de  rotation  de  la  Terre, 
«[ue  pour  chaque  planète  ce  mouvement  de  rotatiim  qui  ramène 
les  étoiles  au  méridien  après  sa  période  exacte,  n'y  ramène  le 
Soleil  qu'après  un  intervalle  un  peu  plus  long,  à  cause  de  la  trans- 
lation de  la  planète  autour  du  Soleil.  Le  nombre  de  jours  solaires 
dont  se  compose  l'année  est  toujours  inférieur  d'une  unité  à  celui 
des  jours  sidéraux,  et  le  jour  solaire  est  par  conséquent  plus  long  que 
■e  jour  sidéral.  Sur  Mercure,  le  jour  solaire  est  de  24  heures  21  mi- 
nutes :  telle  est  la  durée  du  jour  civil.  Il  n'y  a  donc  que  21  minutes 
<le  différence  à  cet  égard  entre  Mercure  et  la  Terre.  La  division 
<iu  jour  y  est  à  peu  près  la  même  qu'ici,  et  si  l'on  y  a  partagé 
comme  ici  la  journée  entière  en  vingt-quatre  heures,  ces  heures  y 
sont  seulement  un  peu  plus  longues  que  les  nôtres. 

Ce  qui  nous  frappe  d'abord,  par  conséquent,  dans  la  division  du 
temps  sur  cette  planète,  c'est  que  les  journées  y  ont  la  même  lon- 


F'S.  irti. 

Phase  de  Mercure. 

Troncature  de  la  corne  australe. 


3ai  .MERCI  liK.   —  JOCIIS    KT    MITS.   —  ANNKi:.   —   C.  A  LKNOIl  I  KR 

gui'Lir  qu'ici,  tandis  que  les  années  y  sont  quatre  fois  plus  courtes. 
Tels  sont  les  premiers  éléments  du  calendrier  de  Mercure.  Cette 
brièveté  de  l'année  de  Mercure  saute  aux  yeux  à  l'examen  du  petit 
diagramme  {fig.  165)  sur  lequel  on  a  représenté  les  douze  mois  de 
l'année  terrestre  et  les  trois  mois  du  l'année  de  Mercure.  Pendant 
que  nous  parcourons  les  trois  premiers  mois  de  notre  année,  ^Icrcure 
est  déjà  arrivé  au  bout  de  la  sienne. 

La  proximité  où  la  planète  se  trouve  toujours  du  Soleil  et  la  blan- 
cheur de  sa  lumière  rendent  extrêmement  difficile  l'observation  de 
sa  surface.  Néanmoins  Schrôter  et  Harding  ont  reconnu  l'exis- 
'.ence  de  bandes  obscures  sillonnant  le  disque,  et  qui  sont  dues 
probablement  à  des  zones  de  nuages,  que  des  courants  analogues 
aux  vents  alizés  formeraient  à  peu  près  parallèlement  à  l'équateur. 


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Fig.  IC3.  —  Longueur  comparée  de  l'année  de  Mercure  et  de  l'année  terrestre. 

Les  échancrures  observées  à  l'une  des  cornes  du  croissant  indi- 
quent que  le  sol  de  Mercure  est  accidenté,  qu'il  existe  de  fortes 
aspérités  à  sa  surface.  Les  dentelures  de  la  ligne  de  séparation  de 
l'ombre  et  de  la  lumière  témoignent  de  même  de  l'existence  de 
hautes  montagnes,  qui  interceptent  la  lumière  du  Soleil,  et  de 
vallées  plongées  dans  l'ombre,  qui  empiètent  sur  les  parties  éclairées 
lu  sol  de  la  planète. 

Ainsi  Mercure  a  des  montagnes.  La  mesure  de  la  troncature  du 
croissant  a  même  conduit  Schrôter  à  évaluer  leur  hauteur,  qui 
paraît  être  de  la  253°  partie  du  diamètre  de  la  planète  :  ce  serait 
environ  19  kilomètres  !  Or,  la  plus  haute  montagne  du  globe  ter- 
restre, le  Gaurisankar  de  l'Himalaya,  s'élève  à  8  840  mètres  au-des- 
sus du  niveau  de  la  mer;  mesuré  du  plus  bas  fond  des  mers,  il  en 
aurait  le  double,  soit  environ  17  000,  ce  qui  n'est  encore  que  la 
sept-centième  partie  du  diamètre  de  la  Terre.  Les  montagnes  de 
Mercure  seraient  donc,  d'après  cette  évaluation  (qui  n'est  pas  très 
précise),  relativement  trois  fois  plus  élevées  que  celles  de  la  Terre. 


MKRCUnE.   —   VOMMi;.    l'Oins. 


Nous  avons  vu  plus  haut  qun  Mercure  passe  quelqueiuis  juste  entre 
Je  Soli'il  et  nous,  et  apparaît,  alors  (•(uuine  une  petite  tache  ronde  et 
très  noire  glissant  à  la  surlaee  de  l'aslrc  du  jour.  Pendant  l'un  de  ces 
passages,  le 7  mai  1799,  Schrotcr  a  vu  ou  cru  voir  sur  le  disque  noir 
■de  la  planète  un  point  lumineux.  Une  observation  toute  semblable 
a  (Hé  faite,  le  5  novembre   hSGH,  par  M.  Huggins,  qui,  pendant  toute 
la  durée  du  passage,  a  vu  un  point  lumineux  sur  le  disque  obscur, 
il  peu  de  distance  de  son  centre.  Ou  avait  conclu  de  l'observation  de 
Schrôter  qu'il  existe  à  la  surface  de  M(n'cure  des  volcans  en  ignition. 
Ce  serait  une   analogie  de;  phis   entre  la,  constitution  pliysique  de 
cette  planète  et  celle  de  la  Terre.  SchruLer  était  un  observateur 
haliile,  et  le  même  témoignage  doit  être  porté  en  faveur  de  mon 
savant  ami  M.  Huggins.  Cepen- 
dant, malgré  le  désir  tout  par- 
ticulier que  j'aurais  de  cons- 
tater   une    nouvelle    analogie 
entre  Mercure  et  la  Terre,  je 
dois  avouer  que  les  deux  oli- 
servations  précédentes  ne  me 
paraissent  pas  sûres.  Il  doit  y 
avoir    eu   là   quelque  illusion 
d'optique.    J'ai    observé   avec 
]joaucoup  de   soin  à  Paris  ce 
passage  de  Mercure  du  5  novembre    1868,  et  j'ai  expressément 
cherché  s'il  n'y  avait  pas,  comme  l'avait  vu  Schrôter,  quelque  point 
Iumiu(>ux  qui  put  être  distingué  sur  lo  disque  noir  :   le  résultat  a 
été  qu'il  n'y  avait  rien  de  visible.  Tous  les  autres  astronomes  qui 
ont  observé  le  passage,  à  l'aide  d'instruments   de  grossissements 
très  variés,  n'ont  rien  vu  non  plus. 

Nos  connaissances  actuelles  sur  la  géologie  de  Mercure,  se  résu- 
ment donc  à  savoir  que  cette  planète  est  hérissée  de  très  hautes 
montagnes;  mais  nous  ne  pouvons  pas  encore  affirmer  qu'on  y  ait 
réellement  vu  des  éruptions  volcaniques. 

La  Terre  est  aplatie  à  ses  pôles  de  ^.  Mercure  peut  avoir  la  même 
figure,  mais  la  proportion  est  si  faible,  qu'elle  est  insensible  aux 
meilleurs  instruments. 
Le  diamètre  de  cette  planète  n'est  égal  qu'au  38  centièmes  de  celui 


Fig.  lOG.  —  Uranaeur  comparée  do  Jlfrcurc 
et  de  la  Terre. 


TERRES  DU  CIEL 


45 


354  MERCIJUK.    —    VOLUMK.    POIDS. 

de  notre  globe.  Ce  diamètre  réel  se  calcule  d'après  le  diamètre  ap- 
parent combiné  avec  la  distance.  Nous  avons  vu,  à  propos  des  pas- 
sages de  Vénus,  que  les  conclusions  relatives  à  la  parallaxe  solaire 
donnent  le  nombre  17"72  pour  le  diamètre  de  la  Terre  vue  du 
Soleil.  C'est  à  cette  unité  que  les  diamètres  de  toutes  les  planètes 
sont  rapportés,  en  les  supposant  toutes  vues  à  la  même  distance. 
Voici  ces  diamètr(>s  angulaires  : 

Mercure 6"70  Jupiter 197"75 

Vénus 16,90  Saturne 168,82 

La  Terre 17,72  Uraiius .  74.82 

La  Lune 4,&4  Neptune 78,10 

Mars 9,57 

Nous  savons  par  là  que  le  volume  de  Mercure  n'est  que  les  5  cen- 
tièmes de  celui  de  notre  globe  :  c'est  la  plus  petite  des  planètes 
(exception  faite  des  fragments  qui  gravitent  entre  Mars  et  Jupiter). 
En  volume,  il  est  dix-huit  fois  plus  petit  que  la  Terre;  sa  surface 
est  sept  fois  moindre;  son  diamètre  dépasse  à  peine  le  tiers  de  celui 
de  notre  monde  :  il  est  à  celui  de  la  Terre  comme  376  est  à  i  000,  et 
mesure  1200  lieues;  d'où  il  suit  que  ce  globe  compte  seulement 
15000  kilomètres  de  tour. 

L'un  des  points  les  plus  curieux  à  connaître  des  conditions  d'ha- 
bitation de  cette  planète,  serait  de  pouvoir  mesurer  l'état  de  la 
pesanteur  à  sa  surface.  Mais  comment  déterminer  avec  précision  le 
poids  de  ce  globe?  S'il  était  accompagné  d'un  satellite,  le  problème 
serait  facile  à  résoudre;  car  la  vitesse  du  mouvement  de  ce  satellite 
indiquerait  le  poids  de  cette  planète,  de  même  que  la  vitesse  du 
mouvement  de  la  Lune  est  en  correspondance  avec  le  poids  de  la 
Terre.  Mais  malheureusement  Mercure  n'est  pas  accompagné  du  plus 
petit  satellite  tournant  autour  de  lui.  D'un  autre  côté,  s'il  était  plus 
lourd  qu'il  n'est,  son  attraction  dérangerait  visiblement  Vénus  et 
la  Terre  dans  leur  marche  autour  du  Soleil,  et  en  analysant  avec 
précision  ce  dérangement,  on  pourrait  aussi  déterminer  la  masse  de 
Mercure.  Il  est  si  faible,  que  son  action  est  presque  insensible.  Cepen- 
dant, en  poussant  l'analyse  à  ses  dernières  limites,  Leverrier  est 
parvenu  à  trouver  une  valeur  mathématique.  On  avait,  auparavant, 
cherché  à  découvrir  son  action  perturbatrice  sur  les  comètes  qui 
passent  près  de  lui;  ce  n'est  pas  là  une  balance  bien  sensible  ni  bien 


MERCUliK.    —   MASSE.    ItKNSITE. 


rigoureuse  :  elle  avait  d'abord  fait  supposer  à  la  planète  une 
densité  égale  à  celle  du  plomb.  Avec  l'opinion  qui  était  encore 
générale,  il  y  a  un  demi  siècle,  sur  cette  densité,  il  eut  été  bien 
difficile  de  se  former  une  idée  de  son  état  d'habitation.  On  évaluait 
en  elfet,  cette  densité,  à  plus  de  seize  fois  que  celle  de  l'eau, 
c'est-à-dire  qu'on  la  faisait  près  de  trois  fois  plus  forte  que  celle  de  la 
TeiTe  :  elle  tenait  à  peu  près  le  milieu  entre  celle  de  l'or  et  celle 
du  métal  consacré  à  l'astre  dont  nous  nous  occupons. 

Un  pareil  état  du  sol  eût  été  bien  difficilement  assimilable  à  des 
organismes  analogues  à  ceux  que  nous  connaissons,  mais  il  eût  peut- 
être  donné  raison  à  l'hypothèse  imaginée  par  Huygens,  qui  suppose 
que  les  habitants  de  Mercure  reçoivent  du  Soleil  une  chaleur  si  brû- 
lante, qu'elle  embraserait  d'elle-même  des  herbes  comme  celles  qui 
croissent  sur  notre  globe.  Ajoutons  toutefois  que  le  même  astronome 
ne  voyait  pas  là  un  motif  suffisant  pour  laisser  cette  planète  déserte 
et  stérile,  car  il  s'empressait  d'ajouter  que  l'organisation  de  ses 
habitants  doit  être  appropriée  à  celle  de  la  planète. 

Le  calcul  de  la  densité  a  pu  être  repris  il  y  a  quelques  années,  et, 
d'après  une  étude  plus  complète  des  perturbations  produites  sur  la 
comète  d'Encke,  on  a  été  conduit  à  la  conclusion  (jue  le  globe  de 
Mercure  pèse  environ  quinze  fois  moins  que  le  globe  terrestre.  11 
en  résulte  que  la  densité  des  matériaux  qui  le  composent  surpasse  d'un 
sixième  seulement  celle  des  matières  terrestres,  comme  moyenne 
générale,  car  il  y  a  là  comme  ici  des  différences  dans  les  substances. 
La  pesanteur  à  sa  surface  est  presque  moitié  moindre  de  ce  qu'elle 
est  ici  :  un  kilogramme  transporté  sur  Mercure  n'y  pèserait  que 
52 1  grammes.  Cette  faiblesse  de  la  pesanteur  fait  que  des  êtres  lourds 
et  énormes  comme  l'éléphant,  l'hippopotame,  le  mastodonte  ou  le 
mammouth,  pourraient  avoir  sur  Mercure  l'agilité  de  la  gazelle  et 
de  l'écureuil!  L'imagination  peut  facilement  supposer  quelle  mé- 
tamorphose cette  différence  de  pesanteur  doit  apporter  dans  les 
œuvres  matérielles  et  même  intellectuelles  de  l'humanité  à  la  surface 
d'une  autre  planète. 

Sa  densité  est  un  peu  plus  furte  que  celle  des  matériaux  consti- 
tutifs de  la  planète  que  nous  habitons  :  en  représentant  la  densité 
terrestre  par  1 OUU,  celle  de  Mercure  est  représentée  par  le  chiffre  1 376. 
C'est  la  plus  élevée  de  tout  le  système  solaire. 


MERCURE.  —   DENSITÉ.  PESANTEUR. 


Ainsi,  quoique  les  êtres  et  les  choses  qui  existent  sur  ce  globe  soient 
d'un  tiers  jilus  denses  que  les  nôtres,  ils  pèsent  près  de  moitié 
moins.  Un  objet  qui  tombe  ne  parcourt  que  2'°,55  pendant  la  pre- 
mière seconde  de  chute. 

Voici,  à  ce  propos,  la  valeur  calculée  de  l'intensité  de  la  pesanteur 
sur  les  différents  globes  du  système  solaire,  comparée  à  celle  de  la 
pesanteur  terrestre  prise  pour  moitié. 

INTENSITÉ   COJIPAHATIVE    DE   LA   PESANTEUR   A    LA   SURFACE   DES    MONDES 

Le  Soleil 27,474  Uranus 0,883 

Jupiter 2,581  Vénus 0,864 

Saturne 1,104  Mercure 0,321 

La  Terre 1,000  Mars 0,382 

Neptune 0,953  La  Lune o,lG4 

Ainsi,  c'est  sur  la  Lune  que  l'intensité  de  la  pesanteur  est  la  plus 
faible  et  c'est  sur  le  Soleil  qu'elle  est  la  plus  forte.  Tandis  que,  trans- 
porté sur  le  premier  de  ces  astres,  un  kilo  terrestre  ne  pèserait  que 
164  grammes,  il  pèserait  plus  de  27  kilos  sur  le  Soleil,  2  kilos  et  demi 
sur  Jupiter,  etc.  Mais  nous  apprécierons  mieux  ces  différences  d'in- 
tensité si  nous  les  traduisons  par  le  chemin  que  parcourrait  un  corps, 
une  pierre  par  exemple,  qu'on  laisserait  tomber  du  haut  d'une  tour. 
Voici  le  chemin  qui  serait  parcouru  dans  la  première  seconde  de 
chute  sur  chacun  des  mondes  que  nous  considérons  : 

'    ESPACE   PAUCOL'KU    PAR    UN    CORPS   QUI   TOMBE,    PENDANT    LA    PREMIÈRE    SECONDE    DE   CHLTB 

Sur  la  Lune.. 0",80 

■^                                  Sur  Mars 1",86 

Sur  Mercure 2", 55 

Sur  Vénus.  .  .  .■ 4°.21 

Sur  Uranus 4°,30  . 

Sur  Neptune.  .............  4",80 

Sur  la  Terre.  ..  i  .........  .  4"',90 

Sur  Saturne.  .   .  u  .  ^  ".i.  ;.■*...' .  i  ...  5°, 34 

Sur  Jupiter.  .  ...  ;  .  .  .,  .  ......  12'",49 

Sur  le  Soleil    ........  J  ...  ■  134 ',02 

On  voit  que  cette  intensité  ne  diffère  pas  considérablemeni.  sur  la 
Terre,  Vénus,  Uranus  et  Neptune,  mais  que,  sans  être  aussi  faible 
sur  Mercure  que  sur  Mars,  elle  est  néanmoins  beaucoup  plus  faible 
qu'ici.  ! 

Un  habitant  de  la  planète  Mercure  arrivant  sur  la  Terre  éprouverait 
dans  ses  mouvements  la  résistance  du  nageur  plongé  dans  l'eau.  . 

On  ne  connaît  pas  de  satellite  à  Mercure. 


CHAPITRE  III 


L'atmosphère  de  Mercure.  —  Météorologie. 

Climats  et  saisons.  —  Inclinaison  de  l'axe-  —  Lumière.  —  Chaleur. 

Conditions  de  la  vie  sur  le  monde  de  Mercure. 


Notre  conci'pLion  générale  do  l:i  vie  à  la  surface  des  autres  pla- 
nètes se  rattachant  très  intimement  à  l'existence  d'une  atmosphère, 
l'une  des  premières  questions  que  nous  nous  adressons  naturelle- 
ment lorsque  nous  nous  occupons  de  riiabitabilitè  des  autres  mondes, 
est  de  nous  demander  s'ils  sont  gratifiés  d'une  atmosphère  analogue 
à  la  nôtre.  Cette  tendance  de  notre  espxùt  n'est  peut-être  pas  absolu- 
ment irréprochable,  car  nous  n'avons  aucune  certitude  que  la  vie  ne 
puisse  pas  exister  en  des  conditions  tout  à  fait  diiTèrentes  de  celles 
où  elle  se  trouve  ici-bas  ;  mais  elle  est  naturelle  et  logique,  puisque 
le  système  organique  terrestre  tout  entier,  aussi  bien  végétal  qu'a-' 
nimal,  a  pour  base  essentielle  l'air  et  la  respiration.  L'étude  des 
atmosphères  planétaires  a  donc  un  double  intérêt  pour  nous  :  un  in- 
térêt astronomique,  d'une  part,  en  ce  qui  concerne  la  connaissance 
que  nous  voulons  avoir  de  la  constitution  physique  des  autres 
mondes;  un  intérêt  physiologique,  d'autre  part,  en  ce  qui  concerne- 
l'analogie  d'habitation  humaine  que  ces  mondes  peuvent  offrir  avec 
celui  que  nous  habitons  en  ce  moment. 

Eh  bien  !  la  première  planète  du  système  solaire,  la  plus  proche 
de  l'astre  radieux,  celle  qui  reçoit  la  plus  grande  somme  de  chaleur 
et  de  lumière,  la  planète  Mercure,  a-t-clle  une  atmosphère? 


l.'AT.MOSl'HKIiK    DK   MERT.CKE 


Aujourd'hui,  nous  pouvons  répondre  afBrm;itivement  à  cette  in- 
téressante question,  quoique  sa  solution  ait  été  lente  et  traversée 
d'illusions  de  toutes  sortes,  semées  sur  son  passage.  L'observation 
de  la  planète  est  si  difficile  en  effet  que  la  constatation  de  son  at- 
mosphère a  été,  comme  on  le  devine  sans  peine,  plus  difficile 
encore. 

C'est  pendant  les  passages  de  Mercure  devant  le  Soleil,  que  le 
premier  indice  de  l'existence  de  l'atmosphère  de  ce  petit  monde  a 
frappé  l'attention  des  astronomes. 

Un  faible  anneau  nébuleux  entourant  la  planète  a  été  décrit  par 

Plantade,  lors  du  passage  de 
17.3G.  Le  même  phénomène  a 
été  remarqué  par  Flaugergues, 
dans  l'observation  des  passages 
de  1786,  1789  et  1799;  il  l'a 
signalé  sous  le  nom  d'anneau 
lumineux.  Messier,  Méchain  et 
Schrœter  rapportent  avoir  aper- 
çu dans  ce  dernier  passage  un 
anneau  mince  et  lumineux, 
qu'ils  ont  attribué  à  l'influence 
d'une  atmosphère.  En  1832,  le 
docteur  Moll  l'a  aperçu  comme 
un  cercle  gris  d'une  teinte  som- 
bre un  peu  violette.  Les  uns 
l'ont  vu  plus  lumineux ,  les 
autres  moins  lumineux  que  le  Soleil  lui-môme. 

Pendant  le  passage  de  1868,  l'astronome  et  physicien  anglais 
Huggins,  a  décrit  ce  même  anneau  atmosphérique  ('),  et  en  a  dessiné 
la  figure  ci-dessus.  «  En  examinant  attentivement,  dit-il,  le  voisinage 
immédiat  de  la  tache  noire  formée  par  Mercure,  dans  l'idée  de 
rechercher  s'il  existe  un  satellite,  je  constatai  que  la  planète  était 
entourée  d'une  auréole  de  lumière  un  peu  plus  brillante  que  le 
Soleil.  La  largeur  de  l'anneau  lumineux  était  environ  le  tiers  du 
diamètre  apparent  de  la  planète.  Elle  ne  s'évanouissait  pas  au  bord, 


Fig,  168. 
l'Ole  lumineuse  observée  autour  de  Mercure. 


(I)  Monihly  Notices  of  the  Royal  Astronoinical  Socieli/,  novembre  1868. 


LATMOSI'HÈUE   DE   MEKCUUE 


mais  avait  un  contour  bien  arrêté,  et  était  sans  couleur  aucun(;. 
Presque  au  même  moment  où  je  vis  cet  anneau,  mon  attention  fut 
frappée  par  un  point  lumineux  brillant  vers  le  centre  de  la  planète.  » 
C'est  le  point  dont  nous  avons  parlé  au  chapitre  précédent. 

Après  avoir  décrit  longuement  les  phénomènes  dont  nous  résu- 
mons ici  la  description,  l'astronome  anglais  examine  s'ils  peuvent 
être  causés  par  une  illusion  d'optique  et  conclut  qu'ils  sont  bien 
réels. 

Combien  la  vision  humaine  est  singulière  !  Pendant  que  M.  Hug- 
gins  observait  en  Angleterre  ce  passage  de  Mercure  devant  le  Soleil, 
je  l'observais  à  Paris,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  avec  toute  l'at- 
tention possible  également,  et  je  n'ai  pu  apercevoir,  ni  point  lumi- 
neux, ni  trace  d'atmosphère.  Et  cependant  je  les  cherchais  avec  une 
idée  préconçue.  Cela  ne  veut  point  dire  que  l'astronome  anglais  et 
tous  ses  prédécesseurs  se  soient  trompés  ;  mais  ces  différences  nous 
apprennent  à  ne  pas  trop  nous  fier  à  la  vue  dans  certains  cas  spé- 
ciaux, comme  dans  ceux  où  le  contraste  joue  un  grand  rôle.  Non 
seulement  la  vue,  la  sensation  de  la  rétine,  le  jugement,  différent 
d'un  observateur  à  l'autre,  mais  l'instrument  employé  entre  lui- 
même  pour  une  large  part  dans  les  résultats  de  l'observation  ('). 

(')  Le  passage  de  Mercure  du  jj  novembre  1868  a  été  observé  par  plus  de  cinquante 
astronomes,  en  France,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Russie,  i  Italie,  en  Espagne, 
et  M.  Iluggins  est  le  seul  qui  ait  vu  l'auréole  et  le  point  lumineux. 

11  en  a  été  de  même  dans  les  passages  antérieurs.  Tandis  que  les  astronomes  cites 
plus  haut  décrivaient  les  piiénomènes  en  question,  les  autres  affirmaient  n'avoir 
rien  vu. 

Ainsi,  en  180i,  William  Herschel  assura  avoir  constaté  que  le  contour  de  Mercure 
resta  parfaitement  terminé  pendant  toute  la  durée  du  passage.  Or,  on  sait  que  la 
lumière  s'alTaiblit  et  se  colore  inévitablement  en  traversant  une  atmosphère.  Le  fait 
qu'on  n'a  pu  apercevoir  autour  de  la  tache  aucun  anneau  qui  fût  différent,  par  l'in- 
tensité ou  par  la  teinte,  du  disque  solaire,  infirmerait  l'existence  d'une  atmosphère  un 
peu  épaisse.  .Mais  il  est  bien  probable  que  dans  ces  circonstances  nous  ne  voyons  pas 
l'atmosphère  de  Mercure  elle-même,  car  elle  doit  être  couverte  de  nuages,  et  au-dessus 
de  ces  nuages  il  ne  doit  rester  qu'une  couche  aérienne  trop  peu  sensible  pour  produire 
de  notables  effets  de  réfraction.  Si  cette  atmosphère  était  pure  et  entourait  le  disque  de 
la  planète,  les  rayons  lummeux  éprouveraient  en  la  traversant  une  déviation  qui 
déformerait  le  bord  du  Soleil,  .\ucune  déformation  de  ce  genre  ne  s'est  fait  remaniiier. 

.\u  dernier  passage  de  1878,  ce  point  lumineux  a  été  revu  et  absolument  constaté, 
notamment  par  mon  savant  ami  .M.  de  Boé,  astronome  belge.  Le  fait  le  plus  cujieux, 
c'e>t  que,  pendant  les  passages  de  Mercure  qui  arrivent  en  mai,  ce  point  lumineux 
se  trouve  à  l'ouest  du  centre  de  la  plain'li",  taudis  que,  pendant  les  observations  faites 
en  novembre,  on  l'a  toujours  vu  à  l'est.  11  n'est  pas  juste  au  centre,  ce  qui  prouve  que 


L'ATMOSPHÈKE    DE   MEIiCUIlE 


On  a  attribué  l'auréole  à  une  atmosphère  immense  et  ce  point 
lumineux  à  un  volcan.  11  serait  singulier  qu'il  y  eût  justement 
un  volcan  d'allumé  sur  Mercure  vers  le  milieu  de  l'hémisphère 
tourné  vers  la  Terre  aux  jours  et  aux  heures  des  passages  de  cette 
planète  devant  le  Soleil  ;  il  ne  serait  pas  moins  étrange  que  cette 
planète  fut  environnée  d'une  enveloppe  atmosphérique  égale  au 
tiers  de  son  diamètre  ;  c'est  comme  si  notre  atmosphère  avait 
plus  de  mille  lieues  de  hauteur  L'explication  la  plus  simple  est 
d'admettre  que  Mercure  n'étant  sur  l'éblouissant  Soleil  qu'un  mi- 
nuscule point  noir  invisible  à  Vœil  nu,  la  difficulté  de  l'observa- 
tion dans  un  tel  état  de  contraste  produit  des  phénomènes  pure- 
ment optiques. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  observations  contradictoires,  que  nous 
signalons  ici  en  toute  sincérité,  ne  prouveraient  rien  sur  l'existence 
d'une  atmosphère  autour  de  la  planète  Mercure,  si  nous  n'en  avions 
pas  de  plus  convaincantes. 

Une  des  meilleures  est  celle  qui  nous  montre  que  le  cercle  termi- 
nateur  des  phases  de  Mercure  n'est  pas  net  et  arrêté  comme  sur  la 
Lune,  mais  diffus  et  estompé,  comme  on  l'a  vu  sur  la  figure  164 
(p.  351).  Cette  pénombre  ne  peut  être  produite  que  par  une  atmos- 
phère. C'est  le  crépuscule  du  commencement  et  de  la  fin  du  jour 
que  nous  apercevons  d'ici.  L'atmosphère  est  éclairée  par  le  Soleil, 

ce  n'est  pas  un  efifet  optique  dû  à  la  dififraction.  Une  autre  observation  non  moins 
curieuse,  c'est  l'auréole  dont  la  planète  paraît  entourée  pendant  soa  passage  sur  le 
Soleil.  Parfois  cette  auréole  est  plus  lumineuse  que  le  Soleil  lui-même  et  parfois  elle 
est  d'une  teinte  grise  un  peu  violette.  En  général,  le  premier  cas  s'est  présenté  au 
mois  de  novembre  et  le  second  au  mois  de  mai.  (Le  fait  est  assez  bizarre.  J'ai  observé 
en  ballon  un  effet  analogue  :  plusieurs  fois,  l'ombre  de  l'aérostat  voyageant  sur  les .'' 
prairies  s'est  montrée  encadrée  d'une  auréole  lumineuse)  ('). 

Remarquons  maintenant  qu'à  l'époque  des  passages  du  mois  de  mai  Mercure  est  à  sa 
plus  grande  distance  du  Soleil,  tandis  qu'au  mois  de  novembre  il  est  dans  le  voisinage 
de  son  périhélie,  c'est-a-dire  vers  sa  plus  petite  distance.  11  pourrait  exister  une  relation 
entre  cette  distance  et  la  position  de  la  tache  lumineuse  et  l'aspect  de  l'auréole.  Sans 
doute  l'ardeur  du  Soleil,  quatre  fois  et  demie  plus  grand  et  plus  chaud  que  le  nôtre 
lorsque  Mercure  est  à  son  aphélie,  et  dix  fois  et  demie  plus  immense  et  plus  intense 
lorsqu'il  est  à  son  périhélie,  produit-elle  dans  l'atmosphère  de  cette  planète  des  phé. 
nomènes  météorologiques,  magnétiques  et  électriques  tout  à  fait  étrangers  à  ceux 
que  nous  connaissons  sur  la  Terre. 

Mais  ne  nous  hâtons  pas  d'expliquer  des  faits  qui  peuvent  être  purement  subjectifs. 

(')  Voy.  mes  Voyages  aériens,  troisième  ascension. 


...  Les  jeux  d'oplique  aérieaue  se  pioJaiieal  sur  Mercure  avec  intensité... 
TEr.ltES   DU   CILL  46 


L'ATMOSPHEftE    DE    MEUCIIRE 


sans  que  le  sol  le  soit,  et  produit  cette  légère  lumière  qui  sépare 
l'hémisphère  éclairé  de  l'hémisphère  nocturne. 

D'un  autre  côté,  le  calcul  d'une  phase  de  la  planète  pour  une  date 
donnée  (23  septembre  1832)  a  montré  à  Béer  et  Madier  que  cette 
phase  calculée  était  supérieure  à  la  phase  visible.  De  là,  en  attribuant 
à  un  défaut  de  diaphanéité  une  plus  grande  influence  qu'à  la  réfrac- 
tion, on  est  arrivé,  par  une  voie  totalement  différente  des  déductions 
précédentes,  à  la  conséquence  que  Mercure  est  entouré  d'une  atmos- 
phère assez  épaisse. 

Un  autre  indice  est  fourni  par  ce  fait  que  la  lumière  du  disque  de 
Mercure  va  en  diminuant  du  centre  vers  les  bords,  diminution  causée 
aussi  par  la  présence  de  l'atmosphère  autour  de  la  planète. 

Une  autre  preuve  encore  résulte  de  la  formation  subite  des  bandes 
obscures,  qu'on  a  quelquefois  remarquées  sur  ce  globe.  Ces  bandes 
occupent  souvent  des  espaces  considérables  et  présentent  des  varia- 
tions très  sensibles  d'éclat.  Les  premières  observations  qu'on  en  ait 
faites  appartiennent  à  Schroter  et  Harding,  et  sont  de  l'année  1801. 
Elles  ont  été  renouvelées  depuis.  Ainsi,  le  11  juin  1867,  par  un  ciel 
d'une  grande  pureté,  M.  Prince  a  constaté  la  présence  d'un  point 
brillant  situé  un  peu  au  sud  du  centre  de  la  planète,  accompagné 
de  légères  traînées  divergeant  vers  le  nord-est  et  le  sud.  Le  13  mars 
1870,  M.  Birmingham  a  observé  une  large  tache  blanche  près  du  bord 
oriental.  M.Vogel  signale  également  l'observation  de  certaines  taches 
aux  dates  des  14  et  22  avril  1871.  Dans  le  grand  télescope  newtonien 
d'Oxford,  de  13  pouces  d'ouverture,  construit  par  M.  De  La  Rue,  le 
disque  de  la  planète  a  présenté  une  légère  teinte  rosée. 

L'atmosphère  de  Mercure  doit  être  surtout  composée  de  vapeur 
d'eau,  ou,  dans  tous  les  cas,  de  vapeurs  plutôt  que  de  gaz,  attendu 
que  ses  mers,  ses  lacs,  ses  rivières  et  ses  sources  doivent  contenir, 
non  pas  de  l'eau  fraîche  comme  ici,  mais  de  l'eau  chaude.  Si  ce 
n'est  pas  de  l'eau  chimiquement  identique  avec  la  nôtre,  les  liquides 
qui  la  remplacent  doivent  être,  quels  qu'ils  soient,  à  un  état  de 
température  fort  élevée. 

Ajoutons  enfin  que  l'analyse  spectrale  a  pu  être  appliquée  à  l'exa- 
men de  l'atmosphère  de  Mercure.  Il  résulte  des  recherches  de  l'astro- 
nome Vogel,  que  les  raies  principales  du  spectre  de  Mercure  coïn- 
cident absolument  avec  celles  du  spectre  solaire.  Ce  fait  n'a  rien  de 


L'ATMOSPHÈRE   DE    MERCURE 


surprenant,  puisque  cette  planète  ne  l)rille  que  par  la  lumière  qu'elle 
reçoit  du  Soleil.  Mais  à  ces  lignes  s'en  ajoutent  d'autres  qui  lui 
appartionnônt  en  propre  :  «  Certaines  raies  qui  ne  se  produisent  dans 
le  spectre  du  Soleil  que  lorsque  cet  astre  est  très  bas  sur  l'horizon, 
et  que  l'absorption  par  notre  atmosphère  est  très  considérable,  se 
retrouvent  en  permanence  dans  le  spectre  de  Mercure.  On  doit  donc 
conclure  de  là  à  l'existence  d'une  enveloppe  gazeuse  autour  de 
Mercure,  exerçant  sur  les  rayons  solaires  une  action  absorbante 
égale  à  celle  de  notre  atmosphère,  lorsqu'elle  atteint  son 
maximum.  » 

Ainsi,  ce  petit  monde  est  environné  d'une  atmosphère  considé- 
rable, dans  laquelle  flottent  des  vapeurs  absorbantes;  son  sol  est  très 
accidenté;  ses  années  sont  fort  courtes  et  ses  saisons  rapides;  ses 
journées  sont  relativement  longues;  et  le  Soleil^  beaucoup  plus 
proche  de  lui  que  de  nous,  lui  distribue  une  bien  plus  grande  quantité 
de  chaleur  qu'il  n'en  donne  à  la  Terre.  Ce  sont  déjà  là  des  notions 
remarquables  sur  un  globe  qu'il  est  si  difficile  d'étudier;  mais  allons 
plus  loin  encore,  et  utilisons  ces  notions  pour  essayer  de  déterminez 
les  conditions  de  la  vie  apparue  à  sa  surface. 

Nous  avons  vu  que  l'orbite  suivie  par  la  planète  est  très  allongée, 
et  que  le  Soleil  est  de  près  de  six  millions  de  lieues  plus  proche  du 
foyer  au  périhélie  qu'à  l'aphélie  :  six  millions  sur  quatorze  de  dis- 
tance moyenne  1  A  l'aphélie,  l'astre  du  jour  offre  à  ces  indigènes 
inconnus  un  disque  quatre  fois  et  demie  plus  étendu  que  le  nôtre 
en  surface,  et  44  jours  après,  au  périhélie,  ce  disque  énorme  s'est 
encore  agrandi  au  point  d'être  dix  fois  et  demie  plus  vaste  que  le 
nôtre,  versant  de  ce  ciel  torride  une  lumière  et  une  chaleur  dix  fois 
et  demie  plus  intenses.  La  proportion  des  diamètres  du  Soleil  est  la 
suivante  : 

Vu  de  Mercure  périhélie iOV  ou  1°  44' 

—  distance  moyenne 83'        1°  23' 

—  aphélie 07'        1°    7' 

Vii  de  la  Terre 32' 

La  Ogure  170  en  donne  une  idée  :  elle  est  construite  à  l'échelle 
(le  1"""  pour  2'.  Nous  nous  plaignons  quelquefois  de  l'ardeur 
du  Soleil;  mais  qu'est-ce  que  notre  pauvre  luminaire  à  côté  de 
l'éblouissante  fournaise  de  Mercure!  C'est  comme  si  dix  soleils  dar- 


CONDITIONS  DE  LA  VIE  SIU  .MEKCl'UF. 


daient  onsemblo  leurs  rayons  au  mois  do  juillet,  à  midi,  sur  nos 
tt''tcs.  Si  les  habitants  do  Mercure  ont  cru  comme  nous  que  cet  astre 
tournait  autour  d'eux,  ils  ont  dû  être  bien  embarrassés  pour  expliquer 
ces  variations  périodiques  de  sa  grandeur,  ses  gonflements  et  dégon- 
flements successifs. 

L'astronome  de  Mercure  peut,  bien  plus  facilement  que  nous, 
tirer  des  variations  incessantes  du  diamètre  apparent  du  Soleil  les 
valeurs  comparatives  des  distances  de  cet  astre  pour  chaque  jour; 
-OS  savants  de  ce  monde  inconnu  sont  sans  doute  arrivés  plus  tôt 


^ 

^^^^ 

i 

LE   SOLEIL                         1 

^V 

^W     vu 

1 

vu    DE    MEBCDRE 

^^B;                   MERCURE 

1 

au  périhélie                           ; 

^^^k                l'aphélie               i 

lig.  KO.  —  Grandeur  comparée  du  Soleil  vu  de  Mercure  et  de  la  Te 


que  nous  à  découvrir  que  leur  planète  se  meut  dans  une  orbite 
elliptique  dont  le  Soleil  occupe  un  des  foyers,  et  à  connaître  ainsi 
le  premier  élément  du  véritable  système  du  monde. 

Nous  concevrons  peut-être  mieux  encore  l'intensité  de  la  lumière 
et  de  la  chaleur  envoyée  par  le  Soleil  à  ce  monde  en  jetant  un  coup 
d'œil  sur  le  petit  diagramme  ci-dessus  (fig.  171),  qui  représente  l'in- 
tensité comparée  de  la  lumière  et  de  la  chaleur  reçues  par  Mercure 
et  par  la  Terre  pendant  leurs  années  respectives.  Les  ordonnées  ver- 
ticales sont  en  rapport  avec  cette  intensité.  A  l'aphélie,  cette  quantité 
est  quatre  fois  et  demie  supérieure  à  celle  que  nous  recevons  dans  le 
cours  de  l'année,  et  au  périhélie  elle  est  dix  fois  et  demie  supérieure. 

Les  efi"cts  de  lumière  doivent  être  merveilleux  dans  cette  atmos- 
phère, et  incomparahlement  plus  intenses  que  les  nôtres.  Nos  plus 


CONDITIONS    I>E   LA   WV.   Sllî   MEUCUUK 


grandioses  couchers  de  soleil,  nos  plus  sublimes  levers  de  soleil, 
sont  pâles  et  ternes  à  côté  de  ceux  de  cette  planète.  La  symphonie 
de  l'aurore  éclate  là  comme  une  éblouissante  fanfare.  Il  n'est  pas  dou- 
teux que  les  jeux  d'optique  aérienne  que  nous  admirons  dans  nos 
arcs-en-ciel,  nos  halos,  nos  anthélies,  nos  mirages,  ne  se  produisent  là 
comme  ici  (car  les  lois  de  la  physique  sont  partout  les  mêmes),  mais 
avec  une  intensité  qui  nous  ravirait  d'admiration.  Ce  ne  serait  pas 
sortir  du  cadre  de  la  vraisem- 
blance,  si  nous  voulions  des-  ^ 

siner,  par  exemple,  un  paysage  .  f 

de  Mercure  après  la  pluie,  d'i- 
maginer que  les  arcs-en-ciel 
n'y  sont  pas  ordinairement 
simples,  comme  ici,  mais  gé- 
néralement, triples  et  souvent  | 
multiples,  à  cause  de  l'inten- 
sité de  l'illumination  solaire. 

En  voyant  le  monde  de  ]\Ier- 
cure  graviter  comme  la  Terre 
autour  du  Soleil,  porté  sur  l'ail  (  • 
de  la  même  force  qui  soutien i 
notre  planète  dans  l'espace, 
régi  par  les  mêmes  lois,  baigné 
dans  les  fécondes  effluves  de  la 

lumière  et  de  la  chaleur  solaires;  environné  d'une  atnio;^pliére 
dans  laquelle  flottent  des  nuages,  soufflent  des  vents,  tombent  des 
pluies;  couvert  d'un  sol  accidenté  sur  lequel  de  hautes  montagnes 
dressent  leurs  cimes  élancées;  doué  enfin  de  mouvements  qui  lui 
donnent  des  années,  des  saisons,  des  climats,  des  jours  et  des  nuits, 
notre  raison,  notre  logique  veut  que  ces  causes  aient  produit  des 
effets;  et  quoique  la  position  défavorable  de  ce  monde  à  notre  égard 
nous  empêche  de  distinguer  sa  surface  et  nous  interdise  le  captivant 
plaisir  de  dessiner  sa  carte  géographique,  cependant  les  yeux  de 
l'intelligence  complètent  ceux  du  corps,  et  voient,  au-dessous  de 
cette  couche  de  nuages  que  nos  télescopes  ne  percent  pas  encore, 
une  vie  immense  et  agitée,  se  déployant  sur  toute  la  surface  de  cette 


Fii;.   l'I. 

IiitL'iisili;  comparée  dû  Ui  liiinière  et  do  la  chaleur 

reçues  par  Mercure  cl  par  la  Terre. 


CONDITIONS   DE   LA   VIE   SUR    MERCURE 


planète  comme  sur  la  nôtre,  et  accomplissant  ses  destinées  dans  le 
même  temps  que  les  nôtres  s'accomplissent  en  ce  monde-ci.  Cette 
vie,  nous  la  devinons  sans  la  voir,  de  même  qu'en  voyant  passer  au 
loin  dans  la  campagne  un  convoi  de  chemin  de  fer,  nous  devinons, 
sans  les  voir,  que  des  voyageurs  occupent  ses  différents  wagons.  Oui, 
sans  doute,  nous  constatons  avec  assez  d'évidence  les  témoignages 
de  la  vie  physique  sur  cette  planète  Mercure  pour  supposer  un  seul 
instant  que  ce  soit  là  un  trompe-l'œil,  et  pour  imaginer  qu'un  mi- 
racle permanent  de  stérilisation  empêche  l'air,  l'eau,  le  soleil,  le 
vçnt,  la  pluie,  la  chaleur  du  jour,  le  calme  des  nuits,  la  fraîcheur 
des  matins,  l'embrasement  fécond  des  soirs,  d'avoir  produit  sur  ce 
globe  comme  sur  le  nôtre  ces  millions  d'espèces  vivantes  qui  se 
succèdent  de  générations  en  générations  et  pullulent  sur  la  Terre 
entière.  Mais  cette  vie  éclose  sur  Mercure,  quelle  est-elle?  Devons- 
nous  y  contempler  des  paysages  semblables  à  ceux  qui  se  bercent 
au  miheu  de  nos  belles  campagnes?  des  arbres  qui  ressemblent  aux 
nôtres?  des  fleurs  pareilles  à  celles  que  nous  respirons?  des  animaux 
analogues  à  ceux  qui  foulent  le  sol  terrestre,  nagent  dans  les  mers 
ou  volent  sur  nos  têtes?  enfin  et  surtout  devons-nous  y  voir  une 
humanité  identique  à  la  nôtre?  —  C'est  là  une  question  que  nous 
pouvons  étudier,  et  à  laquelle  l'analyse  et  la  synthèse  scientifiques 
nous  permettront  peut-être  de  répondre. 

Si  l'opinion  que  nous  pouvons  nous  former  de  l'importance  des 
mondes  était  dictée  par  la  considération  de  l'activité  des  forces  qui 
peuvent  agir  à  leur  surface,  et  par  celles  de  la  distance  du  foyer 
central,  qui  distribue  la  lumière  et  la  chaleur,  nous  en  conclurions 
assurément  que  Mercure  est  la  planète  la  plus  favorisée  et  la  plus 
importante  de  tous  les  séjours  du  système  solaire.  Mais  d'un  autre 
côté,  si  nous  jugions  de  l'importance  d'un  monde  par  sa  dimension. 
Mercure  nous  paraîtrait  tout  à  fait  insignifiant,  car  à  cet  égard  il 
ressemble  plus  à  la  Lune  qu'à  la  Terre,  et  le  troisième  satellite  de 
Jupiter  (Ganymède)  est  même  plus  volumineux  que  lui.  (Voyez  la 
figure  suivante).  Nous  ne  devons  donc  jamais,  dans  cette  étude,  nous 
laisser  guider  par  des  considérations  isolées,  et  c'est  sur  l'ensemble 
des  caractères  d'une  planète  que  nous  devons  baser  notre  mode 
de  raisonnement. 

Parmi  toutes  les  causes  qui   agissent  sur  chaque  planète  pour 


CONDITIONS   DE    I,\   VIE  SI  T,   MERfURE 


dùLermiuer  l'état  et  les  formes  do  la  vie  à  sa  surface,  il  en  est  trois 
surtout  dont  l'action  est  essentielle,  et  qui  sont  spécialement  dignes 
de  notre  attention.  Ce  sont  :  —  1°  les  dilîérences  de  chaleur  et  de 
lumière  qu'elles  reçoivent  du  Soleil;  —  2"  les  différences  dans  la 
pesanteur  des  corps  à  leur  surface;  —  3°  les  différences  de  constitu- 
tion physique  et  de  dcusiLé  de  la  matière  dont  elles  sont  composées. 
L'intensité  de  la  radiation  solaire  est  presque  sept  fois  plus  grande 
pour  Mercure  que  pour  la  Terre,  et  pour  Neptune  neuf  cent  fois 
moindre;  la  proportion  entre  les  deux  extrêmes  étant  celle  de  plus 
de  60Û0  contre  1 .  Que  l'on  se  représente  l'état  de  notre  globe,  si  le 
Soleil  était  sept  fois  plus  volumineux,  ou  bien,  en  sens  inverse,  si 


Kig.  17-2.  —  Grandeurs  comparées  de  Mars.  GanymoJe,  .Mercure  et  la  Lune. 


sa  puissance  était  réduite  aux  neuf  centièmes  de  sa  valeur  actuelle! 
D'un  autre  côté,  l'intensité  de  la  pesanteur,  ou  son  efficacité  à  contre- 
balancer la  force  musculaire  et  à  contenir  l'activité  vivante,  est 
environ  trois  fois  plus  forte  à  la  surface  de  Jupiter  qu'à  la  surface 
di'  la  Terre.  Sur  Mars,  elle  n'est  que  le  tiers  de  ce  qu'elle  est  ici;  sur 
la  Lune,  le  sixième;  et  sur  plusieurs  petites  planètes  le  vingtième 
seulement  :  ce  qui  établit  une  échelle  dont  les  extrêmes  sont  dans 
la  proportion  de  60  à  1.  Enfin,  la  densité  de  Saturne  ne  va  guère  au 
delà  de  y  de  la  densité  moyenne  de  la  Terre,  en  sorte  que  cette 
planète  doit  se  composer  de  matériaux  presque  aussi  légers  que 
le  liège,  «  Or,  au  milieu  de  tant  de  combinaisons  variées  d'élé- 
ments si  importants  pour  la  vie,  dirons-nous  avec  Sir  John 
Herschel,  quelle  imnifuse  diversité  ne  devons-nous  pas  admettre 


SAISONS.    CLIMATS.    CONDITIONS   DE   LA    Vit; 


dans  les  conditions  du  grand  problème  de  l'existence  et  de  la  félicitù 
des  êtres  vivants,  but  qui  semble,  autant  que  nous  pouvons  en  juger 
par  ce  que  nous  voyons  autour  de  nous  sur  notre  propre  planète  et 
par  la  manière  dont  chaque  point  y  est  peuplé,  faire  l'objet  constant 
de  la  sollicitude  d'une  haute  Sagesse  qui   préside  à  tout.  » 

Mercure  est  le  monde  qui  reçoit  du  Soleil  le  plus  de  chaleur  et  de 
lumière.  Nous  avons  dit  qu'il  gravite  autour  de  l'astre  radieux  dans 
la  courte  période  de  88  jours  :  son  année  est  donc  moins  longue 
que  truis  de  nos  mois;  ses  saisons,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  ne 
durent  chacune  que  22  jours. 

La  meilleure  série  d'observations  des  taches  de  Mercure  et  d'essais 
de  déterminations  de  la  rotation  est  encore  celle  de  l'astronome 
Schrôter,  de  Lilienthal,  et  elle  date  du  commencement  de  ce  siècle.  ^ 
Il  a  notamment  suivi  avec  soins  une  bande  sombre  entourant 
comme  une  ceinture  le  globe  de  la  planète,  depuis  le  18  mai  jus- 
qu'au 4  juillet  1801,  et  de  ces  observations  il  a  cru  pouvoir  conclure 
que  «  l'inclinaison  de  l'équateur  de  Mercure  sur  son  orbite  est  en- 
viron de  20" » . 

Interprétée  d'une  manière  erronée  par  le  premier  traducteur  des 
Hermographische  Fragmente,  cette  mesure  avait  été  générale- 
ment considérée  comme  indiquant,  non  l'inclinaison  de  l'équateur 
sur  son  orbite,  mais  l'inclinaison  de  l'axe,  ce  qui  donnait  70°  pour 
l'obliquité  de  l'écliptique  sur  cette  planète,  et  par  conséquent  des  sai- 
sons beaucoup  plus  disparates  que  celles  de  la  Terre,  et  encore  plus 
extrêmes  que  celles  de  Vénus,  le  Soleil  devant  éclairer  en  plein  l'un 
des  pôles  à  l'un  des  solstices  et  l'autre  pôle  au  solstice  opposé,  et 
les  régions  polaires  devant  être  tour  à  tour  brûlantes  et  glaciales 
dans  un  intervalle  d'une  demi-année  mercurienne  ou  de  44  jours 
seulement  ! 

Nous  devons  à  M.  Niesten,  astronome  de  l'Observatoire  de 
Bruxelles,  la  rectification  de  cette  interprétation  erronée.  L'incli- 
naison de  70°  pour  l'axe,  ou  l'angle  de  20°  pour  l'équateur  de 
Mercure  sur  son  éclip tique,  ramène,  au  contraire,  les  saisons 
de  cette  planète  à  une  analogie  presque  complète  avec  les  nôtres, 
et  même  à  des  saisons  un  peu  plus  douces,  puisque  chez  nous 
cette  obliquité  est  de  23°  27', 

11  serait  bien  désirable  que  des  observateurs  vérifiassent  de  nos 


MERCUIlli.  —  SAISONS.    CLIMATS.    CONDlllUNS    DE    LA    VIE 


jours  CCS  intérossautes  ef.  (litïicilos  mesures  de  l'astronuine  de 
Lilienfhal. 

Mais  cette  planète  a  un  autre  genre  de  saisons. 

Lors  même  que  son  axe  serait  perpendiculaire  au  plan  dans  lequel 
elle  se  meut,  et  lui  donnerait  par  conséquent  une  égalité  perma- 
nente de  jours  et  de  nuits  et  un  équinoxe  perpétuel,  cependant  la 
variation  considérable  de  sa  distance  au  Soleil  pendant  le  cours  de 
l'année  serait  suflisante  pour  lui  causer  des  saisons  très  sensibles, 
et  au  moins  aussi  variées  que  celles  que  nous  avons  en  France;  il  y 
aurait  môme  dans  ce  cas  différents  climats  pour  les  différentes  ré- 
gions de  la  planète.  Près  des  pôles,  l'astre  lumineux,  quoique  visible 
pendant  la  moitié  du  jour,  n'atteindrait  qu'une  faible  élévation 
au-dessus  de  l'horizon,  juste  comme  il  le  fait  le  jour  du  printemps 
pour  nos  cercles  polaires.  A  l'équateur,  le  Soleil  passerait  tous  les 
jours  au  zénith  et  verserait  dans  ces  régions  une  quantité  de  lumière 
et  de  chaleur  beaucoup  plus  intenses  que  celle  qui  inonde  nos  cli- 
mats tropicaux.  Un  Soleil  ainsi  vertical,  dont  le  diamètre  serait 
tantôt  deux  fois,  tantôt  trois  fois  plus  grand  que  le  nôtre,  serait  un 
noble  mais  terrible  voyageur  dans  le  ciel  de  Mercure. 

Nous  avons  vu  que  la  distance  de  cette  planète  au  Soleil  varie  consi- 
dérablement dans  le  cours  de  son  année,  à  cause  de  l'excentricité  de 
son  orbite.  Lorsqu'elle  est  à  son  périhélie,  elle  reçoit  dix  fois  et  demie 
plus  de  lumière  et  de  chaleur  que  nous  n'en  recevons  d'ici,  et  le 
disque  solaire  paraît  dix  fois  et  demie  plus  étendu  en  surface.  Quel 
Soleil  !  Mais  lorsque  Mercure  se  trouve  à  son  plus  grand  éloignement, 
cette  lumière  et  cette  chaleur  sont  réduites  à  la  moitié  de  ce  qu'elles 
étaient  dans  le  premier  cas.  Alors  même,  toutefois,  l'astre  du  jour 
brille  dans  le  ciel  avec  un  disque  quatre  fois  et  demie  plus  étendu 
que  celui  qu'il  nous  présente. 

La  principale  différence  qui  distingue  Mercure  de  la  Terre  paraît 
donc  consister  dans  la  température.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire 
i[ue  cette  température  dépendit  uniquement  de  la  distance  au  foyer. 
Non;  Mercure  pourrait  être  un  bloc  de  glace  tourcà  tour  fondue  et 
congelée,  s'il  était  privé  d'atmosphère. 

Nous  l'avons  déjà  remarqué  à  propos  des  planètes  Mars  et  Vénus, 
ce  n'est  pas  tant  la  distance  au  Soleil  que  l'étendue  et  la  transpa- 
rence de  l'atmosplière  qu'il  faut  coiisidcnn'  pour  juger  d'un  climat 

TERRES   DU    ^  IKI..  -ÎT 


MEUCIUE.  —  SAISONS.    CLIMATS.    CONDITIONS    DE    LA    VIE 


planétaire.  L'enveloppe  aérienne  agit  autonr  du  globe  comme  une 
serre  chaude  qui  l'envelopperait.  Elle  se  laisse  travi'rser  pendant  le 
jour  par  les  rayons  calorifiques  lumineux  qui  viennent  du  Soleil,  et 
elle  s'oppose  à  la  déperdition  des  rayons  calmiliques  obscurs  pen- 
dant la  nuit  parle  rayonnement  nocturne.  L'absence  d'atmosphère 
donnerait  à  un  globe  les  plus  extrêmes  contrastes  de  chaleur  et  de 
froid  entre  le  jour  et  la  nuit,  entre  l'équateur  et  les  pôles,  comme  il 
arrive  précisément  pour  la  Lune,  qui  passe  tous  les  mois  par  la 
température  de  l'eau  bouillante  et  par  celle  de  la  glace,  et  plus  en- 
core. D'un  autre  côté,  l'atmosphère  peut  avoir  une  action  toute  diffé- 
rente en  tempérant  par  ses  nuages  la  trop  grande  ardeur  du  Soleil. 

Or,  nous  venons  de  voir  que  la  planète  Mercure  est  environnée 
d'une  vaste  atmosphère  :  essayons  d'en  analyser  l'influence. 

Que  le  climat  d'une  planète  considéré  dans  son  ensemble  soit 
largement  influencé  par  la  nature  de  l'atmosphère,  nous  le  consta- 
tons directement  par  les  effets  que  nous  observons  à  la  surface  de 
notre  propre  terre.  Lorsque  nous  nous  élevons  au  sommet  d'une 
haute  montagne,  nous  trouvons  l'air  beaucoup  plus  froid  qu'à  sa 
base.  Le  sommet  du  mont  Blanc  est  toujours  glacé,  même  lorsque  les 
plus  fortes  chaleurs  de  juillet  et  d'août  sont  intolérables  à  ses  pieds. 
Aux  tropiques  même  et  à  l'équateur,  nous  avons  des  villes 
comme  Quito  et  Bogota,  des  villages  et  des  pays  habités,  où  la  tem- 
pérature habituelle  ne  dépasse  pas  15  et  même  10  degrés,  à  cause  de 
leur  élévation  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  J'ai  toujours  constaté 
en  ballon  qu'à  de  grandes  hauteurs  l'air  est  glacial,  quoique  le  soleil 
soit  brûlant;  et  j'ai  vérifié  que  la  différence  entre  la  température  de 
l'air  à  l'ombre  et  celle  d'un  thermomètre  exposé  au  soleil  s'accroît 
avec  la  hauteur  et  en  raison  inverse  de  l'humidité  répandue  dans 
l'air.  Plus  l'air  est  sec,  moins  il  peut  s'échauffer.  Il  ne  serait  pas 
impossible  d'arriver  à  faire  bouillir  de  l'eau  au  soleil  à  une  certaine 
hauteur,  quoique  nous  trouvant  et  respirant  au  milieu  d'un  air 
glacial,  et  cela  d'autant  mieux  que  la  pression  atmosphérique  et  le 
degré  d'ébullition  de  l'eau  diminuent  avec  la  hauteur.  L'air  peut 
livrer  passage  aux  rayons  solaires  sans  s'échauffer  lui-même,  et 
sans  donner  à  la  planète  une  haute  température  ('). 

(')  Voy.  mon  grand  ouvrage  l'ATMOspiiÊnE,  liv.  II!,  ch.  ii. 


M i; i; c i; K E.  —  saisons,  climats,  conditions  de  i,a  vu; 


Ce  n'est  donc  pas  seulement  la  quantité  de  chaleur  directement 
reçue  du  Soleil  qu'il  faut  considérer  pour  se  former  une  idée  exacte 
de  l'état  de  la  température  à  la  surface  d'une  planète,  mais  encore 
et  surtout  l'état  physique  de  l'atmosphère,  en  ce  qui  concerne  sa 
densité  et  son  humidité.  Nous  ne  devons  pas  nous  tromper  nous- 
mêmes,  néanmoins,  en  calculant  que  la  rareté  de  l'atmosphère 
pourrait  à  elle  seule  compenser  pleinement  l'augmentation  de  la 
chaleur  solaire.  Il  ne  serait  pas  exact  de  dire  que  le  climat  d'un 
point  situé  sur  les  sommets  des  Andes  et  des  Gordillières  correspondît 
tout  à  fait  à  celui  d'une  région  inférieure  qui  aurait  la  même  tem- 
pérature, caries  circonstances  sont  très  différentes.  En  bas,  l'air  est 
plus  dense  et  plus  humide,  les  nuits  sont  plus  chaudes,  parce  que  le 
ciel  est  moins  clair  et  que  la  chaleur  rayonnante  de  la  Terre  est  con- 
servée, interceptée  par  les  nuages  ou  par  la  vapeur  d'eau  qui  existe 
toujours  dans  l'air,  même  à  l'état  transparent;  ce  qui  n'a  pas  lieu 
dans  les  régions  élevées,  dont  l'air  raréfié  laisse  un  libre  passage  à 
la  déperdition  de  la  chaleur.  Si  l'atmosphère  de  Mercure  est  assez 
rare  pour  lui  donner  un  climat  alpin  ou  himalayen,  au  lieu  de  la 
chaleur  terrible  qui  semblerait  devoir  tomber  sur  cette  planète,  il 
n'en  résulterait  pas  pour  cela  une  organisation  analogue  à  celle  qui 
existe  autour  de  nous  sur  la  Terre.  Dans  notre  anxiété  de  peupler  ce 
monde  d'êtres  semblables  à  ceux  que  nous  connaissons,  nous  ne 
devons  pas  pour  cela  nous  aveugler  sur  les  difficultés  intrinsèques. 
Nous  ne  pouvons  raréfier  l'air  de  Mercure  sans  augmenter  les  effets 
directs  de  la  chaleur  solaire  sur  ses  habitants;  et  les  conditions  ne 
paraîtraient  pas  préférables,  puisque  l'action  directe  des  rayons 
solaires  sur  ses  régions  tropicales  privées  ainsi  de  la  protection 
atmosphérique  produirait  une  chaleur  quatre  ou  cinq  fois  plus  forte 
que  celle  de  l'eau  bouillante,  et  à  laquelle  succéderait  pendant  la 
nuit  un  froid  glacial;  condition  fort  inhospitalière,  qui  rappelle  la 
peinture  si  sombre  que  fait  le  Dante  dans  son  Enfer  sur  les  mal- 
heureux condamnés  à  souffrir  alternativement  les  tourments  du 
feu  et  de  la  glace!  11  nous  parait  difficile  d'imaginer  des  êtres  orga- 
nisés pour  vivre  au  sein  de  pareils  contrastes. 

Examinons  donc  si  une  atmosphère  construite  différemment  ne 
serait  pas  meilleure  pour  l'organisation  générale  de  la  planète  :  au 
lieu  d'un  air  raréfié,  supposons  une  atmosphère  plus  dense  que  la 


CONDITIONS    !)E    LA   VIE    SUR    MKllClir.E 


nôtre.  Les  effets  ordinaires  d'une  atmosphère  très  dense  étant  d'aug- 
menter la  chaleur,  il  ne  semble  pas  d'abord  que  l'idée  soit  ingé- 
nieuse, appliquée  à  Mercure,  d'autant  plus  que  sur  la  Terre 
nous  n'avons  pas  d'excMiiple  de  contrées  garanties  des  rayons  so- 
laires par  la  densité  de  l'atmosphère.  Pourtant  il  ne  serait  pas 
impossible  qu'une  atmosphère  fût  constituée  de  telle  sorte  qu'elle 
restât  constamment  couverte  de  nuages,  car  une  faible  différence 
entre  la  chaleur  moyenne  et  l'humidité  moyenne  de  l'atmosphère 
terrestre  serait  suffisante  pour  nous  donner  toute  l'année  un  ciel 
constamment  couvert,  conservant  éternellement  la  tristesse  et  la 
monotonie  des  sombres  journées  d'automne.  La  Terre  eût  facile- 
ment pu  se  trouver  dans  ce  cas.  Quelle  différence  en  serait  résultée 
dans  l'histoire  de  l'humanité  !  L'astronomie  ne  serait  probablement 
pas  encore  née,  l'humanité  n'aurait  jamais  vu  ni  le  soleil,  ni  la  lune, 
ni  les  étoiles,  et  les  connaissances  humaines,  la  philosophie,  les  re- 
ligions et  la  politique  elle-même,  seraient  absolument  différentes 
de  ce  qu'elles  sont  sur  notre  planète. 

Mais  pour  en  revenir  à  Mercure,  sans  doute  l'accroissement  de 
l'humidité  de  l'air  causerait  jusqu'à  un  certain  point  une  augmen- 
tation correspondante  de  température,  parce  que  la  vapeur  aqueuse 
exerce  un  plus  grand  effet  en  empêchant  le  rayonnement  de  la  cha- 
leur reçue  qu'en  arrêtant  les  rayons  solaires  à  leur  arrivée.  Mais  de 
même  qu'un  jour  nuageux  n'est  pas  nécessairement  ni  même  ordi- 
nairement un  jour  de  chaleur,  il  pourrait  parfaitement  arriver 
qu'une  atmosphère  assez  dense  pour  être  constamment  couverte  de 
nuages  servît  de  toit  protecteur  contre  l'intensité  de  la  chaleur  so- 
laire. Ces  vues  théoriques  conduiraient  non  pas  à  assigner  les  at- 
mosphères les  plus  denses  aux  planètes  les  plus  éloignées  du  Soleil, 
comme  plusieurs  astronomes  l'ont  fait,  mais  à  voir  au  contraire 
dans  une  enveloppe  atmosphérique  de  grande  densité,  les  moyens 
de  préserver  les  habitants  de  Mercure  et  de  Vénus  contre  la  force 
rayonnante  d'un  foyer  trop  voisin  et  trop  brûlant  (').  N'oublions  pas 
toutefois  de  remarquer  ici  que  dans  toutes  ces  considérations,  nous 
agissons  en  vertu  de  la  méthode  scientifique  humaine,  en  nous  met- 
tant à  la  place  de  la  Nature,  et  qu'il  est  très  possible  (pour  ne  pas 


(0  Proctor,  The  Orhs  aroimd  us. 


CONDITIONS   DE   LA   VIE  SUR   MliUCLKE 


dire  certain)  que  la  Nature  agit  sur  les  autres  mondes  par  do.s 
moyens  qui  nous  sont  inconnus.  Mais  c'est  la  seule  manière  qui  nous 
soit  donnée  d'étudier  et  de  discuter  les  conditions  de  la  vie  à  la  sur- 
face des  autres  mondes,  et  quoique  nos  raisonnements  ne  puissent 
pas  être  absolus,  eux  seuls  cependant  peuvent  nous  faire  approcher 
de  la  vérité. 

Quoique  la  planète  Mercure  ne  suit  pas  facile  à  observer,  parce 
qu'elle  s'élève  très  peu  au-dessus  des  brumes  de  l'horizon,  et  que 
d'ailleurs  c'est  la  plus  petite  des  planètes  (exception  faite  des  frag- 
ments qui  gravitent  entre  Mars  et  Jupiter)  ;  cependant  autant  qu'on 
en  peut  juger  par  son  aspect,  son  atmosphère  est  en  réalité  beau- 
coup plus  dense  que  la  nôtre,  et  elle  paraît  couverte  de  masses 
nuageuses  considérables.  On  peut  même  déjà  penser  qu'il  y  a  ordi- 
nairement dans  cette  atmosphère,  non  pas  une  seule,  mais  plu- 
sieurs couches  de  nuages,  et  que  ces  couches  ne  sont  pas  unies  et 
fermées,  mais  composées  d'éclaircies,  les  nuages  supérieurs  proje- 
tant de  l'ombre  sur  les  inférieurs;  car  la  planète  ne  nous  réfléchit  pas 
autant  de  lumière  que  si  elle  était  entièrement  enveloppée  dans  une 
sphère  de  nuages  se  touchant.  La  lumière  maximum  que  nous 
puissions  recevoir  d'un  globe  d'un  volume  déterminé,  placé  à  telle 
ou  telle  distance  du  Soleil,  serait  celle  qui  proviendrait  d'un  globe 
environné  de  nuages  blancs.  Or  Mercure  ne  nous  réfléchit  certaine- 
ment pas  la  même  proportion  de  lumière  que  plusieurs  autres 
planètes.  Il  devrait  être,  dans  sa  position  la  plus  favorable,  le  plus 
brillant  des  astres  planétaires,  quoique  vu  comme  il  l'est  toujours 
sur  le  fond  éclairé  du  crépuscule  ;  car  le  calcul  montre  qu'au  péri- 
liélie  et  à  sa  plus  grande  élongation  du  Soleil,  il  devrait  offrir  un 
l'clat  deux  fois  plus  grand  que  Jupiter  lorsque  celui-ci  est  à  son  op- 
position (en  supposant  aux  deux  planètes  une  égale  faculté  de 
réflexion);  mais  la  planète  Mercure  est  en  réalité  beaucoup  moins 
lumineuse.  On  a  pu  le  constater,  entre  autres,  comme  je  l'ai  fait 
moi-môme  ('),  dans  la  soirée  du  17  février  18(58  :  ce  jour-là  les  deux 
planètes  se  sont  trouvées  voisines  dans  le  ciel  (en  perspective),  et 
quoique  Jupiter  ait  été  alors  fort  éloigné  de  sa  période  d'éclat 
maximum,  cependant  Mercure,  qui  était  précisément  à  cette  pé- 

(1)  Voyez  mes  Études  sur  FAslrononiie,  t.  IM,  p    1  j7. 


CONDITIONS  DK  LA  VIF,  SUR  MERCURE 


riode  d'éclat,  était  beaucoup  moins  brillant  que  Jupiter.  A  la  même 
époque,  Vénus  vint  à  passer  aussi  près  de  ces  planètes  :  elle  les 
éclipsa  toutes  les  deux  par  sa  vive  et  blanche  lumière  :  à  côté  de  Ju- 
piter, elle  faisait  l'effet  d'une  lumière  électrique  à  côté  d'un  bec  de 
i^az.  Elle  était  blanche  et  limpide  comme  un  diamant  lumineux; 
Jupiter,  jaunâtre  et  presque  rouge;  Mercure,  hipn  moins  brillant 
encore  que  Jupiter,  et  plus  roux. 

Dans  une  autre  circonstance,  l'éclat  de  Mercure  a  pu  être  comparé 
à  celui  de  Saturne  :  il  est  plus  brillant  que  cette  pâle  et  sombre 
planète.  Ces  deux  astres  sont  passés  l'un  devant  l'autre  en  1832,  et 
deux  astronomes,  Béer  et  Madler,  ont  comparé  leur  lumière.  Sa- 
turne auprès  de  Mercure  présentait  un  globe  pâle  et  sans  éclat. 
Celui-ci  offrait  un  éclat  inégal,  et  resta  parfaitement  visible  après  le 
lever  du  soleil,  tandis  que  le  premier  disparut  à  la  vue.  Mercure 
était  alors  éclairé  d'un  peu  plus  de  la  moitié. 

Cette  lumière  conduit  à  penser  que  l'atmosphère  de  Mercure  est 
parsemée  de  nuages  qui  forment  écran  au  Soleil  si  voisin  qui  l'é- 
claire,  et  qui  projettent  de  l'ombre  les  uns  sur  les  autres. 

L'analyse  des  détails  de  l'organisme  vital  nous  invite  également  à 
voir  sur  ce  monde  des  êtres  nécessairement  différents  de  nous  sous 
le  rapport  de  la  différence  des  milieux.  Ainsi,  par  exemple,  les 
yeux  des  Mercuriens  s'étant  formés  au  sein  d'une  intensité  lumi- 
neuse beaucoup  plus  élevée  que  celle  qui  existe  sur  la  Terre,  sont 
moins  sensibles  que  les  nôtres,  soit  que  l'ouverture  de  la  rétine 
soit  plus  petite,  soit  plutôt  que  le  nerf  optique  jouisse  d'une 
moindre  impressionnabilité.  Il  est  probable  qu'ils  ne  distinguent  pas 
les  étoiles  de  la  cinquième  et  de  la  sixième  grandeur,  tandis  que  les 
habitants  d'Uranus  et  de  Neptune  distinguent  sans  doute  facile- 
ment celles  de  la  septième  et  de  la  huitième. 

Ainsi,  en  résumé,  quant  aux  conditions  de  la  vie  à  la  surface  de 
la  planète  Mercure,  elles  sont  fort  différentes  de  celles  de  la  Terre. 
La  température  doit  y  être  pl^is  élevée,  malgré  les  nuages  de  l'at- 
mosphère ;  les  saisons  y  sont  plus  marquées  et  surtout  plus  rapides 
qu'ici  :  chaque  année  ne  compte  que  88  jours,  et  un  centenaire  n'a 
que  vingt-cinq  de  nos  années  ;  la  planète  est  petite,  et  les  provinces 
qui  la  partagent  ne  peuvent  avoir  qu'une  faible  étendue.  Les  maté- 
riaux dont  sont  composés  les  êtres  et  les  choses  sont  un  peu  plus 


CONDITIONS    DE   LA    VIE    SUR    MERCURE 


denses  que  les  nôtres,  mais  la  pesanteur  y  est  presque  moitié  plus 
faible  qu'ici.  Ce  monde  présente  donc  de  grandes  différences  avec  le 
nôtre.  11  serait  eu  vérité  difTicile  qu'il  en  fût  autrement.  Mais  ces 
différences  doivent-elles  nous  conduire  à  l'idée  que  la  vie  ne  puisse- 
pas  exister  à  la  surface  de  cette  planète?  Assurément  non  :  le  spec- 
tacle de  la  Terre  seule  suffit  pour  nous  montrer  que  les  formes  de  la 
vie  dépendent  des  conditions  au  milieu  desquelles  elle  se  trouve,  et 
qu'elle  varie  lorsque  ces  conditions  diffèrent.  La  vie  actuelle  de  la 
Terre  n'est  pas  du  tout  la  même  qu'elle  était  pendant  les  époques 
géologiques,  où  la  température  était  beaucoup  plus  élevée  et  l'at- 
mosphère beaucoup  plus  chargée  que  de  nos  jours.  Aujourd'hui 
même  elle  varie  singulièrement  suivant  les  climats,  et  surtout  sui- 
vant les  milieux.  :  un  être  organisé  pour  vivre  sur  la  terre  ferme 
meurt  s'il  est  plongé  dans  la  mer;  de  même  que  l'habitant  des 
eaux  rend  son  dernier  soupir  lorsqu'il  est  sorti  de  son  élément.  Les 
forces  de  la  nature  produisent  des  effets  différents  suivant  les  cir- 
constances, et  ce  serait  étrangement  juger  de  leur  puissance  comme 
du  but  général  de  la  création,  que  de  prétendre  que  le  globe  de 
Mercure  ne  soit  qu'un  désert  stérile  parce  que  ses  conditions  vitales 
différent  de  celles  de  la  Terre. 


CHAPITRE  ÎV 

Les  habitants  de  Mercure.  —  Les  forces  de  la  nature  et  les  formes  organiques. 

Les  humanités  planétaires.  —   Le  séjour  de  Mercure. 

Le  Ciel  et  la  Terre  vus  de  ce  monde. 

La  vie  éclose  sur  Mercure  est-elle  partagée  comme  ici  en  deux 
rognes,  et  le  règne  animal  comme  le  règne  végétal  y  sont-ils  eux- 
mêmes  partagés  comme  ici  en  espèces  aquatiques  et  en  espèces 
continentales?  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons  décider,  quoique  jus- 
qu'à présent  les  naturalistes  et  les  astronomes  se  soient  accordés  à 
penser  que  ces  distinctions  soient  forcées  et  inévitables.  Mais  pour- 
quoi la  Nature  ne  prodairait-elle  pas  des  êtres  absolument  différents 
de  tout  ce  que  nous  connaissons  sur  la  Terre,  et  qui  ne  soient  ni 
des  animaux,  ni  des  plantes?  Ici  les  plantes  ressemblent  à  des  êtres 
endormis  dans  l'attente  de  la  vie  animale  ;  ailleurs  ne  sont-elles 
pas  animées  elles-mêmes  ?  Sur  cette  planète  comme  sur  la  nôtre,  la 
division  du  travail  dans  la  nature  a-t-elle  abouti  à  ces  distinction'? 
si  profondes  entre  les  genres  :  insectes  butinant  sur  les  fleurs, 
oiseaux  s'élevant  jusqu'aux  nues,  poissons  habitant  sous  les  eaux? 
La  vie  s'y  entretient-elle  comme  ici  par  la  déplorable  destruction 
mutuelle  des  proies?  S'y  transmet-elle  comme  ici  par  l'agréable 
séparation  des  sexes?...  Nous  avons  discuté  plus  haut  dans  sa 
valeur  physiologique  générale  le  problème  de  la  vie  extra-terrestre, 
et  nous  avons  comprisqueles  causes  étant  différentes  d'une  planète 
à  une  autre,  les  effets  y  sont  nécessairement  différents  eux-mêmes. 
Lors  donc  que  nous  parlons  ici  des  hommes  de  Mercure,  de  Vénus 
ou  d'uni;  autre  planète,  nous  n'entendons  point  que  ces  êtres  soient 


LES    HABITANTS    DE    MERCURE 


faits  comme  nous;  qu'ils  aient  deux  yeux,  deux  oreilles,  deux  bras 
et  deux  jambes,  des  poumons,  un  estomac,  un  tube  digestif  (I),  ni 
que  leur  physionomie  ressemble  en  aucune  façon  à  la  nôtre.  Nous 
donnons  dans  chaque  planète  le  nom  de  race  humaine  à  la  race  ani- 
male supérieure  et  raisonnable  qui  s'est  élevée  au-dessus  de  ses  an- 
cêtres et  qui  vit  par  l'intelligence.  Les  hommes  des  autres  mondes 
ne  peuvent  pas  nous  ressembler. 

Si  nous  connaissions  exactement  les  causes  qui  ont  amené  la  vie 
terrestre  à  l'état  où  nous  la  voyons  aujourd'hui,  et  les  causes  cor- 
rélatives existant  sur  les  autres  mondes,  nous  pourrions  par  l'ana- 
lyse et  la  synthèse  commencera  deviner  l'état  et  les  formes  de  la  vie 
sur  ces  autres  mondes.  Pour  Mercure  en  particulier,  qui  est  une 
des  planètes  que  nous  connaissons  le  moins,  nous  pouvons  seule- 
ment conjecturer  que  les  conditions  de  la  vie  y  étant  moins  favorables 
qu'ici,  ses  habitants  doivent  être  inférieurs  à  nous  comme  sensi- 
bilité et  comme  intelligence,  différer  beaucoup  de  nous  par  leur 
forme,  y  être  plus  solidement  construits  et  pourtant  plus  légers  et 
plus  agiles,  et  vivre  plus  rapidement.  Toutefois  la  respiration  a  dû 
jouer  comme  ici  un  rôle  dominant  dans  l'organisation  des  êtres. 
On  n'a  pas  toujours  compris  ces  différences  inévitables. 

Dans  son  Cosmothéôros,  l'illustre  astronome  Huygens,  inter- 
prétant un  peu  trop  à  la  lettre  la  philosophie  de  la  Nature, 
siippose  qu'il  y  a  dans  les  planètes  des  plantes,  des  animaux  et 
des  hommes  absolument  organisés  comme  nous.  On  en  jugera  par 
les  seuls  tit7'es  de  ses  chapitres,  que  nous  traduisons  ici.  Ils  sont 
curieux  : 

«  1"  Excellence  des  choses  animées  au-dessus  des  pierres,  des  mon- 
tagnes, des  rochers,  etc.,  etc.  Les  planètes  doivent  avoir  des  choses  ani- 
mées aussi  bien  que  la  Terre,  et  qui  soient  de  la  même  espèce  que  celles 
que  nous  voyons  ici-bas. 

2°  L'eau  est  le  principe  de  tout  ce  qui  s'engendre  sur  la  Terre.  Il  y  a  des 
eaux  dans  les  planètes;  leurs  usages  pour  la  production  des  choses  animées. 

3°  Les  animaux  croissent,  multiplient,  dans  les  planètes,  de  la  même 
manière  qu'ils  croissent  et  multiplient  sur  terre.  La  manière  dont  ils  se 
meuvent  d'une  place  à  une  autre. 

4°  Diiïérence  des  animaux,  des  arbres  et  des  plantes  qui  sont  dans  les 
planètes,  par  rapport  à  ceux  qui  sont  sur  la  Terre. 

5°  11  y  a  des  hommes  qui  habitent  les  planètes.  Principes  qui  établissent 

TERRES  DU  CIEL  4S 


LES    HABITANTS    DE    MERCURE 


cette  vérité.  L'homme,  quoique  vicieux,  est  toujours  une  créature  consi- 
dérable et  la  principale  du  monde. 

6°  Les  hommes  qui  habitent  les  planètes  ont  la  raison,  l'esprit,  le  corps 
de  la  même  espèce  que  ceux  qui  habitent  la  Terre. 

7*  Les  sens  des  animaux  raisonnables  et  de  ceux  qui  sont  privés  de  la 
raison,  qui  vivent  dans  les  planètes,  sont  semblables  à  ceux  de  la  Terre. 
Explication  des  sens. 

8°  Les  animaux  ne  doivent  pas  être  de  différentes  tailles  dans  les  pla- 
nètes, de  celles  qu'ils  ont  sur  la  Terre.  La  grandeur  et  l'excellence  de 
l'homme.  Il  y  a  dans  les  planètes  des  hommes  qui  cultivent  les  sciences. 

9'  Les  habitants  des  planètes  doivent  avoir  des  mains  pour  se  servir  des 
instruments  de  mathématiques  ;  l'usage  et  la  nécessité  des  mains  à 
l'homme  raisonnable.  Dextérité  de  l'éléphant  à  se  servir  de  sa  trompe 
comme  d'une  main.  Supériorité  de  la  main. 

10°  Ils  otit  comme  nous  besoin  d habits.  Nécessité  et  utilité  des  vête- 
ments. La  grandeur  et  la  forme  du  corps  des  habitants  des  planètes  sont 
semblables  au  nôtre. 

11°  Le  commerce,  la  société,  la  paix,  la  guerre,  les  autres  passions  et 
les  charmes  de  la  conversation  existent  là  comme  ici. 

12°  Us  se  bâtissent  des  maisons  selon  tart  de  F  architecture^  connaissent  la 
marine,  la  navigation,  la  géométrie,  la  musique,  etc.  » 

Un  tel  anthropomorphisme  pèche  par  la  base.  Aller  aussi  loin  que 
notre  astronome  et  que  d'autres  colonisateurs  sidéraux  serait  cer- 
tainement dépasser  les  limites  de  la  science;  loin  de  voir  partout 
des  hommes  identiques  à  nous,  nous  devons,  répétons  le,  être  con- 
vaincus que  la  vie  revêt  toutes  les  termes  imaginables  —  et  même 
inimaginables.  —  Mais  Huygens  s'est  occupé  des  habitants  des  pla- 
nètes avec  autant  de  soins  et  de  prévenances  que  s'ils  étaient  de  sa 
famille  ;  il  ne  les  laisse  manquer  de  rien  ;  à  tout  prix  il  faut  qu'ils 
soient  heureux  et  qu'ils  nous  ressemblent  (la  première  proposition 
lui  paraît  être  la  conséquence  de  la  seconde).  Il  leur  donne  des 
navires  avec  «  voiles,  mâts,  ancres,  cordages,  poulies,  gouver- 
nails »  ;  mais  il  n'a  pas  songé  à  la  vapeur,  et  peut-être  aujourd'hui 
nous-mêmes,  en  les  gratifiant  de  bateaux  à  vapeur,  ne  songerions- 
nous  pas  à  les  munir  de  moteurs  électriques.  Il  est  allé  jusqu'à  cher- 
cher quelles  sortes  d'instruments  de  musique  a  instruments  à 
cordes,  à  vent  ou  à  eau  »  ils  ont  du  inventer,  et  conclut  qu'ils 
doivent  chanter  autrement  que  nous,  puisque  les  Allemands,  les 
Italiens,  les  Grecs,  les  Chinois,  ont   des  impressions  musicales 


LES   HABITANTS   DE   MERCURE 


différentos  dos  nôtres,  mais  que  pourtant  la  nature  de  leurs  instru- 
ments ne  peut  différer  beaucoup  de  celle  des  nôtres.  Il  veut  aussi 
que  nos  cousins  des  autres  mondes  aient  du  lin,  du  chanvre,  de  la 
laine,  des  chevaux  et  des  voitures,  ce  qui  le  conduit  insensible- 
ment à  la  création  de  mondes  identiques  à  celui  que  nous  habitons. 

Fontenelle  avait  supposé  sur  Mercure  de  petits  êtres  brûlés  par 
le  Soleil,  vifs,  agiles,  toujours  remuant,  noirs  comme  les  nègres  de 
l'Afrique  centrale,  dépourvus  de  mémoire,  et  fous  à  force  de  viva- 
cité. Au  XVIIP  siècle,  l'auteur  anonyme  d'un  Voyage  au  monde  de 
Mercure  (1750)  est  entré  dans  des  détails  inattendus,  et  l'on  croi- 
rait qu'il  a  longuement  habité  cette  planète  lorsqu'on  lit,  par 
exemple,  la  description  suivante  : 

Les  plus  hautes  montagnes  n'excèdent  que  de  fort  peu  nos  collines  ;  mais 
quelques-unes  ne  laissent  pas  d'avoir,  dans  cette  hauteur  moyenne,  l'air 
sourcilleux  des  Alpes  et  des  Pyrénées.  Les  arbres  les  plus  élevés  le  sont  à 
peu  près  comme  nos  orangers  en  caisse,  il  y  a  peu  de  fleurs  plus  grandes 
que  la  jonquille  et  la  narcisse.  Les  montagnes  nombreuses  répandent 
une  ombre  nécessaire;  elles  sont  presque  toutes  couvertes  d'arbres 
chargés  de  fleurs  éternelles. 

Les  habitants  sont  moins  grands  que  nos  hommes  de  la  plus  petite  taille, 
et  ils  atteignentau  plusà  celle  d'un  enfant  de  quinze  ans.  Ils  ressemblent  aux 
idées  charmantes  que  nous  nous  faisons  des  zéphyrs  et  des  génies.  Leur 
beauté  ne  se  fane  qu'après  plusieurs  siècles  :  la  fraîcheur,  la  santé  et  la 
délicatesse  y  paraissent  comme  inaltérables.  S'il  arrive  pourtant,  par 
quelque  erreur  de  la  nature,  que  quelqu'un  ait  sujet  de  n'être  pas  content 
de  sa  figure,  ils  peuvent  en  changer  à  volonté. 

Tout  ce  petit  peuple  a  des  ailes,  dont  il  se  sert  avec  une  grâce  et  une 
agilité  merveilleuses.  Les  femmes  aiment  beaucoup  sortir  avec  leurs 
ailes,  soit  pour  satisfaire  un  nouveau  goût,  soit  pour  chercher  de  nou- 
veaux plaisirs. 

Un  seul  souverain  règne  sur  Mercure;  les  divers  royaumes  ne  sont  que 
des  vice-royautés.  La  famille  souveraine  descend  du  Soleil,  et  la  tradition 
conserve  le  souvenir  de  l'apparition  du  premier  empereur  :  une  ville 
capitale  descendit  des  cieux  sur  un  nuage  éclatant,  et  sous  les  yeux  des 
Mercurieus  se  fixa  au  centre  du  continent.  Ces  empereurs  ne  régnent 
ordinairement  que  cent  ans.  Ce  teripe  e.xpiré,  ils  retournent  au  Soleil, 
laissant  sur  Mercure  leur  corps  pétrifié,  dans  l'attitude  qui  lui  était  la 
plus  ordinaire.  Ce  corps  incorruptible  ne  perd  rien  des  agréments  qu'il 
possédait  étant  animé;  excepté  la  parole  et  le  mouvement,  il  conserve  tout 
le  reste:  le  coloris,  la  fraîcheur,  le  brillant  des  yeux  et  l'éclat  du  teint. 
Tous  les  empereurs  sont  gardés  dans  une  galerie  destinée  à  ce  seul  usage. 


380  LES    IIABIlAiNTS    DE   MERCURE 

Ce  qu'il  y  a  de  très  remarquable  dans  la  constitution  des  habitants  de 
Mercure,  c'est  qu'ils  sont  absolument  maîtres  de  tous  les  mouvements  qui 
se  font  dans  leur  corps.  Ils  règlent  la  circulation  de  leur  sang  selon  ce 
qu'ils  ont  dessein  d'en  faire;  ils  entretiennent  leur  estomac  par  l'usage 
de  certains  élixirs  dont  l'effet  est  immanquable.  Tous  les  ressorts  qui  refu- 
sent si  souvent  de  nous  obéir,  sont  chez  eux  soumis  à  la  volonté. 

Ces  habitants  ne  dorment  jamais  :  la  proximité  du  Soleil  entretient  un 
mouvement  perpétuel  dans  la  planète,  qui  ne  peut  être  ralenti  que  par 
de  grands  accidents,  et  alors  tout  ce  qui  tombe  dans  l'inaction  se  trouve 
dans  un  péril  manifeste.  C'est  pourquoi  l'un  des  plus  grands  supplices 
auxquels  on  condamne  les  criminels,  c'est  de  dormir  un  certain  nombre 
de  jours.  L'état  de  l'âme  règle  l'état  du  corps.  Un  présomptueux,  par 
exemple,  enfle  comme  nos  hydropiques,  etc. 

La  nature  a  pris  soin  elle-même  de  préparer  et  d'assaisonner  d'une 
manière  exquise  les  repas  de  ces  heureux  habitants.  Il  n'en  coûte  point 
la  vie  aux  animaux,  comme  dans  notre  monde;  au  contraire,  ce  sont  eux 
qui  ont  soin  de  la  nourriture  des  hommes.  Sur  le  sommet  de  chaque 
montagne  croissent  des  mets  précieux.  De  grands  oiseaux  domestiques, 
sur  un  signe,  partent  à  la  recherche  d'un  fruit  et  le  rapportent;  de 
sorte  qu'en  se  rangeant  autour  d'une  table  vide  et  en  envoyant  ces 
aigles  avec  la  carte,  ils  rapportent  immédiatement  de  quoi  couvrir  la 
nappe  des  primeurs  les  plus  succulentes,  etc.,  etc. 

On  le  voit,  les  colonisateurs  de  planètes  ont  beau  vouloir  s'affranchir 
des  idées  terrestres,  leurs  créations  ne  sont  jamais  que  des  dévelop- 
pements ou  des  transformations  des  choses  de  la  nature  terrestre. 
Heureux  quand  ce  ne  sont  pas  des  déformations.  Sans  reproduire  ici 
les  images  sous  lesquelles  ces  colonisateurs  ont  essayé  de  représenter 
des  conceptions  qu'ils  croyaient  étrangères  à  notre  planète,  nos  lec- 
teurs ne  trouveront  peut-être  pas  inopportun  d'en  voir  figurer  ici, 
cntr'autres,  deux  spécimens  assurément  fort  originaux.  Cet  Aomme- 
plante  et  cet  homme-guitare,  sont,  peut-être,  parmi  toutes  les 
relations  de  voyages  imaginaires,  les  types  qui  ont  la  prétention  de 
s'éloigner  le  plus  possible  des  formes  physiologiques  de  l'homme 
terrestre;  c'est  à  ce  titre  que  nous  les  présentons  ici.  Le  premier 
coup  d'oeil  suffit  néanmoins  pour  établir  que  ce  sont  là  de  simples 
monstruosités  ('). 

(')  Ces  deux  figures  d'hommes  extra  terrestres,  sont  tirées  de  l'ingénieux  roman  de 
Holberg,  le  Molière  danois  :  Voyage  de  Nicolas  Klimius  dans  les  planètes  souterraines. 
Copenhague,  1741.  Cet  ouvrage  du  baron  Holberg  est  l'un  de  ceux  qui  ont  eu  le  plus  de 
succès  au  siècle  dernier.  C'est  une  fiction  fme  et  profonde. 


LKS    IIAIUTAMS    DE   MEUCUHE 


11  nous  est  de  toute  impossibilité  do  deviner  les  formes  organiques 
qui  pi'iiveut  peupler  les  autres  planètes;  mais  ce  que  nous  savons, 
c'est  (|ue  CCS  l'ornies  sont  nécessairement  appropriées  aux  conditions 
organiques  spéciales  de  cliaquo  monde,  et  ipie  les  (/i//crences 
inévitables  de  ces  conditions  ont  amené  des  dicr/sifés  corrélci" 
tices  dans  L'organisation  des  êtres. 

Les  corps  dill'érent  des  nôtres,  mais  non  les  âmes,  ni  les  principes 


cOt^Ca/.     ■^ 


'êêMkà 


c^2^aU7'e  ~(Ju7t<^'^ûtu.cai  ■ 


-  litz^àb  itan  t  au,  -pcus 


ItCOi 


Fig.  171.  —  litres  imaginaires  empruntes  à  un  voyage  dans  les  planètes  (IIuldciig,  l'il.) 

de  la  raison;  car  il  ne  peut  exister  entre  les  esprits  que  des  degrés, 
et  non  des  dissemblances.  Tandis  que  partout  les  hommes  ne  man- 
gent pas,  que  partout  ils  ne  marchent  pas  sur  deux  pieds,  que  partout 
ils  n'ont  pas  nos  dents,  notre  chevelure,  nos  oreilles  ou  nos  yeux; 
partout  au  contraire  ils  raisonnent  en  vertu  des  mêmes  principes 
absolus  :  sin-  tous  les  mondes  2  et  2  font  4;  partout  les  trois  angles 
d'un  triangle  valent  deux  angles  droits;  partout  aussi  la  conscience 
s'apiu'oche  plus  ou  moins  des  mêmes  vérités  morales  absolues.  Si 
les  corps  différent,  toutt^s  les  âmes  pensantes  de  l'univers  sont  sœure. 


LKS   HABITANTS    IlE    MERCCRK 


Les  habitants  de  Mercure  ont  dû  conclure  des  variations  cons- 
tantes du  disque  solaire,  l'opinion  que  l'astre  du  jiiur  ne  peut  pas 
subir  lui-même  ces  variations,  mais  que  c'est  sa  distance  qui  varie 
d'un  jour  à  l'autre.  Ils  auront  admis  que  le  Soleil  tourne  autour 
d'eux,  non  suivant  une  circonférence,  îTiais  suivant  une  ellipse, 
dans  la  période  de  87  jours  mercuriens  dont  se  compose  leur  année. 


Fig.  175.  —  Le  système  du  monde  pour  les  habitants  de  Mercure. 


Pour  les  planètes,  il  les  auront  fait  tourner  régulièrement  autour 
de  leur  monde  pris  pour  centre.  Et  sans  doute  aussi,  ils  auront 
placé  le  trône  du  Très-Haut,  et  le  «  paradis  »  au  delà  de  la  sphère 
des  étoiles  fixes. 

Le  ciel  étoile  est  exactement  le  même,  vu  de  Mercure  et  vu  de 
toutes  les  planètes,  que  vu  de  la  Terre.  Les  étoiles  sont  si  éloignées 
du  système  solaire  [la  j^ht»  J)roche  gisant  au  delà  de  8000  milliards 
de  lieues),  que  les  perspectives  ne  changent  pas,  qu'on  les  voie  de  la 
Terre,  de  Mercure,  d'Uranus,  ou  même  de  Neptune.  Les  constellations 


LES    UAlilTAMS    DE    MtllCUKb 


du  ciel  do  Mercure,  sont  donc  les  mémos  que  les  nôtres.  Là  comme  ici 
on  voit  piimer  au  sommet  des  cieux  les  sept  étoiles  de  la  grande 
Ourse;  là  comme  ici  trônent  au  sein  de  la  nuit  silencieuse  les  splen- 
dides  étoiles  d'Orion,  suivies  par  l'étincelant  Sirius,  précédées  par 
les  douces  et  contemplatives  Pléiades;  là  comme  ici  Arcturus,  Véga, 
Procyon,  Capella,  versent  du  haut  des  plaines  éthérées  leur  mélan- 
colique pluie  de  lumière.  Mais  ce  ne  sont  pas  les  mêmes  noms  qui 
les  distinguent.  Quelles  formes  a-t-on  reconnues,  quelles  similitudes 
a-t-on  trouvées,  quelle  histoire  a-t-on  conservée  sur  ces  célestes 
archives?  et  quelle  langue  ou  quelles  langues  parle-t-on  en  ce  monde 
voisin  du  Soleil?... 
Lorsque  Mercure  se  trouve  sur  son  orbite  entre  le  Soleil  et  nous,  on 


^.    f  -            (■        » 

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Fig.  I'6.  —  Marche  de  la  pianote  Terre  dans  le  ciol  des  babibnls  de  Mercure. 


voit  de  là  notre  planète  à  20  millions  de  lieues  au  minimum.  A  cette 
distance,  la  Terre  est  une  belle  étoile  de  première  grandeur,  brillant 
dans  le  ciel  de  Mercure  exactement  comme  Jupiter  brille  dans  notre 
ciel.  L'étoile  Terre  est  la  seconde  étoile  de  leur  ciel,  comme  éclat, 
car  Vénus  la  surpasse  et  Jupiter  ne  l'atteint  pas;  elle  se  déplace  le 
long  du  zodiaque,  et  c'est  ainsi  que  les  astronomes  de  Mercure 
auront  reconnu  que  c'est  une  planète.  Pendant  le  cours  d'une 
année  merrurienne,  elle  décrit  dans  li'  ciel  la  singulière  route  tracée 
ici  (^,7.  17G.) 

Ainsi  la  Terre  est  pour  les  hal)itanfs  de  Mercure  une  planète 
extérieure,  dont  le  maximum  d'éclat  et  la  meilleure  condition  de 
visibilité  se  présentent  lorsqu'elle  se  trouve  en  opposition  avec  le 


LES   HABITANTS    DE    MERCURE 


Soleil,  c'est-à-dire  lorsqu'elle  brille  au  milieu  du  ciel  à  m'.nuit  pour 
l'hémisphère  nocturne  de  Mercure.  Elle  fait  alors  à  l'œil  nu  l'effet 
d'une  magnifique  étoile.  C'est  ce  que  nous  avons  essayé  de  représenter 
par  notre  dessin  {fig.  177)  où  l'observateur,  transporté  sur  Mercure  à 
minuit,  peut  chercher  et  reconnaître  à  son  éclat  notre  planète  brillant 
au  milieu  des  constellations  zodiacales. 

Tel  est  l'aspect  de  la  Terre  à  l'œil  nu,  vue  de  Mercure.  Que  pensent 
de  nous  les  philosophes  de  cette  planète?  Supposent-ils  que  cet  astre 
soit  habitable  et  habité?  Ont-ils  des  savants  qui  démontrent  que 
la  Terre  est  un  désert  glacé  et  stérile  à  cause  de  son  éloignement  du 
Soleil?  Ou  bien  permettent-ils  à  la  Nature  d'avoir  une  puissance 
suffisante  pour  peupler  tous  les  mondes?  Oui,  sans  doute,  ils  croient 
la  Terre  habitée,  et  comme  elle  est  un  astre  brillant  dans  leur  ciel, 
ils  l'ont  divinisée,  comme  nous  avons  divinisé  nous-mêmes  leur 
planète,  et  pensent  que  dans  une  telle  splendeur  cette  terre  céleste 
ne  peut  être  que  le  séjour  de  la  lumière,  de  la  paix  et  du  bonheur... 
■Qu'ils  seraient  désabusés,  s'ils  pouvaient  nous  voir  d'un  peu  plus  prés  ! 

Si  la  science  de  l'optique  a  fait  sur  cette  planète  les  progrés 
qu'elle  a  accomplis  sur  la  nôtre,  les  télescopes  des  astronomes  de 
Mercure,  grossissant  l'image  de  la  Terre,  comme  nous  le  faisons 
pour  Mars  et  pour  Jupiter,  auront  permis  de  découvrir  nos  taches 
permanentes,  nos  continents  et  nos  mers,  malgré  les  nuages  qui  les 
masquent  si  souvent.  L'aspect  des  deux  Amériques  est  celui  qui 
aura  le  premier  frappé  les  astronomes  mercuriens.  Ils  auront  pu 
dessiner  peu  à  peu  la  géographie  de  la  Terre,  comme  nous  avons 
dessiné  celle  de  la  Lune  et  celle  de  Mars. 

Les  bonnes  vues  doivent  distinguer  à  l'œil  nu,  à  côté  de  la  Terre, 
la  Lune  comme  un  point  lumineux  oscillant  de  chaque  côté  d'elle,  à 
l'est  et  à  l'ouest.  Mais  l'astre  le  plus  magnifique  de  leur  ciel  étoile  est 
sans  contredit  la  planète  Vénus,  dont  l'éclat  peut  en  certaines 
époques  resplendir  d'une  lumière  dix  à  douze  fois  plus  grande  que 
celle  que  Jupiter  nous  envoie.  Mars  y  paraît  moins  brillant  que  vu 
d'ici;  Jupiter  et  Saturne  offrent  à  peu  près  le  même  aspect  que  vus 
de  notre  séjour. 

G' est  ainsi  que  toutes  les  planètes  gravitent  simultanément  dans  le 
Ciel,  et  que  leurs  habitants  contemplent,  sans  se  connaître  et  sans 
se  voir,  leurs  séjours  célestes  réciproques.  Ces  vérités  modifient 


LE   .MONDE    DEM  E II C i;  I!  E 


sensiblement  les  croyances  fondées  sur  la  prétendue  dualité  du  Ciel 
et  de  la  Terre.  Il  n'est  pas  tout  à  fait  indifférent  à  la  philosophie  de 
savoir  que  nous  sommes  actuellement  dans  le  Ciel,  oui,  actuelle- 
ment, tout  aussi  complètement  que  chacun  de  nous  pourrait  y  être 
dans  un  siècle,  après  avoir  quitté  la  Terre,  ou  que  les  êtres  qui 
habitent  Sirius  ou  les  royaumes  de  la  Voie  lactée. 

En  résumé,  si  nous  récapitulons  les  conditions  qui  caracté- 
risent le  si^jour  mercurien,  nous  avons  sous  les  yeux  la  situation 
suivante  : 

ÉTAT    l'AUTICrLIEIl    DU    MUXUK    DE   MERCltlE 

Durée  certaine,  de  l'année.  .  .  .     8S  jours  teiTestres,  un  inuiiis  de  trois  mois. 

Durée  probable  du  jour 24  heures  21  minutes. 

Nombre  de  jours  dans  l'année.    87. 

Saisons Analoi^iies  aux    nôtres,  mais  très  rapides  :  22  j;iurs. 

Atmosphère Probablement  plus  dense  et  plus  élevée  que  la  noir  ;. 

Température  moyenne Probablement  plus  chaude  que  la  nôtre. 

Densité  des  matériaux j  plus  forte  qu'ici  =  1,37(),  celle  de  la  Terie  étant 

1,000. 

Pesanteur  <à  sa  surface.  ....  -i^  plus  faible  qu'ici  =  (),.j2I,  celle  de  l;i  Terri'  étant 
1,000. 

Dimensions  de  la  planète Inférieures  à  celles  de  la  Terre.  Diamètre  =  0,378, 

ou  1200  lieues. 

Tour  du  monde  de  Mercure.  .  .  .     3780  lieues. 

Diamètre  moyen  du  Soleil.  .  .  .     Presque  3  fois  plus  large  que  vu  d'ici.  =  1°  23'. 

Diani.  niaxinmm  de  la  Terre.  .  .  =  20".  Brille  dans  le  ciel  comme  une  étoile  de  pre- 
mière grandeur. 

Tel  est  l'état  particulier  du  monde  de  Mercure.  Il  est  probable 
que  la  Nature  a  su  approprier  à  cet  état  des  êtres  en  harmonie  avec 
ces  conditions  d'habitabilité. 

A  chaque  pas,  sur  la  Terre,  la  contemplation  de  la  nature  nous 
offre  des  témoignages  nouveaux  en  faveur  de  cette  belle  et  grande 
doctrine  de  la  vie  universelle,  témoignages  qu'il  est  difficile  de  ne 
pas  recevoir  et  de  ne  pas  comprendre.  Il  y  a  quelques  jours  encore, 
il  me  semblait  entendre  une  de  ces  voix  de  la  Nature  annonçant  la 
vérité  à  tous  ceux  qui  l'écoutent  dans  la  simplicité  de  l'esprit.  Dans 
une  promenade  solitaire  le  long  des  plages  de  la  basse  Bretagne,  je 
contemplais  l'Océan  immense,  ayant  sous  les  yeux  le  golfe  qui 
s'étend  de  l'embouchure  de  la  Loire  à  celle  de  la  Vilaine,  et  je 
m'étais  assis  au  sommet  d'un  amoncellement  de  rochers  que  la 


LA   NATURE, —  CONTEMPLATION 


haute  mpr  couvre  de  ses  flots,  mais  qui  à  marée  basse  restent  sur  la 
rive  sablonneuse  comme  les  témoins  pétrifiés  de;  quelque  antique 
cataclysme.  La  plage  était  couverte  de  coquillages,  hier  vivants, 
aujourd'hui  vides;  le  sable  lui-même  fourmillait  d'animalcules  dan- 
sant aux  rayons  du  soleil  couchant;  les  flaques  d'eau  laissées  par  la 
mer  entre  les  roches  étaient  peuplées  de  petils  poissons,  de  cre- 
vettes sillonnant  l'eau  limpide,  et  de  crabes  qui  se  poursuivaient  les 
uns  les  autres;  quelques  marsouins,  annonçant  une  tempête  qui 
éclata  la  nuit  suivante  au  milieu  des  flammes  d'une  mer  phospho- 
rescente, s'avançaient  jusqu'aux  derniers  rochers  battus  par  les 
vagues.  On  entendait  au  loin  les  petits  oiseaux  des  bois  gazouillant 
leurs  dernières  notes  du  soir... 

Il  n'était  pas  difficile  à  l'imagination  d'aller  au  delà  du  visible,  et 
de  contempler  l'Océan  tout  entier  peuplé  d'espèces  animales  et 
végétales  plus  nombreuses  que  les  étoiles  que  nous  voyons  au  ciel. 
Les  sondages  merveilleux  opérés    depuis   quelques  années    sous 
toutes   les   latitudes  océaniques  déroulèrent    dans   ma  mémoire 
le  riche  tableau  de  leurs    découvertes,  apprenant   à   la   science 
classique  qu'elle  s'est  trompée  jusqu'ici  en  imposant  une  limite 
au  développement  de  la  vie,  et  que  les  abîmes  de  la  mer  sont 
peuplés  à  toutes  les  profondeurs  d'êtres  organisés  pour  vivre  dans 
leur  sein...  abîmes  noirs,  éternellement  obscurs,  où  des  mollusques 
fabriquent  de  la  lumière  et  ont  des  yeux  pour  la  sentir!...  profon- 
deurs supportant  des  pressions  inouïes  capables  de  faire  éclater  de 
massives  pièces  d'artillerie ^  et  habitées  par  de  charmants  êtres, 
délicats,  frêles,  décorés  de  légères  broderies,  et  se  jouant  dans  ce 
lourd  milieu  comme  les  papillons  sur  les  fleurs!   Et  tandis  que 
l'Océan  immense  m'apparaissait  peuplé  comme  la  terre  et  l'air 
d'êtres  sans  nombre,  depuis  la  baleine  jusqu'à  l'infusoire  micros- 
copique dont  les  légions  brûlent  le  soir  dans  les  vagues  agitées,  mes 
yeux  s'arrêtèrent  sur  le  rocher  où  j'étais  assis,  et  s'aperçurent  qu'il 
était  vivant  lui-même  !  Oui,  ce  bloc  de  pierre  était  tout  entier 
recouvert  cV êtres  vivants,  de  la  grosseur  de  grains  de  chénevis, 
amoncelés  sur  toute  sa  surface  :  pas  un  centimètre  carré  n'était 
perdu,  et  c'étaient  ces  petits  crustacés  qui  lui  donnaient  sa  teinte 
grise.  Mais  ce  rocher   n'est  pas  unique  :  toutes  les    roches    qui 
m'entouraient  offraient  le  même  tableau,  étaient  habitées  par  le 


LA   NATURE. —  CONTEMPLATION. 


même  animal.  Or,  ces  roches  occupent  tout  le  rivage,  sur  une  lon- 
gueur de  plusieurs  kilomètres.  En  ne  comptant  que  quatre  coquilles 
par  centimètre,  soit  16  par  centimètre  carré,  on  en  trouve  160,000 
par  mètre  carré,  c'est-à-dire  que  sur  ces  seuls  rochers,  cette  espèce 
vivante  règne  sur  une  couche  de  milliards  de  milliards  d'individus  ! 
Et  qu'est-ce,  sur  la  Terre,  que  ce  point  d'un  rivage  solitaire,  remar- 
qué par  hasard?  Un  rien  en  vérité.  Mais  quoi  !  ces  rochers  eux-mêmes 
renferment  mille  débris  d'espèces  fossiles  qui  se  sont  succédé  pendant 
les  longs  siècles  des  périodes  géologiques,  et  dont  les  squelettes 
entassés  forment  des  montagnes  telles  que  les  Alpes  et  les  Pyrénées  ! 
«  La  pierre,  la  terre,  l'eau,  l'air,  tout  est  plein  d'êtres  !  pensais-jc 
en  me  sentant  ainsi  entouré  de  toutes  parts  par  la  vie.  Dans  le  temps 
comme  dans  l'espace,  la  vie  règne  en  souveraine,  et  lors  même  que 
les  corps  célestes  ne  seraient  que  des  rochers  comme  ceux-ci,  la 
nature  nous  témoigne  qu'elle  ne  les  aurait  point  laissés  stériles  et 
déserts.  Il  faut  que  la  vie  apparaisse,  il  faut  qu'elle  s'éveille,  il  faut 
qu'elle  éclate,  il  faut  qu'elle  s'élève  dans  le  Progrès;  car  c'est  elle 
vraiment  qui  existe,  et  le  monde  matériel  n'est  que  son  support...  » 
Je  pensais  ces  choses  en  reprenant  le  chemin  des  dunes,  quand  mes 
yeux,  s'élevant  vers  l'occident  encore  rouge  des  dernières  lueurs  du 
soleil  couché,  y  reconnurent  Mercure,  qui  brillait  comme  un  phare 
dans  le  crépuscule,  où  deux  étoiles  seulement,  Arcturus  et  Véga, 
étaient  allumées...  «Tu  nous  regardes,  m'écriai-je,  ô  silencieuse 
planète!  et  tu  nous  vois  de  loin  briller  dans  ton  ciel;  mais  tu  te 
caches  pour  nous  dans  la  lumière  de  ton  beau  soleil,  et  tu  voiles 
discrètement  pour  nos  yeux  mortels  la  forme  de  ta  patrie.  Nous  ne 
pouvons  distinguer  tes  continents  et  tes  mers,  tes  forêts  et  tes  cam- 
pagnes, ni  cueillir  encore  les  fleurs  enchanteresses  de  la  vie  qui 
palpite  sur  ton  sein.  Mais  la  Nature  qui  t'a  enfantée  est  la  même 
mère  qui  a  enfanté  la  Terre,  et  les  leçons  qu'elle  nous  donne  ici 
sont  faites  pour  nous  apprendre  à  apprécier  toutes  ses  œuvres.  En 
brillant  ce  soir  au-dessus  de  cette  plage  inondée  de  vie,  tu  viens 
toi-même  de  compléier  ma  pensée,  et  de  t'associer  à  la  voix  im- 
mense qui  monte  de  l'Océan,  des  rivages  et  de  la  Terre  vers  le  Ciel, 
pour  célébrer  V hymne  universel  de  la  vie  infinie.  » 


LIVRE  IV 


LA  PLANÈTE  QUE   NOUS   HABITONS 


r    i''  .f 


LIVRE  IV 

LA  PLANÈTE   QUE  NOUS  HABITONS 


CHAPITRE  PREMIER 

La  Terre,  astre  du  ciel. 


Apivs  avoir  visité  les  planètes  Mars,  Mei-curc  et  V(''nus,  nous  al- 
lons, sans  nous  arrêter  au  Soleil,  qui  n'est  pas  une  «  Terre  du  eiel  » 
e^  dont  la  description  a  été  donnée  en  détail  dans  V Astronomie 
popuhiirc,  nnus  diriger  vers  les  planètes  extérieures  de  notre  sys- 
tème, en  nuus  arrêtant  toutefois  un  instant  sur  la  Terre  et  un  peu 
plus  longtemps  sur  la  Lune. 

Il  peut  paraître  surprenant  aux  yeux  d'un  grand  nombre  de  voir 
figurer  la  Terre  que  nous  habitons  parmi  les  sujets  d'un  traité  d'as- 
tronomie, et  de  la  voir  classée  ici  au  milieu  des  astres  du  Ciel, 
comme  toute  autre  planète.  Cependant  ricMi  n'est  plus  logique,  et 
cet  ouvrage  ne  serait  ni  complet  ni  exact,  si  ikuis  oubliions  le  globe 
qui  porte  nos  destinées. 

Notre  petit  plan  17/7.  170)  représente  nos  stations  successives.  11 
est  tracéàl'échellrdi'  1"""  jwiui  •>  millions  de  lieues. 

Lorsqu'on  part  du  Soleil  pour  visiter  successivement  les  provinces 
^\^'  sa  répulilique,  la  Terre  est  la  troisième  province  que  l'on  ren- 
contre. Elle  marche  accompagnée  de  la  Lune.  C'est  uui"  planèlr 


|.\   TEUlîK,    ASÏll  K    l>r    t.ltl- 


au  .nèrne  titre  qu.  l.s  autres,  ai  plus  m  muu.s  uuportante   qu 
vo.'ue  comme  ses  sœurs  sous  la  puissante  et  douce  mflueuce  .l.   a 
..rivitati.,n  universelle,  vibre  dans  sa  note  particulière  au  milieu  du 


'"l'M. 


Pj.,    ,:;i.-"iWle  de  la  Terre  et  des  planètes  voisines. 
(Échelle  l'»"'=:!™'l'">°"''^  ""'"*'■ 

divin  concert,  tressaille  sous  les  ^-'-'''"f  ""!■'":  "^"Z^ 
tonmo  avec  rapidité  dans  Vespace,  et  d-'"»»»^ -^  "^^^'^/'i^ nt^s 
succession  de  ses  mouvements,  leurs  années,  leurs  ^a,sons  et 

.      jours. 


LA    TERUK,    ASTllE   DU    CIEL 


Oui,  ce  globe  autour  duquel  végètent  un  milliard  quatre  cents  mil- 
lions de  petits  êtres  humains  prétendus  raisonnables,  est  un  astre 
du  Ciel,  isolé  de  toutes  parts  dans  le  vide  infini,  situé  à  37  mil- 
lions de  lieues  du  Soleil,  et  tournant  autour  de  lui  à  cette  distance, 
en  une  révolution  qui  demande  365  jours  6  heures  9  minutes 
10  secondes  pour  s'accomplir. 

Il  y  a  même  une  importance  philosophique  si  capitale  à  considérer 
la  Terre  comme  un  astre,  que  ce  fait  renferme  en  lui  la  plus  grande 
révolution  que  rimmanité  ait  jamais  accomplie,  et  que  le  résumé  des 
efforts  faits  par  l'esprit  humain  pour  le  découvrir  et  s'en  convaincre 
donnerait  le  tableau  de  toute  l'histoire  astronomique  et  religieuse  de 
notre  monde.  La  première  défense  que  les  représentants  du  dogme 
chrétien  firent  à  Galilée,  en  commettant  la  faute  si  grave  de  le  con- 
damner, fut  de  lui  interdire  de  donner  le  nom  d'astre  à  la  Terre, 
car  ils  sentaient  déjà  que  les  sublimes  vérités  de  l'astronomie  al- 
laient modifier  profondément  les  anciennes  croyances  fondées  sur 
une  prétendue  supériorité  de  la  Terre  et  de  l'Homme  dans  la  créa- 
tion. 

Toutes  les  idées  vulgaires  issues  des  apparences  tombent  devant 
ce  simple  changement  de  mot.  Il  est  incontestable  que  le  premier 
pas,  et  le  plus  difficile,  que  doit  faire  tout  homme  désireux  de  con- 
naître la  vérité,  c'est  de  s'efforcer  de  se  représenter  exactement 
comment  la  Terre  est  posée  dans  l'espace;  de  s'affranchir  absolu- 
ment de  son  patriotisme  de  clocher;  de  ne  plus  se  supposer  habiter 
un  séjour  privilégié  ;  et  de  voir  les  choses  de  haut  et  dans  leur  en- 
semble, comme  s'il  arrivait  d'une  autre  région  de  l'infini.  Posons- 
nous  donc  ici  ces  deux  grandes  questions  qui  se  complètent  l'une 
l'autre  :  Qu'est-ce  que  la  Terre  et  qu'est-ce  que  le  Ciel  ? 

Parmi  les  hommes,  ou  du  moins  parmi  les  hommes  qui  pensent 
et  qui  se  sentent  à  certaines  heures  de  la  vie  animés  du  noble  désir 
de  connaître,  il  en  est  peu  qui  ne  se  soient  demandé  avec  une  inquiète 
curiosité  ce  que  c'est  que  ce  Ciel  dont  notre  habitation  terrestre  est 
couronnée.  Soit  au  milieu  de  la  splendeur  des  jours,  lorsque  ce  ma- 
gnifique azur  plane  glorieusement  sur  nos  têtes  et  qu'à  peine  de 
légers  flocons  d'argent  y  dessinent  leur  contraste  ;  soit  au  recueille- 
ment du  soir,  quand  l'astre  brûlant  descend  majestueux  dans  son 
lit  de  pourpre  aux  franges  d'or,  et  que  la  lune  rougissante  apparaît 

TERI'.ES   DU   CIEL.  50 


LA   TElUtE,   ASTQE   DU    CIEL 


au  levant  derrière  les  montagnes;  soit  au  sein  des  nuits  silen- 
cieuses, lorsque  les  étoiles  scintillantes  versent  dans  l'espace  leur 
mélancolique  pluie  de  lumière:  en  ces  instants  de  contemplation  et 
d'entretien  avec  la  nature,  l'âme  se  sent  anxieuse  de  sonder  les  mys- 
tères de  la  création  ;  elle  reconnaît  que  l'ignorance  est  un  état  in- 
férieur, et  qu'il  doit  être  doux  et  satisfaisant  de  savoir;  elle  de- 
mande à  l'Être  universel  qui  respire  en  toutes  choses  la  révélation 
de  ses  œuvres,  et  la  curiosité  devient  presque  pour  elle  un  énergique 
besoin  de  sortir  des  ténèbres  et  de  saisir  dans  sa  grandeur  l'ordre  et 
le  cours  de  l'immense  univers. 

Efforçons-nous  donc  de  nous  élever  au-dessus  des  apparences, 
affranchissons-nous  des  illusions  des  sens,  et  apprenons  à  juger  dans 
leur  beauté  les  réalités  absolues  de  la  création.  Les  poètes  de  l'anti- 
quité et  des  temps  modernes  se  sont  imaginé  que  la  fiction  était 
plus  belle  et  plus  séduisante  que  la  vérité  ;  ces  poètes  se  sont  trom- 
pés. Comme  l'exprimait  un  mathématicien  profond,  Euler:  pour 
celui  qui  sait  comprendre  la  science,  la  nature  telle  qu'elle  est  dé- 
passe de  cent  coudées  toutes  les  fables  et  toutes  les  créations  hu- 
maines. 

Notre  vue,  bornée  à  la  sphère  oîi  nous  sommes,  nous  montre  au- 
dessus  de  nos  têtes  un  pavillon  bleu,  emnchi  pendant  les  ténèbres 
d'une  multitude  de  points  brillants.  Nous  sommes  portés  à  croire 
que  c'est  là  une  voûte  surbaissée,  formée  d'une  substance  aèriforme 
et  enfermant  la  surface  terrestre  comme  le  ferait  une  coupole  im- 
mense. Tel  est  en  esquisse  le  système  des  apparences.  C'est  celui 
que  nous  nous  représentions  lorsque,  enfants,  nous  raisonnions 
d'après  l'impression  des  sens.  C'est  celui  que  les  peuples  enfants 
avaient  adopté,  car  l'humanité  est  comme  un  individu  qui  grandit 
successivement  de  la  faiblesse  ignorante  au  jugement  analysateur. 
C'est  celui  qu'un  grand  nombre  d'hommes  gardent  aujourd'hui 
même,  parce  qu'ils  ne  réfléchissent  pas  à  sa  naïveté  et  restent  indif- 
férents aux  progrès  des  sciences.  Souvenons-nous  des  essais  anti- 
ques de  la  pensée  humaine,  depuis  les  anciens  Aryas  qui  portèrent 
leurs  tontes  de  fleuve  en  fleuve  au  sein  des  vastes  Indes  ;  depuis  les 
Égyptiens  dont  les  sphinx  regardent  pensivement  l'horizon  lointain 
des  grands  déserts  ;  depuis  les  pasteurs  chaldéens  veillant  la  nuit 
sur  les  montagnes,  depuis  les  récits  du  Pentateuque,  jusqu'à  la 


LA   TERKE,    ASTIIE    DU    CIEL 


cosmogonie  des  Grecs,  et  jusqu'aux  craintes  léthargiques  de  notre 
somlire  moyen  âge.  Dans  cet  immense  panorama  rétrospectif  de  l'hu- 
manilé,  nous  voyons  dominer  les  idées  fondées  sur  les  apparences. 
Les  systèmes  astronomiques  diffèrent,  il  est  vrai,  dans  leur  forme, 
selon  les  méthodes  de  raisonnement,  selon  les  latitudes,  les  tempé- 
raments, les  caractères,  les  croyances  religieuses  ;  mais  au  fond  on 
reconnaît  que  la  charpente  de  tous  ces  systèmes,  estle  type  que  nous 
venons  d'esquisser  :  la  Terre  est  une  surface  place  indéfinie,  entou- 
rée au  delà  de  ses  limites  inconnues  par  des  abîmes  de  ténèbres; 
le  Ciel  est  un  dôme  au-dessus  duquel  les  religions  ont  générale- 
ment placé  le  séjour  des  récompenses  après  la  mort,  cumme  elles 
ont  placé  le  séjour  des  châtiments  sous  les  profondeurs  du  sol  :  in 
inferis. 

La  Terre  était  fixe  et  immobile,  au  bas  du  monde.  De  plus,  chaque 
peuple  avait  naturellement  la  petite  vanité  de  se  croire  au  milieu 
de  la  surface  habitée.  Au-dessous  de  cette  surface  se  perdaient  les 
fondations  mystérieuses  dont  parlait  déjà  Job  il  y  a  trois  mille  ans, 
lorsqu'il  s'écriait  :  «  Où  étiez-vous  quand  je  jetais  les  fondements  de 
la  Terre?  »  On  était  naturellement  convaincu  que  cette  terre  était 
solide,  qu'il  n'y  avait  aucun  danger  à  ce  qu'elle  s'enfonçât,  et  qu'elle 
était  immuable.  Quant  à  ses  limites,  les  uns  la  voyaient  en- 
tourée d'océans  ou  de  marais  ;  d'autres  parlaient  de  ténèbres 
mélangées  avec  du  mouvement  et  du  repos  ;  d'autres  plus  hardis, 
des  moines  du  X*  siècle  de  notre  ère,  déclarent  que,  en  faisant  un 
voyage  à  la  recherche  du  paradis  terrestre,  ils  avaient  trouvé  le 
point  où  le  ciel  et  la  terre  se  touchent  et  avaient  même  été  obligés  de 
baisser  les  épaules!  Le  dôme  transparent  posé  sur  le  royaume  des 
vivants  devint  assez  sûr  lui-même  pour  servir  de  base  à  un  royaume 
de  morts,  ou  plutôt  d'âmes  trépassées,  et  plus  tard  de  ressuscites, 
qui  devait  durer  toute  l'éternité. 

iSos  espérances  sur  la  vie  future,  et  notre  conception  de  l'Être 
suprême,  doivent  aujourd'hui  prendre  une  tout  autre  forme  : 
empyrée,  paradis,  purgatoire,  enfer,  limbes,  ont  disparu  depuis 
l'invention  du  télescope;  il  n'y  a  pas  d'autre  ciel  que  l'espace 
au  sein  duquel  nous  planons  nous-mêmes,  et  pas  d'autres  lieux 
de   séjour  extra-terrestre  que  les  astres  qui  gravitent  dans  l'infini. 

Comme  Mercure,  comme  Vénus,  notre  planète  plane  dans  lo  Ciel. 


LA   TERKE,   ASTRE   DU    CIEL 


Il  faut  que  nous  voyions  clairement  eu  elle  un  globe  suspendu  sans 
aucune  espèce  de  support,  au  milieu  du  vide  immense.  Nous  avons 
drja  vu  que  pour  les  habitants  de  Mars,  Vénus  et  Mercure,  elle  brille 
de  loin  comme  une  étoile. 

La,  Terre  est  une  sphère  isolée  dans  V espace  et  cet  espace  se 
prolonge  à  Vinftni  dans  tous  les  sens  et  tout  autour  d'elle. 

A  t'i/ifinil...  et  tout  autour  de  nous  !  en  haut,  en  bas,  de  côté, 
partout.  Comment  concevoir  une  telle  immensité  ?  Et  qu'est-ce  que  le 
globe  terrestre  au  sein  d'un  pareil  abîme?...  Supposons  que,  voulant 
mesurer  cet  infini,  nous  partions  de  la  Terre  comme  point  de  dé- 
part, et  que  nous  nous  dirigions  vers  un  jjoint  quelconque  du 
Ciel.  Eh  bien  !  quelle  que  soit  la  région  de  l'espace  vers  laquelle 
nous  nous  dirigions  en  ligne  droite  et  sans  jamais  interrompre 
notre  course,  —  lors  môme  que  nous  nous  enfoncerions  dans  ce 
vide  avec  la  vitesse  de  la  lumière,  75000  lieues  par  seconde, 
450000  lieues  par  minute,  270  millions  de  lieues  par  heure,  —  quel 
vertige!...  nous  pourrions  voler  pendant  des  jours,  des  semaines,  des 
mois,  des  années  entières...  avec  cette  vitesse  constante...  pendant 
des  siècles,  pendant  des  milliers  et  des  millions  de  siècles...  et  nous 
n'atteindrions  jamais,  y«w«/,s,  aucune  limite  à  cette  immensité... 
A  mesure  que  les  abîmes  se  refermeraient  derrière  nous,  d'autres 
abîmes  s'ouvriraient  en  avant,  perpétuellement,  sans  fin  ni  trêve, 
quelque  soit  le  nombre  des  siècles  accumulés  en  notre  voyage  ;  sans 
cesse  l'immensité  resterait  béante  ;  et  nous  épuiserions  plutôt  la 
série  des  siècles  possibles,  nous  absorberions  le  temps,  nous  nous 
identifierions  avec  l'éternité,  plutôt  que  de  vaincre  cette  puissance 
de  l'infini,  qui,  inaccessible,  fuirait  toujours  et  toujours... 

Enfin,  nous  arrêtant,  exténués,  repliant  nos  ailes  fatiguées  de  cet 
essor  séculaire,  désespérés  du  but,  nous  voulons  mesurer  du  regard 
et  de  la  pensée  l'espace  que  nous  avons  parcouru;  nous  voulons 
deviner  où  nous  sommes  et  nous  reconnaître...  Mais  quoi  !  nous 
voici  seulement  au...  vestibule  de  l'Infini...  Que  disons-nous  au  ves- 
tibule! En  réalité,  notre  long  et  incommensurable  voyage,  après  des 
millions  de  siècles  de  ce  vol  insensé,  serait  identiquement  comme  si 
nous  étions  restés  dans  le  repos  le  plus  complet.  Devant  l'Infini 
nous  n'aurions  pas  avancé  d'un  seul  pas  !  !  ! 

Si  donc,  considérant  un  instant  le  globe  terrestre  comme  unique 


LA   TEURE,   ASTRE    DU    CIEL 


dans  cet  infini  qui  l'environno  do  toutes  parts,  nous  supposions 
qu'il  pût  y  tomber  comme  un  boulet  dans  un  abîme,  ce  globe  tom- 
berait, tomberait  pendant  des  siècles  de  siècles,  et  continuerait  de 
tomber  incessamment,  toujours,  sans  que  dans  toute  la  durée  de 
l'éternité  il  put  jamais  approclier  du  fond  de  l'abîme.  Après  mille 
siècles  de  chute,  il  continuerait  de  tomber  pendant  mille  siècles 
encore,  et  pendant  mille  siècles,  et  cela  sans  jamais  descendre 
en  réalité  !  Ce  serait  absolument  comme  s'il  restait  en  repos,  car, 
en  fait,  le  chemin  qu'il  aurait  parcouru  ne  serait  jamais  que  zéro, 
comparé  à  l'Infini. 

Porté  dans  l'étendue  par  les  lois  mystérieuses  de  la  gravitation 
universelle,  notre  globe  court  dans  l'espace  avec  une  rapidité  que 
notre  pensée  la  plus  attentive  peut  difficilement  saisir.  Obéissant  au 
Soleil,  il  tourne  autour  de  lui  à  la  distance  moyenne  de  37  millions 
de  lieues,  sur  une  orbite  qui  ne  mesure  pas  moins  de  232  millions 
50O  mille  lieues  à  parcourir  en  365  jours  6  heures.  Pour  accomplir 
cette  translation,  il  faut  voler  avec  une  vitesse  de  643000  lieues 
par  jour,  23800  lieues  à  l'heure,  29450  mètres  par  seconde. 

Le  train  express  le  plus  rapide,  emporté  par  l'ardeur  dévorante 
de  la  vapeur  aux  ailes  de  feu,  ne  peut  parcourir  au  maximum  plus 
de  100  kilomètres  à  l'heure,  c'est-à-dire  25  lieues  :  sur  les  routes  invi- 
sililes  du  Ciel,  la  Terre  vogue  avec  une  vitesse  1100  fois  plus  rapide. 
La  différence  est  telle  qu'on  ne  saurait  l'exprimer  géométriquement 
ici  par  une  figure.  Si  l'on  représentait  par  1  millimètre  seulement 
la  longueur  parcourue  en  une  heure  par  la  locomotive,  il  faudrait 
tracera  côté  une  ligne  de  I  mètre  10  centimètres  pour  représenter 
le  chemin  comparatif  parcouru  par  notre  planète  pendant  le  même 
temps.  Nulle  vitesse  appréciable  ne  peut  nous  donner  une  idée  de 
celle,  de  la  Terre.  Ajoutons,  comme  point  de  comparaison,  que  la 
marche  d'une  tortue  est  environ  1 100  moins  rapide  que  celle  d'un 
fiain  express.  Si  donc  on  pouvait  envoyer  un  train  express  courir 
après  la  Terre,  c'est  exactement  comme  si  l'on  envoyait  une  tortue 
courir  après  un  train  express  !  Nous  volons,  du  reste,  soixante- 
quinze  fois  plus  vite  qu'un  boulet  de  canon  !...  Et  c'est  ce  jouet  dont 
les  Bibles  anciennes  faisaient  la  base  de  toute  la  création  ! 

Situés  comme  nous  le  sommes  autour  du  globe,  mollusques  infi- 
niments  petits  collés  à  sa  surface  par  son  attraction  centrale   et 


-A   TERHE,   ASÏRt   DU    CIEL 


emportés  par  son  mouvement,  nous  ne  pouvons  apprécier  ce  mou- 
vement ni  nous  en  rendre  compte  directement.  La  seule  méthode 
que  nous  puissions  employer  pour  sentir  exactement  la  condition 
cosmographique  de  la  Terre,  serait  de  nous  supposer  placés  non  plus 
sur  elle,  mais  à  côté,  dans  l'espace,  et  immobiles,  au  lieu  d'être, 
comme  nous  le  sommes,  entraînés  par  son  propre  mouvement. 
Ainsi  isolés  de  ce  globe,  nous  pourrions  l'observer  sans  parti  pris, 
sans  idée  préconçue,  et  constater  son  mouvement,  étant  dans  la 
situation  de  celui  qui  voit  passer  devant  lui  un  train  rapide  sur 
une  voie  ferrée. 

Ainsi  placés  dans  l'espace,  non  loin  de  la  route  céleste  suivie  par 
le  globe  dans  son  cours,  nous  verrions  d'abord  ce  globe  venir  de 
loin,  soies  l'aspect  d'u7ie  étoile  grandissante.  Son  volume  appa- 
rent s'accroissant  à  mesure  qu'il  approche,  nous  le  verrions  ensuite 
avec  le  diamètre  de  la  Lune  dans  son  plein.  Alors  déjà  nous  pour- 
rions distinguer  sa  surface,  les  continents  et  les  mers,  le  pôle  écla- 
tant de  blancheur,  l'atmosphère  marbrée  de  nuages.  Bientôt  le 
globe,  s'entlant  davantage,  nous  apparaîtrait  grandissant  toujours. 
Nous  reconnaîtrions  les  diverses  parties  du  monde,  les  deux  vastes 
triangles  verts  de  l'Amérique,  l'Europe  déchiquetée  dans  ses  rivages, 
l'Afrique  ocrée,  les  bandes  nuageuses  équatoriaies.  Notre  attention 
chercherait  à  distinguer  les  plus  petits  détails  de  sa  surface,  entre 
autres,  sans  doute,  une  région  verdoyante  qui  n'en  occupe  que  la 
millième  partie  et  qu'on  appelle  la  France...  Mais  quoi  !  voilà  ce 
boulet  tourbillonnant  qui  grossit,  qui  grossit  encore.  Soudain  il 
occupe  le  ciel  entier,  se  dressant,  monstre  colossal,  devant 
notre  vision  effrayée.  Nous  percevons  un  instant  le  vague  tu- 
multe des  bètes  féroces  des  tropiques  et  aussi  celui  de  l'artil- 
lerie toujours  grondante  de  notre  intelligente  humanité...  Mais 
l'immense  sphère  est  passée  avec  la  rapidité  de  l'éclair  :  la  voilà 
qui  s'enfonce  dans  les  profondeurs  béantes  de  l'espace;  puis, 
se  rapetissant  à  mesure  qu'elle  s'éloigne,  elle  s'enfuit,  diminue, 
et  disparait  en  se  perdant  dans  l'infini... 

C'est  sur  ce  boulet  que  nous  rampons  tous,  disséminés  autour  de 
sa  surface  comme  d'imperceptibles  fourmis,  et  emportés  dans  l'es- 
pace insondable  par  la  force  vertigineuse  de  la  gravitation  uni- 
verselle. 


LA   TlilîUE,   ASTRE   DU   CIEL 


Ce  boulet  mesure  12732  kilomètres,  ou  3183  lieues  de  largeur, 
et  40000  kilomètres,  ou  10000  lienes  de  tour.  Sa  surface  est  de 
509  millions  de  kilomètres  carrés,  ou  environ  50  milliards  (riiec- 
tares,  terres  et  eaux  comprises.  Les  terres  n'occupent  que  130  mil- 
lions de  kilomètres  carrés,  c'est-à-dire  13  milliards  d'hectares. 
Son  volume  mesure  environ  1 000  milliards  de  kilomètres  cubes. 
Sa  densité  surpasse  de  cinq  fois  et  demie  celle  de  l'eau.  Le  poids 
de  ce  globe,  cinq  fois  et  demie  plus  lourd  qu'un  globe  d'eau  de 
même  dimension,  est  de  5  875  scxfiliions  de  kilogrammes  : 
5  875  000  000  000  000  000  000  000 . 

Ce  volume  et  ce  poids  nous  paraissent  énormes!  Et  pourtant  le 
volume  du  Soleil  surpasse  celui  de  la  Terre  de  1279000  fois,  et  son 
poids  égale  celui  de  324000  globes  terrestres  réunis! 

L'atmosphère  qui  entoure  la  Terre  pèse  6263  quatrillions  de  kilo- 
grammes, c'est-à-dire  environ  un  million  de  fois  moins  que  le  globe. 
C'est  sous  cette  couche  d'air  que  nous  rampons,  comme  les  huîtres 
sous  la  mer,  en  supportant  sur  nos  épaules  une  pression  de  1000  ki- 
logrammes par  mètre  carré,  ou  de  15500  kilogrammes  pour  la 
surface  tota^  de  notre  corps.  Et  nous  ne  pouvons  pas,  même  seule- 
ment comme  les  oiseaux,  nous  élever  au-dessus  de  ces  bas-fonds, 
auxquels  nous  retient  le  boulet  de  la  pesanteur.  Q^ielquefois,  il  est 
vrai,  l'aérostat  céleste  daigne  nous  transporter  dans  les  régions 
aériennes,  mais  ce  n'est  que  pour  nous  faire  regretter  davantage 
notre  condition  ordinaire. 

En  outre  du  mouvement  de  tran^^lnfinn  qui  vient  de  s'oiïrir  s 
nos  regards,  la  Terre  est  le  jouet  d'un  grand  nombre  d'autres  mou- 
vements que  nous  pouvons  résumer  comme  il  suit  : 

D'abord  sa  rotation  la  fait  tourner  sur  elle-même,  pirouottcr  en  quelque 
sorte,  en  24  heures  ('),  donnant  à  ses  diffpronfes   latitudes  une  vitesse 


(')  La  Terre  tourne  sur  ellp-môme  en  23' .ïG"  4'.  Ce  serait  In  durée  exacte  du  jour  et  de 
la  nuit  réunis,  si  notre  îjlobe  ne  tournait  pas  autour  du  Soleil:  mais  comme  il  se 
déplace  dans  l'espace,  lorsqu'un  point  quelconque  du  globe  revient  au  liout  de  cet 
inlcrvalle  dans  la  même  position  absolue  qu'il  occupait  au  comnieucenicnt,  le  Soleil 
parait  s'être  déplacé  en  sens  contraire  du  mouvement  de  translation  de  la  Terre,  et  pour 
(juc  notre  point  arrive  de  nouveau  devant  lui,  il  faut  que  la  Terre  continue  de  tourner 
sur  elle-même  pendant  encore  3™  30'. 

C'est  ce  qu'il  est  très  facile  de  saisir  sur  une  figure.  Considérons  le  glohe  terrestre  en 
un  moment  quelconque,  et  supposons  que  le  point  .V  se  trouve  juste  devant  le  Soleil 


LA   TEIIKE,    ASTliE   DU    CIEL 


ditl'ei'L'ute,  suivant  leur  distance  à  luxe  de  rotation.  A  l'équateur,  où. 
la  vitesse  est  maximum ,  la  surface  terrestre  est  l'orcée  de  parcourir 
iOOOOÛOO  de  mètres  par  jour,  ce  qui  donne  iO'i  mètres  par  seconde.  A  la 
latitude  de  Paris,  où  le  cercle  est  sensiblement  moins  yrand,  la  vitesse 
est  de  305  mètres  par  seconde;  aux  pôles  mêmes  elle  est  nulle.  —  L'n 
troisième  mouvement  luit  osciller  la  Terre  sur  le  plan  de  l'orbite  qu'elle 
décrit  autour  du  Soleil  et  diminue  actuellement  l'obliquité  de  técliptique 
pour  la  relever  dans  l'avenir.  —  Un  quatrième  fait  varier  la  courbe  que 
notre  planète  décrit  autour  du  Soleil,  et  tempère  Xexentricilé  de  cette 
ellipse  pour  la  rapprocher  d'un  cercle,  qui  de  nouveau  s'allongera  sous 


B^yy//yy/yy/?7'ww^/iiii:n;iTii)!iîii!iiMj!ijij'i:i:iTiTi'ra!i'i'\TïïAvmïVAïïmAA» 


Fig.  180.  —  Translation  k-x  rotation  dp  la  Terre.  —  Jour  siilé 
et  jour  solaire. 


les  influences  planétaires.  —  Un  cinquième  mouvement  déplace  lente- 
ment le  périhélie,  qui  fait  le  tour  de  l'orbite  en  21000  ans,  si  bien  que 
dans  cet  autre  cycle  les  saisons  prennent  .successivement  la  place  l'une 
de  l'autre.  —  Un  sixième  mouvement,  celui  (pii  constitue  Va  prrces^iion  àc-s 


ifia;iirc  180,  position  de  gauchcV  Lorsque  la  Torrc  aura  accompli  sa  rotation,  elle  se  sera 
transportée  à  la  position  de  droite,  et  le  méridien  .\  se  retrouvera  comme  il  était  ;  mais 
le  Soleil  aura  reculé  vers  la  gauche  pendant  que  la  Terre  avançait  dans  son  cours  vers 
la  droite,  et  jiour  ([ue  le  point  .\  revienne  de  nouveau  devant  le  Soleil,  il  tant  ajouter 
irilG"  ;  et  cela,  tous  les  jours  de  l'année,  .\insi  entre  deux  midis  il  y  a  2V  heures  juste, 
ou  8G400  secondes  ;  tandis  i[u'entre  deux  passages  d'une  étoile  au  méridien  il  n'y  a  que 
2.S''  .')G"  4',  ou  80164  secondes.  Le  jour  de  24  heures  est  le  Jour  solaire  ou  civil.  Le  jour 
de   23"o0'"4'  est   le  jour  sidéral.   Il  en  est  de  même   pour    tmiles    les    planètes  :  le 


l.A    TKIÎ  l!K,    ASÏUK    I)  i:    CIEL 


ef/tiinoxes,  fait  afcomplir  à  Taxe  terrestre  une  rotation  lente  (jui  ne  dure 
pas  moins  de  25765  ans,  et  en  vertu  de  laquelle  toutes  les  étoiles  du  ciel 
chauffent  chaque  année  de  position  apparente,  pour  ne  revenir  au  même 
point  qu'après  ce  grand  cycle  séculaire.  —  Un  septième  mouvement,  dû 
à  laction  de  la  Lune  et  nommé  nu/a/ion,  fait  décrire  au  pôle  de  l'équaleu) 
sur  la  sphère  céleste  une  petite  ellipse  de  18  ans  et  8  mois.  —  Un  hui- 
tième mouvement,  dû  à  la  même  attraction  lunaire,  accélère  la  mardi, 
de  notre  globe  un  peu  plus  vite  lorsque  la  Lune  est  devant  lui  (premiei 
quartier)  et  la  retarde  lorsqu'elle  est  en  arrière  (dernier  quartier).  —  U- 
neuvième  mouvement,  cause  par  l'attraction  des  planètes,  et  principa- 


^         wlerpepnjçpMî, 
y  pou' 

t'hemisphàre  austral 


Ki^.  181.  —  1..1  Tenr  au  miIsiui'  de  juin  ;  iluri'i'  du  jour  >i'loii  les  lati'i 


nomhro    de  jours  solairos  dont  se  compose  leur  année  est  toujours   infiTicur  d'une 
unité  à  celui  de  leurs  jours  sidéraux. 

I.e  globe  terrestre  ayant  inodO  lieues  de  circonférence,  on  voit  qu'en  vertu  de  sa  rota- 
tion, un  point  de  l'équateur  court  en  raison  de  lf)70  kilomètres  par  heure.  Surface  du 
globe,  mers,  atmosphère,  nuages,  ioui  ce  qui  appartient  à  la  Terre  est  emporté  par  ce 
même  mouvement  diurne,  et  par  conséquent  tout  parait  en  repos  autour  de  nous.  Cette 
force  est  si  considérable,  que  si  le  mouvement  de  rotation  de  notre  planète  était  cnniyé 
brusquement,  si  une  main  colossale  Farrêtait,  la  catastrophe  la  jdus  épouvantable 
en  serait  la  conséquence.  Tous  les  êtres  vivants  en  seraient  instantanément  brisés  par 
im  choc  sans  cause  matérielle  apparente  ;  les  mers  se  jetteraient  sur  les  continents, 
qu'elles  engloutiraient,  et  le  iiunivement,  arrêté,  se  transformant  en  chaleur,  élè- 
verait le  globe  entier  à  une  si  haute  température,  qu'il  brûlerait  sur  place,  dans 
une  chaleur  rouge  égale  au  l'eu  d'une  niasse  de  houille  quinze  fois  plus  grosse  que  le 
:.'lobe  terrestre...  Le  mouvement  de  translation  est  beaucoup  plus  énergique  et  plus 
lormidable  encore.  Si  une  volonté  suprême  ordonnait  à  la  Terre  de  s'arrêter  dans 
son  cours  autour  du  Soleil,  son  mouvement  de  translation  se  transformant  en  chaleur, 
notre  planète  tout  entière  se  volatiliserait  et  s'évanouirait  à  l'élat  de  vapeur,  connue  une 
nébuleuse. 

TF.r.RES   DU    CIEL  51 


LA    TF.Il  r.E,    ASTUE    DU    CIEL 


lement  par  le  monde  gigantesque  de  Jupiter  et  par  notre  voisine  Vénus, 
occasionne  des  7JP?'<K?-6fl/w/«.s-,  calculées  d'avance,  sur  la  ligne  décrite  pat 
notre  planète  dans  sa  révolution  annuelle,  la  gonflant  ou  l'aplatissant, 
selon  les  variations  de  la  distance.  — Un  dixième  mouvement  fait  tournei 
le  Soleil  le  long  d'une  petite  ellipse  dont  le  foyer  est  dans  l'intérieur  de 
la  masse  solaire,  et  fait  tourner  le  système  planétaire  tout  entier  autoui 
de  ceceiitre  commun  de  gravité. —  Enfin,  un  onzième  mouvement,  plus  con 
sidérable  encore  que  les  précédents,  nous  montre  le  transport  du  système 
planétaire  entier  à  la  remorque  du  Soleil  à  travers  les  cieux  incommen- 
surables. Le  Soleil  n'est  pas  immobile  dans  l'espace,  mais  il  se  meut  et 
nous  emporte  avec  lui  vers  la  constellation  d'Hercule.  La  vitesse  de  ce 
mouvement  général  est  de  plus  de  200000  lieues  par  jour.  Les  lois 
('.u  mouvement  invitent  à  croire  que  le  Soleil  gravite  autour  d'un  centre 
encore  inconnu  pour  nous.  Mais  peut-être  aussi  tombe-t-il  en  ligne 
droite  dans  l'infini,  entraînant  avec  lui  tout  son  système  de  planètes  et 
de  comètes...  Il  pourrait  tomber  éternellement,  sans  jamais  atteindre  le 
fond  de  l'espace,  et  sans  que  nous  puissions  même  nous  apercevoir  de 
cette  chute  immense  autrement  que  par  l'examen  minutieux  des  pers- 
pectives changeantes  des  cieux. 

Avant  que  ces  vérités  fussent  devenues  populaires,  on  pouvait  encore 
garder  pour  notre  planète  l'illusion  patriotique  de  la  croire  au  milieu 
du  système  solaire,  entourée  du  chœur  des  harmonies  planétaires,  comme 
le  rappelle  la  vignette  placée  en  tête  de  ce  chapitre,  fac-similé  d'une 
figure  composée  sous  Louis  XV.  Maintenant  notre  petite  planète  ne  peut 
même  plus  garder  cet  apparent  privilège. 

L'examen  de  notre  planche  II  (p.  402)  fera  bien  exactement  comprendre 
le  mouvement  annuel  de  notre  planète  autour  du  Soleil  et  l'inclinaison  de 
son  axe  de  rotation  diurne.  On  voit  qu'aux  équinoxes  le  jour  est  égal 
à  la  nuit  pour  toute  la  Terre  et  qu'aux  solstices  chaque  pôle  est  tour  à 
tour  plongé  dans  la  lumière  et  dans  la  nuit.  Si  nous  suivons  la  Terre 
dans  sa  marche,  nous  verrons  qu'à  mesure  qu'elle  avance  vers  l'été,  le 
pôle  nord  est  de  plus  en  plus  éclairé  jusqu'au  solstice  de  juin,  où  le 
Soleil  illumine  tout  le  cercle  polaire.  A  cette  époque  nous  comptons,  à  la 
latitude  de  Paris,  16  heures  de  jour  et  seulement  8  heures  de  nuit  :  le 
Soleil  est  alors  élevé  dans  le  ciel  de  23°27'  plus  haut  que  l'équateur.  Puis 
la  Terre  s'avance  dans  son  cours,  en  abaissant  le  pôle  nord  et  relevant 
le  pôle  sud,  jusqu'à  l'équinoxe  de  septembre,  où  la  situation  est  symé- 
trique à  celle  de  mars,  et  jusqu'au  solstice  de  décembre,  où  elle  est  l'op- 
posée du  solstice  de  juin.  Alors  c'est  le  pôle  sud  qui  est  éclairé,  tandis 
que  le  pôle  nord  est  dans  l'ombre;  la  journée  n'est  plus  que  de  8  heures 
ici,  et  la  nuit  règne  pendant  16  heures  (abstraction  faite  des  crépuscules); 
le  Soleil  ne  s'élève  qu'à  23°27'  au-dessous  de  l'équateur,  c'est  l'hiver  pour 
notre  hémisphère  et  l'été  pour  l'hémisphère  sud. 


SOLSTICE   DHIVER 


?J.3.a    301iS10S 


LA   TERRE,    ASTRE    DU    CIEL 


Pour  bien  apprécier  l'influence  de  cette  inclinaison  de  l;i  Terre  sur  les 
climats  et  sur  les  conditions  de  la  vie,  il  sera  utile  d'examiner  le  des- 
sin précédent  [fig.  181)  sur  lequel  sont  inscrites  les  durées  du  jour 
qui  correspondent  à  chaque  latitude. 

Cette  appréciation  de  la  situation  de  la  Terre  dans  l'espace  sera  com- 
plétée par  l'examen  du  tableau  suivant  (yîy.  182  et  183),  qui  représente, 
d'après  les  croquis  de  Proctor,  la  position  de  notre  globe,  vu  du  Soleil  à 
midi,  pour  chaque  mois  de  l'année.  On  voit  au  premier  coup  d'oeil  le  polo 
sud  se  retirer  à  p-^.rtir  du  solstice  de  déaembre,  les  deux  pôles  s'effacera 
l'équinoxe  de  Mars,  le  pôle  Nord  arriver  progressivement  devant  le  Soleil, 
pour  s'éloigner  après  le  solstice  de  juin,  et  ainsi  tour  à  tour  les  diverses 
contrées  du  globe  recevant  plus  ou  moins  obliquement  l'illumination 
solaire.  La  position  de  la  Terre  est  donnée  pour  le  21  de  chaque  mois. 

La  rotation  de  la  Terre  a  produit  à  ses  pôles  un  aplatissement  de  ^. 

Ces  mouvements  différents  qui  emportent  l'astre-Terre  dans  l'im- 
mensité sont  connus,  grâce  au  nombre  colossal  d'observations  faites 
sur  les  étoiles  depuis  plus  de  quatre  mille  ans,  et  grâce  à  la  rigueur 
des  principes  modernes  de  la  mécanique  céleste.  Leur  connaissance 
constitue  la  base  essentielle  de  la  plus  haute  et  de  la  plus  solide  des 
scipnces.  La  Terre  est  désormais  inscrite  au  rang  des  astres,  malgré 
le  témoignage  des  sens,  malgré  des  illusions  et  des  erreurs  séculaires, 
et  surtout  malgré  la  vanité  humaine,  qui  longtemps  s'était  formé 
avec  complaisance  une  création  à  son  image.  Sollicité  par  tous  ces 
mouvements  divers,  dont  quelques-uns,  comme  celui  des  pertur- 
bations, sont  d'une  complication  extrême,  le  globe  terrestre  vogue 
dans  le  vide,  tourbillonnant,  se  balançant  sous  des  inflexions  va- 
riées, saluant  les  planètes  ses  sœurs,  courant  avec  une  vitesse 
insaisissable  vers  un  but  qu'il  ignore.  Les  ondulations  successives 
de  son  cours  forment  un  système  continu  d'hélices  entrelacées. 

Depuis  qu'elle  existe,  la  Terre  n'est  pas  passée  deux  fois  au 
même  encb'oit,  et  le  lieu  que  nous  occupons  à  l'heure  môme  où 
vous  lisez  ces  lignes,  s'enfonce  avec  rapidité  derrière  notre  sillage 
éthéré  pour  ne  plus  jamais  revenir!  La  surface  terrestre  elle-même, 
du  reste,  se  modifie  chaque  siècle,  chaque  année,  chaque  jour, 
et  les  conditions  de  la  vie  changent  à  travers  l'éternité  comme  à 
travers  l'espace.  C'est  ainsi  que  la  marche  du  monde  effectue  sou 
cours  mystérieux,  et  que  les  êtres,  comme  les  clioses,  ne  conti- 
nuent d'exister  qu'en  subissant  de  perpétuelles  métamorphoises. 


LA  TERRE,   ASTRE    DU   CIEL 


Mai.  Juiu. 

FIg.  18-2.  -  PosIHou!  de  la  Terre  devant  réclairenient  solaire,  à  midi,  pendant  les  douze  mois  de  l'année. 


LA  TERRE,  ASTRE   DU  CIEL 


Moïembie.  Uccembre. 

Flg.  183.  —  Positions  de  la  Terre  devant  l'éclaireraent  solaire,  !k  midi,  pendant  le»  douie  mois  de  l'anné» 


40é  LA  TERKK,   ASTRE   DU   CIEL 

La  Terre  où  nous  sommes  est  donc  un  astre.  C'est  la  vérité  fon- 
damentale dont  nous  devons  bien  nous  pénétrer  une  fois  pour 
toutes.  Elle  est  une  planète  circulant  annuellement  autour  du  Soleil; 
en  même  temps  qu'elle,  les  autres  planètes  du  système  jjravitent 
dans  le  même  sens,  avec  des  vitesses  différentes,  formant  un  har- 
monieux concert  autour  du  Soleil  illuminateur. 

Ainsi,  nous  sommes  actuellement  dans  le  r<>/;  nous  y  avons 
toujours  été,  et  nous  ne  pouvons  pas  en  sortir.  Telle  est  la  vÉarrÉ, 
importante  à  plusieurs  titres,  que  la  connaissance  de  l'astronomie 
nous  invite  à  comprendre  et  à  méditer  ('). 

Entrons  maintenant  dans  quelques  détails  sur  ces  mouvements  : 

L'obliquité  de  l'écliptique,  c'est-à-dire  l'inclinaison  de  l'équateur  de  la 
Terre  sur  le  plan  dans  lequel  notre  planète  se  meut  annuellement  autour 
du  Soleil,  diminue  actuellement,  eu  raison  de  i7"  par  siècle.  Mais  cette 
diminution  s'arrêtera,  et  l'oscillation  est  renfermée  entre  des  limites  res- 
treiii  es.  L'amplitude  n'est  que  de  2°  37'  22"  et  ses  limites  sont  : 


24"  :i;i'   o8" 

et    21  .  ;;8  .  36 


Priiiiinales  meswes . 


ItOO  ans  avant  J.-C.  Thou-Kong  à  Loyang  (ChinL").  .   .  23'54'2" 

3oO      —         —  Pythoas  ;i  Marseille 23.10.20 

140      —         —  Hipparque  à  Alexandrie 23. 5t. 20 

890  ans  après  J.-C.  .\lbategiii  à  Antioche 23.35.41 

1430      —        —  Ulugh  Beigh  à  Samarkande.  .  .  23.31.48 

1655      —        —  Cassini  à  Bologne i!. 29.15 

1757      —        —  Bradley.  Obs.  de  Greenwich.  .  .  23.28.14 

1841       —        —  Bouvard.  Observatoire  de   Parus.  23.27.35 

1868      —        —  Airy.  Ohs.  de  Greenwich 23.27.22 

Elle  est  actuellement  (1883)  d.' 2:j.2T.  7 

Cette  diminution  ne  se  continuera  pas,  et  nous  n'aurons  jamais  de 
printemps  perpétuel,  de  même  qu'on  en  a  jamais  eu.  Cette  variation  est 
due  à  l'attraction  que  les  planètes  exercent  sur  la  Terre,  et  se  trouve  ainsi 
liée  à  un  cycle  de  toutes  leurs  influences  réunies.  La  mécanique  céleste 

(')  Cette  VÉRITÉ  est  si  capitale  aa  point  de  vue  philosophique  que  le  premier  soin  de 
la  congrégation  de  VIndex,  a  été  d'ordonner  d'effacer  des  ouvrages  de  Copernic  et  de 
Galilée,  le  mot  astre  toutes  les  fois  qu'il  était  appliquée  la  Terre,  et  que  même  au 
foyer  de  Paris,  à  la  Sorbonne,  il  fut  interdit  de  donner  ce  nom  à  notre  planète  et  d'en- 
seigner son  mouvement.  Lorsque,  sous  la  pression  de  la  vérité  démontrée,  il  fut 
impossible  de  continuer  ce  système,  on  permit  d'enseigner  le  niouvement  de  la  Terre 
comme  une  hypothèse  commode  mais  fausse! 


LA  TERRE,   ASTRE  DD   CIEL 


démontre  que  cette  diminution  s'arrêtera  dans  les  siècles  à  venir,  et 
qu'un  mouvement  contraire  du  plan  de  l'écliptique  succédera  au  premier. 
Cette  variation  n'est  d'aucune  influence  sur  les  climats  de  la  Terre    ('). 

Nous  avons  vu  que  l'orbite  terrestre  n'est  pas  circulaire,  mais  ellip- 
tique. Son  excentricité  est  de  0,01679.  En  effet,  si  nous  prenons  pour 
unité  la  distance  moyenne  de  la  Terre  au  Soleil,  ou  le  demi-grand  axe  de 
l'orbite,  nous  avons  : 

En  kilomètres. 
nist:inci'pi'rih('lii' 0,98321         146  000  000 

—  moyenne 1,00000         148  000  000 

—  aphélie 1,01079         150  000  000 

La  Terre  est  donc  de  -j  000  000  de  kilomètres,  ou  de  1  250  000  lieues 
plus  près  du  Soleil  lorsqu'elle  passe  à  son  périhélie  que  lorsqu'elle  passe 
à  son  aphélie.  La  première  position  arrive  le  1"  janvier,  et  la  seconde  le 
1"  juillet.  Cette  différence  d'éloignement  n'empêche  pas  que  la  tempéra- 
ture ne  soit  moins  élevée  sur  notre  hémisphère  boréal  à  la  première  de 
ces  dates  qu'à  la  seconde,  parce  que  cette  température  est  déterminée  par 
l'inclinaison  des  rayons  solaires  et  par  la  durée  du  jour.  Toutefois,  comme 
l'hémisphère  austral  a  alors  l'été,  il  reçoit  plus  de  chaleur  du  Soleil  que 
nous  dans  la  proportion  de  la  différence  d'éloignement  :  environ  un 
quinzième. 

Cette  excentricité  de  t orbite  terrestre  ii'est  pas  constante  non  plus.  Elle 
diminue  lentement  de  siècle  en  siècle,  \oici  quelques  chiil'res  qui  mon- 
trent la  lenteur  de  sa  variation  séculaire  : 

EXCE.MP.ICITÉ    r)E    I.'oniilTE    TEnnESTr.K. 

Il  y  a  100000  ans  (maxiinuiii, 0,0473 

70000  ans 0,0.316 

«ÎOOOO  ans 0,0131 

10000  ans. 0,01S7 

.Viij  mr.i'hui 0,0168 

Dans     10000  ans 0,01ob 

23900  ans  (minimum) 0,0033 

oKOOO  ans   0,0173 

70000  ans 0,0211 

100000  ans   .  . 0,0189 


(')  Un  de  nos  savants  astronomes  anyluis  contemporains,